Le livre Fondation et ruine d’une « maison », histoire sociale des comtes de Belin (1582-1706), rédigé par Elie Haddad et publié en 2009 aux Presses universitaires de Limoges, propose une analyse approfondie du déclin de la famille d’Averton, comtes de Belin, au XVIIe siècle. À travers cette étude, il explore les mécanismes sociaux, familiaux et politiques qui ont conduit à la chute de cette lignée noble. Il s’intéresse particulièrement à la gestion des biens, aux stratégies matrimoniales et à l’impact des alliances, tout en étudiant la relation entre les comtes de Belin et le pouvoir monarchique.
Elie Haddad est historien et directeur de recherche au CNRS, membre de l’équipe du Centre de Recherches Historiques. Spécialiste de l’histoire sociale de la noblesse française à l’époque moderne, ses travaux portent sur les dynamiques de pouvoir, la transmission des biens et les relations de parenté au sein des familles nobles. Il s’intéresse particulièrement aux rapports entre pouvoir seigneurial et monarchie, ainsi qu’aux transformations du rapport à la terre et à la féodalité. Sa thèse, Les comtes de Belin (1582-1706), soutenue en 2005 sous la direction de Michel Cassan, constitue la base de son ouvrage, dans lequel il explore les mécanismes sociaux et politiques ayant conduit au déclin de cette famille.
Dans l’introduction de son ouvrage, l’historien situe son récit dans le Maine, en évoquant une troupe de théâtre mentionnée par Scarron et les lectures à clés qui ont permis d’identifier François II d’Averton, comte de Belin, sous les traits du marquis d’Orsé. Il propose ainsi de replacer les comtes de Belin dans un cadre plus large, celui de la “noblesse secondaire”, et de mieux comprendre leurs dynamiques sociales et politiques à travers les pratiques de parenté et les alliances.
L’historien se concentre sur l’évolution des comtes de Belin sur quatre générations, en analysant leur parcours social plutôt que de les enfermer dans des catégories fixes. Il examine leur déclin au XVIIe siècle, un aspect souvent négligé par l’historiographie qui privilégie les réussites sociales. Haddad utilise une approche basée sur la monographie familiale et l’analyse microhistorique, s’appuyant sur l’anthropologie de la parenté pour analyser les alliances matrimoniales, les mécanismes de transmission et leur rôle dans l’organisation sociale de la noblesse. Cette méthode permet de mettre en évidence l’interaction entre parenté et pouvoir local, renouvelant ainsi la compréhension des dynamiques sociales dans la noblesse d’Ancien Régime.
L’étude des comtes de Belin repose principalement sur les archives départementales de la Sarthe et de la Mayenne, ainsi que sur les archives notariales, notamment le minutier central des notaires parisiens. Grâce à l’utilisation croisée des archives manuscrites et imprimées, Elie Haddad établit les généalogies familiales et analyse les pratiques sociales et dynamiques qui ont marqué la trajectoire des comtes de Belin. Dans ce contexte, l’arbre généalogique des comtes de Belin devient un outil essentiel pour comprendre les alliances et les choix familiaux qui ont façonné leur histoire, de leur ascension à leur déclin.
Le tableau ci-dessous retrace la généalogie détaillée des comtes de Belin (les alliances matrimoniales, les branches familiales), conformément à l’analyse de l’historien dans son ouvrage.
Génération | Nom | Époux/épouse | Famille/ branche | Remarque |
I | Olivier de Faudoas | Marguerite de Serillac (1540) | Faudoas – Serillac | Écuyer, seigneur de la Motte. |
Jean II de Faudoas | Brandelise du Bouzet (1567) | Faudoas – Bouzet
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Héritier principal. Et le père de François | |
Jean-François de Faudoas-Serillac dit d’Averton
Comte de Belin |
1.Françoise de Warty (1578).
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Faudoas-Serillac
Warty |
En 1571, elle épousa Galiot de Crussol.
Fille de Joachim de Warty et de Madeleine de Suze (veuve épousa Jean de Monchy, seigneur de Sénarpont)
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2.Renée d’Averton (1582) | Faudoas-Serillac
D’Averton |
Fille de Payen d’Averton et d’Anne de La Tour Landry, épousa en 1564 Jacques d’Humières (un des fondateurs de la ligue catholique) | ||
II | François de Faudoas | Renée de Brie
(1592) |
Faudoas
Brie |
Elle est l’héritière de la maison de Brie |
Louise de Faudoas | Claude de Gruel (1594) | Faudoas
De Gruel |
Seigneur de Frette. | |
François II d’Averton | Catherine de Thomassin (1602) | D’Averton
Thomassin |
Fille de René de Thomassin et héritière d’une alliance prestigieuse renforçant les liens du comte avec les familles de Vaudetar et Bourbon-Busset | |
Madeleine d’Averton | Louis de Lamet (1603) | D’Averton
Lamet |
Fils de Christophe de Lamet et d’Isabeau de Bayencourt | |
Françoise d’Averton | François de Vauquelin (1610) | D’Averton
Vauquelin de Sacy |
Descendant du 4eme fils du duc de Bretagne | |
III | Emmanuel | Louise Henriette Poitier (1633) | D’Averton
Poitier |
Fille de René Poitier |
René | Charlotte Bouthillier (1639) | D’Averton
Bouthillier |
Fille de Denis Bouthillier | |
Léonore | François de Rochechouart
(1629) |
D’Averton
Rochechouart |
Alliance avec les Rochechouart, Saulx et Phélypeaux. | |
IV | Emmanuel-René d’Averton | Antoinette d’Averton (1655) | D’Averton | Cousin |
François Ier d’Averton, par ses deux mariages avantageux, et en particulier son union avec Renée d’Averton, héritière de tous les biens d’une des plus importantes familles du Maine, s’engage à reprendre le nom et les armes des Averton et reçoit l’usufruit du comté de Belin. À partir de ce moment, il adopte le titre de comte de Belin, marquant ainsi la naissance d’une maison et d’une topolignée. Ces alliances stratégiques posent les bases de l’ascension de la maison des Belin. Choisies avec soin, elles permettent d’intégrer la cour et d’établir des liens avec des familles influentes. Ces unions symbolisent une double réussite : l’élargissement du réseau social des Belin et l’accès à un statut supérieur, celui de la noblesse de robe. Toutefois, ces mariages ne se limitent pas à des considérations financières ; ils s’inscrivent dans une stratégie visant à consolider à la fois les patrimoines et la reconnaissance sociale, éléments cruciaux pour s’imposer durablement dans le cercle de la noblesse.
Les générations suivantes adaptent leurs choix matrimoniaux aux transformations sociales de l’époque, si les hommes continuent à viser des alliances avec des familles légèrement plus prestigieuses, les femmes, quant à elles, privilégient des unions isogamiques ou hypogamiques. Cependant; l’inflation des dots et les clauses de plus en plus contraignantes dans les contrats de mariage, comme celles du mariage d’Emmanuel d’Averton et Henriette Poitier, imposent une lourde charge financière à la maison ; ce mariage hypergamique fut l’une des raisons de l’endettement de la famille. La mort du mari obligea la famille à rembourser la dot, comme convenu dans le contrat de mariage. À mesure que les dots deviennent des instruments complexes, mêlant à la fois prestige et risque, leur gestion pèse sur la stabilité économique des Belin, mettant ainsi en lumière les tensions entre ambitions sociales et contraintes matérielles.
L’historien met en lumière le rôle central des femmes dans la transmission du patrimoine familial. Grâce à leurs dots, donations et testaments, elles assurent une part importante de la richesse et du prestige des Belin. Par exemple, Madeleine de Suze a désigné sa petite-fille, Louise de Faudoas, comme héritière unique de ses biens, soulignant l’importance des biens transmis par les femmes dans la constitution de la fortune familiale. Cette transmission féminine, bien que complémentaire à celle des hommes, introduit une certaine fragilité dans le système de la maison, où les aléas biologiques et les contestations des successions amplifient les tensions.
Pour poursuivre son analyse, l’historien souligne que les comtes de Belin illustrent la complexité de la gestion d’une maison noble, où le maintien du patrimoine exigeait des investissements matériels et symboliques conséquents. François I d’Averton, a débuté modestement avec des revenus à peine suffisants pour vivre à la cour, mais son mariage avec Renée d’Averton et son ralliement à Henri IV ont permis un accroissement de ses biens, bien que ses revenus restassent modestes comparés aux grandes familles provinciales. Ses seigneuries, notamment Averton, et la forêt de Pail, essentielle pour les forges de la Gaudinière, constituaient la base de sa richesse. De même, François II d’Averton, grâce aux apports fonciers de Catherine de Thomassin, a renforcé l’assise économique de la maison, permettant même des donations à ses proches. Cependant, les charges matrimoniales, les dotations, et l’endettement lié aux constitutions de rentes ont fragilisé cette stabilité, notamment face à une dévaluation de la livre tournois et une explosion des dettes après 1652.
En effet, la gestion du patrimoine se heurtait à des obstacles majeurs : des partages successoraux qui fragmentaient les terres, des alliances matrimoniales coûteuses avec les Poitiers et les Bouthillier, et des actes notariés incomplets ou contestés. Les Belin cherchaient à maintenir une unité foncière, mais ils durent se séparer progressivement de leurs terres pour faire face aux créanciers. Par ailleurs, l’absence prolongée des seigneurs sur leurs domaines favorisait les malversations, tandis que les forêts, bien que très rentables, étaient sources de conflits constants. De plus, les revenus issus des charges administratives et militaires, bien qu’importants (40 % pour François I grâce à son rôle auprès du prince de Condé), diminuaient rapidement après leur transmission ou disparition. Par ailleurs, les dettes, concentrées sur les héritiers, s’aggravaient à mesure que les substitutions détournaient le patrimoine des descendants directs vers d’autres lignées, notamment les Mesgrigny.
Malgré un train de vie confortable marqué par plusieurs résidences, une domesticité nombreuse, et un rang parmi les grandes familles provinciales, les Belin ont été pris dans un cercle d’endettement irréversible. Les frais de justice liés à des procès interminables, la concentration des dettes après la mort d’Antoinette d’Averton ont précipité leur déclin. Après plus de quinze ans d’incapacité à rembourser leurs créanciers, les derniers membres de la lignée ont vu leur fortune ruinée, et la maison s’éteignit sans descendance.
Ainsi, les alliances matrimoniales et les réseaux clientélaires jouent un rôle central dans l’histoire des comtes de Belin. François de Faudoas, issu d’un des plus grands lignages de Gascogne, renforça sa position par son mariage avec Françoise de Warty, appartenant à une famille influente de Picardie, bien connectée à la cour royale. Les Warty entretenaient des relations étroites avec Catherine de Médicis et d’autres lignages prestigieux, tels que les Monchy-Sénarpont, les d’Humières et les d’Ailly, tous acteurs majeurs dans la région. Ces alliances ne visaient pas seulement à établir des liens familiaux, mais à intégrer des réseaux politiques et clientélaires essentiels à l’ascension sociale et au maintien de la domination seigneuriale.
De même, son mariage avec Renée d’Averton, héritière principale de la maison d’Averton, amplifia encore ce processus. Cette union apporta aux Belin non seulement une fortune matérielle substantielle, mais aussi un vaste réseau de relations dans le Maine et la Normandie, incluant des familles prestigieuses telles que les Laval, les Angennes et les Beaumanoir et La Suze. Renée avait été précédemment mariée à Jacques d’Humières, membre d’une puissante famille picarde, dont les alliances s’étendaient aux Montmorency. Ces mariages démontrent comment les maisons nobiliaires utilisaient les unions pour élargir leur influence et leur autorité. Les alliances matrimoniales, souvent dictées par des facteurs politiques et conjoncturels, s’inscrivaient dans un jeu complexe d’ambitions et de choix stratégiques. Les seigneuries, majoritairement transmises par les femmes, comme la seigneurie de Gayette, symbolisaient ce transfert de pouvoir et renforçaient le capital politique des familles.
Ces stratégies, bien qu’ambitieuses, montrèrent leurs limites. Les comtes de Belin, malgré des alliances prestigieuses, éprouvèrent des difficultés à conserver une influence durable à la cour. Leur fidélité initiale à Henri III, suivie d’un ralliement tardif à la Ligue, puis à Henri IV, révèle leur incapacité à équilibrer leurs ambitions familiales avec les exigences politiques mouvantes de leur époque. Notamment, Emmanuel René de Belin, même s’il a obtenu une charge militaire sous Mazarin, montre que cette réussite était fragile. Sans appui solide et régulier à la cour, il n’a pas réussi à en faire une vraie source de pouvoir durable .
En somme, et à travers l’analyse d’Elie Haddad, le déclin des comtes de Belin au XVIIe siècle s’explique par une série de choix sociaux et politiques qui ont fragilisé leur position. Tout d’abord, les mariages stratégiques, qui avaient pour objectif de renforcer leur statut dans la noblesse et d’étendre leur patrimoine, ont finalement pesé sur leur fortune. En effet, les dotations élevées exigées par ces unions ont entraîné un endettement considérable, mettant en péril la stabilité économique de la famille. Ces alliances, bien que renforçant la position sociale des Belin, ont également exposé la maison à de lourdes charges financières, fragilisant son assise sur le long terme.
D’un point de vue politique, le soutien initial à la Ligue, motivé par un refus de voir un protestant accéder au trône, a permis à François Ier de devenir gouverneur de Paris pour le duc de Mayenne, mais son ralliement ultérieur au camp royal, après la conversion d’Henri IV, n’a pas suffi à assurer un avenir stable pour la famille. Les échecs militaires et politiques de François Ier, associés à l’incapacité de son fils à stabiliser la situation en soutenant Marie de Médicis, ont accéléré la perte de pouvoir des comtes de Belin.
Après ces échecs politiques et militaires, il est important de souligner que les comtes de Belin, comme beaucoup de familles nobles de leur temps, ont fondé leur fortune sur la propriété foncière. Ce choix, bien que courant, n’offrait pas toujours une base solide face aux aléas de la vie. Dans leur cas, les difficultés liées à la transmission du patrimoine, les conflits autour des successions, les alliances peu avantageuses ou encore la perte d’héritiers pendant les guerres ont fragilisé l’ensemble. Progressivement, ces éléments ont affaibli la famille jusqu’à entraîner la disparition des comtes de Belin au XVIIe siècle.
Ferroudja OULD BRAHAM
Master 2 Parcours 3
Mémoire sous la direction de Arnaud Exbalin
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mariesacareau (26 juin 2025). Ferroudja OULD BRAHAM. Compte rendu de l’ouvrage : Fondation et ruine d’une « maison », histoire sociale des comtes de Belin (1582-1706). Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14840