L’exposition « La naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité, 1852-1925 » s’est tenue du 10 avril au 13 octobre 2024 au musée des arts décoratifs. Il est question des six grands magasins : Au bon Marché (par Aristide et Marguerite Boucicaut, 1852), Les grands magasins du Louvre (par Alfred Chauchard et Charles-Auguste Herriot, 1855), Le Bazar de l’Hôtel de Ville (par Xavier Ruel, 1856), Le Printemps (par Jules Jaluzot, 1865), La Samaritaine (par Ernest Cognacq et Marie Louise Jay, 1870) et les Galeries Lafayette (par Théophile Bader et Alphonse Kahn, 1896). Les références à l’œuvre d’Émile Zola Au Bonheur des dames y sont omniprésentes.
Léon Bonnat, Isaac Perreire,1878. Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV6274


Aristide et Marguerite Boucicaut, 1875, Patrimoine Le Bon Marché Rive gauche
Isaac Pereire (1806-1880) et son frère Émile Pereire (1800-1875) sont des investisseurs et financiers qui participent au développement de la Compagnie du chemin de fer, la Compagnie générale Transatlantique, ils créent la banque Le Crédit Mobilier qui octroient des crédits aux industriels et sont propriétaires du Grand Hôtel où s’installent les Grands magasins du Louvre.
Aristide Boucicaut (1810-1877) est un entrepreneur français. En 1838, il se marie avec Marguerite Boucicaut (1816-1887). D’origines modestes, ils parviennent à créer le premier grand magasin Au Bon Marché dont l’extension sera confiée aux architectes Louis Charles Boileau et Gustave Eiffel. A la mort d’Aristide Boucicaut en 1877, la gestion du commerce revient à Marguerite Boucicaut qui fait preuve d’une générosité remarquable à travers ses œuvres sociales pour le personnel et pour l’extérieur telles que la construction de l’hôpital Boucicaut, des dons à l’Institut Pasteur ou la construction d’écoles et d’une mairie à Verjux, sa ville natale de Saône-et-Loire.
L’exposition s’ouvre sur les portraits des fondateurs des grands magasins parisiens. Ils incarnent le capitalisme moderne, mais il émane aussi de ces personnages une certaine sobriété. Aucun signe ne fait allusion à leur richesse et à leur réussite, ceux-ci souhaitent plutôt afficher la valeur du travail. Certains ont gravi les échelons en étant employés eux-mêmes ou propriétaires de petits établissements qu’ils ont agrandi par l’acquisition de boutiques voisines.
La suite du parcours situe le contexte économique et politique. Le Second Empire de Napoléon III est caractérisé par le libéralisme économique et la Ville de Paris évolue entre révolution industrielle, rénovation urbaine et l’essor des moyens de transports.

Chantier de la Butte du Moulin et de la rue Saint Roch.

Impasse des Bourdonnais.
L’exposition consacre une place importante à la création des chemins de fer et aux transformations de la ville dans la continuité des percées des rues de Paris faites par le préfet Haussmann. Les photos des anciennes rues disparues illustrent les expropriations des classes populaires renvoyées vers la banlieue. L’expropriation entre en contradiction avec le principe de propriété érigé lors de la Révolution française et dont le code civil consacre une part importante1. Cependant, des études récentes ont montré que la situation était plus nuancée et moins brutale qu’elle ne parait et certains propriétaires ont obtenu des estimations avantageuses pour la revente de leurs biens. On observe aussi un recul des petits commerçants mis en concurrence directe avec ces grands centres face auxquels ils ne peuvent rivaliser. En revanche, on assiste à l’ascension d’une classe bourgeoise qui profite de la nouvelle culture de consommation.

Aux phares de la Bastille, vers 1890, lithographie, Paris, Musée des arts décoratifs, inv. 996.35
L’exposition montre l’effervescence du monde parisien à travers ses loisirs dont font partie les grands magasins. La multitude d’affiches présente des bâtiments immenses qui attirent la foule par leurs vitrines et l’étalage des marchandises.
Les salles suivantes exposent les costumes, les robes et les accessoires qui donnent un aperçu des modes et des styles vestimentaires de cette époque. On y montre aussi les nouvelles formes de commerce et les techniques de vente comme les catalogues qui permettent la vente par correspondance, les affiches publicitaires ou l’établissement d’un calendrier annuel de ventes, soldes et expositions pour éviter les périodes creuses.

Firmin Bouisset, Bazar de l’hôtel de ville, Exposition des jouets, 1904, lithographie. Paris, Musée des Arts décoratifs, inv.16242.1
La stratégie commerciale semble passer au second plan quand nous parcourons l’espace consacré aux enfants et aux jouets anciens. L’enfant tient une place nouvelle dans la société du XIXe siècle et fait l’objet d’une plus grande attention, cependant, on comprend qu’il devient aussi une cible commerciale. Si la principale clientèle des grands magasins sont les femmes, celles-ci s’intéressent naturellement aux articles destinés à l’enfant qui apparait comme « une extension de sa mère »2.

Album de photographies du personnel du Bon Marché, 1906
Enfin, la salle des « patrons et employés » expose des portraits collectifs classés par fonctions dans l’entreprise tels que les vendeurs et vendeuses de draperie, de costumes, de gants… ce qui rend compte d’une forte spécialisation du travail au sein de ces établissements.
Le catalogue d’exposition3 nous renseigne sur les avantages dont bénéficiaient les employés de l’entreprise en termes de retraite, de prévoyance et d’épargne. Ils avaient accès aux soins médicaux et la possibilité d’une garde d’enfants. Par ailleurs des cours de langues et de musique étaient dispensés et des compétitions sportives étaient organisées.

Carte postale de la grande salle à manger des employés du Bon Marché.
Avec des services qui se succédaient de 7h à 19h, une importante logistique était mise en place pour assurer la restauration du personnel qui pouvait aussi être logé sur place. La protection paternaliste de la direction pouvait conduire à « infantiliser » les employés et plus particulièrement les femmes. A la différence des hommes, elles ne pouvaient pas sortir à l’extérieur pendant le déjeuner et elles étaient victimes de licenciements abusifs pour « insolence » envers leurs chefs de rayon, envers la clientèle ou si le client repartait sans faire d’achats. Les employeurs ajustaient le recrutement du personnel en fonction de la conjoncture, ce qui pouvait placer un grand nombre d’entre eux dans une situation de grande précarité. Un contrôle du personnel était mis en place, les discussions étaient surveillées4 et la division entre employés était souhaitée par la direction pour éviter tout mouvement collectif de contestations. Cela n’a pas empêché la participation des employés aux luttes sociales et de dénoncer leurs difficiles conditions de travail. Leurs revendications principales étaient l’obtention de journées de travail moins longues et du repos dominical, ainsi que la mise à disposition d’un siège par employé.
L’article de C.Lesselier présente les paroles d’un texte d’une militante lors des grèves du Bazar de l’Hôtel de Ville :
On entend dans tous les rayons
Entre collègues discuter
– Et l’on méprise les patrons
D’tant abuser d’leurs employés
Moi je proclame
Je, les acclame […]
Refrain : Support’rez-vous
Messieurs support’rez-vous
Les patrons tripler les millions
Lorsque, chez vous pour pouvoir y arriver
La femme est forcée de travailler
Support’rez-vous
D’mourir de faim pour ces filous
Allons bien vite il faut les faire cesser
Mais pour cela il faut vous syndiquer5
Source de l’image de présentation : Magasin Crespin et Dufayel, 1895-1900, lithographie, Paris, musée des Arts décoratifs, inv.20642
YASMINA SI AHMED
Master 1 Parcours Sociétés modernes et contemporaines dans la mondialisation.
Mémoire sous la direction de Mme CROQ
- Moret Frédéric, « La construction des fortifications de Paris », dans Annie Fourcaut et Florence Bourillon (dir.), Agrandir Paris (1860-1970), Éditions de la Sorbonne, Paris, coll. « Histoire contemporaine », 2012, p. 19‑31, [https//doi.org/10.4000/books.psorbonne.2381]. [↩]
- GASTAUT Amélie (dir.), Catalogue d’exposition – La naissance des grands magasins : mode, design, jouet, publicité 1852-1925 , Paris, Boutique du Musée des Arts Décoratifs, 2024, p 137. [↩]
- Ibid., p.30. [↩]
- Lesselier Claudie, « Employées de grands magasins à Paris (avant 1914) », Le Mouvement social, no 105, 1978, p. 109‑126, [https//doi.org/10.2307/3777552]. [↩]
- Ibid., p.125. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mariesacareau (5 février 2025). Yasmina Si Ahmed. Visite de l’exposition « La naissance des grands magasins 1852-1925 » au Musée des arts décoratifs. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1398k