Du 4 octobre au 15 janvier 2023 se tient au musée du Quai Branly Jacques Chirac, l’exposition intitulée Black Indians de La Nouvelle-Orléans. Ne se contentant pas seulement d’exposer les costumes des Big Chiefs des différents quartiers de La Nouvelle-Orléans, cette exposition très complète revient sur les origines de la Louisiane, la construction de l’identité des différentes communautés qui l’habitent et donnent de précieuses clés nécessaires à la compréhension des États-Unis actuels. 

Une ville multiculturelle en perpétuelle évolution 

Associée au carnaval, aux chars, aux couleurs vives et à ce sens de la fête unique en Amérique du Nord, la ville de La Nouvelle-Orléans porte en elle toutes les traces de l’Histoire américaine, plus profondément encore ses cicatrices. La ville demeure extrêmement marquée par le racisme, les inégalités, la criminalité et la pauvreté. Les Black Indians sont l’incarnation de cette identité propre faite des échanges entre les trois principaux peuples de Louisiane à travers le temps : les . 

Spirit of the Soul (L’Esprit de l’âme) 2004 – Ce costume créé par le Chief Alfred Doucette et endommagé par l’ouragan Katrina, constitue un plaidoyer contre la violence de l’esclavage et la ségrégation raciale. S’inspirant de la chanson Strange Fruit de Billie Holiday, Doucette a représenté, sur le plastron, l’arrivée d’un bateau négrier et la vente des esclaves et sur le tablier, un homme lynché dans un arbre sous les yeux de sa famille et de membres du Ku Klux Klan.

Enrichie de magnifiques pièces de costumes complets portés par des chefs, l’exposition utilise ce mélange culturel unique comme vecteur d’introduction à l’Histoire complexe d’une région du monde. Ainsi, le parcours au musée du Quai Branly démarre avec les premières explorations espagnoles le long du Mississippi au milieu du XVIème siècle et se termine sur le passage de l’ouragan Katrina en 2005 dont la ville de La Nouvelle-Orléans panse encore aujourd’hui les blessures. Ces quatre cents ans d’Histoire doivent être révisés afin de comprendre l’une des particularités qui en a émergé, les Black Indians. 

« Le masque signifie que tu deviens un esprit » 

Fruit des échanges entres Afro-Américains et Amérindiens, bien souvent enchaînés dans les mêmes plantations au début du XIXème siècle, les Black Indians incarnent et portent sur eux la mémoire de leurs peuples et de leurs quartiers. Ainsi, le bison, symbole amérindien par excellence, décimé par les Américains dans le but de réduire la résistance des tribus encore en guerre avec Washington, devient ici la pièce centrale d’un costume. 

White Bison (Bison Blanc) 2017 – Ce costume est celui de la reine de la tribu de Creole Wild West, Elenora « Rukiya » Brown, qui est aussi une des artistes les plus remarquable de Louisiane. Cette tenue a été confectionnée en référence à la prophétie amérindienne du Bison Blanc qui évoque les quatre couleurs des peuples de la Terre : blanc, jaune, noir et rouge.  

Cependant la culture Black Indians ne se limite pas aux seuls échanges avec les Amérindiens. Elle intègre aussi des codes venus d’horizons plus larges comme l’Afrique ou bien aussi un passé lointain et bref comme la colonisation espagnole. Les Chiefs et les tribus fouillent leur passé, leur Histoire afin d’en tirer des éléments à réutiliser dans les costumes.  

À gauche, The Spirit in the Dark (L’Esprit dans l’Obscurité) 2022 – Ce costume de Victor Harris, Big Chief des Mandingo Warriors se veut l’incarnation de l’esprit Fi Yi Yi qui l’a sommé de retourner à ses racines africaines. Dans un songe l’esprit s’est adressé à lui en ces mots : « Tu n’es plus un Indien. Tu es un homme noir. Tu es Africain. » et depuis 1984 Victor Harris instaure au sein de la communauté des Black Indians de nouvelles traditions inspirées de la spiritualité et des motifs africains. 

À droite, The Taking (La Capture) 2019 – Costume dénonçant la traite transatlantique et réutilisant le casque des conquistadors espagnols (en bas à droite sur la photo) comme un élément de costume.  

Cette exposition visible jusqu’au 15 janvier 2023 au musée du Quai Branly Jacques Chirac, s’adresse à tous les publics et n’oublie rien des plus de 300 années d’Histoire de la Louisiane. Si l’on peut regretter le manque d’images des tribus et des Big Chiefs en action, l’exposition a le mérite de faire la part belle à l’Histoire de la Louisiane et plus largement de tout le sud-est américain, qui demeure la clé de voûte de la compréhension de beaucoup d’éléments des États-Unis actuels. 

Pour aller plus loin sur ces sujets : 

• HAVARD Gilles, VIDAL Cécile, Histoire de l’Amérique française, Champs, Champs Histoire, 2019 ; 
• LUGAN Bernard, Histoire de la Louisiane française : 1682-1804, Perrin, 1994 ;  
• Faubourg Treme, DENIS Jacques, Andre Frere Editions, 2017, recueil de 64 photos de Alexis PAZOUMIAN sur le quartier de Treme à La Nouvelle-Orléans ; 

• Treme par David SIMON, HBO, série TV en 4 saisons et s’attache à montrer la vie des habitants de La Nouvelle-Orléans dans la ville de l’après ouragan Katrina ;  
• 79rs Gang, groupe de musique originaire de La Nouvelle-Orléans, utilisant l’esthétique des Black Indians ainsi que de nombreuses phases chantées et scandées dans leurs compositions comme lors des défilés des tribus, en concert les 3 et 4 décembre au théâtre Claude Lévi-Strauss au sein du musée du Quai Branly Jacques Chirac. 

 

Nathan VIDALIS

Étudiant en Master 1 – Histoire et sciences sociales du politique EAD

Mémoire de recherche sous la direction de Caroline Galland

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