Les trois fléaux : Famine, Peste, Guerre

Auteur : Scarlett Beauvalet-Boutouyrie
Titre : La démographie de l’époque moderne
Lieu de l’édition : Paris cedex 06
Editeur : Belin 1999
Nombre de pages : 334 pages (Sommaire ; Introduction ; 6 Chapitres ; Conclusion ; Bibliographie ; Index des noms de lieux ; Index des noms de personnes ; Table des cartes ; Table des schémas ; Table des matières)
Cartes et illustrations : dans chaque chapitre de l’ouvrage, nous avons de nombreuses cartes, tableaux comparatifs, actes notariés, correspondances, généalogies, illustrations, témoignages et extraits d’autres auteurs etc.

 

Cet ouvrage aborde la thématique de la démographie, l’auteure évoque les différentes crises périodiques : guerre, famine, peste du XVIe au XVIIIe siècle en France.  Entre un tiers et 50% de la population disparait en quelque décennies. 

Les accidents météorologiques comme les hivers rigoureux, gels tardifs, pluies abondantes, et sécheresse excessive ont des conséquences immédiates sur les récoltes et provoquent disettes et famines. 

Puis, la peste est l’épidémie la plus récurrente et meurtrière, elle arrive sur des populations déjà affaiblies par une mauvaise alimentation. Toutes les couches sociales sont touchées, les riches meurent autant que les pauvres, les jeunes autant que les vieux. 

De plus, l’auteure explique que la guerre est étroitement associée à la famine et aux épidémies Les soldats présents sur le territoire désorganisent la vie agricole et véhiculent des maladies qui deviennent épidémiques sur l’ensemble de la population. 

 

Scarlett Beauvalet-Boutouyrie est une historienne française, titulaire d’un doctorat de 3e cycle en histoire moderne avec une thèse intitulée “La Population à Verdun de 1750 à 1790 : étude démographie”, soutenue à l’Université Nancy 2 (1987) sous la direction de G. Cabourdin .Elle est professeure à l’Université de Picardie, spécialiste d’histoire sociale (histoire de la famille, des femmes et de la santé en France à l’époque moderne) et auteure d’ouvrages de référence dans ce domaine comme : Naître à l’hôpital (1999) et (2001).Son apport à l’historiographie de l’histoire sociale est important.

Ce livre aborde la thématique de la démographie, c’est-à-dire l’étude quantitative et qualitative des populations et de leurs dynamiques, à partir de thèmes tels que la famine, la peste, guerre, mais aussi la natalité, la fécondité, la mortalité, la nuptialité et la migration afin de décrire et expliquer l’évolution des comportements démographiques du XVIe au XVIIIe siècle en France face aux trois fléaux.

 L’auteure rappelle en introduction que la démographie historique est une science jeune, née dans les années 1950, de l’exploitation systématique et quantitative des registres paroissiaux et d’état civil par le démographe Louis Henry et l’historien Pierre Goubert. En 1960, Pierre Goubert parle de crise quand le nombre de décès est multiplié par deux et que la conception des naissances baisse d’un tiers. En 1946, Jean Meuvret définit l’origine des crises lorsqu’il y a augmentation des prix des céréales accompagnée d’une hausse des sépultures et baisse de conception.  Il en déduit que la crise de subsistance est à l’origine de la crise de la mortalité. D’autres historiens ont travaillé sur la France à l’époque moderne : Guy SAUPIN aborde l’économie, la société d’ancien régime, la Guerre…  Arlette JOUANNA : La France du XVI -ème siècle.

 

 Pour l’étude des trois fléaux, l’auteure utilise différentes sources : les recensements (opération destinée à recueillir un ensemble de données sur la population à un moment précis par des enquêtes), ainsi que les registres d’état civil (enregistrements ecclésiastiques « Les masses dormantes » selon le mot de Pierre Goubert, des naissances, mariages, décès), sur le dénombrement (comptage de la population portant plus souvent sur les feux que sur les individus), correspondances administratives ou privées, documents littéraires…

L’ouvrage comporte : Un Sommaire ; Une Introduction ; Il est divisé en six grands chapitres : Les sources ; Population et le peuplement ; Le mariage ; La naissance ; La famille, La mort. La conclusion ; Bibliographie ; Index des noms de lieux ; Index des noms de personnes ; Table des cartes ; Table des schémas ; Table des matières) 

La France perd entre un tiers et 50% de sa population en quelque décennies. L’ouvrage débute par la description des sources de cette époque (citées ci-dessus), puis l’auteure évoque les différentes crises périodiques : guerre, famine, peste.

A fame, bello et peste, libera nos, Domine “De la faim, de la guerre et de la peste, délivre-nous Seigneur “. Telle est la prière qui évoque la trilogie des maux : la peste, la famine, la guerre.  Ces trois fléaux influencent le niveau de la population depuis le XIVe siècle avec leur plus ou moins grande virulence, dans une France qui compte environ 22 millions d’habitants dès le XIVe siècle dont 80% vivent en milieu rural.

 

1/ La Famine 

  Dans le Chapitre 2 intitulé « La population et le peuplement » L’auteur parle de crise démographique lorsque le nombre de décès augmente brutalement et de façon importante. Les crises sont liées aux 3 grands fléaux.

Les disettes et les famines sont le plus souvent dues à une baisse de la production agricole. Les accidents météorologiques comme le froid, hiver rigoureux, gels tardifs, pluies abondantes, et sécheresse excessive ont des conséquences immédiates sur les récoltes. A partir de 1580 s’installe « le petit âge glaciaire » (Emmanuel Le Roy Ladurie):  les hivers sont rigoureux, très froids avec d’importantes chutes de neige. Le refroidissement du climat est général à l’échelle européenne. Les printemps et étés sont également frais et pluvieux, et ces conditions climatiques ont des répercussions sur les vendanges qui se font plus tardivement. Les conditions climatiques défavorables entraînent donc de mauvaises récoltes, l’absence de stocks et les réserves de grains se font rares ce qui provoque une malnutrition régulière, les prix des céréales augmentent  par  exemple en 1648 le prix du seigle passe de 6 à 23 livres… La population mal alimentée est donc plus réceptive aux épidémies : en effet la crise prépare le terrain au développement des épidémies car la faim affaiblit l’organisme et bien souvent les plus pauvres se nourrissent avec des produits avariés. L’auteure mentionne les notes de Michel Lalande qui relate l’année 1694 à Paris où le roi est obligé de faire des fours lui-même pour qu’on y cuise du pain pour le peuple à un certain prix afin d’y éviter la famine.

En 1661-1662 la crise est d’ampleur nationale, disette, famine et épidémie sont associés. L’Anjou, connait sa crise la plus grave , la mortalité augmente brusquement, les maladies comme la scarlatine ou la dysenterie font des ravages. Dans ce contexte la disette se fait sentir, et les prix des céréales sont multipliés par quatre.  Cependant sur l’ensemble du territoire, les provinces ont été inégalement touchées. Le nord du royaume et l’Aquitaine le sont gravement alors que le Massif Central, ainsi que l’est et le Sud-Ouest sont épargnés. La plus violente crise que connaît la France et celle de 1693 à 1694 avec des années particulièrement froides et humides voit des récoltes catastrophiques qui entrainent cherté, famine. Les relevés météorologiques du médecin Louis Morin (1635- 1715) permettent de connaître jour après jour les températures et précipitations à Paris pendant cinquante ans. En 1693, la crise n’épargne pratiquement aucune région. La France régresse de 22 millions d’habitants à 20,7 millions. L’hiver de 1709 est particulièrement dur, les semences qui étaient en terre ont gelé et les prix ont été multipliés par quatre.  Les crises de subsistance ont surtout frappé les grandes terres à blé : à cette époque, l’alimentation repose essentiellement sur les céréales.

L’impact de la crise entraîne le déficit des mariages et des naissances, ainsi que « l’aménorrhée de famine » c’est-à-dire l’interruption des règles provoquée par la famine et la baisse de fertilité chez les hommes sont directement liées à l’état physiologique des populations. De plus il y a une augmentation de mortalité intra-utérine, de fausse couche, d’avortement spontané ainsi que l’abandon d’enfants par des parents économiquement fragiles, victimes des crises et de la cherté. Dans le dernier tiers du XVIIème siècle les intendants établissent des prévisions de récolte et en tiennent informé le contrôle général qui doit désormais prendre des mesures en cas de crise. L’intendant de Tours ordonne par exemple de faire procéder à des achats de blé et de farine afin de les distribuer dans les paroisses les plus touchées. Après le grand hiver 1709, des efforts sont entrepris par les autorités pour approvisionner les marchés grâce à des échanges de réserves céréalières d’une province à l’autre et à des achats à l’étranger.

  L’auteure explique que les conditions climatiques et le régime alimentaire favorisent l’augmentation des décès chez les jeunes enfants et qu’il y a un lien évident entre les décès et le mouvement saisonnier des températures, les mois froids voient l’indice de mortalité s’élever. L’abandon d’enfant est en constante augmentation dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : cela se produit souvent en milieu urbain, une majorité de de filles-mères  abandonnent leurs enfants. 70 % des enfants sont abandonnés à cause de la misère, de la maladie, ou de la mort et la plupart du temps les parents sont des petites gens, victimes de la crise et de la cherté, comme le montre l’auteure dans l’extrait : une détresse profonde. « Des enfants abandonnés et leur nourrisse à Limoges au 18e siècle ». De plus, les accouchements à risque s’amplifient par le mauvais état physiologique de la mère, les dystocies (difficulté qui peut survenir pendant l’accouchement) sont dues à la malformation consécutive à une mauvaise alimentation.

Puis, la mortalité baisse grâce à l’amélioration des conditions de vie, de nutrition, de logement et au progrès sanitaire qui réduit la transmission des épidémies. Les grands fléaux disparaissent progressivement après 1740.

2/ La peste

  La peste est l’épidémie la plus spectaculaire, la plus récurrente et meurtrière, elle arrive sur des populations déjà affaiblies par une mauvaise alimentation.

 La peste augmente la mortalité et fait des ravages d’autant plus profonds que s’installe un véritable cercle vicieux entre peste et famine. Elle est apparue en Europe en 1348, et a anéanti en un an près de 30 % de la population, sa dernière invasion sur le territoire français date de 1720 à Marseille, importée du Levant par un navire. Entre 1348 et 1670 une suite ininterrompue d’épidémies sévit. La peste peut durer d’une à cinq années avec des périodes d’accalmie plus ou moins longues. De 1348 à 1536 les poussées pesteuses reviennent tous les dix ans environ. Le territoire français est touché à trois reprises : en 1600-1616 on compte 400000 morts. En 1617-1642 on compte entre 1,6 à 2,4 millions de morts, enfin entre 1643-1657 près de 500000 morts.

Les villes sont les plus touchées, à cause de l’entassement de la population. La mortalité s’élève à 25% entre 1600 et 1670. Par exemple, Lyon perd la moitié de ses habitants en 1629. Devant la contagion, les habitants fuient, terrifiés, laissant des villes à l’abandon. Beaucoup d’enfants deviennent orphelins, ceux-ci sont pris en charge par d’autres membres de la famille ou placés dans des institutions spécialisées comme les hôpitaux ou hospices. La mortalité exogène est attribuée aux enfants qui ont des infections respiratoires ou qui souffrent de  malnutrition. Le nombre de morts est tellement considérable, créant des odeurs nauséabondes, que des plaintes pour insalubrité se sont multipliées. On a peur des maladies épidémiques, de ce fait en septembre 1780 le cimetière des Innocents est désinfecté, on déplace les cimetières à l’extérieur des villes. Les Jésuites et les Capucins apportent une aide spirituelle et temporelle aux pestiférés qui sont pour la plupart du temps condamnés à mort.

Les médecins sont complètement démunis face à cette maladie, ils essaient de trouver des solutions pour éviter la propagation notamment en évitant le contact ou la proximité. Dès le XVI e et les objets avec du tabac, du vinaigre, et l’encens permet de supprimer les odeurs accusées de propager la maladie. On interdit les réunions et on expulse les pauvres, on isole les malades, les vêtements des pestiférés sont brûlés ainsi que les ordures. Les médecins qui sont au contact des malades mettent un costume spécial, ils portent un masque muni d’un grand nez en carton rempli d’herbes aromatiques, sont vêtus d’une longue robe, ils portent une baguette qui permet de ne pas toucher directement les malades. Afin de lutter contre la propagation du mal, il faut déclarer le nombre de malades et de morts et cela devient une affaire publique : ce fléau bouleverse l’économie, la société, les activités sont stoppées. Toutes les couches sociales sont touchées, les riches meurent autant que les pauvres, les jeunes autant que les vieux. L’organisation s’opère dans chaque port, les navires doivent demander une autorisation pour accoster en présentant un journal de santé et être sûrs qu’il n’y a pas de malade à bord. Cependant ces précautions n’ont pas suffi et la peste de 1720 gagne Marseille.

L’hystérie gagne la population, on cherche des coupables. Les Juifs sont accusés de diffuser la maladie, d’empoisonner les puits … « les semeurs de peste », ils sont arrêtés et certains sont mis à mort. Ces calamités sont perçues comme des fléaux envoyés par Dieu pour punir les hommes.

D’autres maladies font des ravages comme le typhus ou la variole qui touchent aussi toutes les catégories sociales, riches et pauvres. La variole est la première cause de mortalité, elle représente environ 30 à 60 % des décès, en période épidémique elle aurait fait 60 millions de victimes au XVIIIe siècle. La maladie est très contagieuse et touche souvent les enfants. Les premiers symptômes sont les nausées, la fièvre, la lassitude, et des boutons apparaissent  ensuite sur tout le corps chargés de pue. La forme la plus grave est lorsque les voies respiratoires sont touchées. Les médecins sont démunis et préconisent l’isolement. On essaie toutes sorte de méthodes, on expose les malades aux froids, on met de l’huile de scorpion autour du cou…et les prémices d’une protection efficace mais pas sans danger voient le jour : par exemple, la technique de l’inoculation, qui consiste à inoculer une variole bénigne pour prémunir le sujet contre une forme plus grave. D’autres médecins pratiquent des piqûres cutanées avec une aiguille trempée dans du pus de variole afin d’être inoculé, cependant le clergé considère qu’il est dangereux de donner à une créature une maladie qu’elle n’aurait peut-être pas contracté naturellement, mais l’inoculation est très minoritaire et réservée aux privilégiés.

3/ La Guerre

  L’auteure explique que la guerre est étroitement associée à la famine et aux épidémies. Les épidémies font plus de morts que les batailles. Les soldats présents sur le territoire désorganisent la vie agricole et véhiculent des maladies qui deviennent épidémiques sur l’ensemble de la population. Durant la période de l’Ancien Régime, la guerre est omniprésente : Les guerres de religion (1562 -1598), et notamment les suites de la révocation de l’édit de Nantes (1598) provoquent l’exode des protestants. La migration la plus importante a lieu après le massacre de la Saint-Barthélemy (24/08/1572). L’exil fait éclater de nombreuses familles, beaucoup d’hommes partent seuls ce qui entraîne des effets négatifs sur l’industrie et le commerce. La perte de population est considérable lors de la guerre de Trente Ans, (la France entre en guerre en 1635), opposant souverains catholiques de 1618 à 1648. Elle est prolongée par le conflit espagnol, les troupes espagnoles contaminent de nombreux territoires comme la Picardie, Flandre et la Franche-Comté sont dévastées et perdent la moitié de la population ainsi que l’Alsace. C’est en Lorraine que les villes sont les plus touchées. Les campagnes sont désertées. L’époque de la Fronde (1648 campagnes, les troupes royales pillent et détruisent les récoltes ce qui provoque une famine importante.

Conclusion

  Ces trois fléaux ont eu une conséquence importante sur les crises démographiques à l’époque moderne. Ces drames n’ont pas le même impact selon les lieux et les époques. La crise de subsistance liée aux mauvaises récoltes provoque l’explosion des prix du blé et des céréales. La famine entraîne  la stérilité des femmes et l’arrivée des épidémies sur des populations déjà affaiblies augmente considérablement les décès. De plus, les nombreux conflits que connaît la France à l’époque moderne accentuent la propagation des épidémies, provoquent les destructions des récoltes et la fuite des populations.

Corinne Jacquet-Gollinucci

 

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