AUDREY VANECHOP. Compte-rendu de lecture : Laurent Colantonio « L’Irlande, les Irlandais et l’Empire britannique à l’époque de l’Union (1801-1921) »

Laurent Colantonio. « L’Irlande, les Irlandais et l’Empire britannique à l’époque de l’Union (1801-1921) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n°14, mai-août 2011 [Disponible en ligne sur Cairn : https://shs.cairn.info/revue-histoire-politique-2011-2-page-198?lang=fr 

La difficulté se pose pour les historiens de savoir si l’Irlande peut être considérée comme une colonie de l’empire britannique au XIXème siècle, ou si elle a davantage été un partenaire de la domination britannique depuis l’entrée en vigueur de l’Acte d’Union le 1er janvier 1801. A cette date, l’Irlande intègre officiellement le noyau central de l’Empire et forme avec l’Angleterre une seule entité souveraine : le « Royaume-Uni » réunissant l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande. Le statut de l’Irlande devient alors ambigu puisque l’Île n’est alors ni une possession ni un royaume mais elle se situe dans un entre-deux. Cette problématique est d’autant plus complexe à aborder qu’elle est traversée par des enjeux politiques et mémoriaux forts qui tendent à polariser le débat. La question de la place de l’Irlande dans l’Empire britannique a fait l’objet d’un important renouvellement historiographique au tourant des années 2000 et 2010 dont Laurent Colantonio rend compte dans cet article ayant pour titre « L’Irlande, les Irlandais et l’Empire britannique à l’époque de l’Union (1801-1921) » et publié dans la revue Histoire@Politique. Politique, culture, société de mai-août 2011 aux éditions du Centre d’histoire de Sciences Po. L’auteur propose une synthèse historiographique de ces interrogations tout en s’attachant à replacer l’histoire de l’Irlande dans une perspective plus large et globale de « monde britannique ».   

En 2011, Laurent Colantonio est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Poitier et rattaché au Centre de Recherches Interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l’art et Musicologie (CRIHAM). Depuis 2015, il est toujours membre associé au CRIHAM mais est désormais professeur d’histoire spécialiste du Royaume-Uni et du monde britannique à l’époque contemporaine à l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur l’Empire britannique et sur l’Irlande pendant la période contemporaine à travers des thématiques relatives au nationalisme, aux luttes nationales et aux mouvement populaires.  

Concernant la place de l’Irlande dans l’Empire britannique, il détaille dans cet article les controverses historiographiques qui peinent à se dégager des conflits politiques. Depuis 1801 et jusqu’à aujourd’hui, la question de la place de l’Irlande dans l’Empire britannique divise la population irlandaise et les historiens. Premièrement, des Irlandais, séparatistes et nationalistes se sont soulevés à plusieurs reprises contre cette Union qu’ils considéraient comme n’étant qu’une façade qui cachait la domination impériale des Anglais et qui faisait de l’Irlande une colonie. Ce thème de l’Irlande-colonie sera repris vers 1960 lors des guerres civiles en Irlande et a encore un ancrage politique important. D’autres Irlandais ont défendu une voie non plus insurrectionnelle mais constitutionnelle, pour faire de l’Irlande un partenaire égal à l’Angleterre et autonome vis-à-vis d’elle. Néanmoins, ces Irlandais ne souhaitent pas quitter l’Empire et demandent, pour leur pays, une double souveraineté monarchique à la fois nationale et impériale. Un troisième courant politique est celui des unionistes qui ne veulent pas quitter le cadre de l’Union et ne souhaitent pas plus d’autonomie pour l’Irlande. L’histoire unioniste refuse toujours de penser l’Irlande comme une colonie britannique. Comment alors définir le statut de l’Irlande ? 

Laurent Colantonio évoque l’étude de Stephen Howe dans son ouvrage Ireland and the Empire (2000) qui ne nie pas la domination britannique sur l’Irlande mais estime que la grille de lecture coloniale ne s’applique pas à la réalité sociale et au vécu des Irlandais. Laurent Colantonio interroge lui-même le passé colonial de l’Irlande à travers sa dimension économique et culturelle. Sur le plan économique, l’arriération de l’Irlande semble faire d’elle une colonie sans que sa situation s’apparente complètement aux autres colonies de l’Empire britannique. Dans le domaine culturel, il relève le fait que les Anglais imposent leur langue mais surtout que s’exprime un racisme infériorisant les Irlandais par rapport aux Anglais. L’historien américain Lewis Perry Curtis a notamment étudié les représentations caricaturales dont sont victimes les Irlandais dans la presse britannique. Nous pouvons également mentionner les discriminations et persécutions religieuses subies par la population catholique d’Irlande ainsi que les conversions forcées. Il apparaît évident que l’Irlande et l’Angleterre ne sont pas placées sur un pied d’égalité pendant la période étudiée de 1801 à 1821. Néanmoins, si certains historiens refusent de considérer l’Irlande comme une colonie c’est parce que les Irlandais ont aussi été des agents de l’Empire britannique et ont soutenu son expansion. Certains Irlandais se sont engagés dans l’armée ou dans l’administration impériale, principalement en Inde dans l’Indian Civil Service, et ont pu y effectuer de brillantes carrières. A contrario, des Irlandais plus marginaux, ont défendu l’autonomie de l’Inde comme ils ont défendu leur autonomie contre l’Empire. Il y aurait eu une connexion révolutionnaire entre l’Inde et l’Irlande encore en débat chez les historiens.  

Ainsi, Laurent Colantonio met en lumière toute la complexité de la question du statut de l’Irlande comme colonie de l’Empire britannique. Son article est très documenté et il s’appuie sur la richesse historiographique des années 2000 et 2010. Il montre à quel point ces études sont controversées et traversées parfois par des enjeux politiques. En conclusion de l’article, il part d’un postulat qui fait consensus : dans la première moitié du XIXème siècle, les rapports entre Anglais et Irlandais sont inégaux et sont marqués par une domination de l’Angleterre. Il y a bien eu une « rémanence d’institutions et de pratiques de type colonial, qui font écho à des expériences plus anciennes ou à d’autre situations impériales » (Laurent Colantonio, p. 30) mais la situation de l’Irlande est bien différente des autres colonies de la couronne. L’histoire de l’Irlande dans le contexte britannique doit s’affranchir de la « condition coloniale » pour être étudiée dans toute sa complexité. Le statut de l’Irlande et des Irlandais est à la fois hybride et ambivalent. Il n’est pas possible pour autant de parler d’un « exceptionnalisme » irlandais puisqu’en réalité chaque territoire de l’Empire britannique a ses particularités. Il convient donc de ne pas adapter un modèle trop rigide à une situation précise mais de tenir compte des spécificités et des particularités locales.  

 

AUDREY VANECHOP 

Master 2 Histoire « Les sociétés modernes et contemporaines dans les mondialisations ». 

Mémoire sous la direction de Nicolas Schapira. 

 

 

 

Légende de l’image de présentation : Archives nationales du Royaume-Uni (Collège of Arms), Illustrations des armoiries royales, de l’étendard royal et du drapeau national du Royaume-Unis de Grande-Bretagne approuvées le 5 novembre 1800 lors de la préparation de l’Acte de l’Union, document conservé aux Archives nationales du Royaume-Uni. 

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mariesacareau (26 juin 2025). AUDREY VANECHOP. Compte-rendu de lecture : Laurent Colantonio « L’Irlande, les Irlandais et l’Empire britannique à l’époque de l’Union (1801-1921) ». Master Histoire de Nanterre. Consulté le 15 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14841


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