Résumé :

La période du siège de Paris en 1870-1871 a donné lieu à la publication de nombreux documents de propagande pour dénoncer les méfaits, voire l’attitude criminelle des différents protagonistes, qu’ils se situent du côté de Versailles ou de la Butte Montmartre. L’affiche que nous nous proposons ici de présenter est un document édité par les Communards pour dénoncer, preuves accablantes (tout autant qu’étonnantes) à l’appui, de l’incurie du pouvoir qui a conduit aux pires spéculations et à affamer le peuple parisien. Même si sa dimension partisane ne peut être écartée dans l’orientation qu’elle donne aux informations délivrées, elle permet malgré tout de mieux nous rendre compte du coût exorbitant de certains produits lors du Siège de Paris.

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Retrouvée dans mes collections personnelles, cette affiche fait directement écho au séminaire “Histoire du politique : violences, conflits, mobilisations”, dispensé par Sylvie Aprile et Simon Sarlin dans le cadre du Master d’Histoire de l’université de Paris Nanterre, et résonne encore un peu de l’écho des 150 ans de la Commune célébrée en 2021. Il s’agit d’un des nombreux documents de propagande qui ont émaillé la période, stigmatisant les uns ou les autres, et dont l’étude des discours partisans est en soit une recherche passionnante, au travers de la confrontation de documents de ce type provenant de tout bord.

Toutefois, nous resterons ici plus modestes et nous nous contenterons d’un travail qui nous a semblé, malgré tout, intéressant de mener au travers de l’étude de ce document en tant que tel, hors du champ de la propagande. Ce regard ne porte donc pas tant sur son caractère partisan mais bien sur les détails de son « argumentaire iconographique » afin de voir ce qu’il peut nous apprendre sur la période au regard de son objet : les denrées alimentaires, leur nature et leur prix.

L’objet d’un cordon bleu anonyme

Il s’agit d’une affiche retrouvée dans son cadre de bois, sous verre, d’une dimension approximative de 46 cm de haut sur 33 de large. Le cadre ne porte aucune inscription au dos et nous avons fait le choix de ne pas enlever l’affiche de celui-ci dans la mesure où l’état du document ne nous semble pas compatible avec une manipulation directe. En effet, cette affiche présente plusieurs pliures et une déchirure en son milieu dans le sens vertical, signes qu’elle a probablement été pliée et dépliée et éventuellement glissée dans une poche ou dans un livre de plus petit format.

Concernant ses modalités de diffusion, nous n’avons pas d’autre information que la mention infrapaginale : « En vente chez M. PIGEOL, m^d [marchand] de vin au coin de la rue Montmartre et de la rue du Croissant »[1]. Au-delà de cette mention, nous n’avons pas plus d’informations quant à ses modalités exactes de diffusion, notamment son coût de vente. Nous ne savons pas non plus si ce Monsieur PIGEOL était une sorte de « grossiste » pour ce type de document en vue d’une diffusion via d’autres intermédiaires, ni même si cette affiche était réalisée à son initiative personnelle ou dans le cadre d’un groupe constitué. Une seconde mention infrapaginale nous indique les références de l’imprimeur : « 1740 – Paris. – Édouard BLOT. Imprimeur, rue bleue 7 »[2]

Enfin, au bas de l’affiche, est indiquée la mention « Propriété de l’Auteur ». Cela laisse entendre un droit de reproduction limitée, ainsi que la signature anonyme « L.G. », ce qui permet de penser que le contenu n’est pas de la main de notre marchand de vin PIGEOL, dont il fait mention en dessous. À noter également que, comme un clin d’œil avec l’objet de l’affiche (les coûts des denrées alimentaires), ces initiales sont précédées de la mention « Un cordon bleu ».

Image de Vincent Leglaive
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La séquence du spéculateur

L’objet de cette affiche est clairement de dénoncer « les Infâmes spéculations auxquelles a donné lieu le siège de Paris » comme cela est indiqué en tête du document. Il est à souligner au passage que les mentions en en tête « République française » et « Liberté, Egalité, Fraternité » placent ce document dans une sorte de légitimité ou de légalité, sujet à caution dans le contexte de parti pris et de crise de ces années d’affrontement mais renforçant le caractère fondé des faits qu’il tend à démontrer. Enfin, dans ce même titre, la mention « spécimen authentique » renforce sa dimension à caractère de preuve. Enfin, les dates de 1870-1871 permettent de situer ce document dans son époque qui, mis en relation avec la mention du « siège de Paris », cadre bien avec la période de présence prussienne aux portes de la capitale, à partir du 18 septembre 1870. Dans le texte en bas de l’affiche, il est question « de la misère dont a dû être affligée la ville de Paris pendant les cinq mois du siège ». Il s’agit donc bien de la période d’occupation prussienne de la guerre de 1870, à l’exclusion de l’épisode la Commune qui l’a directement suivie[3]. Toutefois, la question de la date exacte de parution de ce document reste entière, qui pourrait nous aider à mieux cerner l’effet recherché et les cibles à atteindre. En effet, cette information aurait apporté un éclairage intéressant sur sa finalité exacte et sa portée en termes de propagande. Quoiqu’il en soit, on peut estimer qu’il a été diffusé au-delà de la période du conflit proprement dit.

Le texte d’introduction fait la synthèse des griefs requis contre le Gouvernement de la Défense Nationale qui a encouragé la spéculation, à la fois dans une volonté anti-républicaine délibérée mais également en raison d’une négligence et d’une incompétence dans la gestion des denrées. Cela a conduit à des pratiques marchandes coupables comme décrit dans le second paragraphe qui introduit donc – en estimant faire ainsi la preuve de ce qu’il avance – le « tarif véridique des denrées ». Le terme « véridique » souligne bien le caractère de dissimulation, de complot ourdi contre le peuple de Paris puisqu’à l’inverse du véridique, c’est le mensonge qui, hors de cette affiche, a pu circuler parmi la population. C’est bien cela qu’il s’agit de dénoncer.

L’ensemble de ces éléments, comme les adresses du marchand de vin et de l’imprimeur, sises au centre même du cœur du soulèvement communard, plaident donc pour un document produit par des sympathisants de la Commune de paris ou des ex-communards, fustigeant ainsi le gouvernement et sa gestion du siège de Paris par l’armée prussienne.

A la carte ou au menu : éléphant, ours, corbeaux, rat… et dinde truffée !

Ce qui ne laisse pas d’impressionner à la lecture de la longue liste des marchandises présentées (dont quelques exceptions ne sont pas d’ordre alimentaire : bois, bougie, coke, charbon), c’est l’impressionnante diversité de produits évoqués[4], des plus exotiques au plus… repoussants, au regard de nos goûts d’aujourd’hui. Ainsi, on trouve de la viande d’éléphant (à la suite probable de l’abattage des pachydermes des parcs zoologiques de la capitale), d’ours (des mêmes parcs zoologiques et à offrir « comme étrennes » [sic !]), de la tête de cheval, du corbeau, de la viande de chien, de chat ou d’âne, des passereaux et même… du rat ! Ces mets pour le moins inhabituels cohabitent avec des denrées plus basiques (lapins, poulets, légumes divers, sucre, etc.) mais aussi quelques douceurs comme de la dinde truffée (disponible également sans truffe pour les moins gourmands) ou du chocolat.

Outre le caractère pour le moins éclectique de ce « menu », et dans la mesure où ce document se propose de dénoncer la spéculation, il convient de se pencher sur les tarifs affichés pour mieux en apprécier la valeur et ce, en les comparant avec notre époque. Une première information significative nous est donnée par le nota bene en gras, sous la liste des produits : « Les gardes nationaux touchaient, par jour, 1 fr. 50 de solde ». Au vu des tarifs affichés, cela permettait au garde en question d’acheter par jour, au choix … un navet, un passereau, trois pieds d’échalote, trois têtes d’ail, etc. (mais pas de raton laveur aurait dit Jacques Prévert…). La spéculation coupable paraît flagrante.

Concernant les prix des articles, les informations de conversion entre un francs de 1870 et un euro actuel[5] nous permettent d’établir que les 1 fr. 50 perçu par jour par les gardes nationaux correspond à 3,55 de nos euros actuels, ce qui revient à un salaire mensuel (calculé sur trente jours) de 106,5 euros. Ce même exercice de conversion porte à 47,4 euros la livre de viande d’éléphant, 35,55 euros la livre de viande d’ours (jolies étrennes…), 29,62 euros la boite de sardines (sic !), 14,22 euros le corbeau, 35,55 euros le chat, 16,6 euros le kilo de viande de chien mais seulement 5,33 euros le rat. Quant à la dinde truffée, elle s’affiche au tarif prohibitif de 474 euros ! Pour le prix des légumes, il en va de même : 16,59 euros la livre d’haricots secs, 3,55 euros le navet, 28,44 le chou-fleur et… 5,35 euros la carotte (re sic !). En revanche, au titre des douceurs, le chocolat se négocie seulement à 9,48 euros les 500 grammes…

Moralité : du rat au chocolat à déguster sans modération !

Vincent Leglaive
Master 1 EAD Les sociétés modernes et contemporaines dans la mondialisation.
Mémoire d’histoire contemporaine sous la direction de Xavier Vigna.

[1] Nous avons mis en illustration la vue Google Earth actuelle des deux adresses mentionnées sur cette affiche

[2] Nous n’avons trouvé aucune mention de cet imprimeur dans le Dictionnaire des imprimeurs-lithographes du XIXe siècle de l’Ecole de Nationale des Chartes [http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/]

[3] Que l’on nous pardonne donc le léger anachronisme de notre titre

[4] On dénombre 62 produits à la vente sur l’affiche

[5] De la valeur des choses dans le temps – www.histoire-genealogie.com, [https://www.histoire-genealogie.com/De-la-valeur-des-choses-dans-le-temps], consulté le 15 avril 2022.

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