Résumé : L’homme grec et donc citoyen jouit d’une certaine liberté ; une liberté certes normée, celle de la citoyenneté et qui lui offre des avantages qu’une femme ou un esclave ne pourront jamais connaître dans cette même société. Il est alors question d’« anthropologie du genre » selon Aurélie Dramet puisque nombreux critères entrent en compte dans le contexte qui lie l’individu aux vêtements et la nudité : « âge, statut social, origine géographique, sexe ». Le focus se fait alors sur ces minorités non concernées par le statut de citoyen : quel est leur rapport au corps et aux vêtements, dans un espace si spécifique aux citoyens qu’est le γυμνάσιον (gumnásion) ?

L’article “Nudités athlétiques et identités en Grèce antique”, écrit par l’historienne Florence Gherchanoc, est issu du dossier S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens édité par l’EHESS en 2008 dans la revue Métis. Divers articles forment ce dossier dirigé par Florence Gherchanoc et Valérie Huet, tous écrits au terme d’un programme de recherches, débuté en 2007 à l’INHA, sur le vêtement antique d’un point de vue anthropologique¹. L’ouvrage est tout d’abord illustré sur sa première de couverture : une photographie de l’Amphore nicosthésienne à figures rouges, signée par le potier Pamphaios vers 525-525 av JC, à Athènes. Elle se trouve aujourd’hui exposée au Louvre. L’œuvre iconographique a été choisie par les deux directrices de la revue, Florence Gherchanoc ainsi que Valérie Huet, illustrant une représentation du vêtement à l’époque antique, dans le monde grec et romain – mais aussi l’identification du vêtement et son lien étroit avec le genre, la nationalité et le statut social dans l’Antiquité. Le vêtement, outre le tissu, est un thème fondamental pour présenter la société grecque et la place du corps humain et charnel. De ce fait, le cinquième article écrit par Florence Gherchanoc est d’autant plus pertinent qu’il évoque une réalité grecque institutionnelle : le gymnase, lieu de rencontres des citoyens grecs ainsi que toute la hiérarchie sociale du monde grec à l’époque classique – et tout ce qu’il représente. L’auteure est professeure des Universités d’histoire grecque à l’Université de Paris. Elle est aussi chercheuse, directrice-adjointe de l’unité de recherche ANHIMA (regroupant plusieurs équipes scientifiques) et membre du CSP de La Cité des Genres qui regroupe différentes écoles aux matières interdisciplinaires (Lettres, Sciences politiques, sciences sociales…) travaillant en cohésion sur les problématiques de genre, du corps, de la sexualité et de la santé ainsi que sur la représentation des hommes et des femmes. La recherche actuelle sur le corps dans l’Antiquité croise de nombreux travaux et domaines de recherches ; les historiens, comme leurs confrères sociologues ou anthropologues s’étonnent épistémologiquement sur le caractère important des questions sociales notamment sur la place de la femme. Il est donc nécessaire “d’historiciser le corps”², sa représentation et sa dimension culturelle dans les sociétés antiques. Ainsi Florence Gherchanoc présente le vêtement et la nudité comme “marqueur d’identité” chez l’homme et la femme.

 Dans un contexte sportif ou civique, elle explique que l’habit autant que la nudité est un élément discriminant ou au contraire valorisant – tout dépend de celui ou celle qui s’habille ou se dévêt.  Pour ce faire, l’auteure détaille sur plusieurs points les normes sociales liées avec un plan thématique, plan argumenté par de nombreuses citations et traductions grecques annotées directement dans le texte. Il est tout d’abord question des “corps laids”, honteux, celui du Barbare comparé à celui de la femme et du vieux, puis de la nudité athlétique selon la hiérarchie sociale entre citoyens, artisans, sophistes et esclaves et enfin de voir la nudité des jeunes filles, de la beauté virile à la beauté Barbare. L’auteure cherche à nous offrir tous les points de vue, à donner sens aux discours minoritaires dans l’idée d’un propos efficace et objectif.

L’analyse qualitative répond à un plan qui se veut autant thématique, dans les titres, que chronologique dans les introductions partielles au travers de la réflexion : on parle de “l’origine de la nudité” en la liant avec l’opposition entre les Grecs et les Barbares, au début de l’époque classique. Il existe de nouveau à la seconde partie “dès l’époque classique” et qui se termine sur la troisième partie qui n’est autre qu’un rappel de la première, en reliant le cas de la nudité des jeunes filles à la virilité barbare. A l’instar des titres, l’explication et l’analyse des sources se mêlent dans un jeu d’oppositions. En introduction déjà, l’auteure annonce très clairement les oppositions entre hommes, femmes et d’autres types de rôles sociaux, tout en contre-carrant les faits avérés (comme la femme qui ne peut pratiquer le sport au gymnase) par des contre-exemples pertinents, presque hors du commun, comme le cas de l’héroïne Atalante. L’ensemble des trois parties indique alors très rapidement que le citoyen grec est supérieur du fait de son rôle social, et qu’il peut se permettre de se dévêtir selon des normes. Le fait qu’il soit nu (toujours dans un contexte précis) lui confère alors la supériorité sur ses semblables masculins d’autres conditions sociales ou d’autres nationalités. La peau devient vêtement, elle peut “discriminer ou valoriser”.

Cependant, Florence Gherchanoc, tout au long de son analyse, nous habitue à offrir des exemples différents qui permettent de voir qu’il est plus difficile d’analyser la façon dont les Grecs se détachent ou s’attachent au vêtement et dans quelle mesure il peut jouer ou non en leur défaveur. Il serait même possible de parler d’idéalisation. La première partie éclaire sur cette idée précise : l’homme grec à l’époque classique se doit d’être beau, fort, rigoureux, de resplendir dans les droits et les devoirs que le statut de citoyen lui incombe, à travers son travail au gymnase – ainsi les Barbares (puis plus tard dans la réflexion : les femmes, les citoyens trop vieux pour combattre, les esclaves et les artisans) ne rentrent déjà pas dans cette catégorie. En citant Thucydide dans l’Archéologie l’auteure discute alors de la nudité comme étant un marqueur identitaire fort qui permettait sûrement en temps de guerres médiques de se distinguer et de se valoriser et ainsi de montrer deux cultures opposées dont celle des Barbares qui est moins attirante, laide, comme leur physique. L’infériorité des Barbares se dessine par le fait qu’ils ressemblaient à des femmes comme le souligne pertinemment l’exemple choisi de Xénophon dans les Helléniques que l‘auteure cite dans son explication. Ce début de lecture montre ainsi la vision grecque sur la nudité mais l’intérêt pour le lecteur est aussi d’avoir un autre point de vue, illustré par l’extrait de Anarcharsis par Lucienqui permet de voir l’autre côté de la balance et ce que pensent les Barbares de la nudité grecque. Il en est de même avec l’histoire du Spartiate Isadas qui avait osé se battre nu, impulsif, allant contre les lois et normes qui autorisent la nudité dans le strict lieu de la palestre et du gymnase. Autrement, la nudité hors cadre est lourdement punie. Ainsi l’auteure nuance les propos et apporte des explications poussées – et tout le long, elle ne cesse de rappeler l’usage de l’image de la femme dans le but de dénigrer les Barbares et de les déviriliser.

Selon l’auteure, la nudité est propre à l’hellénisme ; pourtant, au sein même de la Grèce et des différentes couches sociales des polis se trouvent des inégalités vis-à-vis de la nudité. Florence Gerchanoc traite d’abord les citoyens d’Athènes et de Spartes face à leurs esclaves et elle discute finalement du cas des artisans et des sophistes, citoyens généralement dénigrés pour préférer le travail manuel ou intellectuel plutôt que l’entraînement physique au gymnase.  La discrimination l’est d’autant plus lorsqu’elle touche les minorités comme les esclaves. En effet, ils ne sont pas citoyens et correspondent à des normes strictes qui ne doivent pas être dérogées – en Grèce antique et notamment à Athènes, l’on sait que les esclaves sont acquis comme des marchandises et des biens, totalement désocialisés^3. Il n’est donc pas question de laisser un esclave s’enduire d’huile et pratiquer le sport comme tout autre citoyen, puisque la hiérarchie sociale grecque l’interdit. Ainsi, l’esclave s’habille tandis que le citoyen se pare d’un autre vêtement, un corps nu et construit qui est donc le synonyme de son accès au gymnase et donc de la jouissance de ses droits civiques. Cependant, la citation de Xénophon dans cette seconde partie de l‘article porte à croire que, toujours dans ce même jeu d’oppositions qu’énonce Florence Gherchanoc en introduction, les Athéniens et Spartiates appréhendent et opèrent de manière différentes leur nudité. Beaucoup d’Athéniens travaillent là où les Spartiates ne font que s’entraîner – ainsi les jugements de valeurs, ou « l’indifférenciation vestimentaire des statuts socio-politiques » comme dirait l’auteure, est réellement un sujet qu’il faudrait voir en détail sur les inégalités : par exemple la richesse au sein de la citoyenneté athénienne notamment entre les riches plousioi et les pauvres penetes⁴. La nudité athlétique est donc factuellement celle du gymnase ; le corps se muscle par la pratique du sport et l’entraînement aux combats. Cela ne convient pas aux citoyens trop vieux qui ne sont plus en mesure de combattre, aux sophistes qui étudient et aux artisans pour qui le corps est sculpté par le travail. Comme le cite l’auteure, le seul corps que l’on peut idéaliser est celui qui est durement travaillé dans une palestre puisqu’il représente le droit et le devoir du citoyen : il doit s’entraîner pour représenter la cité pendant les concours et aux combats. Les sources antiques vont jusqu’à comparer les organes génitaux avec l’extrait des Nuées d’Aristophane où les corps sont différenciés selon si le citoyen pratique, ou non, le sport en gymnase.  En ce sens-là, malgré le statut de citoyen, la non-pratique de l’athlétisme peut être discriminante et repoussante pour les sophistes et les artisans, si bien qu’ils ne pourront pas même pratiquer le dikaios eros avec d’autres hommes puisqu’ils ne sont pas physiquement attirants. A l’instar des barbares, les autres citoyens grecs qui n’entrent pas dans la normalité du corps sculpté au gymnase sont alors moqués et dévirilisés et de ce fait, comparés aux femmes.

La position de la femme est naturellement dans l’opposition avec celle de l’homme par le genre mais aussi par le statut. Cela indique une échelle de codes sociaux où la femme, du fait de son statut inférieur à l’homme, est toujours utilisée pour moquer ou dénigrer un autre homme qui ne rentrerait pas dans l’idéal grec sur la nudité, un « corps nu féminin […] et surtout ridicule ». Le genre même féminin est utilisé comme un adjectif : ne pas être viril, c’est être une femme, avoir le teint pâle et ne pas s’exposer au soleil, être celui qui ne fait pas de sport – une réalité grecque néanmoins nuancée par des auteurs de l’Antiquité. En effet, l’auteure utilise des sources nommant aussi bien Athènes que Sparte, avec le cas particulier de la condition féminine chez les Spartiates. En effet, l’auteur travaille alors pertinemment sur le cas si particulier des spartiates, car elle n’oublie pas de comparer la façon dont les citoyens athéniens traitent la nudité athlétique chez les femmes. Diverses sources citent les femmes qui s’entraînent comme les hommes avec un terme qui revient trois fois dans le texte « cuisses-nues » – qui relève autant de l’étrangeté et du choc pour les contemporains que de l’admiration : un jeu d’admiration-répulsion pour les Athéniens car leurs « usages sont différents ». On passe de « mœurs incontrôlables » dans Andromaque, puis prêtes à enfanter, avant d’aller dans l’extrême contraire « leur nature virile les conduit à inverser les rôles » selon Plutarque – cette évolution dans l’analyse de Florence Gherchanoc montre alors les différentes facettes de l’opinion quant à la nudité athlétique en Grèce antique : elle diffère selon la zone géographique, le statut d’une fille de citoyenne sans doute même si cela n’est pas réellement évoqué. C’est surtout l’âge qui est important : elles ne peuvent être sportives que dans leur adolescence, et cesser toute activité athlétique pour servir à la citoyenneté en enfantant. C’est une réflexion menée dans l’idée que le corps musculeux de la femme, chez les Spartiates, permettra d’engendrer des fils puissants et aptes à défendre la cité. Il est possible aussi de comprendre que le corps prépubère et pubère, en plein développement, est encore détaché des attributs féminins qui le séparent visuellement du corps masculin – il est donc moins choquant qu’une jeune fille pratique le sport, puisque l’absence de sa féminité la virilise, ce qui est tout naturellement décrit et appuyé par les sources iconographiques. Il existe quelques vases attiques brièvement cités mais relativement connus pour leur caractère atypique : les femmes y sont représentées nues, dans une palestre, le torse large, musclées, à l’image de l’héroïne Atalante, utilisée pour décrire le cas exceptionnel qu’elle incarne mais qui reste effrayant, au vu des adjectifs utilisés par les auteurs de l’époque.

L’ouvrage général, comme l’a cité Robert Nouet dans son compte-rendu, est riche et intéressant pour comprendre l’idée que derrière l’usage du vêtement (ou la nudité) se cache des codes sociaux importants, des marqueurs d’identités qui norment alors la société grecque. L’article de Florence Gherchanoc va dans ce sens et propose une lecture où les sources sont confrontées. Les points de vue (de Barbare, de femmes, des auteurs du Vè qui cherchent à discuter ou non les cas particuliers pour les femmes, etc.) diffèrent et permettent alors de comprendre que la pensée grecque sur la nudité athlétique n’est pas si homogène qu’on le pense. L’utilisation de contre-exemples est pertinente. Face à cela, la structuration est plus floue. On ne comprend pas pourquoi les parties s’éparpillent sur le cas des femmes mais toujours est-il que chaque exemple correspond tout de même à la partie qui lui est liée. Le titre des parties est peut-être ce qui pose un problème : là où on s’attend à ce que chaque exemple soit développé (Barbare, puis femme, puis vieillard) il n’y a qu’en réalité qu’une énorme discussion sur les Barbares. Ensuite, une partie moins importante sur les femmes et les vieillards est écrite seulement pour appuyer l’idée comme quoi les Barbares sont inférieurs aux Grecs. Les nombreux termes grecs sont enrichissants dans le travail d’analyse pour les historiens mais peuvent être compliqués dans la première lecture du texte, coupant la fluidité. Néanmoins, l’importance de cette précision n’influe en rien la haute qualité d’écriture, facile à comprendre, agréable dans la lecture – le texte et l’ouvrage en lui-même est excellent puisqu’il est d’un intérêt historiographique pertinent : les études sur le corps, les femmes et ce détail du quotidien des hommes est relativement nouveau et permet de s’approcher un peu plus de la réalité grecque. Ce qui pourrait être reproché c’est le peu d’œuvres iconographiques citées (sauf au dernier paragraphe). Les sources grecques, déjà limitées, ne sont sans doute pas plus nombreuses concernant des minorités telles que les esclaves, par exemple. A défaut d’une réelle représentation dans l’art, restent alors les plumes incroyables des contemporains citées justement et bien sûr des références bibliographiques tout aussi intéressantes sur le sujet de la nudité, comme Pierre Brûlé, Nigel Crowther ou encore Jean-Pierre Vernant. Ces références sont très utiles pour la suite de nos travaux et permettront d’étoffer nos recherches (personnelles ou scolaires) sur la nudité en Grèce Antique et dans le cadre de l’écriture de nos mémoires.

Ainsi, l’homme grec et donc citoyen jouit d’une certaine liberté ; une liberté certes normée, celle de la citoyenneté et lui offre des avantages qu’une femme ou un esclave ne pourront jamais connaître dans cette même société⁵. Naturellement l’auteure n’a pas pu détailler certains faits de la société athénienne mais l’article a parfaitement sa place dans l’ouvrage et entre dans les thématiques qu’elle étudie et cherche activement, sur le genre, la beauté, le corps, qui devient alors une référence pour les chercheurs, historiens, anthropologues et sociologues intéressés par la question de l’apparence et du genre dans l’Antiquité. Il est alors question d’”anthropologie du genre”⁶ selon Aurélie Dramet puisque de nombreux critères entrent en compte dans le contexte qui lie l’individu aux vêtements et la nudité : “âge, statut social, origine géographique, sexe”⁷…

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Notes

¹ Nouet R,. Fl. Gherchanoc et V. Huet (dir.), Vêtements antiques. S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens (2012). In: Topoi, volume 19/2, 2014. pp. 705-708.

² Offensdtat, N. L’historiographie, Puf, coll. “Que sais-je ?”, 2011, 1ère édition, p.87.

³ Garlan, Y. De l’esclavage en Grèce antique. In: Journal des savants, 1999, n°2. pp. 319-334.

⁴ Mossé C& Schnapp-Gourbeillon A,. Précis d’histoire grecque : du début du deuxième millénaire à la bataille d’Actium, Armand Collin, 1999.

⁵  Garlan, Y. De l’esclavage en Grèce antique. op. cit.

⁶ Damet, A, La domination masculine dans l’Athènes classique et sa remise en cause dans les crises intrafamiliales , Siècles [En ligne], 35-36 | 2012 URL : http://journals.openedition.org/siecles/1503

⁷ Ibid.

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Image mise en avant : Trois femmes nues au louterion, l’une avec un strigile ; une colonne ; dans le champ : un lécythe et un paquetage (éponge aryballe). Bari, Museo Archeologico Civico 4979

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Compte-rendu de lecture : GHERCHANOC, Florence, “Nudités athlétiques et identités en Grèce ancienne” dans Dossier : S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2008.

Marina Di Salvo

Master 1 EAD Histoire, mondes anciens et médiévaux
Mémoire d’histoire ancienne sous la direction de Christel Müller

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