Résumé : Fondée le 24 octobre 1945 lors de la signature de la Charte des Nations Unies, l’Organisation des Nations Unies a été ratifiée par 51 Etats. Son objectif principal est la coopération internationale entre toutes les nations pour sécuriser et mettre en œuvre l’ensemble des processus de paix. Accusée d’inertie par de nombreux représentants politiques, et à l’occasion de nombreux évènements historiques, les missions et rôles de cette organisation ont été souvent vivement critiqués. Le processus de l’invasion de l’Ukraine bouleverse le monde. Depuis le début de cette guerre, tous les regards se tournent vers l’ONU ou vers l’OTAN pour observer leurs leviers d’action sur Vladimir Poutine. A ce jour, bien que des résolutions furent votées, aucune décision n’a permis, pour le moment, un cessez le feu ou l’arrêt des combats. Le droit d’ingérence, stipulé dans la Charte et qui pourrait permettre une intrusion dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, serait-elle une des solutions ?

 

“Les membres de cette conférence sont appelés à être les architectes d’un monde meilleur… Si nous ne voulons pas mourir ensemble par la guerre, nous devons apprendre à vivre ensemble dans la paix”. Président Harry Truman devant la conférence de l’Assemblée générale de l’ONU réunie à San Francisco en 1945.

 

24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine

Dans la nuit du 23 au 24 février 2022, Vladimir Poutine a lancé une offensive militaire sur le territoire ukrainien. La plupart des pays ainsi que l’ONU ont considéré que cette attaque est une violation de la souveraineté de l’Ukraine.

Après deux jours d’échanges et de débats, le mercredi 2 mars 2021, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine » et a demandé que la Russie « retire immédiatement, complètement et sans conditions toutes ses forces militaires » d’Ukraine et « condamne la décision de la Russie d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires[1] ».

L’invasion décidée par le président russe, Vladimir Poutine, est contraire aux principes de la Charte des Nations Unies : « Elle déplore dans les termes les plus énergiques l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du « Chapitre VII, article 39 de la Charte des Nations Unies » et exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine et s’abstienne de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État membre ». Vote exceptionnel puisqu’il fut approuvé par 141 pays avec une opposition de 5 pays (Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Erythrée et la Syrie) et 35 abstentions (dont la Chine, l’Inde et le Pakistan). Bien que ce vote n’ait aucune contrainte juridique, il a une valeur symbolique et un impact politique majeur.

Quelques jours plus tôt, le 25 février 2022, à l’initiative des représentants des Etats-Unis et de l’Albanie, un projet de résolution avait été présenté en Conseil de sécurité. Lors du vote, il avait reçu 11 voix pour. En qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie avait imposé son droit de veto en votant contre ce projet, la Chine, l’Inde et les Emirats arabes unis s’étaient abstenus.

Le projet de résolution réaffirmait l’attachement à la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, et déplorait avec la plus grande fermeté « l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies ». Par ailleurs, le texte rejeté demandait que « la Fédération de Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », puis que ce pays « se retire immédiatement, complètement et sans condition ses forces militaires du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ».

Depuis quelques années, après les conflits armés du Rwanda, la Yougoslavie, l’Afghanistan, la crise du Darfour au Soudan, la Syrie et à ce jour, l’Ukraine, on mesure à quel point les objections de l’ONU n’ont pas été atteints. Quelles sont les origines de ces défaillances ?

 

“L’ONU n’a pas été inventée pour promettre au monde le paradis, mais pour éviter à l’humanité de vivre en enfer”. Henry Cabot-Lodge, ambassadeur américain à l’ONU.

 

Histoire de l’Organisation des Nations Unies

L’Organisation des Nations Unies a été fondée le 24 octobre 1945 lors de la signature de la Charte des Nations Unies. Elle a été ratifiée par 51 Etats désignés comme membres fondateurs avec 5 membres permanents (France, Royaume Uni, Etats-Unis, Chine et Russie).

La Charte définit les objectifs généraux de l’ONU et inscrit dans son préambule « NOUS, PEUPLES DES NATIONS UNIES, RÉSOLUS :

• à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ;
• à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites »

La Charte de l’ONU contient un préambule, 19 chapitres, un amendement pour 4 articles distincts. Dans l’article 1, du chapitre 1, la Charte définit quatre objectifs et piliers principaux :

1. Maintenir la paix et la sécurité dans le monde ;
2. Développer les relations amicales entre les nations ;
3. Réaliser la coopération internationale sur tous les sujets où elle peut être utile et en encourageant le respect des droits de l’homme ;
4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations dans des objectifs communs de paix.

Par ailleurs, le rôle de l’ONU indique la non-utilisation de la menace ou de l’emploi de la force dans les relations internationales. Le règlement des conflits ne doit être effectué que dans le cadre du consentement universel et de la reconnaissance de la souveraineté nationale.

La Charte prohibe le principe du recours à la force avec deux exceptions :

• La légitime défense ;
• L’action décidée par le Conseil de sécurité.

Pour cela, la Charte interdit l’ingérence dans les affaires intérieures d’un état souverain.

Pour remplir sa mission, l’article 7.1 de la Charte prévoit six organes principaux :

• Par le chapitre IV, l’Assemblée générale,
• Par le chapitre V, le Conseil de sécurité,
• Par le chapitre X, le Conseil économique et social,
• Par le chapitre XIV, le Cour internationale de justice,
• Par le chapitre XV, le secrétariat général.

Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), le Fond des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), les opérations de maintien de la paix, le programme alimentaire mondial (PAM), les tribunaux pénaux internationaux pour juger les crimes de guerre sont des organes subsidiaires sans avoir le statut de personnalité juridique internationale puisqu’ils sont sous la tutelle de l’organe principal qui les a créés.

 

Différenciation entre l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité 

Le point commun de ces deux instances est que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité adressent des recommandations aux gouvernements et font appliquer des résolutions pour assurer la paix et la sécurité internationales.

Les résolutions votées au sein de l’Assemblée générale à la majorité simple des États ne sont que des recommandations. Elles ne sont donc pas juridiquement contraignantes (cf l’exemple du vote du mercredi 2 mars). Il n’y a pas de droit de veto à l’Assemblée générale des Nations Unies, qui réunit 193 Etats membres.

Quant au Conseil de sécurité, les membres examinent les menaces pour la paix ou les conflits entre nations. Il peut être convoqué à tout moment uniquement lorsqu’une situation particulière l’exige et ceci à la demande d’un Etat membre. Le Conseil de sécurité a le pouvoir d’envoyer des casques bleus dans certaines zones d’un pays occupé et également d’imposer des sanctions économiques.

Contrairement à l’Assemblée générale, les résolutions votées par le Conseil de sécurité sont obligatoirement appliquées par l’Etat membre concerné. Ces résolutions doivent être prises et votées par un minimum de neuf voix sur les quinze membres du Conseil.

Les cinq membres permanents du Conseil (la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis) possèdent un droit de veto. Il ne peut s’appliquer que lors des conseils de sécurité et pas lors des sessions à l’Assemblée générale. Régulièrement exercé pour empêcher l’adoption d’une décision, ce droit est très souvent remis en question par la majorité des Etats membres.

 

Les limites de l’ONU depuis 1979

A la suite de l’impuissance de l’ONU de régler certains conflits armés (explosion des Balkans, Rwanda, Afghanistan, Soudan, Syrie), il y eu de nombreuses réflexions sur les possibilités de recourir à la force.

On pourra retenir l’intervention de l’OTAN au Kosovo. Après le vote et l’adoption de la résolution 1244 du 10 juin 1999 par le Conseil de sécurité, il est notifié : « Décide du déploiement au Kosovo, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, de présences internationales civile et de sécurité dotée du matériel et du personnel appropriés, en tant que de besoin, et accueille avec satisfaction l’accord de la République fédérale de Yougoslavie relatif à ces présences ».

L’OTAN a donc dirigé une opération de soutien de la paix au Kosovo visant à consolider la paix et la stabilité dans la région. Cette intervention militaire a été vivement critiquée au motif de violation de l’interdiction de la force, ceci malgré les violations importantes et évidentes au regard des droits de l’homme.

Conscient des limites de la Charte de l’Organisation des Nations Unies, le secrétaire général, Koffi Hannan[2], réfléchit à la manière de réformer l’Organisation tout en restant dans l’esprit de démocratie, de neutralité et de paix internationale. Lors de son allocution, du 21 octobre 1999, présentant son rapport annuel à l’Assemblée générale des Nations Unies (SG/SM/7136GA/9596), il indiqua alors pour les objectifs à venir :

« Nous jetions un regard neuf sur la façon dont l’Organisation répond aux crises politiques et humanitaires et aux violations des droits de l’homme qui sont le lot d’une grande partie de l’humanité, sur les moyens mis en œuvre par la communauté internationale dans les situations de crise, et sur le fait que nous sommes prêts à agir dans certaines zones de conflit, alors que nous nous contentons de palliatifs humanitaires dans de nombreuses autres crises qui endeuillent le monde et face auxquelles nous ne pouvons rester passifs sans nous déshonorer ».

Ce discours raisonne fortement actuellement, lorsque le secrétaire général, Koffi Annan, indiquait que :

« Le pouvoir de dissuasion du Conseil n’est pas moins important que son pouvoir de coercition. Le Conseil doit être capable de s’affirmer collectivement au service d’une juste cause et avec les moyens nécessaires, sous peine de voir sa crédibilité compromise aux yeux du monde. Dès lors que des États qui seraient enclins à adopter un comportement criminel savent qu’ils ne sont pas absolument à l’abri derrière leurs frontières et que le Conseil de sécurité interviendra pour empêcher que soient commis d’autres crimes contre l’humanité, ils renonceront à adopter un tel comportement, sachant qu’ils ne peuvent compter sur une impunité souveraine ».

 

Droit d’ingérence, respect des droits de l’homme et du droit de la guerre

La non-ingérence par un état ou par les Nations Unies est argumentée par les éléments factuels que l’État est le seul sujet du droit international public possédant une souveraineté. Cette souveraineté est une qualité propre à l’État qui, pour lui-même et sans être soumis à un pouvoir extérieur, a pour mission principale de protéger et de secourir sa population. Ce principe est indiqué dans l’article 2 et le paragraphe 1 de la Charte de l’ONU qui stipule : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres ».

L’article 2 du paragraphe 4 de la Charte de l’ONU fonde les principes de l’inviolabilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale des États et de l’interdiction du recours à la force.

Par ailleurs, ce principe de la non-ingérence est formulé au paragraphe 7, de l’article 2, de la Charte des Nations Unies qui stipule qu’« aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État […] ».

Ce même fondement est inscrit dans la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies lors de la séance 24 octobre 1970. Cette résolution approuve la Déclaration relative aux principes du droit international amical et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies. Il est indiqué :

« […] Tout État a le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État. […] [Également], aucun État ni groupe d’États n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État. En conséquence, non seulement l’intervention armée, mais aussi toute forme d’ingérence ou toute menace dirigée contre la personnalité de l’État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit international. [Toutefois] […] rien [des dispositions qui] précèdent ne devra être interprété comme affectant les dispositions de la Charte relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales ^».

L’esprit de la Charte était donc l’absence d’ingérence dans les affaires intérieures des autres états. Toutefois, si l’ingérence est une action d’une entité extérieure à l’encontre d’un pays, qu’est-ce qui pourrait permettre cette transgression ? L’urgence peut-elle commander le libre accès aux victimes par des actions humanitaires impartiales et neutres ?

L’ingérence est-elle donc une valeur morale plutôt qu’une action politique ? Cela pourrait donc légitimer ce devoir humanitaire, le droit au maintien de la paix au nom du respect de toutes les règles du droit international comme la Convention de Genève, le respect des droits de l’homme, protéger ainsi les individus d’une exaction d’un état maltraitant.

Sous l’impulsion du docteur Bernard Kouchner[3] et Mario Bettati[4], juriste international, le concept du droit d’ingérence est apparu dans les années 1980. Ce droit d’ingérence a pour but de défendre une intervention auprès d’une population victime ou menacée de crimes. Ce droit serait donc légitime pour soutenir ces personnes même s’il pourrait contrevenir aux dispositions de la Charte des Nations Unies au nom des droits de l‘homme, du droit de la guerre et du droit humanitaire.

Le principe de l’assistance humanitaire dans les situations d’urgence a été votée par la résolution 45/131 lors d’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies du 8 décembre 1988. Elle sera suivie par plus de 300 résolutions supplémentaires de la part du Conseil de sécurité pour une vingtaine de conflits.

« (…) Nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. ».

Ensuite, la résolution 45/100 le 14 décembre 1990 légitime « le droit d’ingérence humanitaire ». Ce texte permet donc d’intervenir, de secourir des personnes menacées en se passant de l’accord du pouvoir en place et de créer un couloir d’accès humanitaire avec l’accord des Nations Unies, ceci au besoin par les armes.

Le secrétaire général de l’ONU en place, Boutros Boutros Ghali, indiqua alors :

« Le temps de la souveraineté absolue et excessive est révolu ».

En 2000, sous l’impulsion du secrétaire général Koffi Hannan, et du gouvernement canadien, une commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE) fut créée pour rédiger un rapport sur la notion d’ingérence.

En 2001, la Commission remis un rapport intitulé « La responsabilité de protéger » qui substitua le terme de “droit d’ingérence humanitaire” par le concept de “responsabilité de protéger”.

Ce principe de responsabilité de protéger fut indiqué dans le document final du Sommet mondial de 2005 en stipulant que :

« C’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Cette responsabilité consiste notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l’incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous l’acceptons et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s’acquitter de cette responsabilité et aider l’Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d’alerte rapide. Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité […]. Nous entendons aussi nous engager, selon qu’il conviendra, à aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et à apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu’une crise ou qu’un conflit n’éclate ».

Lors de ce Sommet mondial de 2005, un consensus de l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement affirmait que le devoir de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité incombe d’abord à chaque État avec au préalable des mesures de préventions pour leur population.

Par ailleurs, ces responsables politiques ont également affirmé que l’Organisation des Nations Unies représentée par la communauté internationale doit recourir en premier lieu à des mesures pacifiques afin d’aider les populations civiles. Toutefois, si ces mesures demeurées insuffisantes, les représentants des États se sont engagés à réagir collectivement sous les directives du Conseil de sécurité et conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

A ce jour, le droit d’ingérence comporte cinq éléments fondamentaux :

• « Un principe de libre accès aux victimes des catastrophes naturelles et politiques, pour les organismes porteurs de secours ;
• Un usage éventuel de la force pour protéger les convois humanitaires ;
• Une intervention armée possible pour protéger les victimes face à leurs bourreaux ;
• Dans ces deux derniers cas, seule une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU peut décider ou autoriser une opération de contrainte militaire ;
• Enfin des poursuites judiciaires internationales à des fins préventives et répressives s’organisent progressivement contre les responsables des crimes les plus graves ».

 

Un droit d’ingérence qui se heurte parfois au veto des grandes puissances

La raison fondamentale de la Charte des Nations Unies est la possibilité pour les cinq membres permanents (dont la Russie) d’utiliser leur droit de veto. Il est donc impossible en l’état d’adopter une résolution sans l’accord unanime des cinq pays membres.

Par ailleurs, il n’est absolument pas possible, dans l’esprit de la Charte, de la reformer ou de la supprimer sans un consensus collégial de ces cinq pays.

En l’absence d’un accord du Conseil de sécurité, l’Organisation des Nations Unies ne peut pas intervenir. L’opposition aux interventions humanitaires et l’abus des droits de veto de la Russie et de la Chine (membres permanents des Nations Unies) fermant la porte à toutes interventions sur certains territoires.

 

Quelle voie judiciaire pour l’Organisation des Nations Unies ?

A la suite des premières constatations en Ukraine, le procureur de la Cour pénale internationale a annoncé le 28 février l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Dès le début du conflit, la Russie a enfreint l’article 2 de la Charte des Nations Unies, qui interdit le recours à la force au niveau international.

Juridiction permanente, la Cour Pénale Internationale (CPI)[5] a pour mission de juger et éventuellement condamner les crimes extrêmement graves (crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression) contre le droit humanitaire international. Lorsque les personnes sont jugées par le CPI, elles ne pourront pas l’être dans leur propre pays. La Cour ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un État ayant signé la Convention, ou si le mis en cause est un ressortissant de l’un de ces États.

L’Ukraine n’a pas signé le Statut de Rome, fondant la CPI, mais elle a reconnu la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire depuis 2014. La Russie s’est retirée de la CPI afin que la Cour ne puisse pas poursuivre ses ressortissants sur leur propre sol. Cependant, ils peuvent être arrêtés sur le territoire d’un état qui reconnaît sa compétence (ce qui est le cas pour l’Ukraine). Le Conseil de sécurité de l’ONU peut aussi donner compétence à la CPI de manière exceptionnelle lorsqu’un État qui n’a pas ratifié la Convention commet des violations graves.

Par ailleurs, le 27 février 2022, l’Ukraine a saisi la Cour Internationale de Justice[6] (CIJ) pour enquêter sur les crimes commis sur le terrain dont la violation de la Convention sur le génocide. Depuis 2014, et à deux reprises, l’Ukraine avait déjà saisi cette Cour. Les dirigeants ukrainiens accusent Vladimir Poutine de violer la convention sur les discriminations raciales ainsi que celle sur le financement du terrorisme. A ce jour, ces enquêtes sont toujours en cours.

Dans le cas d’une reconnaissance de crimes, ni la CIJ ou la CPI ne « disposent d’un mécanisme d’exécution classique » et ne possèdent pas de forces de police. Il faudrait que les Etats membres procèdent eux-mêmes aux arrestations.

 

 

[1] Charte des Nations Unies, signée le 26 juin 1645 à San Francisco.

[2] Koffi Hannan ( 8avril 1938 – 18 aout 2018), septième secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a été le premier à sortir des rangs du personnel. Il a entamé son premier mandat le 1er janvier 1997. Le 29 juin 2001, sur recommandation du Conseil de sécurité, l’Assemblée générale l’a réélu par acclamation pour un second mandat, commençant le 1er janvier 2002 et s’achevant au 31 décembre 2006.

[3] Bernard Kouchner est un médecin gastro-entérologue et homme politique. Engagé dans la médecine humanitaire, il est à l’origine du droit d’ingérence. Ministre de la santé et l’action humanitaire de 1992 à 1993 sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy et du président François Mitterrand, il fut également Secrétaire d’Etat à la santé de 1997 à 1999 lors de la cohabitation du président Jacques Chirac et premier ministre Lionel Jospin. Il fut aussi le haut représentant du Secrétariat général de l’ONU au Kosovo de 1999 à 2001.

[4] Mario Bettati (7 novembre 1937 – 23 mars 2017). Professeur de droit international à l’université Paris Panthéon-Assas, il fut également professeur émérite et doyen honoraire. En collaboration avec le docteur Bernard Kouchner, il a travaillé et publié de nombreux livres sur le droit d’ingérence et le droit de la guerre.

[5] Les statuts de la CPI ont été adoptés lors de la Convention de Rome du 17 juillet 1998. Le CPI juge les personnes accusées de génocide, de crime de guerre et de crimes contre l’humanité.

[6] La Cour internationale de Justice est instituée par la Charte des Nations Unies qui prévoit que tous les Etats Membres des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut de la Cour. Le fonctionnement et la composition de la Cour sont régis par ce Statut, ainsi que par le Règlement que la Cour élabore elle-même. Le CIJ est un tribunal indépendant.

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