CASSAGNE JÉRÔME. COMPTE RENDU DE LECTURE : LE BLEU, HISTOIRE D’UNE COULEUR

Le Bleu, histoire d’une couleur a été écrit par Michel Pastoureau et édité une première fois par les éditions du seuil en 2000 puis réédité en 2020. Cet ouvrage s’inscrit dans une œuvre de plus grande envergure : la symbolique des couleurs de l’antiquité à l’époque contemporaine (en occident et au proche orient). L’étude du bleu a été l’un des premiers ouvrages de la série à être publié et a rencontré un franc succès, le dernier en date étant sur le rose. Michel Pastoureau est un historien de l’art et de la symbolique, ses œuvres sont aujourd’hui des références dans le domaine.  

La nécessité de réaliser une étude d’une telle envergure sur l’évolution de la symbolique des couleurs au cours du temps est née de la rareté de la prise en compte des couleurs comme éléments historiques à part entière par les chercheurs. Cela est dû à la complexité des études liées au symbolisme des couleurs, difficultés qui sont de trois ordres. D’une part, les difficultés documentaires qui résultent de l’état des sources dont nous disposons. En effet, les couleurs qui s’y trouvent sont bien souvent altérées par le temps et par les lumières avec lesquelles nous les étudions. D’autre part, Michel Pastoureau souhaite dépasser les difficultés méthodologiques dans lesquelles sont tombées nombre de précédents historiens, qui avaient tendance à sélectionner ce qui allait dans le sens de leur démonstration contre une plus grande objectivité. Enfin, la troisième difficulté est épistémologique : l’historien ne doit pas tomber dans des conceptions anachroniques quant au symbolisme des couleurs.  

Michel Pastoureau envisage l’histoire des couleurs comme un phénomène social et, selon lui, l’historien doit « cerner ce qu’a pu être l’univers des couleurs pour les différentes sociétés qui nous ont précédées »1. Il ne s’agit donc pas de coller nos perceptions contemporaines des couleurs sur les représentations anciennes mais d’essayer « d’étudier les pratiques, les codes et les systèmes ainsi que les mutations, les disparitions, les innovations ou les fusions qui affectent tous les aspects de la couleur historiquement observable »2 

 

Dans une première partie intitulée « Une couleur discrète » Michel Pastoureau nous en dit plus sur les utilisations du bleu des origines au XIIe siècle. Le bleu était peu utilisé durant cette période essentiellement pour des raisons techniques, il était difficile à reproduire et les bleus obtenus étaient de faible qualité. Ainsi, le rôle social du bleu était peu important ce qui conduit Michel Pastoureau vers un point essentiel de son œuvre qui est que les innovations techniques influencent la façon dont les couleurs sont socialement perçues. Par exemple le rouge qui s’obtenait plus facilement pendant l’antiquité était déjà une couleur importante. Durant cette période, il y avait plusieurs façons d’obtenir du bleu mais bien souvent l’opération était couteuse à cause du transport des matériaux nécessaires comme l’indigo ou le saphir, importés d’Asie ou d’Afrique. La guède et le lapis lazuli étaient plus répandus mais les opérations requises pour obtenir du bleu étaient longues et complexes.  

Michel Pastoureau s’intéresse d’autre part aux différentes manières de nommer le bleu pour prouver que cette couleur avait un rôle social moindre que le rouge, le noir ou le blanc jusqu’au XIIe siècle. Il existait dans de nombreuses langues anciennes plusieurs termes utilisés pour identifier le bleu mais ces termes étaient imprécis et désignaient parfois d’autres couleurs comme le vert ou le noir. En grec ancien par exemple le bleu était désigné par les termes glaukos (γλαυϰός) et kyaneos (ϰυάνεος). Dans le Grand Bailly aux éditions Hachette plusieurs traductions sont proposées pour chacun des deux mots. D’abord glaukos est associé à quelque chose de brillant comme la mer, les astres ou encore les yeux. Il est également mentionné qu’i était utilisé pour désigner du bleu, du vert ou du gris3. Concernant le terme kyaneos il est dit que les traductions les plus proches seraient bleu, sombre ou noir4. Dans ces deux cas ce qui apparait comme plus important aux yeux des Grecs c’est le degré de brillance, de luminosité d’une couleur. Michel Pastoureau considère que l’absence de terme précis pour désigner une couleur rend compte du peu d’intérêt qu’elle suscitait. Concernant le Moyen-âge, jusqu’au XIIe siècle, Michel Pastoureau remarque que les termes liés au bleu sont moins présents dans l’anthroponymie, la toponymie, la liturgie et l’héraldique contre une dominance du rouge, du noir et du blanc.  

L’historien Français utilise également des sources liturgiques et manuscrites, comme des textes sur la symbolique religieuse des couleurs dans lesquels le bleu est peu présent. Or il nuance ici son propos en rendant compte de la difficulté que nous avons à déterminer l’influence qu’ont pu avoir ces textes sur la vie quotidienne.  

 

Dans sa deuxième partie, Michel Pastoureau constate un changement dans la perception du bleu qui commence vers les XIIe-XIIIe siècles. Le bleu devient une couleur dominante, aristocratique, ce qui « témoigne d’une réorganisation totale de la hiérarchie des couleurs dans les codes sociaux, dans les systèmes de pensée et dans les modes de sensibilité »5. Ce bouleversement rend de plus compte d’une « mutation culturelle de grande ampleur »6 

Le bleu devient l’un des attributs obligatoires de la Vierge, à travers sa robe, dans les représentations et dans l’art. C’est aussi au XIIIe siècle que Saint-Louis prend l’habitude de s’habiller en bleu. Michel Pastoureau explique cette évolution notamment par les innovations techniques qui ont permis au bleu d’être obtenu plus facilement et d’être plus lumineux, plus qualitatif.  L’historien étudie également l’héraldique et constate qu’au XVe siècle une armoirie sur trois comportent du bleu. En outre, la rivalité rouge/bleu qui se développe à partir du XIIe siècle témoigne de l’importance croissante que prend le bleu puisque le rouge était jusqu’alors l’une des couleurs les plus dominantes. En revanche, il est difficile de savoir si les innovations techniques ont précédé la forte demande ou si c’est cette dernière qui a précédé les innovations techniques. Le bouleversement dans la perception des couleurs est lié à l’expression d’un nouvel ordre social car selon Michel Pastoureau les fonctions premières des couleurs sont de classer, associer, opposer et hiérarchiser. Etudier la représentation des couleurs permet plus généralement d’étudier l’évolution de la société.  

 

A partir du XVe siècle le bleu devient une couleur morale en plus d’être royale ce qui peut s’expliquer selon Michel Pastoureau par le courant moralisateur qui s’étend à la fin du Moyen Âge et par les attitudes réformatrices des protestants au XVIe siècle. Ici encore couleur et société sont intimement liées.  

Implicitement le bleu a profité de la promotion du noir, contre le rouge notamment. En effet les teinturiers réalisaient alors plus facilement des noirs brillants. Or ici Michel Pastoureau semble plus catégorique sur la prééminence de la demande sur les innovations techniques car « les enjeux idéologiques et la demande sociale semblent mettre en œuvre et catalyser les progrès chimiques et technique, et non l’inverse »7. Cette époque est caractérisée par la prolifération de décrets vestimentaires qui limitent voire interdisent certaines couleurs pour des raisons économiques et sociales. En l’occurrence le bleu ne semblait pas discriminé ce qui a participé à sa promotion morale puisqu’il était de plus en plus porté. La popularité du bleu bénéficie aussi de la réforme protestante qui fait du noir, dont le bleu est proche, la couleur la plus morale et le rouge à l’inverse la couleur du péché. On retrouve cette influence protestante dans l’art où chez certains peintres, comme Rembrandt au XVIIe siècle, les couleurs dites sobres (bleu, noir…) prolifèrent.  

 

La dernière partie de cet ouvrage est consacrée à la fin de l’époque moderne et à l’époque contemporaine dans lesquelles la popularité du bleu est totale. Le bleu devient la couleur du progrès, de la liberté et du romantisme. Les progrès techniques favorisent toujours cette dominance notamment avec la découverte au début du XVIIIe siècle du bleu de Prusse, un pigment artificiel beaucoup utilisé dans l’art. La production d’indigo explose alors et c’est en 1737 qu’il est officiellement autorisé en France permettant la création d’un bleu de meilleure qualité. Le bleu devient également une couleur politique de premier ordre, contre le blanc (royaliste) et le rouge (révolutionnaire), puisqu’il s’agit de la première couleur du drapeau national français (et qu’il est présent dans de nombreux autres drapeaux comme héritage des armoiries). Au XXe siècle le bleu est avec le noir la couleur la plus répandue vestimentairement notamment à la popularisation du jean et du costume bleu.  

 

Dans cet ouvrage Michel Pastoureau réalise un immense travail sur les différentes utilisations du bleu de l’antiquité à l’époque contemporaine, ce qui lui a permis d’en déduire son rôle social puisque le cœur du livre est de comprendre que la perception d’une couleur est intimement liée à l’évolution de la société. En ce qui concerne le bleu il a d’abord été une couleur en marge surtout parce que sa production était coûteuse et difficile. Il a connu un essor au milieu du Moyen Âge en devenant une couleur royale et morale. Le rôle du bleu est par la suite devenu plus neutre et donc plus populaire surtout à des périodes où certaines couleurs étaient dévalorisées (comme le rouge par les protestants). Aujourd’hui il s’agit toujours d’une des couleurs les plus présentes que ce soit artistiquement, vestimentairement ou encore symboliquement.  

 

CASSAGNE Jérôme  

Sous la direction de LESTREMAUD Arnaud  

Première année de Master parcours mondes antiques et médiévaux. 

 

  1. Pastoureau Michel, Bleu: histoire d’une couleur, Éd. collector., Points, Paris, 2020, p. 9. []
  2. Ibid. []
  3. Bailly Anatole, Dictionnaire grec français, Ed. revue., Hachette, Paris, 2000, p. 406. []
  4. Ibid., p. 1145. []
  5. Pastoureau Michel, Bleuop. cit., 2020, p. 43. []
  6. Ibid. []
  7. Ibid., p. 74. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mariesacareau (20 janvier 2025). CASSAGNE JÉRÔME. COMPTE RENDU DE LECTURE : LE BLEU, HISTOIRE D’UNE COULEUR. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13426


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