Mon mémoire de deuxième année de Master Histoire parcours sociétés modernes et contemporaines dans les mondialisations, sous la direction de Mme Julie Le Gac, cherche à enrichir l’histoire des enfants assistés de l’Hérault, très peu étudiée en ce qui concerne la période de la Seconde Guerre mondiale. Une première approche statistique du sujet lors de ma première année de Master m’a permis de mesurer l’ampleur de l’enfance assistée dans le département de l’Hérault durant la période 1938-1945. Nous avons pu nous apercevoir que les effectifs des enfants assistés augmentent considérablement dès 1942. Cette augmentation, peut s’expliquer par le contexte guerrier qui nous le savons entraîne souvent une augmentation du nombre d’abandons : manque de ressources financière, perte d’emploi, illégitimité, décès des parents, difficulté de logement … La politique nataliste du pays renforcée dès 1940 obligeant les femmes à mener à terme leur grossesse joue également un rôle dans cette augmentation des effectifs. Il est donc légitime de se demander si la déclaration de la Seconde Guerre mondiale a entraîné une augmentation des actes d’abandons dans le département ?

   S’ajoute à cela une dimension qualitative, interrogeant le profil des enfants abandonnés : proviennent-ils tous de la même « classe sociale » ? Ont-ils le même âge ? Y a- t-il plus d’enfants assistés de sexe féminin que de sexe masculin ? Enfin, pour compléter cette étude, il est nécessaire de s’interroger sur les motifs d’abandons : Peut-on les déterminer ? Sont-ils identiques ou diversifiés ? Nous apportent -ils des informations sur la situation et le profil delà mère « abandonneuses » ?

   Les recherches que je mène durant ma deuxième année de Master me permettront de traiter l’aspect « qualitatif » du sujet. Cet enrichissement se fera notamment grâce à l’analyse des dossiers individuels des pupilles, source donnant de nombreuses informations sur les motifs d’abandon ainsi que sur le profil des mères et leurs motivations.

Evolution de l’assistance à l’enfance

   Il est primordial avant de commencer à traiter le sujet de l’enfance malheureuse d’en définir le terme : est appelé enfance malheureuse « toutes les catégories d’enfants qui présentent une anomalie d’ordre social, intellectuel ou caractériel : enfant privé de milieu éducatif dont la famille est inexistante ou déficiente, enfants anormaux dont le système moteur, le système sensoriel … présente une déficience plus ou moins grande.¹ ».

   Il faut attendre le XVIIe siècle avec l’ouverture la Maison de la Couche à Paris² par le prêtre Saint Vincent de Paul (1581-1660)^3, pour voir apparaître les prémices d’une organisation. Au cours du XVIIIe siècle, la prise en charge des enfants trouvés par les établissements publics se multiplient dans les grandes villes, mais c’est réellement après la Révolution que les grandes lignes de l’assistance à l’enfance abandonnée se dessine, devenant une « affaire d’Etat ». Une volonté de changer l’ancien modèle de l’assistance publique se fait ressentir : traditionnellement organisée par plusieurs institutions religieuses, l’assistance est réorganisée par le biais d’hospices municipaux (loi du 7 octobre 1796). C’est également pendant la Révolution que s’établit un concept de prévention de l’abandon se traduisant par une aide aux filles-mères qui élèvent seule leur enfant (le décret du 8 Juillet 1793). Il y a donc une volonté de l’Etat à intégrer les enfants illégitimes renommé enfants de la Patrie⁴.

   À l’époque Napoléonienne, le système tend à s’améliorer à travers plusieurs décrets notamment le décret napoléonien du 19 janvier 1811 introduisant dans chaque arrondissement, un mode de dépôt anonyme : le tour. En outre, ce même décret catégorise les enfants pouvant prétendre à l’assistance publique : les enfants trouvés, les enfants abandonnés, les enfants orphelins pauvres. À la suite de son admission à l’hospice dépositaire, l’enfant abandonné est placé en nourrice à la campagne et y demeure jusqu’à ses douze ans, époque à laquelle il doit travailler.

   Durant la IIIe République, une évolution des mentalités et de perception des enfants abandonnés est insufflée : l’enfant abandonné est considéré comme victime. Cette évolution débouche sur la création de nouvelles catégories d’enfants assistés, enfants moralement abandonnés ou maltraités, en garde ou en dépôt, qui traduit la volonté de l’État d’élargir le champ de son action envers « l’enfance malheureuse ». Ainsi, est voté en 1904 une nouvelle loi concernant le service des enfants assistés, rendant caduque le décret de 1811. Cette loi impose à tout département l’instauration de « bureaux ouverts ». Ces « bureaux ouverts » sont des bureaux d’accueil ouvert de jour comme de nuit, permettant aux femmes, qui le souhaite, de confier leurs enfants après un certain nombre de questions posés par l’accueillant. Cet échange a pour objectif de dissuader la mère mais aussi, dans le cas échéant, d’obtenir des renseignements pour pouvoir établir un bulletin de naissance. Toutefois, ce texte popularise à nouveau la possibilité de l’abandon anonyme ou secret, début de l’accouchement « sous X » qui sera instauré sous le gouvernement de Vichy par le décret-loi du 2 septembre 1941. Cette garantie de l’anonymat pousse les contemporains à se poser des questions sur la banalisation de l’abandon : ces dispositifs (tour ; bureaux ouverts puis ensuite accouchement « sous X »⁵)ne faciliterai-t-il pas l’acte d’abandon ?

Point historiographique

   La pratique de l’abandon étant ancienne⁶, il n’est pas surprenant que le sujet ait intéressé des historiens dès le XIXe siècle. Parmi ces historiens nous pouvons citer Léon Lallemand⁷ qui aborde la question de l’enfance abandonnée à travers les diverses époques et les peuples : de l’Antiquité au XIXe siècle, du peuple d’Orient au peuple Grec. Après les deux conflits mondiaux, le sujet de l’enfance abandonnée intéresse toujours autant, pour preuve les travaux des historiens Jacques Dehaussy⁸ et Albert Dupoux⁹ , qui analysent à leur tour ce phénomène sur le long terme : Dupoux étudie en autres les dispositifs mis en place par l’hospice des enfants trouvés de Paris sur plusieurs années. Dans les années 1970, le sujet connaît un intérêt grandissant de la part des historiens démographes : de nombreuses recherches s’attellent à mesurer, grâce aux données statistiques, « l’aspect quantitatif » du sujet : les flux d’abandons, les taux de naissances illégitimes et de mortalité infantile. Grâce à ces analyses, ils évaluent ce phénomène social et observent sa prise en charge comme le fait Jean-Pierre Bardet pour la ville de Rouen¹⁰ . En se basant sur les registres des hôpitaux de la ville de Rouen, Jean-Pierre Bardet analyse l’assistance aux enfants trouvés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. D’autres historiens étudient l’aspect « social » du sujet comme les conditions de placements des enfants en nourrice¹¹ ainsi que leur devenir.

   Les recherches précédemment citées ouvrent la voie à de nouveaux champs d’étude ainsi qu’à l’étude de nouvelles sources, tel que les dossiers individuels des pupilles de l’assistance publique. Ces dossiers font l’objet d’une analyse d’Ivan Jablonka en 2006 dans Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939). À travers l’étude d’un échantillon de 400 dossiers de pupilles de l’assistance publique de la Seine, Jablonka nous éclaire sur l’aspect qualitatif de ces enfants placés dans des départements ruraux. Il s’intéresse à leur parcours allant de l’admission de l’enfant jusqu’ à la fin de sa tutelle(majorité ou émancipation par le mariage). Les dossiers étudiés, retraçant une période de soixante-cinq ans, permettent à Jablonka, de livrer une analyse « sur le long terme » de la prise en charge de ces enfants d’un point de vue administratif et financier. On y apprend que la situation des enfants assistés s’améliore grâce à la « politique volontariste » de la République qui est : « d’assurer l’éducation et l’avenir professionnel de ces pupilles ».Néanmoins, selon Jablonka, cette amélioration est à nuancer : la politique menée par la République n’est pas que succès puisqu’elle a entraîné chez ces enfants « déracinés » un sentiment de stigmatisation.

   L’aspect social prenant de plus en plus d’importance dans les recherches, on commence à s’interroger sur le sort, les motivations des mères « abandonneuses ». En effet la mère étant le point de départ de ce sujet d’étude, il est essentiel de comprendre son choix. Des historiens comblent ce vide historiographique¹². Antoine Rivière fait état « d’un itinéraire vers l’abandon » : l’acte d’abandon étant le plus souvent, une conséquence d’une vie de misère et de solitude de la part de la mère.

¹10 W 624 : Enfance malheureuse : documentation statistiques, correspondance 1941-1946
² Ouverte en 1633, la Maison de la Couche a pour mission d’être un refuge pour les enfants trouvés de la capitale
³ Jean-Pierre BARDET, « La société et l’abandon », in Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle, actes du colloque international de Rome (30 et 31 janvier 1987), Rome, École Française de Rome (EFR),1991, n° 140, p. 12 qualifié de « primitif de l’Assistance élaborée ».
⁴ Bardet Jean-Pierre. La société et l’abandon. In : Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle. Actes du colloque international de Rome (30 et 31 janvier 1987) Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 3-26. (Publications de l’École française de Rome, 140)
⁵ La France est le seul pays occidental, hormis le Luxembourg, l’Italie et la République Tchèque, où la loi autorise une femme à demander le secret de son accouchement et de son identité sur l’acte de naissance de l’enfant. Elle n’est jamais contrainte de donner son nom, d’où l’expression « sous X » apparue lorsqu’un « X » remplace le nom de la mère dans le dossier de l’enfant.
⁶ L’acte d’abandon existait déjà sous l’Empire Romain, selon Philippe Ariès, il revenait au père de l’enfant (citoyen) d’accepter ou non le nouveau-né
⁷ Léon LALLEMAND, Histoire des enfants abandonnés et délaissés, Paris, A. Picard, 1885
⁸ Jacques DEHAUSSY, l’Assistance Publique à l’enfance. Les enfants abandonnés, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1951
⁹ Albert DUPOUX, Sur les pas de Monsieur Vincent. Trois cents ans d’histoire parisienne de l’enfance abandonnée, Paris, Revue de l’Assistance publique à Paris, 1958
¹⁰ Jean-Pierre BARDET, « Enfants abandonnés et enfants assistés à Rouen dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. », Annales de démographie historique, 1973, Hommage à Marcel Reinhard. Sur la population française aux XVIIIe et XIXe siècles, p. 19-47.
¹¹ Catherine ROLLET, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile en France à la fin du XIXe siècle », Population, 33ᵉ année, n°6, 1978.
¹² RIVIÈRE (Antoine), La misère et la faute. Abandon d’enfants et mères abandonneuses à Paris (1876-1923), thèse dirigée par J. N. Luc et soutenue le 26 novembre 2012 à l’Université Paris IV).

 

Céline Folcher
Master 2 Sociétés modernes et contemporaines dans les mondialisations 
Mémoire sous la direction de Mme Julie Le Gac

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Inventaire des sources

I. Sources manuscrites

  Faire une étude sur les enfants assistés à l’échelle départementale durant la Seconde Guerre mondiale implique, tout d’abord de mobiliser les registres d’immatriculation des pupilles entre 1939-1945 ainsi que des rapports statistiques annuel (1938-1945) sur le nombre d’assistés. L’exploitation des registres d’immatriculation des pupilles entre 1939-1945permettent d’établir l’âge d’admission et de sortie moyen pour chaque catégorie administrative. Les rapports statistiques annuel (1938-1945) quant à eux permettent de se rendre compte de l’ampleur de l’enfance assisté.

  Autres documents de très grande importance: les dossiers individuels des pupilles nous informant sur l’état-civil et sa filiation ; le dépôt de l’enfant ou le motif qui a donné lieu à son admission ; le suivi de l’enfant durant sa tutelle, certificats médicaux ou scolaires, placements en nourrice, places à gages ou en apprentissage. Outre ces éléments, les dossiers des pupilles comportent des documents relatifs à des correspondances échangées durant la tutelle du pupille : courriers du pupille lui-même, de sa famille d’origine, des nourrices et des employeurs.

II. Sources imprimées

FABRE (François), L’assistance sociale à Montpellier en 1941, Montpellier, Union des Œuvres sociales, 1941.
Journal Officiel du 21 Avril 1943 portant sur la loi du 15 avril 1943 relative à l’assistance à l’enfance, Art 6.
Journal Officiel du 30 Juillet 1939 portant sur le « Code de la Famille » Art relatif à la lutte contre l’avortement Art 82.

Bibliographie succincte

Ouvrages sur l’Hérault

CHAUBIN (Hélène), L’Hérault dans la guerre 1939 -1945, De Borée, 2015.
CHAUBIN (Hélène), «Les femmes dans la résistance méditerranéenne. Deux exemples locaux: Corse et Languedoc», in Clio, Résistances et Libérations, France 1940-1945, Presses universitaires du Mirail, n°1, 1995.
CHOLVY, (Gérard), Histoire de Montpellier, Privat, 2001, 434 p.

Ouvrages généraux : Histoire de la Seconde Guerre mondiale

ALARY (Éric), VERGEZ-CHAIGNON (Bénédicte), Les Français au quotidien 1939-1949, Paris, Perrin, 2006, 850 p. ; réédition Perrin, collection « Tempus », 2009, 605 p.
GRENARD (Fabrice), La drôle de guerre, l’entrée en guerre des Français septembre 1939 – mai 1940,Paris, Belin, 2015, 445 p.
VEILLON (Dominique), Vivre et survivre en France, 1939-1947, Paris, Payot, 1995, 372 p.

L’enfance abandonnée et l’assistance

BARDET (Jean-Pierre), « La société et l’abandon », in Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècles. Actes du colloque international de Rome, 30 et 31 janvier 1987, Rome, EFR, n°140,1991, p. 3-26.
BECK (Colette), L’assistance en démocratie. Les politiques assistancielles dans la France des XIXe et XXe siècles, Paris, Belin, « Socio-histoires », 1998.
Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècles. Actes du colloque international deRome,30 et 31 janvier 1987, Rome, EFR, n° 140,1991.
FAUCONNIER-CHABALIER (Martine), Les destins croisés des pupilles et de leurs familles (1914-1939), Rennes, Presses de l’École des hautes études de santé publique, 2009.
GRENUT (Isabelle), Enfant de la faute, enfant du malheur : grandir sous la tutelle de l’Assistance publique dans les Basses-Alpes durant la IIIe République (1874-1940), thèse dirigée par Anne CAROL et soutenue le 8 décembre 2017 à l’Université Aix -Marseille.
JABLONKA (Ivan), Ni père ni mère, Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939),Paris, Seuil, 2006.
JEORGER (Muriel), « L’évolution des courbes de l’abandon de la Restauration à la Première Guerre Mondiale (1815-1913) », in Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècles. Actes du colloque international de Rome, 30 et 31 janvier 1987, Rome, EFR, n° 140,1991, p. 703-740.
MAKSUD (Monique), NIZARD (Alfred), « Enfants trouvés, reconnus, légitimés. Les statistiques de la filiation en France, aux XIXe et XXe siècles », Population, n°6, 1977, p.1159-1220.
ICOLAS (Martine), Coupables d’être nés : l’enfance assistée en Bas-Languedoc au XIXe siècle, thèse de troisième cycle, université Montpellier III, 1981.

Enfance, jeunesse, famille

ANDRIEU (Claire), «Démographie, famille, jeunesse», in AZEMA Jean-Pierre et BEDARIDA François (dir), La France des années noires, Paris, Seuil, 1993, t. I, pp. 453-487.
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GIOLETTO (Pierre), Histoire de la jeunesse sous Vichy, Paris, Perrin, 1991, 698p.
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