fabrice Marion. Les conséquences de l’opération Jubilee du 19 août 1942 : les relations avec les autorités allemandes et la libération des prisonniers.

Front de mer avec le Casino en ruines. 19 août 1942. Photos provenant du fonds  ancien de la ville de Dieppe

Dieppe, située en Normandie au nord de Rouen, est une ville qui, depuis l’exode de 1940, reste sous-peuplée la plupart de ses habitants n’étant pas revenus. Elle compte environ 19 000 habitants au lieu des 26 000 d’avant-guerre. 

A partir d’avril 1941, une zone côtière interdite est mise en place. Il s’agit d’une bande qui va de Dunkerque à Hendaye sur une largeur de 20 à 30 km. Dieppe, située dans cette zone, est donc soumise à des restrictions de la part des forces allemandes d’occupation. Il existe des contrôles sévères et réguliers de circulation au sein de la ville, l’accès à la plage est strictement interdit. En plus de cela, la ville subit de manière répétée les bombardements des forces anglaises.  

En nous servant des journaux locaux, nous allons dans un premier temps rappeler l’opération Jubilee, son déroulé. Dans un second temps, noter la réaction de la population avec un focus sur « la Défense passive » et enfin la réaction des Allemands et des autorités françaises qui débouche sur la libération de prisonniers originaires de la ville de Dieppe emprisonnés en Allemagne depuis 1940. 

Le journal « La vigie de Dieppe » bi-hebdomadaire paraît le mardi et vendredi. Dans son numéro du 18 août 1942 il ne laisse rien paraître, les articles parlent de la guerre en mentionnant des défaites anglo-saxonnes sur mer1 , une rencontre entre le préfet et le maire de Dieppe, des questions de ravitaillement et divers articles sur une sorte de vie quotidienne où il n’est fait mention nulle part de l’occupation allemande. Tout paraît normal lorsqu’on lit le journal sur la ville de Dieppe. On peut toutefois noter la mise en place d’un train qui part tous les soirs pour évacuer les personnes désireuses de se protéger des bombardements anglais et revient le lendemain matin pour la reprise du travail. Certains l’appellent le “train des trouillards”2 .

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Avis municipal du 18 juin 1942 : train journalier d’évacuation sur Auffay.

Le jour du raid. 

A partir de 4h30, le bruit des bombardements et des lueurs visibles au large indique le combat entre les forces alliées et un convoi allemand.  A environ 10 km au large de Dieppe, l’armada anglaise rencontre un convoi allemand. Il y a un combat naval mais les navires de l’Axe ont le temps d’informer par radio les forces allemandes situées sur la côte de Dieppe. Ces derniers vont passer en ordre de “vigilance renforcée”3 . Les troupes terrestres d’occupation prévenues par leurs navires vont pouvoir se préparer pour attendre les forces de débarquement et prendre4 les régiments canadiens du Royal Hamilton Light Infantry et des Essex Scottish. Face aux combats qui font rage les civils se terrent dans les caves car ils ne peuvent rejoindre les abris de la défense passive. 

Fac-similé du tract lancé par les alliés à l’aube.

Les forces alliées lancent des tracts comme celui-ci, les forces canadiennes prennent pied sur la plage à 5h20 suivi des chars à 5h30 qui ne vont pas pouvoir aider les soldats bloqués sur les plages par les galets, ils « ont représenté un obstacle pour les véhicules blindés car les chenilles des tanks roulaient sur ceux-ci, les empêchant donc de bien avancer.»5.

Une grande partie de la 1ère vague est bloquée sur la plage, à 7h20 une seconde vague débarque, quelques soldats s’enfoncent en ville mais à 9 heures, l’ordre est donné de se préparer à évacuer pour 11 heures en abandonnant tout le matériel sur place. A 12h20 la dernière barge quitte la plage sauvant ainsi un millier d’hommes de la plage de Dieppe, 288 sont fait prisonniers dont une centaine de blessés. Au total le bilan humain de cette opération est effroyable, sur la totalité des plages concernées par l’opération, c’est à dire sur un front d’environ 14 km de Quiberville à6 . 

La population de son côté n’a pas pris part au combat comme demandé par les Alliés. Certains vont avoir le temps de rejoindre les abris de la défense passive, d’autres se terreront dans leurs caves en attendant la fin du raid. Un hôpital souterrain est organisé dans les falaises de Biomarine (quartier de la ville de Dieppe), beaucoup de soldats blessés y seront soignés. Les religieuses de la rue d’Ecosse à Dieppe vont organiser le ravitaillement pour les personnes bloquées dans les caves et les abris puis vont porter secours aux blessés. 

Plan des abris de la ville en 1943

Il s’agit donc là d’une opération manquée dont vont s’emparer les Allemands pour leur propagande. On peut aisément imaginer le profit qu’ils peuvent tirer de cette défaite cinglante pour les Alliés. Les autorités d’occupation et le gouvernement de Pétain vont essayer de s’attacher les bonnes grâces des habitants. Ceux-ci ont été informés du « coup de main » et de la demande des armées canadiennes et britanniques de ne pas intervenir. Cette non-intervention est détournée dans un premier temps par Pierre Laval, chef du gouvernement. 

Affiche de propagande du 21 août 1942 de Pierre Laval félicitant l’attitude des dieppois.

 Le 22 août les Allemands proposent une sorte d’indemnisation « […] je mets à la disposition du Préfet du département la somme de dix millions de francs qui devront être employés en premier lieu, à titre de secours aux victimes civiles des bombardements anglais. »7  Toujours dans le cadre de la propagande, cette récompense sera publiée dans toute la ville pour s’attacher les bons services des Dieppois. 

Affiche municipale du 19 septembre 1942, concernant le crédit alloué par les autorités d’occupation à la ville de Dieppe.

Le lendemain du raid, le général Haase qui commande la division allemande stationnée à Dieppe propose au maire René Levasseur et au préfet Michel Sassier, la croix de fer pour les récompenser de leur attitude durant l’attaque. Tout de suite, les choses se compliquent pour les deux représentants français, il n’est pas possible d’accepter la croix de fer allemande en récompense de ce qu’ils appelleront leur devoir envers leurs concitoyens. Ils vont commuer cette croix de fer en une demande de libération des prisonniers dieppois détenus en Allemagne depuis 1940. 

Les Allemands après avoir obtenu l’accord exceptionnel d’Hitler accorde cette libération. Le journal de Dieppe titre ainsi « Un beau geste d’Adolf Hitler : le Führer a ordonné la libération de tous les prisonniers de guerre français domiciliés à Dieppe, Neuville, Hautôt-sur-Mer, Pourville, Petit-Appeville et Arques la Bataille ».8 

Journal de Rouen du 14 septembre 1942

Toujours dans un souci de propagande, les autorités allemandes font beaucoup de publicité pour s’attacher les bonnes grâces de la population.  

Beaucoup de journaux se sont fait l’écho du « geste généreux » d’Hitler. Dans la réalité, le retour des prisonniers a été organisé en dehors de la ville, des discours ont eu lieu à Serqueux, le train est reparti vers Dieppe et arrivé là, les soldats retrouvent les leurs, mais à Dieppe, pas de discours, pas d’accueil particulier, les familles récupèrent les leurs et repartent en silence. 

Cet épisode de la guerre montre bien comment les autorités allemandes sont à l’affut du moindre événement pour diffuser leur propagande auprès de la population. Il s’agit de séduire les habitants par peur de les voir se tourner vers la résistance.  Ce raid du 19 août 1942 est un événement important pour la ville de Dieppe, ses liens avec le Canada date depuis plusieurs siècles. La ville sera d’ailleurs libérée par ce même régiment qui avait participé à cette opération Jubilee. Tout un chemin de mémoire existe le long des plages. Mais tous les 19 août, nous « célébrons » en quelque sorte une défaite, et la ville se pare de feuilles d’érable canadienne pour rendre hommage à ceux qui ont péri sur ses plages de galets. 

Fabrice Marion

M1 Histoire médiévale et mondes antiques. 

Directrice de recherche : Mme Laurence Moulinier 

  1. https://patrimoine.dieppe.fr/idurl/1/14024 []
  2. Charlot Estelle, Nidelet Olivier, « Le 19 août heure par heure », Sébastien Jumel (dir.), Quiquengrogne n°49, juillet/août 2012, p.8. []
  3. Notes du commandant allemand R. Schnösenberg. []
  4. Les deux principales plages de débarquement des troupes se trouvent à Dieppe, encastrées entre deux hautes falaises où sont placés des nids de mitrailleuses. []
  5. Coutu , « Les erreurs stratégiques du Raid de Dieppe », A travers l’histoire normanden°4, 1998, pp. 48-64. https://doi.org/10.3406/etnor.1998.2364 []
  6. Charlot Estelle, Nidelet Olivier, « Le 19 août heure par heure », op. cit. p.17. []
  7. Message du Général Von Stulpagnel, commandant en chef des troupes d’occupation en France du 14 février 1942 au 21 juillet 1944. []
  8. La Vigie de Dieppe du 26 août 1942. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
rboughalmi (19 janvier 2025). fabrice Marion. Les conséquences de l’opération Jubilee du 19 août 1942 : les relations avec les autorités allemandes et la libération des prisonniers. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/133w1


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