Du 27 juin au 3 novembre 2024, le musée d’Aquitaine à Bordeaux a accueilli l’exposition ”Vivre et mourir en Egypte, d’Alexandre le Grand à Cléopâtre”. Cette exposition dirigée et organisée par Laurent Védrine (commissaire général de l’exposition, directeur du musée d’Aquitaine), Marie-Pierre Chaufray (directrice d’études en démotique, Ecole pratique des hautes études- PSL) et Raphaëlle Meffre (chargée de recherche, CNRS, AOROC, PSL), a été l’occasion de découvrir différentes facettes de cette société marquée par les deux grandes figures que sont Alexandre le Grand et Cléopâtre, ainsi que de découvrir l’art et la culture dits ptolémaïques du IVe au Ier siècle avant notre ère. L’un des principaux défis à relever était de matérialiser une recherche historique et archéologique, financée par le Conseil Européen de la Recherche (ERC), dont l’objet d’étude est le papyrus et de faire le point sur la recherche actuelle. L’époque a souvent été perçue comme une période de mainmise de la Grèce sur l’Egypte pharaonique, alors que les données actuelles révèlent plutôt que les cultures égyptiennes et grecques se sont rencontrées, mêlées et adaptées à tous les niveaux de la société. L’exposition propose donc un point de vue scientifique solide notamment grâce à son catalogue et sa muséographie, tout en étant accessible et attractive pour le grand public. Elle met également en avant les fonds du collectionneur bordelais Ernest Godard, médecin du XIXe siècle.
L’exposition se présente sous la forme d’un parcours à travers plusieurs salles de couleurs différentes, chacune évoquant une thématique spécifique de la société égyptienne ptolémaïque.
La visite commence par la salle aux murs jaunes centrée sur le culte des rois et des reines à l’époque des Ptolémées. Les pièces exposées permettent de rendre compte de l’insertion de la famille gréco-macédonienne en Egypte par le biais des divinités, des rites funéraires, de l’iconographie et de la langue. De superbes pièces de monnaies datant des Lagides témoignent de la volonté de représentation « à l’égyptienne » de la famille des Ptolémées. Une maquette de la tour de Pharos, édifice construit sous Ptolémée III, siège fièrement au centre de la pièce pour illustrer l’impact fort de la dynastie ptolémaïque sur l’architecture et l’urbanisme égyptiens. Le plan de la ville d’Alexandrie fondée par Alexandre le Grand, cité majeure du monde méditerranéen, est également présent pour rappeler le prestige de cette ville. Il est cependant dommage qu’il y ait peu de mention de la bibliothèque d’Alexandrie et de son Musée, édifice incontournable pour illustrer le rayonnement de la cité égyptienne dans le monde méditerranéen.
La visite se poursuit dans la salle bleue donnant l’impression au visiteur d’entrer dans un temple égyptien. Cette salle est là pour évoquer le culte dans l’Egypte ptolémaïque, l’importance du clergé et ses relations avec les Lagides. Les pièces exposées magnifiquement mises en valeur proviennent en grande partie de la collection d’Ernest Godard, notamment des statuettes de divinités, qui attestent que les Ptolémées ont parfaitement adopté la religion polythéiste égyptienne, tout en apportant des transformations et des nouveautés. Par exemple Sérapis, forme grecque du dieu Osiris, est né sous les Lagides. Cette divinité représentée dans un style grec était vénérée un peu partout en Egypte avant de se répandre dans toute la Méditerranée depuis Alexandrie. D’autres pièces provenant du musée du Louvre à Paris, par exemple la stèle d’Onnôphris, illustrent le syncrétisme de la culture grecque et égyptienne par une représentation d’une scène traditionnelle égyptienne d’offrande entre pharaon et la déesse Isis, accompagné d’un texte écrit en grec.

Stèle d’Onnôphris, 2 juillet 51 a.C., calcaire, H. 52,5 cm, l. 2,8 cm, ép. 4 cm, Paris, musée du Louvre
La salle suivante parée de murs rouges aborde un aspect primordial de la société égyptienne : la mort. Au centre de la pièce, le superbe sarcophage en basalte de Dioskouridès (il exerça les fonctions équivalentes du ministre de l’Économie et des finances sous le règne de Ptolémée VI Philométor, 186-145 av. notre ère), dans un état de conservation remarquable, atteste de l’adoption des rites funéraires égyptiens de la part d’un Grec de mère égyptienne. Dans cette salle, les pièces exposées sont majoritairement issues des fouilles archéologiques de Pierre Jouguet dans le Fayoum au début du XXe siècle. De nombreux fragments de cartonnage, ornements de momie en lin ou en papyrus dès l’époque ptolémaïque, constituent l’essentiel des pièces de la salle rouge, accompagnées de photographies des momies sur lesquelles ces fragments ont été trouvés. Une fois encore l’état de conservation est remarquable et les décorations attestent du soin particulier accordés aux rites funéraires dans la plus pure tradition égyptienne.

Sarcophage de Dioskouridès, époque ptolémaïque, première moitié du IIe siècle a.C., règne de Ptolémée VI Philométor, basalte, L. 201cm ; l. 68 cm ; H. 52,5 cm, Paris, musée du Louvre, ancienne collection Antoine Barthélémy
Puis, en retrait de la salle rouge, au fond de la pièce, le visiteur est averti : ici, il entre, s’il le souhaite, dans la tombe du défunt. Le visiteur vulnérable peut donc passer son chemin tandis que les autres peuvent entrer dans une pièce noire aux lumières tamisées, au centre de laquelle git la momie d’un homme et sa parure de cartonnage dans un état de conservation exceptionnel trouvés à Antinoë. Autour de lui se trouve son trousseau funéraire pour l’accompagner dans son voyage dans l’au-delà. Un magnifique papyrus du Livre des morts datant de la première moitié du IIIe siècle avant notre ère est exposé à l’entrée de la salle.
La suite de la visite continue à l’étage où le visiteur peut découvrir la vie quotidienne à l’époque ptolémaïque. Dans cette salle verte en mezzanine qui surplombe la salle rouge, quelques objets du quotidien témoignent du mélange des styles grecs et égyptiens dans la céramique. Une coupe de type skyphos en terre cuite trouvée dans la Fayoum évoque par sa forme une origine grecque, alors que sa décoration évoque un style égyptien. L’époque des Ptolémées marque aussi l’apparition de la monnaie en Egypte. Mais dans cette salle, c’est surtout le papyrus qui a une place de choix. Le nombre de papyrus trouvés témoigne d‘abord d’une civilisation de l’écrit et de l’importance de l’appareil administratif : actes matrimoniaux, contrats de prêt, lettres, registres… Un papyrus dans un excellent état contenant un extrait de l’Odyssée d’Homère, le plus ancien manuscrit de cette œuvre que nous possédons, montre l’influence de la culture littéraire grecque sur l’Egypte. Cette partie de l’exposition est l’occasion de rendre hommage à Pierre Jouguet, papyrologue, dont le fond hérité est largement représenté, ainsi que l’importance du fond.

Fragments de l’Odysée, IIIè s.a.C., papyrus, H. 15-16cm, Institut de Papyrologie de la Sorbonne.
Enfin, dans un couloir menant à l’escalier qui relie au rez-de-chaussée, le visiteur découvre la postérité des Ptolémées notamment dans l’art, du Moyen Âge à aujourd’hui. Dès la mort de Cléopâtre, dernière souveraine Lagide, les auteurs latins se sont emparés de l’histoire de cette reine fascinante. Cette partie de l’exposition permet de se rendre compte de l’occultation des autres rois et reines de la dynastie ptolémaïque, alors qu’Alexandre, et Cléopâtre font figure d’icônes. Des aventures d’Astérix au jeu vidéo Assassin’s Creed en passant par le film Cléopâtre (1963) de Joseph L. Mankiewicz, ou encore Alexandre (2004) d’Oliver Stone, la pop culture est imprégnée de représentations de ces deux personnages et plus globalement, de l’époque antique.
L’exposition “Vivre mourir en Egypte, d’Alexandre le Grand à Cléopâtre”, en plus d’apporter un regard scientifique précis sur le sujet, a su être particulièrement attractive pour le plus grand nombre. Par la qualité des pièces exposées et mises en valeur, la présentation thématique dynamique et pertinente et les panneaux explicatifs (clairs), emportent les visiteurs dans l’Egypte des Ptolémées. L’exposition a également donné lieu à la publication d’un catalogue d’exposition1 d’une grande exhaustivité et particulièrement détaillé en plus d’être un beau livre. Toute une série de colloques et de rencontres a complété cette exposition passionnante et enrichissante clôturant un cycle au musée d’Aquitaine, qui ferme ses portes pour rénovation pendant plusieurs mois.
Marjorie Prunet
M1 Histoire des mondes antiques et médiévaux EAD
Sous la direction de Charlotte Lerouge-Cohen
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
rboughalmi (10 janvier 2025). Marjorie Prunet. Visite de l’exposition : Vivre et mourir en Egypte, d’Alexandre le Grand à Cléopâtre, au musée d’Aquitaine. . Master Histoire de Nanterre. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/131zi