Un grand merci à Martina Kempff pour son roman magnifique « Berthe au grand pied » qui a inspiré cet article.

Reine du VIIIe siècle entre 751 et 768, Bertrade ou Berthe de Laon, née autour de 720 à Samoussy, est comme toutes les reines de France, épouse de…, mère de… Première reine de la dynastie carolingienne, elle est la femme de Pépin le Bref, et la mère de Charlemagne. Il est dit que sa mère Gisèle est fille du roi Mérovingien Thierry III, fils de Clovis, faisant d’elle une jeune femme issue de la noblesse influente à la cour. Elle est également surnommée Berthe aux grands pieds, car elle aurait eu, selon le ménestrel Adenet le Roi au XIIIe siècle,  un  pied plus long que l’autre.  

Alors que Childéric III est roi des Francs entre 743 et 751, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, est maire du palais d’Austrasie en 741. Il ne tarde pas à demander la main de Berthe de Laon. Mariée, elle passe peu de temps en prières, mais consacre des heures aux études pour se préparer à ses futures responsabilités. Pépin se rend vite à l’évidence, celle qu’il a épousée, et qui le suit souvent dans ses campagnes guerrières, est pleine de hardiesse. Berthe sait que la seule chose que l’on attend d’elle est une descendance, mais elle est heureuse que ses conseils soient pris au sérieux, goûtant pour la première fois à la douceur du pouvoir. 

Berthe cherche à être plus qu’une mère, et souhaite s’immiscer dans la vie politique. Entre les deux frère, Pépin et Carloman, les luttes sont fréquentes. Berthe s’immisce entre eux, accueille Carloman avec une grande amabilité, et est présente à tous leurs entretiens, consciente que leur entente est essentielle pour l’unité du royaume.  

Entre 742 et 748, Berthe met au monde un petit Charles, et essaie de lui transmettre ce qu’elle souhaite si ardemment : avoir toujours en tête la valeur des choses ; que les hommes commandés par lui se comportent entre eux paisiblement ; faire preuve d’écoute et se préoccuper de ce qui les touche.  

Après la mort de sa grand-mère, Bertrade l’Ancienne (676-740), elle devient la maitresse du domaine de Mürlenbach, situé dans l’ouest de l’Allemagne de nos jours. Cette région appartenait à l’Austrasie, soit le royaume des Francs orientaux, dont l’époux de Bertrade l’Ancienne, Martin de Laon, en était le roi. Elle rend alors justice sur ses terres, et jouit d’un grand respect par sa sagesse lorsqu’elle préside les procès. Elle parvient à empêcher plus d’une condamnation à mort, notamment celles de femmes accusées d’adultère. Il y a aussi les femmes dont les maris souhaitent se débarrasser, et à celles-ci Berthe donne du travail dans ses ateliers pour confectionner des étoffes prisées dans tout le pays.   

Berthe comprend que le christianisme est en pleine expansion, et attire donc l’attention de son époux sur le soutien qu’il devrait accorder au pape Zacharie, pour que Pépin soit couronné roi. Car personne n’osera mettre en doute la légitimité d’un roi sacré par Dieu. Le pape fait effectivement appel à lui pour reprendre la ville de Rome, les provinces et villes d’Italie, ainsi que les régions occidentales appartenant à Byzance. Pour récupérer certaines les terres de Byzance, le pape se réfère à une donation de l’empereur Constantin, mais ne trouve aucune trace de ce document. Berthe se met alors à penser que des textes disparus peuvent se réécrire, et fait part de son idée au père Fulrad, conseiller et chapelain des rois carolingiens Elle incite alors le pape à s’engager dans un système communément appelé aujourd’hui faux, et usage de faux. La réponse du pape ne tarde pas, « il est préférable que soit nommé roi celui qui détient le pouvoir plutôt que celui qui porte le titre ».[1] Il déclare donc expressément que c’est Pépin qui doit être roi, Carloman ayant rejoint les ordres. Adieu, Childéric III, dernier roi mérovingien en 751. 

À la mort du pape Zacharie en 752, le nouveau pape Étienne II demande à nouveau l’appui de Pépin, qui lui réclame d’être sacré roi une nouvelle fois, avec sa femme Berthe et ses deux enfants, Charles et Carloman. Ce geste scelle l’alliance entre la papauté et les rois. C’est la fin de l’élection de rois à l’assemblée des grandes familles, et la naissance de la royauté de droit divin. Les futurs rois de France te saluent et te remercient, dame Bertrade. 

Berthe souhaite que Pépin finisse sa conquête des pays environnants pour que la paix s’installe, afin que ses enfants puissent vivre en bonne intelligence avec les pays voisins. Lors du séjour de Pépin en 756 à Rome pour sceller son traité de paix et étendre les états de l’Église, il y rencontre une certaine Désirée qui lui fait perdre la tête, au point de penser à répudier Berthe. Le pape, indigné, refuse la répudiation aussi longtemps que vivra la reine qu’il a couronnée, surtout que Berthe est à nouveau enceinte.  

Alors qu’elle accouche d’une fille, Gisèle, Berthe comprend que Pepin lui échappe. Elle mesure toute l’influence qu’elle a autrefois exercée sur lui, et la manière dont elle est parvenue au pouvoir, mais il ne l’informe plus de rien. Pépin revint de Rome, et il doit se soumettre à l’interdiction du pape de répudier son épouse. Miracle, ou philtre d’amour, mais juste avant la dernière campagne contre les Saxons, Pépin se rapproche de son épouse, et semble plus attaché à elle que jamais. Souvent homme varie bien folle qui s’y fie ! Après des mois de profond éloignement, le couple royal semble plus uni que jamais, et Berthe peut à nouveau être au fait des affaires de l’État. 

Pépin tombe malade, et malgré les soins de Berthe, il décède le 24 septembre 768, après avoir demandé et obtenu le pardon de Berthe pour sa folie amoureuse.  

Comme toujours, Berthe joue les médiatrices entre ses deux fils, Charles et Carloman, qui sont de nature très différente. Charles est guerrier de naissance, alors que Carloman est fin stratège. Pour Berthe, ses deux fils peuvent mener à l’épanouissement du pays. Pourtant, quelque temps plus tard, les personnalités opposées des deux frères enflamment l’Aquitaine, conduisant le royaume des Francs entre les mains de Berthe. Alors que Charles veut la guerre, Berthe invite ses fils à négocier, quitte à céder quelques droits pour calmer les nobles aquitains. 

Après l’échec des négociations, Charles décide de partir seul guerroyer. Suite à plusieurs victoires, toute l’Aquitaine est aux mains de Charles, refusant de remettre à Carloman les territoires hérités de son père. Malgré les tentatives de Berthe, Charles n’est prêt à aucune concession, et prépare déjà une campagne contre la Bavière, alors que Carloman veut l’incorporer dans son propre royaume. Elle, qui s’était enthousiasmée à l’idée d’une paix et d’une prospérité éternelle, assiste à une guerre fratricide entre ses deux fils. 

Dame Berthe use alors les roues de ses chariots pour aller d’un frère à l’autre, espérant obtenir un répit, et mener les négociations pour le mariage de son fils Charles, ainsi que pour sa fille Gisèle avec les Lombards, ce qui déplait fortement au pape Étienne III qui craint d’être dépossédé. Berthe continue sa mission diplomatique et dissuade le roi des Lombards, Desiderius, de se présenter à Rome avec une armée, mais en simple pèlerin. Elle a un plan. Il doit éliminer les principaux conseillers du pape, alors que de son côté, elle fera courir le bruit que les conseillers menaçaient sa vie. Desiderius passerait pour le sauveur du pape qui, impressionné, lui serait reconnaissant. 

Tout se déroule comme prévu, et Étienne III se plaça sous la protection du roi des Lombards en 770. Rusée et pas si tendre dame Berthe ! Mais ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est le fait que Charles veuille répudier sa femme, remettant en question tous ses efforts de paix depuis des années. Malgré l’interdiction de sa mère, Charles s’emporte depuis la mort douloureuse et mystérieuse de Carloman, et devient le seul roi de tous les Francs. Fini pour elle les négociations et les intrigues, Charles devint le maitre. 

En 771, Berthe se retire alors à l’abbaye de Prum, située à une vingtaine de kilomètres du château de Mürlenbach. Abbaye fondée par des moines d’Echternach sur des terres offertes en 721 par Bertrade l’Ancienne. Elle est fatiguée de sa vie de nomade, des voyages d’un palais à l’autre, d’un fils à l’autre. À l’Abbaye, elle reprend goût à la vie et s’intéresse aux métiers à tisser. Toujours aussi ingénieuse, elle entreprend de les remettre sur pied. Berthe se retire ensuite à Choisy au Bac, où elle y meurt en 783, pour être inhumée à l’Abbaye de Saint-Denis auprès de Pépin le Bref. 

Au VIIIe siècle, Berthe de Laon accomplit une grande destinée. Elle apaise les tensions entre les deux fils de Charles Martel, Carloman et Pépin le Bref, puis épouse ce dernier. Elle défend les femmes sur ses terres lors des procès, conseille le roi, le pape, et négocie avec le roi des Lombards. Elle participe à instaurer et tente d’empêcher une guerre fratricide entre ses deux fils. Berthe de Laon est une femme. Berthe de Laon est une épouse, et la reine des Francs. Berthe de Laon est une mère de huit enfants. Berthe de Laon est une gestionnaire et tacticienne. Berthe de Laon n’est-elle pas une femme moderne ? 

Thomas Escobar

[1] Martina Kempff, Berthe au grand pied.

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