Résumé : Antonia Minor, princesse impériale de la dynastie julio-claudienne  (27 av. J.-C.-68 ap. J.-C.) a été représentée sur de nombreuses statues retrouvées dans les quatre coins de l’Empire romain. Ces statues érigées pour la plupart durant les principats de son petit-fils Caligula puis celui de son fils Claude sont le témoin de l’importance dynastique et politique d’Antonia durant la première moitié du Ier siècle de notre ère.

Fille du triumvir Marc Antoine et d’Octavie, mère de l’empereur Claude et grand-mère de Caligula, Antonia Minor est une des figures féminines les plus importantes  de la dynastie julio-claudienne. Réputée vertueuse par de nombreux auteurs anciens[i], Antonia Minor,  qui a vécu de 36 av. J.-C. à 37 de notre ère, a été selon Flavius Josèphe à l’origine de la découverte de la conspiration de Séjan en 31. Elle a été l’objet de nombreuses représentations iconographiques que les spécialistes ont pu découvrir dans plusieurs villes appartenant alors à l’Empire romain. Ces sources iconographiques sont essentielles à l’étude du rôle dynastique de cette princesse julio-claudienne. À travers cet article,  nous allons nous demander comment l’étude des statues représentant Antonia Minor démontre  l’importance du rôle dynastique qu’a joué cette dernière au sein de la première dynastie impériale romaine.

Antonia Minor a été identifiée  dans plus d’une vingtaine de statues datant pour la grande majorité de la première partie du Ier siècle de notre ère. Pour identifier les statues représentant Antonia Minor, les spécialistes ont comparé la physionomie des statues à celle des profils monétaires consacrés à Antonia Minor. Les principales caractéristiques physionomiques d’Antonia sont sa petite bouche pincée, son menton fin et avancé et son front rond. Outre son visage, ce qui caractérise particulièrement Antonia est sa coiffure. La coiffure typique d’Antonia Minor se compose d’une raie médiane, assortie d’un ruban frontal, avec des ondulations descendantes de part et d’autre de celle-ci. Les cheveux sont rassemblés et attachés par une natte enroulée en chignon (figures 1-2) ou plus simplement par une queue basse (figures 3-4).

En analysant les différents portraits d’Antonia, les spécialistes ont remarqué la présence de plusieurs portraits types associés à Antonia Minor. Un portrait type est un portrait officiel ayant servi de modèle aux différents sculpteurs du monde romain qui le recopiaient. Les portraits types présentent de grandes similitudes entre eux notamment dans la coiffure. En effet, selon D. Boschung[ii],  la coiffure est ce qu’il y a de plus intéressant à étudier car elle était souvent reproduite le plus précisément possible par les sculpteurs. Dans l’une des premières études consacrées à l’iconographie d’Antonia Minor, J. Bernoulli[iii] note l’existence de deux types de statue : « Jugendlichen typus », portrait juvénile correspondant aux portraits des pièces de monnaies représentant Antonia,  et un second type avec des statues aux traits plus matures. Puis, grâce à une étude plus approfondie, V. H. Poulsen[iv] démontre l’existence de portraits distincts aux fonctions différentes. La distinction des deux portraits type se fait grâce à la coiffure et plus spécifiquement à la présence, ou non, de boucles sur les tempes. À la suite des travaux de V. H. Poulsen, K. Goethert[v] fournit une définition plus poussée des deux portraits types d’Antonia. Le premier est le « Schlichte typus » (figures 5-6), c’est-à-dire le type simple sans boucle sur les tempes.

 

Le second est le « Sclafenlockchentypus » (figures 7-8), le type enrichi comprenant deux ou trois petites boucles sur les tempes. Pour J.- Ch. Balty, cet ouvrage de K. Goethert contribue à « relancer  l’iconographie des impératrices et princesses julio-claudiennes, souvent délaissées au profit des princes, souvent plus abondamment représentés »^[vi]. Cette définition des deux types par K. Goerthert est acceptée par la plupart des spécialistes à l’exception de P. Erhart[vii], qui voit dans l’iconographie d’Antonia trois différents types distincts aux fonctions séparées qui sont le type « Youthful and idealized », « Youthful and individualized » et « Mature and individualized ». À travers cette étude consacrée à la typologie d’Antonia Minor, P. Ehart a pour volonté de comprendre la fonction de l’iconographie d’Antonia par une étude moins rigide des portraits de cette princesse impériale. L’originalité de cet article est la création par l’auteur de trois catégories de portraits d’Antonia aux fonctions séparées. Le premier type « youthful and idealized ». Le deuxième type « youthful and individualized » et repris sous les principats de Tibère (14-37), Caligula (37-41) et Claude (41-54) afin que les habitants de l’Empire puissent la reconnaitre. Enfin, le troisième type, « mature and individualized » dont le modèle aurait été créé au milieu du principat de Tibère regroupant les portraits représentant Antonia avec des traits plus matures. Pour P. Erhart, la diffusion à travers tout l’Empire des replica series d’Antonia Minor reflète une organisation de la propagande politique julio-claudienne qui avait pour but d’honorer Antonia, et, de servir à la politique de ses descendants. Bien que reprise par N. Kikkonos[viii] dans sa monographie sur Antonia Minor, cette typologie de P. Erhart[ix], qui lui reprochent le manque de fondement méthodologique. Enfin, pour l’historien de l’art D. Boshung, il n’existe qu’un seul type de portrait d’Antonia créé durant le principat d’Auguste qui aurait été complété au fur et à mesure des années[x].

Grâce à l’établissement d’une typologie propre à Antonia Minor nous avons pu l’identifier sur de nombreuses statues présentes dans l’ensemble de l’Empire romain. Antonia Minor est présente dans plusieurs groupes statuaires datant du principat d’Auguste à celui de Claude. Un groupe statuaire est un ensemble associant au moins deux statues. Il existe deux types de groupes statuaires, mais celui qui nous intéresse plus particulièrement est le groupe dynastique, qui est un groupe de statues regroupant un ensemble cohérent de personnes liées au souverain en place par un quelconque lien de parenté[xi]. Ces groupes avaient pour principal but de légitimer la dynastie[xii].  Il a été démontré que l’époque julio-claudienne correspond à une multiplication de ces ensembles statuaires au sein de l’Empire[xiii].

Arbre généalogique d’Antonia Minor

 

L’Ara Pacis est un autel consacré à la Pax Augusta  construit entre 13 et 9 av. J.-C. comprenant sur les façades extérieures deux frises représentant une procession dans laquelle les membres de la famille impériale sont présents. Antonia Minor est représentée, sur la paroi méridionale avec son mari Drusus l’Ancien et leur fils Germanicus, aux côtés de nombreux membres de la famille impériale. L’Ara Pacis, qui est le premier monument de Rome représentant la famille impériale[xiv], est un support de l’idéologie dynastique[xv] promu par Auguste. S. Wood interprète  la présence d’Antonia Minor sur l’Ara Pacis  comme le témoignage de son importance dans la politique dynastique d’Auguste[xvi].

En avril 1844, dix têtes aux effigies des membres de la dynastie julio-claudienne ont été découvertes à Béziers. Le groupe statuaire de Béziers s’est développé en plusieurs étapes[xvii], commençant sous le règne d’Auguste avant d’être complété sous les règnes de Tibère et de Caligula. Le buste d’Antonia, qui est représentée en tant que prêtresse du culte impérial , a selon J.-Ch. Balty été ajouté durant le règne de Caligula afin de célébrer la grand-mère du nouveau princeps[xviii].

La cité de Lepcis Magna, située dans l’actuelle Libye, a érigé dans le temple du « Foro Vecchio »  durant le principat de Tibère, un groupe statuaire dont Antonia Minor fait partie. Ce groupe statuaire impérial a été découvert dans les années 1932-1933[xix].

Des recherches archéologiques à Narona  dans l’actuelle Croatie ont permis de découvrir, en 1995, un Augusteum[xx], au sein duquel se trouve un ensemble statuaire de quinze statues, ce qui fait de cet ensemble l’un des plus importants. Les statues correspondent à des membres de la dynastie julio-claudienne[xxi], à l’exception de celle de Vespasien. Un buste d’Antonia Minor a entre autres été retrouvé[xxii].

Une partie de l’ensemble statuaire de Narona composé de droite à gauche de Lucius Caesar, Caius Caesar, Julia, Agrippine l’ainée et Antonia Minor.

Outre les groupes statuaires retrouvés, nous connaissons la composition d’un groupe, dont Antonia Minor fait partie, qui ne nous est pas parvenu. En effet, la Tabula  Siarensis[xxiii] découverte dans l’ancienne province Bétique  au sud de l’Espagne en 1981, révèle l’édification, à la demande du Sénat, d’un arc situé à l’entrée du Circus Flaminius. Cet arc honorifique, dédié, à titre posthume à Germanicus, comprend au-dessus un groupe statuaire[xxiv]. Germanicus est accompagné des membres de sa famille. Une statue d’Antonia Minor est présente aux côtés de son mari Drusus l’Ancien mais aussi de Livilla, Claude, Agrippine et des six enfants que cette dernière a eus avec Germanicus.

La grande majorité des statues représentant Antonia daterait des règnes de Caligula (37-41) et de celui de Claude (41-54). L’ensemble de ces statues d’Antonia Minor montre qu’elle a été le sujet de la propagande impériale de son petit-fils Caligula puis de son fils Claude. W. Trillmich[xxv] et S. Wood[xxvi] interprètent l’utilisation de l’image d’Antonia par son fils comme la volonté de légitimation dynastique de Claude en faisant la promotion de sa descendance, par sa mère, avec Auguste.  Antonia Minor, réputée très vertueuse par les auteurs anciens, a donc été la source de prestige pour ses descendants qui ont utilisé  son image pour démontrer leur légitimité. Nous avons également retrouvé de nombreux bustes et statues individuels représentant Antonia Minor provenant de tout l’Empire. L’Italie est, néanmoins, la région de l’Empire où les découvertes de statues d’Antonia Minor sont les plus nombreuses.

Sites où ont été retrouvées  des statues à l’effigie d’Antonia Minor

 

Ludivine Louet
Master 2 EAD Histoire des civilisations anciennes et médiévales.
Mémoire d’histoire romaine sous la direction de Frédéric Hurlet

 

[i] Plutarque, Vie d’Antoine, 87,6. Valère Maxime, Faits et dits mémorables, IV, 3, 3.

[ii] Boschung 1993, p. 39-40.

[iii] Bernoulli 1886.

[iv] Poulsen 1946.

[v] Goethert 1973.

[vi] Balty 1975, p. 392.

[vii] Erhart 1978.

[viii] Kokkinos 2002.

[ix] Boschung 1993 ; Wood 1999 ; Taiuti 2017.

[x] Boschung 1993, p. 39‑40.

[xi] Hurlet 1997, p. 436.

[xii] Hurlet 1997, p. 436.

[xiii] Balty 1988.

[xiv] Rose 1997, p. 454.

[xv] Hurlet 1997, p. 442‑444.

[xvi] Wood 1999, p. 151.

[xvii] Balty 1995.

[xviii] Balty 1995, p. 16‑18.

[xix] Pour l’étude de ce groupe statuaire voir : Aurigemma 1940.

[xx] Un Augusteum est site dédié au culte impérial romain.

[xxi] Ce groupe statuaire comporta les statues d’Auguste, Agrippa, Julia, Livie, Antonia Minor, les deux Agrippine, Germanicus, Lucius César, Caius César, Livia Drusilla, Tibère, Claude et Vespasien.

[xxii] Voir Zecchini éd. 2015.

[xxiii] González Fernández 1988.

[xxiv] Fragment I, lignes 18-21 : « supraque eum ianum statue Ger[manici Caesaris po-]/ neretur in curru triumphali et circa latera eius statuee D[rusi Germanici patris ei-]/ us naturalis, fratis Ti(beri) Caesaris Aug(usti) et Antonia matris ei [us et Agrippinae uxoris et Li-]/uiae sorosis et Ti(beri) Germanici fratris eius et filiorum et f[iliarum eius.] ».

[xxv] Trillmich, 1978.

[xxvi] Wood, 1999, p. 156.

 

Bibliographie

Aurigemma, S. (1940) : “Sculture del Foro Vecchio di Leptis Magna raffiguranti la Dea Roma e principi della casa dei Giulio-Claudi”, Acta Iran., VIII, 1‑94.

Balty, J.-C. (1995) : “Le groupe statuaire julio-claudien de Béziers”, in : Clavel-Lévêque & Plana-Mallart, éd. 1995, 13‑25.

Balty, J.Ch. (1975) : “Review of Studien zur Ikonographie der Antonia Minor. (Studia archaeologica, 15); Porträttypen einer claudischen Kaiserin. (Studia archaeologica, 17), Karin Polaschek”, Antiq. Class., 44, 1, 388‑393.

Bernoulli, J. J. (1886) : Das julisch-claudische Kaiserhaus, Berlin [u.a.].

Boschung, D. (1993) : “Die Bildnistypen der iulisch-claudischen Kaiser familie: ein kritischer Forschungsbericht”, J. Roman Archaeol. Int. J., 6, 39‑79.

Erhart, K.P. (1978) : “A portrait of Antonia Minor in the Fogg Art Museum and its iconographical tradition”, Am. J. Archaeol. J. Archaeol. Inst. Am., LXXXII, 193‑212.

Goethert, K. (1973) : Studien zur Ikonographie der Antonia Minor, Studia Archaeologica, Roma.

González Fernández, J. (1988) : “Texto y traducción de la tabula Siarensis (nueva edición)”, in : González Fernández & Arce Martínez, éd. 1988, 307‑315.

Hurlet, F. (1997) : Les collègues du Prince sous Auguste et Tibère: de la légalité républicaine à la légitimité dynastique, Collection de l’École Française de Rome, Rome.

Kokkinos, N. (2002) : Antonia Augusta: portrait of a great Roman lady (New ed.), London.

Poulsen, V.H. (1946) : “Studies in Julio-Claudian iconography”, Acta Archaeol., XVII, 1‑48.

Rose, C.B. (1997) : Dynastic commemoration and imperial portraiture in the Julio-Claudian period, Cambridge studies in classical art and iconography, Cambridge ; New York.

Taiuti, A. (2017) : “Un ritratto inedito di Antonia Minore”, Archeol. Class., N. S. 7, 551‑568.

Trillmich, W. (1978) : Familienpropaganda der Kaiser Caligula und Claudius. Agrippina Maior und Antonia Augusta auf Münzen, Ant. Münzen & Geschn. Steine, Berlin.

Wood, S. (1999) : Imperial women: a study in public images : 40 B.C.-A.D. 68, Mnemosyne. Supplements, Leiden ; Boston (Mass.).

Zecchini, G., éd. (2015) : L’« Augusteum » di Narona: atti della giornata di studi, Roma 31 maggio 2013 / a cura di  Giuseppe Zecchini, Monografie / Centro Ricerche e Documentazione sull’Antichità Classica, Roma.

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