Un fond noir et une armure placée de profil. Cette affiche très sobre est suffisante pour raviver une histoire inscrite dans nos imaginaires, celle des chevaliers. Une exposition temporaire au Musée d’Histoire du Château des Ducs de Bretagne à Nantes du 9 octobre 2024 au 20 avril 2025 nous offre le récit de cette aventure chevaleresque de l’Europe. L’exposition a été rendue possible grâce au partenariat du musée Stibbert de Florence. Frederick Stibbert (1838-1906), riche financier anglo-italien, a consacré sa vie à la collection d’armures et d’armes européennes et orientales. C’est une infime partie de sa riche collection que nous allons découvrir.
La première salle du musée, de taille modeste, est toujours utilisée pour résumer le propos principal de l’exposition temporaire, avant d’y accéder à l’étage. En effet l’histoire de la chevalerie est aussi longue que palpitante, elle ne peut donc être contenue de façon satisfaisante en une seule exposition, il faut donc faire des choix. Revenons à la première salle où nous faisons face à deux mannequins équestres revêtus d’éléments de différentes époques. L’armure du chevalier, le chanfrein, le mors et les étriers sont du XVIe siècle. Le poitrail et la croupière sont des répliques du XIXe siècle. Enfin le caparaçon d’ornement évoque les somptueuses cérémonies et joutes équestres. Ainsi l’exposition cherche à mettre en avant les derniers éclats de la chevalerie à la Renaissance ainsi que le revivalisme médiéval dans le romantisme de la fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle.
![]() Armures de cavaliers du musée Stibbert avec en toile de fond l’entrée du château de Nantes. |
Derrière l’armure du chevalier, un savoir-faire de haute qualité
Arrivés à l’étage, notre regard est captivé par une série d’amures et demi-armures en cercle au centre de la salle. En effectuant le tour nous voyons l’évolution de l’armure du chevalier vers la Renaissance. En effet la vocation première des armuriers était de répondre rapidement aux besoins des armées seigneuriales et royales. Au XVe siècle c’est une production qu’il est possible de qualifier « de masse[1] ». Au XVIe siècle, la guerre évolue radicalement et la production de grande série décline au profit d’une production de qualité supérieure, réservée à la haute noblesse. Tout d’abord les premières armures de notre ronde sont dites « maximiliennes », nommées en référence à l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg. Dans les ateliers allemands du XVe siècle, des décors de plis et cannelures apparaissent sur les différentes pièces de l’armure, particulièrement le plastron, remplaçant les surfaces lisses des périodes précédentes. Ce type de production typiquement germanique cesse peu après le premier quart du XVIe siècle, dominé par l’influence italienne. Ainsi nous arrivons face à des chefs-d’œuvre dont la plupart sont originaires de Brescia et Milan. Les décors s’amplifient, le détail se perfectionne, plus que des outils militaires les armures deviennent des ouvrages montrant richesse et prestige. Le velours et les fils d’or s’ajoutent aux cuir et acier. Les armuriers n’hésitent pas à signer leurs œuvres. C’est le cas de Pompeo della Cesa, l’armurier le plus renommé de Milan à la fin du XVIe, qui signe un écusson sur le plastron.
![]() Ci-dessus à gauche une armure de cavalier allemande de la première moitié du XVIe siècle. A droite une demi-armure de fantassin de la fin du même siècle, caractéristique des armures de lansquenets. |
En dehors des besoins d’ordre purement militaire, ces nouveaux types d’armure font la fierté des cités et de leurs ateliers. Il s’agit d’armures destinées aux tournois et aux joutes, encore très prisés au XVIe siècle.
Les derniers éclats de la chevalerie
Demandez à un enfant entre 8 et 12 ans ce qu’est le Moyen-Age, les premières représentations qui lui viendront en tête seront probablement les joutes équestres, le château-fort et enfin l’adoubement du chevalier avec la célèbre scène de l’épée sur l’épaule. Pourtant à la Renaissance cette pratique était tombée en désuétude. Les chevaliers constituaient une infime minorité au sein de la noblesse. Alors la chevalerie était-elle en train de mourir avec la construction de l’Etat moderne ? Pas tout à fait. Une pratique, bien connue du Moyen-Age et pourtant pas si fréquente, existait toujours, la joute équestre. C’est autour de cette activité que nous poursuivons notre route dans l’allée du musée. Les grandes fêtes de cour incluaient toujours ce type de divertissement. Les nobles se mesurent durant des combats codifiés : l’espace de la rencontre est bien délimité, l’objectif est de briser la lance sur le plastron de l’adversaire, etc.
Des pièces spécifiques d’armures exposées témoignent de l’importance de la joute au XVIe siècle car ces pièces ne sont utilisables qu’en tournoi. On peut voir par exemple des renforts d’épaulière conçus pour dévier la pointe des lances ou encore des plastrons à crochet dont l’objectif est de coincer la lance adverse lorsqu’elle est braquée sur le torse.
Au-delà des vitrines, nous sommes observés par l’importante collection d’huiles sur toile représentant des hommes en armes qui fournissait à Stibbert des éléments pour la création fidèle de ses copies d’armures (voir la dernière rubrique du présent article). Nous poursuivons dans une nouvelle salle autour de l’évolution de la chevalerie vers une aristocratie où le tournoi, l’épée et l’armure deviennent des éléments de la vie de gentilhomme. D’ailleurs des éléments de la vie courtoise sont représentés sur les armures, comme des instruments de musique sur des dossières.
Les jeux équestres évoluent progressivement vers d’autres formes moins dangereuses, notamment après la mort accidentelle d’Henri II lors d’une joute organisée à Paris en 1559. Il y a par exemple les courses à la bague. Au cours de ce jeu équestre, des cavaliers armés de lances essayaient d’enfiler ou d’enlever des anneaux suspendus à un bâton. Quelques armes exposées laissent transparaître ce déclin militaire de la chevalerie. Prenons l’exemple de l’évolution des armes d’hast. Conçue à l’origine dans l’usage des fantassins contre les cavaliers, nous pouvons voir une guisarme (début XVIe siècle, lame en forme de serpe qui peut sectionner les tendons du cheval) puis une hallebarde (milieu XVIe), plus esthétique, destinée aux gardes de palais dans les cours européennes. Enfin nous arrivons à la pertuisane (fin XVIe), richement décorée de gravures, de fils d’or et beaucoup de décorations en tissus sur la hampe. Il est évident lorsqu’on observe cette arme qu’elle fut utilisée exclusivement en tant qu’arme de cérémonie, inefficace sur un champ de bataille. Un peu plus loin dans l’allée on remarque une arme plus saugrenue, une petite épée du XVIIIe siècle dont la poignée est en porcelaine, ce qui montre bien que les armes médiévales sont uniquement devenues des armes d’apparat pour l’aristocratie.
Se démarquant du mouvement des Lumières qui n’y voyait que barbarie et ténèbres, le romantisme idéalise le Moyen-Age et le perçoit comme un âge d’or révolu. Le revival médiéval se nourrit également de la technique contemporaine, ce qui donne vie à ce monde du passé que l’on cherche à retrouver.
Armes et armures européennes d’un Moyen Age rêvé
En effet les derniers objets exposés de la collection d’art que Frederick Stibbert a réuni tout au long de sa vie sont des objets allusifs au Moyen-Age tel qu’il était perçu au XIXe siècle. Parmi les antiquités, Stibbert entreprit la fabrication de reproduction exacte d’objets illustres ; c’est le cas d’une reproduction de l’armure du roi de France Henri II. Pour cela il fit appel à des corps de métiers qui détenaient le savoir-faire des anciennes techniques artistiques dont Florence conservait encore la mémoire. La collection s’est peu à peu transformée en collection à valeur éducative avec des recherches approfondies de Stibbert pour montrer les différentes techniques. Parmi les objets les plus impressionnants exposés on peut voir une armure de 1862 conçue sur mesure pour Frederick Stibbert ! Nous avons bien à faire à un passionné !

Armure pour F. Stibbert, Maison Granger, Paris, 1862.
Si, selon l’historienne Justine Breton, l’habit ne fait pas le moine, il faut reconnaître que le chevalier fait le Moyen-Age[2]. Dans l’imaginaire collectif il s’agit d’une figure reconnaissable qui incarne à elle seule toute la période médiévale. La dernière salle revient sur ces chevaliers de l’imaginaire, réactualisés par des médias très variés. Des écrans diffusent plusieurs extraits de films ayant un lien avec la chevalerie, qu’il s’agisse de films historiques, de la fantasy ou des comédies. Bien que cette salle (autour d’une chevalerie plus stéréotypée), contraste avec le reste de l’exposition, il s’agit d’une conclusion logique tant la chevalerie a traversé les siècles et continue, grâce aussi aux créations contemporaines, à inspirer et faire rêver.
Bilan de notre excursion
Nous arrivons un peu tôt, il faut bien le dire à la fin de l’exposition. Ce fut une visite passionnante et on aimerait en voir plus. Si on excepte la dernière salle, cette exposition révèle le savoir-faire artistique des artisans de l’époque, cassant l’image brute de l’armure chevaleresque purement fonctionnelle et militaire. C’est la première fois qu’une part de la collection de Frederick Stibbert est partagée à un autre musée européen.
Cher lecteur, chère lectrice, si tes pas t’amènent un jour sur les terres nantaises, n’hésite pas à faire un détour au Château des Ducs de Bretagne découvrir cette exposition intitulée « Chevaliers ». Tu pourras également, grâce à ton billet, avoir accès à l’ensemble du musée et son exposition permanente sur l’histoire de Nantes.
VALENTIN CHAUVET-TARDIVEL
M1 EAD Parcours 1 Histoire et civilisations anciennes et médiévales
Mémoire sous la direction de Marie Favereau
[1] Reppel Eric « Derrière l’armure du chevalier, un savoir-faire de haute qualité. Une volonté royale » in Florian Mazel (dir.) Chevaliers, Moyen-Age et Renaissance, Histoire et imaginaires, Nantes/Rennes, Les Éditions Château des ducs de Bretagne/Presses universitaires de Rennes, 2024.
[2] Breton Justine, « Chevaliers imaginaires et imaginaires chevaleresques » in Florian Mazel (dir.) Chevaliers, Moyen-Age et Renaissance, Histoire et imaginaires, Nantes/Rennes, Les Éditions Château des ducs de Bretagne/Presses universitaires de Rennes, 2024.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
rboughalmi (17 décembre 2024). VALENTIN CHAUVET-TARDIVEL. Chevaliers du Moyen Âge et de la Renaissance : Histoire et imaginaires. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12xxh

