ANAÏS BACQUET. L’ADMINISTRATION JUIVE DU CAMP D’INTERNEMENT DE DRANCY (1941-1944) : ÉTUDE DE CAS DES “RESPONSABLES DES INTERNÉS”

Entre 1941 et 1944, près de 80 000 Juifs passent par le camp d’internement de Drancy. Une grande majorité d’entre eux est déportée vers Auschwitz-Birkenau. Pour gérer ce camp et améliorer leurs conditions de vie, les internés juifs mettent en place une auto-organisation. A sa tête, se trouve “le responsable des internés”, intermédiaire principal entre les différentes autorités et les internés. Nous nous intéressons à ces hommes qui ont accepté de prendre cette fonction entre août 1941 et avril 1942. 

« Drancy, c’était la porte de l’enfer » proclame François Hollande, alors président de la République, lors de l’inauguration du Mémorial de la Shoah de Drancy en 2012. En effet, entre 1941 et 1944, près de 80 000 Juifs sont enfermés dans le camp d’internement de Drancy. Sur les 76 000 Juifs déportés de France, 67 000 sont passés – de quelques jours à quelques mois – par le plus grand camp pour les Juifs de France avant d’être envoyés, pour une grande majorité, dans le camp de concentration et centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. De mars 1942 à la Libération, Drancy devient la plaque tournante de la déportation, un reflet de la collaboration de l’Etat français avec les autorités allemandes.  

Le camp de Drancy ouvre ses portes le 20 août 1941, après la rafle dite du XIe arrondissement : 4232 hommes français et étrangers sont concernés. Pour une majeure partie d’entre eux, les premiers mois sont synonymes d’inaction, d’oisiveté forcée. Cependant, face aux mauvaises conditions, en parallèle des autorités françaises et allemandes, une administration juive se met en place pour organiser le camp. En trois années d’existence, des centaines d’internés deviennent chefs de pluches, chef des cuisines, chef des colis, chef de corvées, secrétaire, planton, médecin… Cette hiérarchie très pyramidale se conclut, à sa tête, par le “responsable du bureau administratif”, lui-même juif. Se rapprochant d’un Judenrät,  conseil juif dans les ghettos de l’est, sur certains aspects, l’administration juive du camp de Drancy reflète la ghettoïsation d’un camp entièrement géré par des institutions françaises entre 1941 et 1942 puis par les Allemands à partir de juillet 1943. 

Cette recherche s’intéresse à l’organisation de l’administration juive et particulièrement aux différentes personnes qui la composent. Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’interné à la tête de l’administration juive : “le responsable des internés”. Admirés ou détestés, ces sept chefs juifs façonnent le camp par leurs décisions et leurs personnalités. Les témoignages d’anciens internés du camp attestent de l’importance de ce rôle et « du bien qu’[il] peut répandre ». Des liens privilégiés peuvent se créer avec les autorités, particulièrement françaises, au sein du camp d’internement en vue d’améliorer le quotidien. Néanmoins, ces mêmes chefs peuvent également profiter de leur position en vue d’obtenir des privilèges. A l’image des Conseils juifs, les chefs juifs travaillent sur un équilibre fragile entre victimes et exécuteurs. En s’appuyant sur la microhistoire, l’organisation générale du camp et ses divisions se reflètent dans les interactions entre le responsable et leur administration face à la masse d’internés. Ce rôle se construit au fur et à mesure de l’évolution des objectifs du lieu d’internement. L’administration juive du camp de Drancy révèle alors la technique des nazis de s’appuyer sur leurs propres victimes pour mettre en œuvre les rouages de la machine génocidaire. 

Plusieurs expressions nomment l’intermédiaire principal entre les internés et les autorités françaises et allemandes : « responsable des internés », « chef des internés », « commandant du camp », « chef des chefs de blocs ». Nous le nommons dans le cadre de cette recherche “responsable du bureau administratif”, correspondant au titre officiel donné dans les sources écrites issues de l’administration du camp. Entre août 1941 et août 1944, sept hommes se succèdent au poste de chef juif à l’intérieur du camp de Drancy. Cette administration connaît trois périodes. La première (août 1941 à avril 1942) est marquée par la mise en place du camp et une instabilité de l’administration où trois chefs se succèdent : Alfred Asken, Raymond Smoliak et François Montel. La deuxième (mai 1942 à juillet 1943) voit l’ordre du camp se pérenniser sous la gérance d’un seul homme, Georges Kohn. Enfin, le camp connait une dernière rupture avec l’arrivée d’Aloïs Brunner (juillet 1943 à août 1944) qui met en place une nouvelle administration germanophone dont Robert-Félix Blum, Georges Schmitt et Emmanuel Langberg sont les représentants. 

Cette recherche étant encore en cours, seule la première période a été particulièrement étudiée. Nous analyserons donc les trois premiers “responsables des internés” : Alfred Asken, Raymond Smoliak et François Montel. 

 

La mise en place d’une administration : Alfred Asken (août à novembre 1941) 

Le camp d’internement de Drancy ouvre le 20 août 1941 de manière précipitée, selon les exigences des Allemands 1 . Durant les premiers jours règnent l’incompréhension, le désespoir, une grande désorganisation et, très rapidement, la faim. Dès les premiers jours du camp d’internement de Drancy, les internés s’organisent, avec l’aval des gendarmes. Cette organisation se manifeste à travers la création d’une administration juive sous la direction d’un responsable. Elle constitue le dernier échelon d’une hiérarchie tripartite, à savoir le commandant allemand du camp, Theodor Dannecker, dépendant du Reichssicherheitschauptamt (RSHA) à Berlin et le commandant français, relié à la Préfecture de Police. Nommée et contrainte par ces autorités, l’administration juive possède peu de marge de manœuvre. Son pouvoir est relatif et s’inscrit dans les objectifs des deux hiérarchies supérieures, à savoir le maintien de l’ordre et la facilitation des déportations. 

Une hiérarchie est officialisée le 27 août 1941 par divers échelons de “chefs” : chefs de blocs, chefs d’escalier et chefs de chambrées. Chaque chef de chambrée est sous la direction d’un chef d’escalier, le chef d’escalier répond au chef de bloc et ce dernier fait le point tous les soirs avec le lieutenant, représentant la Préfecture de Police. Responsable « de la discipline intérieure […], de la propreté et de l’entretien […], des appels et de toute tentative d’évasion […], de la répartition de l’alimentation et du courrier […] » ainsi que « des rassemblements de sa chambre 2 », le chef de chambrée est le premier interlocuteur des internés. 

Dans cette hiérarchie pyramidale, un échelon n’est pas évoqué dans les archives du camp les premiers mois : le responsable des internés. Pourtant, dès le 22 août, est mentionné dans le journal de Saul Castro, interné dès l’ouverture du camp, l’existence d’un représentant des internés, intermédiaire direct entre les gendarmes et les internés 3  . 

Alfred Askenfeld est le premier à prendre ce poste entre août et le 11 novembre 1941. Il naît en 1890 à Paris dans le XIe arrondissement, d’un père grec orfèvre et d’une mère française ménagère. Il se marie en 1919 à Germaine Blanche Foulon, dont la judéité ne semble pas établie, toujours dans le XIe arrondissement de Paris 4  . Alfred Asken est arrêté le 21 août. Dès le lendemain, il aurait été nommé chef juif du camp. En effet, le 22 août, Saul Castro mentionne la présence d’un « chef interné responsable » qui « doit tenir les autorités au courant de tout ». Il aurait été nommé par les autorités françaises. Cependant, comment ont-ils repéré Alfred Asken ? S’est-il présenté à eux ? S’est-il démarqué par une action, une aide ? Ce sont des questions auxquelles il est impossible d’avoir les réponses avec les sources à disposition. D’une manière ou d’une autre, les gendarmes ont pris connaissance de ce profil et l’ont estimé compétent pour le poste de représentant des internés. 

Les archives émanant du camp de Drancy ne mentionnent pas Alfred Asken. Le Comité Amelot, qui regroupe les témoignages des internés libérés en novembre 1941, décrit un homme « dont il n’est pas dit beaucoup de bien dans les rapports », sans entrer dans les détails. Pour étudier le comportement d’Alfred Asken en tant que chef juif, une seule source est particulièrement étoffée : Camp de représailles de Noël Calef 5  . L’auteur, ancien interné, détaille et critique amplement cette hiérarchie juive qui abuse de ces privilèges, à travers le personnage de Raymond Alcala. Calef décrit Asken – sous le pseudonyme Kenas – comme un personnage qui « a pris sur lui d’assurer l’organisation intérieure du camp », « l’homme des promptes décisions ». Pour l’auteur, il s’agit surtout d’un homme avec un peu de moralité, d’un « gros bourgeois égoïste », qui attend qu’on le nomme « le père du camp ».  

La description de Calef reflète une véritable problématique à l’intérieur du camp. Une véritable scission – physique, sociale et économique – se crée rapidement au sein des internés. Le rapport du Comité Amelot – un comité d’aide aux juifs, situé rue Amelot à Paris – en témoigne : « Les Français reproch[ent] aux Juifs étrangers d’être la cause de leur malheur et ces derniers se plaign[ent] de la France 6  ». Les internés refusent de côtoyer d’autres cercles sociaux olonais, par exemple, à « Belleville » ou « Saint-Paul ». Calef critique amplement ces catégorisations, les Français étant privilégiés. 

Tous souffrent de la faim… à l’exception de l’administration juive. Castro écrit que le chef juif « ne connaît aucune privation et ne réagit pas auprès de la cuisine afin d’améliorer notre sort ». En effet, ceux qui participent aux corvées ont une ration supplémentaire mais les chefs d’escaliers, de chambrées et de bloc mangent en plus à part, dans les cuisines. Ils recevraient également des colis clandestinement. Ainsi, ils « ne peuvent […] comprendre » car « ils ne sentent pas la faim » écrit Saul Castro. Alcala et Paul Zuckermann, interné également depuis le 21 septembre, évoquent également ces avantages. Cependant, si Zuckermann et le responsable juif y voient une logique de travail et de récompense, Alcala dénonce l’injustice de ce système 7  . 

« S’éta[nt] découvert soudain une maladie terrible », Alfred Asken est libéré du camp le 12 novembre 1941. Ce mois est marqué par une grande vague de libération des plus touchés par le manque de nourriture : près de 750 internés sont concernés. Il est suivi « de son état-major de larbins ». Ces hommes, jusqu’au dernier moment, profitent de leurs relations avec les gendarmes puisqu’ils ne font pas partie des plus malades. La libération du responsable juif se fait dans un certain silence. Ni le journal de Saul Castro, ni les lettres clandestines de Paul Zuckermann ne mentionnent ce départ. 

 

La continuité des privilèges : Raymond Smoliak (novembre 1941 à février 1942) 

Quelques jours après la libération d’Asken, Raymond Smoliak est nommé à la tête de l’administration juive. Né à Paris en 1898 d’une mère française, brodeuse, et d’un père russe, tailleur, Raymond Smoliak est un homme de nationalité française, vivant à Paris. Smoliak est arrêté le 21 septembre 1941 après une dénonciation au printemps 1941. Une enquête est alors menée par les Renseignements généraux. Smoliak, décrit comme un « affairiste notoire dépourvu […] de scrupules », est accusé de trafiquer au sein du marché noir et suspecté de « influencer dangereusement l’opinion paysanne de certaines régions dans la France non-occupée ». Il serait même « protégé par de hautes personnalités approchant [les] cercles dirigeants ». Sa personnalité est d’autant plus suspecte qu’il serait un « israélite (non déclaré) » qui se serait converti au début de l’Occupation pour cacher ses dites origines. En effet, Smoliak s’est présenté lors du premier recensement de 1940 mais pas celui de la loi du 2 juin 1941. L’entrepreneur se sentait certainement protégé par son appartenance religieuse catholique 8  . 

Entre le 12 (date de la libération d’Asken) et le 15 novembre 1941, Raymond Smoliak aurait été choisi par les autorités françaises pour reprendre le poste de responsable des internés et d’une administration juive. A l’instar du précédent chef, il est difficile de comprendre pourquoi Smoliak est choisi par rapport à un autre interné. Le catholicisme de Smoliak semble être un véritable sujet. Que sa conversion soit vraie ou non, le nouveau chef juif met particulièrement en avant sa foi, ce qui aurait également des conséquences sur l’administration juive. En effet, selon Calef, la nomination de l’entrepreneur inaugure un grand changement : « la plupart des chefs de service sont […] catholiques », évoquant une trentaine de personnes concernées. Cette dominance des catholiques dans l’administration remontrait même à Alfred Asken, « flirtant dangereusement avec l’Eglise 9  ». Néanmoins, les sources divergent : un autre rapport attesterait de nominations « de personnes de confiance et responsables », le plus souvent des officiers de réserve. Rien ne permet d’affirmer pour l’instant la proéminence de catholiques ou d’officiers de réserves dans l’administration juive. 

Les privilèges se perpétuent sous l’administration Smoliak. Comme le précédent chef, des liens forts se créent avec les gendarmes, notamment le « Lieutenant ». Le nouveau chef arbore fièrement son statut d’ancien combattant dans le camp. Outre la nourriture, toujours source de conflit, se rajoute ici la possibilité de déambuler librement dans le camp pour une « aristocratie de fonctionnaires » qui est rassemblée dans un escalier spécifique, avec des lits en fer. L’escalier 9, qui fait partie des mieux achevés, situé dans le bloc III, est effectivement celui des secrétaires. Zuckermann atteste de cette situation, évoquant dans sa lettre du 20 novembre, son déménagement « pour le plus grand profit de [s]on confort personnel ». Ainsi, ce confort est réservé aux administrateurs juifs du camp. Il échappe également à la disciplinaire militaire du camp grâce à son nouveau statut de « bras droit du chef du camp ». 

Au mois de janvier 1942, les préparations pour le nouveau convoi sont en cours. Le 27 janvier, Paul Zuckermann relate l’arrivée de Theodor Dannecker : « Hier donc, à 12h30 environ, est arrivée la voiture du Lieutenant Danecker (sic) […] Bref, il est monté dans l’escalier 5, et a pris d’office tous les moins de 30 ans ! ». La veille, le lieutenant allemand réalise une liste de 50 internés juifs du camp reconnus comme travailleurs. Selon la note de service du commandant français du camp, cette liste comprend des hommes « âgés de moins de 35 ans, tous étrangers ». Pourtant âgé de 42 ans et français, Raymond Smoliak est présent sur cette liste. Si le rôle de chef lui permet une certaine sécurité au sein du camp, les “Autorités Allemandes” ont le pouvoir absolu sur les autorités françaises. Il n’est pas une exception : il n’est pas le seul, ni le plus ancien des Français à partir.  On peut néanmoins s’interroger sur le choix de Dannecker : déplacer le chef juif du camp permet d’affaiblir une administration qui, malgré ses privilèges, met en place une organisation en faveur des internés. Serait-ce ici la logique du lieutenant ? 

 

Le calme avant les déportations : François Montel (février à avril 1942) 

Né en 1900 dans le VIIIe arrondissement de Paris, d’un père avocat à la cour d’appel de Paris, François Montel devient lui-même avocat à partir de 1926. Il se marie dans le XVIeest en instance de divorce et entretient une relation avec une jeune femme nommée Jacqueline. Issu d’une famille juive, il s’est converti au catholicisme. « Je suis français de naissance, de tempérament, de nature et de tradition. Je suis de croyance catholique. Mes parents, aussi loin que je puis remonter, étaient français 10  » écrit-il dans son journal. Mobilisé en 1939 et 1940, il est « volontaire » en tant que sergent d’infanterie, avant d’être fait prisonnier en juin. Il est alors détenu en Allemagne avant d’être considéré comme « grand malade » et rentre de captivité en mars 1941. A peine quelques mois après son retour, il est arrêté le 21 août 1941 et fait alors partie de cette poignée d’avocats arrêtés à la suite de l’attentat de Barbès, dont, à la tête du Commissariat Général aux Questions juives, et une demande de libération est faite, avec six autres avocats juifs, sans aboutir. 

François Montel est le premier avocat – et le seul – à se hisser au poste de chef. De tous les chefs juifs de cette période, il est également le plus absent des sources. Son journal intime, retrouvé et publié par Serge Klarsfeld, commence au 29 avril 1942, date de son extraction du camp pour être amené au camp de Royallieu-Compiègne, autre camp d’internement, et ne prend donc pas en compte sa période en tant que chef à Drancy. L’attitude de Montel est donc difficilement discernable avec les sources actuelles. Serge Klarsfeld écrit : « Si son rôle avait été critiquable, nul doute qu’il aurait laissé des traces » dans la préface de la publication du journal. Ce n’est pas l’avis de Paul Zuckermann qui critique le nouveau chef avec vergogne, « usant de ses prérogatives pour améliorer seulement sa vie matérielle », au point où l’adjoint est devenu « le seul dirigeant des questions internes du camp 11  ».  

Une véritable haine anime Paul Zuckermann à l’encontre du nouveau chef juif. Plusieurs choses lui sont reprochées : un mépris de classe et l’abus de sa position hiérarchique pour son propre confort. François Montel semble émettre une préférence envers certaines personnes issues de sa catégorie sociale, accordant une importance à son confort et à celui de ses pairs. A travers cette attitude ressortirait « le mépris des humbles » et « des pauvres ». En effet, un accueil privilégié serait réservé seulement à certains internés provenant d’une classe sociale aisée tel Engelmann, ingénieur français, ou Maurice Franck, compositeur de musique. Sur les fiches d’internement de ces deux hommes sont indiquées « Croix de guerre » et « Légion d’Honneur », informations qui semblent alors fondamentales pour l’administration française et juive. Ces manières causent des tensions dans le camp. Maurice Kiffer, tenant la caisse du camp, rend régulièrement des rapports sur « la situation morale du camp de Drancy » et atteste des « complaisances que certains internés trouvaient auprès des autorités du Camp ». Plus encore, l’arrivée des internés « de marque » de Compiègne accentue la scission sociale. 

Depuis quelques jours, le commandant du camp de Drancy prépare, à la demande des autorités occupantes, une liste d’internés « reconnus apte au travail par le service médical du camp » qui ne cesse de s’allonger. Montel aurait été désigné la veille du départ et ferait parti du « complément de 13 noms, nominativement désignés par les Autorités Occupantes 12  ». De fait, les Allemands désignent François Montel comme ils ont désigné Smoliak. Ainsi, le lieutenant allemand en charge du camp de Drancy viserait particulièrement les têtes de l’administration juive. Ce départ choque particulièrement les internés. Malgré les critiques à leur encontre, assister au départ de ces membres de la haute société les éprouve. « Bien que près de trois semaines se soient écoulés depuis le départ de 784 internés (29 avril), le camp est loin d’avoir repris son équilibre » écrit Maurice Kiffer. Depuis ce départ, le camp possède « un aspect minable ». Face au départ de Montel, Zuckermann en conclut que « cette place [de chef] est prédestinée ». 

Après deux mois à Compiègne, où il ne joue aucun rôle administratif, Montel est rapatrié dans le camp de Drancy le 23 juin 1942 avec le reste de ses camarades. Georges Kohn, qu’il a lui-même embauché au sein du service social en avril, est devenu le nouveau chef juif. François Montel est finalement déporté le 26 août 1942 par le convoi 24. Comme son premier déplacement, il est sélectionné par les Allemands. Alors qu’un départ se prépare, il croise Heinrichsohn, adjoint de Dannecker, dans un escalier. Cette rencontre scelle son destin : l’adjoint le place dans le prochain convoi de déportation. Il serait décédé le 31 août 1942 à Monowitz, camp annexe du complexe d’Auschwitz-Birkenau. Sa déportation marque alors la fin de la première période du camp d’internement de Drancy. 

Le 5 mai 1942, Georges Kohn succède à François Montel. Pour le camp, une nouvelle période s’annonce : à partir de l’été 1942, les femmes et les enfants peuplent les chambrées et les internés subissent les déportations successives. Néanmoins, l’administration juive n’est pas seulement spectatrice des événements : elle réalise les listes des déportables et non-déportables, confectionne les listes des convois quelques jours avant les départs. Paradoxalement, Georges Kohn est un symbole de stabilité administrative puisqu’il garde son poste jusque juin 1943, là où les anciens responsables peinaient à rester plus de quelques mois. Il est également le chef marquant les esprits par ses compétences et sa justesse comme l’attestent les archives administratives, témoignages et journaux intimes. L’arrivée de Kohn marquerait-elle alors la fin de cette aristocratie de fonctionnaire ? 

 

BACQUET Anaïs 

Master 2 Histoire 

Mémoire sous la direction de Julie Le Gac 

 

  1. Peschanski Denis, Pouvreau Benoît, Poznanski Renée, « Un camp pour les Juifs », Drancy, un camp en France, Paris, Fayard, 2015, p. 72. []
  2.   CDJC CCCLXXVII-16b : règlement du 26 août 1941.  []
  3.   AN 72AJ/2210 : journal de Saul Castro, vendredi 22 août.   []
  4.   Archives de Paris, état civil, 1890, V4E 6541 : acte de naissance d’Alfred Asken.  []
  5.   Calef Noël, Camp de représailles, Paris, l’Olivier / Le Seuil, 1997.   []
  6.   Bielinsky Jacques, Journal 1940-1942. Un journaliste juif à Paris sous l’occupation, texte présenté, établi et annoté par Renée Poznanski, Paris, Le Cerf, 1992.  []
  7.   Zuckermann Paul, Berthe chérie. Correspondance clandestine de Paul Zuckermann à sa fiancéeaoût 1941 à septembre 1942, Paris, Retour, 2014, lettre du 2 novembre 1941, p. 98.   []
  8.   Archives de la Préfecture de Police : Série G, sous-série 77W, 73-93319 : dossier de Jules Raymond Smoliak.   []
  9.   Calef Noël, Camp de représaillesop. citp. 103.   []
  10.   Kohn Georges, Montel François, Journal de Compiègne et de Drancy, présenté par Serge Klarsfeld, Paris, Fils et Filles des déportés juifs de France, 1999.   []
  11.   Zuckermann Paul, op. citp. 15.   []
  12.   CDJC DLX-7 : liste des internés concernés par le départ du 29 avril et correspondances des autorités françaises concernant le processus de sélection des internés.  []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mariesacareau (30 décembre 2024). ANAÏS BACQUET. L’ADMINISTRATION JUIVE DU CAMP D’INTERNEMENT DE DRANCY (1941-1944) : ÉTUDE DE CAS DES “RESPONSABLES DES INTERNÉS”. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zxi


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