Résumé : Alors que l’abbaye de Port-Royal des Champs est vouée à la destruction par ordre du roi Louis XIV en 1710, Madeleine Horthemels (1686-1767) grava vers 1711 une quinzaine de scènes de la vie conventuelle et des bâtiments de ce monastère. Mais pourquoi a-t-elle gravé ces planches ? Que voulait-elle réellement montrer à ses contemporains à travers son art et pourquoi cette suite connut-elle un succès tout au long du XVIII^e siècle ? Encore aujourd’hui, pour tous ceux qui s’intéressent au jansénisme, cette suite gravée de Madeleine Horthemels est une source maîtresse pour comprendre, au-delà de la simple description, la spiritualité janséniste ainsi que la résistance des religieuses face aux accusations de leurs détracteurs.

Le 22 janvier 1710, Louis XIV, par un arrêt du Conseil d’État, ordonnait la destruction totale de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Dès le 29 octobre 1709 il en avait fait disperser les dernières religieuses. L’expulsion de ces dernières ainsi que la démolition du monastère firent l’objet d’une estampe. Elle fut probablement diffusée clandestinement dès 1712, de façon anonyme, mais que l’on attribue aujourd’hui au graveur Bernard Picart (1673-1733).

Port-Royal des Champs perdit toute existence entre 1710 et 1713 mais le monastère a gardé une présence matérielle grâce aux gravures réalisées par Madeleine Horthemels. Selon l’historiographie de Port-Royal, cette artiste demeure une inconnue-célèbre. Pratiquement absente des grands ouvrages historiques parus autour de 1750, elle fut même éclipsée par Madeleine de Boullogne (1646-1710), son homonyme par le prénom, à qui l’on attribua un peu rapidement la totalité des dessins de la suite et les versions gouachées qui en avaient été tirées au cours du XVIII^e siècle. La suite de l’abbaye de Port-Royal que grava Madeleine Horthemels à l’âge de vingt-quatre ans, est très familière à ceux qui s’intéressent à l’histoire de Port-Royal et au jansénisme. Pourtant elle est fort mal connue : le nombre des planches, leurs dates, leurs sujets mêmes, demandent à être précisés.

Au début du XVIII^e siècle, Madeleine Horthemels grava en taille douce une série de quinze estampes représentant les bâtiments du monastère de Port-Royal des Champs ainsi que plusieurs scènes de la vie conventuelles des moniales qui vivaient dans ce lieu. Ces représentations architecturales s’inscrivent dans une tradition assez courante à l’époque de Madeleine Horthemels[1]. À contrecourant de ses homologues graveurs, l’artiste montre une véritable audace en représentant des scènes monastiques, ce genre de représentation était beaucoup plus rare. Ces quinze estampes entremêlaient à la fois la tradition de la vue perspective et celle de l’image sainte. Cet ensemble unique fut également considéré comme un témoignage archéologique important. Malheureusement les conditions de leur production et de leur diffusion n’ont jamais été réellement étudiées. Nous savons seulement qu’elles furent produites et propagées depuis la boutique familiale Horthemels sise rue Saint-Jacques à Paris, ayant pour enseigne « Au Ménénas ».

Mais qui était Madeleine Horthemels ? Comment a-t-elle conçu cette série d’estampes, quelles en étaient les sources et à quoi tendait-elle en adoptant un tel sujet ? Quelle a été la postérité de son œuvre ? De plus, pourquoi reconstituer de toutes pièces cette abbaye alors que la destruction avait déjà été décidée par Louis XIV dès la fin de 1709 ?

Madeleine Horthemels (1686-1767)

Louise-Magdeleine Horthemels, dite Madeleine, est née en 1686. Elle est la fille de Daniel Horthemels, libraire d’origine hollandaise installé rue Saint-Jacques à Paris, et de Marie-Anne Cellier, elle-même fille du libraire protestant Antoine Cellier. Son père mourut le 8 octobre 1691 et sa mère continua l’exploitation de la librairie malgré le contexte difficile de la guerre de la ligue d’Augsbourg[2] (1688-1697). Madeleine montra très tôt des dispositions pour le dessin et la gravure.  Dès 1707 elle est active comme buriniste. Elle se marie le 10 août 1713 au graveur Charles-Nicolas Cochin père (1688-1754) et « s’occupe plus particulièrement  […] à terminer au burin les sujets que son mari avait disposés à l’eau-forte : elle en conservait avec intelligence le goût et le pittoresque[3]. »

Outre Madeleine, la famille Horthemels est un véritable vivier d’artistes graveurs. Sa sœur aînée Marie-Anne Hyacinthe (1682-1727) épousa le graveur Nicolas-Henri Tardieu (1674-1749). Sa sœur cadette Marie-Nicole (1682 – après 1745) épousa un peintre : Alexis-Simon Belle. Les deux sœurs pratiquèrent la gravure, comme Madeleine[4]. De plus, un de leurs frères, Frédéric[5] (1688-1738), fut également un graveur. Il se spécialisa dans l’interprétation de tableaux des cabinets de collectionneurs célèbres, comme Antoine Crozat.

Malheureusement nous n’avons que peu d’information sur la vie de Madeleine[6] mais, à l’inverse, son œuvre est relativement bien connue. Elle exécuta des gravures d’interprétation d’après des toiles de Watteau, Nicolas Poussin ou Jean-Siméon Chardin. Durant toute sa vie, elle réalisa de multiples estampes destinées à l’illustration de livres comme des frontispices, des vignettes mais également des planches de grand format. Quand Charles-Nicolas (1715-1790)[7] se mit à faire de la gravure son métier, elle devint son assistante, comme elle le fut avec son mari. Elle commença par graver ses premiers dessins, puis termina plusieurs de ses eaux-fortes au burin une fois son fils devenu célèbre.

En 1754, Charles-Nicolas Cochin, son mari, décède. Désormais veuve, elle déménageait et s’installait chez sa fille Madeleine-Geneviève aux galeries du Louvre. Cette dernière habitait dans une annexe du logement que le roi avait alloué à son fils. Madeleine poursuit son activité d’artiste et de vente car plusieurs gravures portent la mention « se vend aux galeries du Louvre chez la veuve Cochin »[8]. Elle continua ainsi jusqu’à ses derniers jours ; elle mourut au Louvre le 2 octobre 1767 et, le 4 octobre elle fut enterrée à Saint-Germain l’Auxerrois[9].

Nous avons fait le choix de ne pas rendre compte de tout un aspect de sa carrière : celui lié au jansénisme. Madeleine Horthemels avait des convictions religieuses profondes qu’elle affirmera jusqu’à la fin de sa vie ; sa bibliothèque en témoigna lors de son inventaire après décès[10]. Madeleine collabora certainement à l’entreprise d’illustration des Nouvelles ecclésiastiques car une des ses inventions fut reprise en 1731 pour le frontispice du journal de cette même année. La jeune femme avait, en effet, gravée une estampe d’après un tableau de Nicolas Bertin, le Baptême de l’Eunuque de la reine de Candace, peint à la demande d’un bénédictin janséniste de la paroisse de Saint-Germain-des-Prés. Cette époque marquait l’apogée de la crise des appelants[11]. Mais les estampes qui marquèrent l’engagement de Madeleine pour le jansénisme datent de ses débuts. Elle était âgée de vingt-quatre ans lorsqu’elle signa ses œuvres les plus célèbres : les vues extérieures et intérieures de l’abbaye de Port-Royal des Champs, alors promise à l’abandon puis à la destruction.

Quinze estampes contre l’oubli (1710-1713)

La composition de la suite

L’ensemble se compose de quinze planches que Madeleine Horthemels aurait exécutée en deux temps. Une première série regroupant six ou sept planches, achevée avant février 1710 ; puis avant août 1713 pour les huit ou neuf dernières vues. Le 21 février 1710, mademoiselle de Joncoux adressait une lettre à Pasquier Quesnel lui annonçant la publication de six estampes de Madeleine Horthemels  : « une vue du dehors de la maison, celle de l’église, celle du chœur des religieuses, celle du cloître, celle du chapitre et celle du réfectoire ». Estampes que mademoiselle de Joncoux présentait comme une sorte de nouveauté[12].

Charles-Hugues Lefebvre de Saint-Marc affirme dans le Supplément au nécrologe de Port-Royal, que la première série de six gravures, à laquelle on peut ajouter celle du plan à vol d’oiseau, aurait été exécutée d’après les dessins de Madeleine de Boullogne qui mourut le 30 janvier 1710 à Paris[13]. Mais Charles-Hugues ne mentionne que les « plans » et non les vues dessinées ; alors Madeleine Horthemels s’est-elle vraiment inspirée de Madeleine de Boullogne ?

Madeleine Horthemels, après 1710, poursuit sa série en réalisant huit nouvelles planches. L’ensemble pourrait être achevé avant son mariage le 13 août 1713 avec Charles-Nicolas Cochin[14].

Elle n’aurait pas conçu ses gravures comme un ensemble mais plutôt comme des estampes uniques pour être soit accrochées sur les murs, soit glissées dans un livre de prières. La numérotation servirait à décrire un déroulement narratif et lui donner ainsi le statut de récit historique. Mais, comme le souligne Daniel Crépin qui a reconstitué l’ordre choisi par Madeleine Horthemels d’après les numéros portés sur un des états, ce déroulement narratif ne suit pas l’ordre de la réalisation des estampes[15].

Les six premières gravures rassembleraient « l’église du dehors », le chœur des religieuses, la salle du chapitre ainsi que celle du réfectoire. À cela s’ajoutent deux autres planches plus difficiles à être identifiée : la « vue de tous les bâtiments ensemble » peut sans doute s’identifier à la Vue perspective et la vue du cloître pourrait être assimiler à celle avec les deux anges.

Si l’on observe attentivement l’ensemble de toutes ces estampes, nous pouvons voir une évolution dans la manière d’exécution de l’artiste. Dans les premières gravures, les figures des religieuses sont gauches et raides, tandis que cette impression de hiératisme s’estompe nettement dans la suite. Enfin, les dernières estampes (l’enterrement, le Saint viatique) sont plus souples et nous montre une réalisation beaucoup plus libre de la part de Madeleine.

Une image pour l’histoire ?

Jusqu’à une période récente, nous ne disposions, pour imaginer les bâtiments de l’abbaye de Port-Royal des Champs, que des quinze estampes de Madeleine Horthemels, de plusieurs gravures anonymes, ainsi que de la description de l’abbé Jacques Fouillou de 1711[16]. Ces deux sources, très proches de la destruction de l’abbaye, leur donnaient un caractère incontestable de légitimité. C’est pourquoi, les historiens se sont appuyés sur ces documents pour compléter l’histoire de Port-Royal des Champs. Pierre-Olivier Pinault exprime ouvertement son recours aux gravures de Madeleine Horthemels : « En lisant attentivement cette description, avec le secours des planches qu’on a gravées de toute cette Sainte Maison, on ne peut s’en former une idée assez juste, quoiqu’on ne l’ait pas vue[17]. » De même, au XIX^e siècle, les archéologues, comme Louis Morize (1826-1915) ont suivi la même démarche. Lorsqu’ils ne trouvaient pas de traces archéologiques, ou que le texte de Fouillou se révélait incomplet, ils s’appuyaient sur les gravures de Madeleine Horthemels.

Cependant, Madeleine Horthemels n’a jamais prétendu donner une image fidèle et précise de l’abbaye de Port-Royal. Mais nous pouvons dire que les scènes extérieures peuvent être des vues directes tant les trois vues générales semblent donner une représentation cohérente et homogène. La représentation de « l’église du dehors », notamment avec la localisation des pierres tombales, est tout à fait plausible[18]. À l’inverse, il est tout à fait certain que Madeleine n’a pu pénétrer dans l’enceinte du monastère. Tant que la communauté y habitait, elle ne pouvait pas franchir la clôture puis, après 1709 et l’expulsion des dernières religieuses, elle se serait heurtée aux archers de Voyer d’Argenson[19]. Ainsi, pour les estampes publiées au début de l’année 1710, Madeleine a dû s’appuyer sur d’autres sources écrites ou orales, comme des témoignages, descriptions ou manuscrits. En ce qui concerne les huit dernières que l’artiste réalisa vers 1711, elle a peut-être eu recours à la description de l’abbé Fouillou. La vue de la porterie, en effet, est le reflet imagé du texte de Fouillou.

Avec les scènes du réfectoire, de la cellule d’une moniale ou bien du cloître, nous percevons la volonté délibérée de Madeleine Horthemels de se concentrer sur la représentation de la communauté. De même, à regarder de près l’image de la salle du chapitre qui ne semble pas pouvoir convenir à une communauté de plus de cent religieuses, nous constatons que l’artiste se focalise sur les personnes et non sur une représentation conforme des lieux.

De la sainteté au martyre

L’objectif de Madeleine n’était donc pas de montrer une réalité parfaite de l’abbaye de Port-Royal des Champs, mais plutôt de mettre en avant son caractère et son âme, à travers la force expressive de scènes choisies avec précision. Du fait de son œuvre, Madeleine réussi à élever le monastère au rang de relique. C’est ainsi que des gravures mettant en scène des religieuses in situ, avaient plus de pouvoir émotionnel que de simples représentations architecturales qui sont, par définition, figées. C’est ce qui explique que les gravures de Madeleine Horthemels sur l’abbaye de Port-Royal ne ressemblent en rien à ce qui avait été fait jusqu’à présent : elles sont le signe d’une prise de position religieuse, et non pas le reflet d’une réalité archéologique ou topographique.

Alors que les moniales étaient dénoncées comme des contrevenantes à l’ordre établi, les gravures de Madeleine Horthemels expriment la sainteté des religieuses. Tout d’abord dans la représentation de la régularité de la vie conventuelle[20] ainsi que dans la stricte obéissance des vœux qu’elles ont prononcés. Dans les scènes du chapitre et du réfectoire, nous voyons des religieuses faire acte de pénitence, tout comme le préconise les Constitutions de Port-Royal publiées à Mons dès 1665. Avec la gravure du chapitre, nous observons deux sœurs reprises par la supérieure et qui se prosternent devant elle. Au réfectoire, une sœur est agenouillée devant la table de l’abbesse, une autre est allongée sur le sol baisant les pieds d’une sœur converse.

La composition, presque exclusivement frontale, est une manière de placer les religieuses systématiquement en cercle (voir les scènes du réfectoire, chapitre, chambre de l’agonisante ou autour de la tombe). Mais la scène de la Solitude en est de loin la plus expressive et représentative. Elle évoque avec habilité et subtilité la sainteté des moniales. Tous les jours les religieuses avaient ce que l’on nomme « la récréation » (appelé conférence dans les Constitutions). À Port-Royal, ce temps d’une heure se déroulait dans le bois adjacent au monastère, dit de la « Solitude ». La limite de l’espace sacré est marquée traditionnellement par une rivière qui indique également l’enceinte de l’espace monastique, tout comme le fleuve du Paradis. La cour de la conférence se situe de l’autre coté de la rivière, hors de l’espace monastique ; mais sur la gravure, le cercle de religieuses avec la rivière dessinée en arc au-dessous d’elles, forment ensemble une figure allégorique du Paradis.

Dans toutes les gravures de Madeleine, le motif de la croix prend une très grande importance et une force nouvelle. La croix est représentée absolument partout : calvaire, crucifix, motif cousu sur les habits des religieuses, sur les murs…. La croix est devenue le symbole de la grâce divine.

Les scènes de L’administration du saint viatique et de L’enterrement des religieuses, ont une tonalité nettement plus polémique. On peut y voir une défense ardente du jansénisme. En effet, Madeleine Horthemels insiste sur la dénonciation du refus des sacrements qui leur furent imposé à deux reprises au cours de l’histoire de Port-Royal. Nous voyons très nettement la mourante, au milieu de sa communauté, recevoir la communion avec toute la modestie et la révérence que ce sacrement requiert. Il faut également remarquer que deux estampes placées sur les murs, évoquent l’exaltation future de la moniale agonisante. Avec ce mélange de thèmes religieux et politique, Madeleine Horthemels inaugurait un sujet de prédilection pour la gravure séditieuse pendant le règne de Louis XV.

La postérité de son œuvre

Le commerce des estampes de nature janséniste était très lucratif et l’art des gravures, tel que l’a imaginé Madeleine Horthemels à la fin du règne de Louis XIV, subsistera durant tout le XVIII^e siècle. On vit des artistes s’approprier l’œuvre de Madeleine soit par conviction personnelle mais certainement aussi pour un motif financier. Ils espéraient tirer profit du succès qu’eurent les gravures de Madeleine. De nombreuses gravures circulaient dès 1710 comme celles de Nicolas Gautrot (m. 1739) qui reprenaient des scènes très proches de celles de Madeleine Horthemels : une vue de l’abbaye, une autre du maître-autel ainsi qu’une gravure du dortoir des sœurs. Du fait que Nicolas Gautrot était lié à la famille Cochin en éditant des gravures du père, peut-être avait-il passé un arrangement avec Madeleine Horthemels pour poursuivre son œuvre ? Avait-il saisi l’opportunité de copier ses gravures pour son propre compte ? Nous pencherions plutôt vers cette seconde hypothèse puisqu’il fut condamné en 1732 pour avoir impunément copié une gravure de Nicolas Lancret[21].

L’œuvre graphique de Madeleine Horthemels a inspiré les graveurs, mais également des peintres qui copièrent ses estampes. Les plus connues sont celles de 1854 dont nous ignorons l’auteur. Il s’agit d’une série de quinze gouaches peintes sur parchemin qui reprennent fidèlement les gravures de Madeleine Horthemels.

La suite gravée par Madeleine Horthemels est intimement liée à l’histoire de la destruction de Port-Royal des Champs. Elle fixe une image du monastère que le roi avait cherché délibérément à faire disparaître totalement, jusqu’à la dernière pierre. C’est ainsi que par conviction religieuse, peut-être même par militantisme, et ses liens étroits avec le jansénisme que son œuvre contribua à pérenniser l’image visuelle et mentale de Port-Royal des Champs tout au long du XVIIIe siècle. Ses gravures furent à l’origine de toute une production d’images, de copies, d’interprétations et de réappropriations. Peu à peu celles-ci s’imposèrent comme des témoignages irréfutables de l’authenticité de Port-Royal. Au départ il s’agissait d’images militantes pour la défense de la vie religieuse de Port-Royal. Puis, dès les années 1720 elles devinrent de véritables icônes, des images pieuses, avant d’obtenir le statut de témoignage archéologique vers 1750. Madeleine Horthemels, par sa suite de gravures, participa, sans le savoir, à la fondation de l’histoire de Port-Royal des Champs, tout comme les théologiens jansénistes.

LA SUITE GRAVEE PAR MADELEINE HORTHEMELS ENTRE 1710 ET 1713

L’ordre de la suite a pu être établi suivant la numérotation figurant sur les planches, numérotation probablement effectuée par Madeleine Horthemels elle-même. Le catalogue du fonds français possède trois états pour certaines gravures : le premier avant signature et numérotation, le second avec signature et sans numérotation et le dernier avec signature et numéro.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève ; 5/ Sceaux, Musée de l’Île de France)

 

Vue de l’abbaye, prise depuis une langue de terre située au nord-ouest des bâtiments, entre le site des Granges et l’étang de l’abbaye. La vue est plausible, mais le pigeonnier est placé trop au sud et les bâtiments construits le long de la digue avant 1653 n’apparaissent pas.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

Publiée avant mars 1710. Le chœur monastique se trouvait dans la nef de l’abbatiale et était séparé de l’autel par la grille de clôture. Les religieuses étaient placées face à face, dans des stalles commandées en 1555 par Jeanne II de la Fin. Elles furent vendues en 1711 aux Bernardins de Paris pour 4 000 livres. La porte située à l’arrière se trouvait entre les deux autels des reliques.  On aperçoit au fond du chœur un tableau qui pourrait représenter la Madeleine pénitente de Philippe de Champaigne (Rennes, Musée des Beaux-Arts).

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

La scène pourrait se situer dans l’infirmerie des domestiques, que Fouillou situe dans l’ancien ermitage de saint Thibault de Marly à proximité de la porterie, parfois appelée la « chambre rouge ». Mais Madeleine Horthemels ne cherche pas ici à représenter un lieu en particulier. Cette gravure est une des rares à ne pas être construite avec une perspective au centre de la composition.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève ; 5/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

Les religieuses se retiraient une heure chaque jour dans cet espace, situé dans le bois dit « de la Solitude » qui était le seul endroit où elles étaient autorisées à parler. Cette représentation de la « Solitude » pourrait être conforme à la réalité. Cet espace se trouverait plus à l’est de l’actuel aménagement du XIX^e siècle.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels).

La distribution des aumônes se situe à l’extérieur de l’abbaye. La représentation est conforme à la description de Fouillou : porte charretière cintrée, porte piétonne carrée. Le logement du portier se trouve au-dessus et la cordonnerie sur un côté. Les figures des indigents ont été dessinées d’après les Gueux de Jacques Callot ; on dénombre au moins quatorze personnages isolés ou groupés qui en sont tirés.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève ; 5/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

Publié avant mars 1710. Cette vue exécutée dès 1710, montre le réfectoire avec six fenêtres percées côté jardin, alors que Fouillou, l’année suivante, décrit une salle avec « quatre fenestre quarrée sur le jardin ». On aperçoit distinctement les sujets des deux tableaux accrochés au mur à droite : une Annonciation et une Adoration des bergers. On devine, accroché sur le mur du fond, le Bon pasteur de Philippe de Champaigne (Musée de Port-Royal), entre deux portraits d’abbesses (la mère Angélique et la mère Agnès par Philippe de Champaigne ?).

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

Cette scène représente le moment où la religieuse mourante reçoit la communion. Le cercle des religieuses autour du lit et le jeu de figures à travers la porte rappellent que l’ensemble de la communauté était tenu d’assister à l’administration des derniers sacrements (Constitutions, p. 262). L’artiste ne s’intéresse que de façon très secondaire à la représentation de la cellule. Chacune d’elle, précise Fouillou, avait « environ dix pieds de long sur cinq à six de large ». Madeleine Horthemels a placé la mourante dans un ample lit à baldaquin, comme ceux souvent représentés dans les annonciations flamandes. On aperçoit sur le mur du fond un bénitier de chevet et deux estampes représentant : l’une, un Christ en croix entouré de la Vierge et de saint Jean ; l’autre, une scène qui semble représenter l’apothéose d’un saint ou l’Assomption de la Vierge.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels ; 4/ Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève ; 5/ Sceaux, Musée de l’Île de France).

L’estampe décrit avec précision le rituel funéraire tel qu’il était pratiqué à Port-Royal. La religieuse était placée sur un brancard tenu par des bandes de toiles et était inhumée sans cercueil. L’artiste représente le cercle des prêtres et des religieuses sur les deux tiers de la composition. Elle réserve la partie de droite de sa composition à la grande croix, vue de derrière, et à l’allée centrale dont l’oblique souligne le cercle formé par la communauté.

(Gravure conservée dans plusieurs lieux : 1/ Musée de Port-Royal des Champs ; 2/ Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ; 3/ Paris, Bibliothèque de la Société de Port-Royal, Recueil Horthemels).

Florence LOUIS

M1 EAD – Histoire Ancienne et Médiévale

Mémoire sous la direction de Matthieu Rajohnson

Notes

[1] Les vues du graveur Jean Chaufourier (1679-1757) ou celles des frères Pérelle Nicolas (1631-1695) et Adam (1638-1695) étaient fort célèbres.

[2] Arbour Roméo, Dictionnaire des femmes libraires en France (1470-1870), Genève, Droz., coll. « École pratique des hautes études Sciences historiques et philologiques », 2003.

[3] Vincent Philippe, Chateaugiron Hippolyte de et Fontenai Abbé de, Dictionnaire des artistes ou Notice historique et raisonnée des architectes peintres graveurs sculpteurs musiciens acteurs & danseurs ; imprimeurs horlogers & méchaniciens, 1776, vol. 2.

[4] Marie-Anne réalisa surtout des gravures d’après des portraits peints (notamment de Rigaud) ; Marie-Nicole semble avoir eu également une carrière de peintre en plus de celle de graveur. Roux Marcel, Inventaire du fonds français. Graveurs du dix-huitième siècle, Paris, Bibliothèque nationale, 1968., t. XI, p. 381-387.

[5] Les enfants Horthemels étaient au nombre de six : quatre filles et deux fils. Deux enfants, jamais mentionnés, durent mourir en bas âge.

[6] Elizabeth Poulson, « Louise-Magdeleine Horthemels : reproductive Engraver”, Woman’s Art Journal, Vol. n°2 (Autumn 1985-Winter1986), p. 20-23.

[7] Michel Christian, Charles-Nicolas Cochin et l’art des Lumières, École française de Rome diff. de Boccard, Rome Paris, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 280 », 1993.

[8] Portalis Roger et Béraldi Henri, Les Graveurs du dix-huitième siècle, Paris, Damascène Morgand et Charles Fatout, 1880.

[9] Duplessis Georges, Mémoires et journal de J.-G. Wille, graveur du roi : publiés d’après les manuscrits autographes de la Bibliothèque impériale, Paris, Veuve J. Renouard, 1857, t. I, p. 361.

[10] Arch. Nat., Minutier central, étude C, liasse 693, 22 octobre 1767, inventaire après décès de Madeleine Horthemels :  son appartement, composé de deux pièces principales, et son ameublement y sont minutieusement décrits. Les livres sont, comme à l’habitude, prisés par lots sans mention de tous les titres, mais leurs thèmes sont invariablement religieux : ouvrages théologiques, sermons, livres d’église, histoire sainte… Parmi eux sont cités la Bible de Sacy, les Essais de morale de Pierre Nicole, les Vies des saints d’Adrien Baillet (1702), le Catéchisme de Montpellier, L’Exposition de la doctrine [de l’Église catholique sur les matières de controverses, 1686] de Bossuet et l’Élévation [à Dieu] sur [tous] les mystères de la religion chrétienne du même auteur (1671).

[11] Gouzi Christine, L’art et le jansénisme au XVIII^e siècle, Paris, Nolin, coll. « Univers Port-Royal », 2007.

[12] Archives d’utrecht, PR 1054, citée par Ellen Weaver, Mademoiselle de Joncoux¸ Paris, Editions du Cerf, 2002, p. 247.

[13] [Charles-Hugues Lefebvre de Saint-Marc], Supplément au Nécrologue de l’abbaïe de Notre-Dame de Port-Roïal des Champs…, s.l., s.n., 1715, p. 363 ; [Pierre Guilbert], VI, p. 625. Si, comme le note Samuel-Elie Rocheblave dans Les Cochins, Paris, Librairie de l’Art, 1893, p. 56, « le nom d’Horthemels comme celui de Cochin est absent de tous les nécrologes, obituaires, ou registres inédits de la communauté », c’est qu’elle n’était alors pas morte au moment de la rédaction ou de la publication de ces différents ouvrages.

[14] Il existe un tirage de la Veüe de Port-Royal portant le n° 2 avec l’adresse Veuve Horthemels (Sceaux, musée de l’Ile-de-France, 90.3.12).

[15] Crépin Daniel, Les vues de Port-Royal des Champs gravées par Madeleine Horthemels, Le Vieux Papier, 2007, vol. 383, 2, p. 2-13.

[16] Fouillou Jacques, Petit de Montempuys Jean-Gabriel et Marjolin René, Memoires sur la destruction de l’abbaye de Port-Royal des Champs, [S.l.] M.DCC.XI.

[17] Pierre-Olivier Pinault, Histoire abrégée de la dernière persécution de Port-Royal…, 1750, tome III, p. 181-182

[18] Bussière Roselyne, Garguelle Cécile et Luez Philippe, Cy-gist : Port-Royal des Champs, Montigny-le-Bretonneux, Yvelinédition Musée de Port-Royal des Champs, 2010.

[19] Argenson (Marc René de Voyer de Paulmy, marquis de), lieutenant général de police de Paris. Il porta le coup de grâce au jansénisme en dirigeant personnellement l’expulsion des religieuses de Port-Royal des Champs.

[20] Gouzi Christine, L’Art et le jansénisme au XVIII^e siècle, Paris, Nolin, coll. « Univers Port-Royal », 2007, p. 164.

[21] Archives de l’Art français, t.8, 1862, p. 197-201.

BIBLIOGRAPHIE

Arbour Roméo, Dictionnaire des femmes libraires en France (1470-1870), Genève, Droz., coll. « École pratique des hautes études Sciences historiques et philologiques », 2003.

Bussière Roselyne, Garguelle Cécile et Luez Philippe, Cy-gist : Port-Royal des Champs, Montigny-le-Bretonneux, Yvelinédition Musée de Port-Royal des Champs, 2010.

Cottret Monique, Histoire du jansénisme : XVII^e-XIX^e siècle, Paris, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2016.

Crépin Daniel, Les vues de Port-Royal des Champs gravées par Madeleine Horthemels, Le Vieux Papier, 2007, vol. 383.

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