Pour commémorer les 100 ans de la marche sur Rome, le 28 octobre 2022, Serge de Sampigny signe un documentaire truffé d’images d’archives et agrémenté de témoignages de militants fascistes. Le fascisme, doctrine politique dont Benito Mussolini est l’inventeur et qui a gouverné l’Italie de 1922 à 1943, utilise essentiellement la violence pour parvenir à ses fins. Giorgia Meloni, militante de l’ex-MSI (mouvement social italien) – un mouvement néofasciste – et nouvelle présidente du conseil italien se réclamait de cet héritage dans sa jeunesse.

1918. Aux côtés de la France et de l’Angleterre, l’Italie sort victorieuse de la Première Guerre Mondiale. Paradoxe, le pays est au bord de la guerre civile. Miné par un niveau de vie trois fois inférieur à leurs camarades de tranchées français et anglais, les Italiens se révoltent. Les paysans occupent les terres, les ouvriers déclenchent des grèves et investissent les usines. Pis, ces derniers séquestrent même des patrons. C’en est trop pour la bourgeoisie d’affaires transalpine. L’ordre doit être rétabli. Pour cela, il faut pouvoir compter sur un homme providentiel. Leur dévolu se jette sur un ancien instituteur devenu journaliste. Il s’appelle Benito Mussolini.

Fils d’anarchiste et anarchiste lui-même jusqu’au déclenchement de la Grande Guerre d’où il revient blessé, celui qu’on appellera plus tard le Duce sait mobiliser les foules. Sa gouaille et ses mimiques nous feraient presque sourire aujourd’hui si on ne savait pas ce qu’a engendré le fascisme.

Mussolini en tenue de civil au milieu de ses hommes, Mussolini en chemise noire commandant à ses troupes de marcher sur Rome au congrès de Naples le 24 octobre 1922, Mussolini en redingote lors de sa nomination comme président du conseil, Mussolini en tenue militaire lorsqu’il s’agit de préparer les masses au combat, Mussolini, enfin, déguisé en officier nazi lors de l’exposition de son cadavre sur la grande place de Milan, le 29 avril 1945. Le film de Serge de Sampigny regorge d’images d’archives. Et pour cause, le Duce avait très tôt compris lepouvoir de l’image pour diffuser sa propagande.

Le documentaire se distingue aussi en ce qu’il laisse la parole aux militants fascistes de l’époque. « Si c’était à refaire, je le referais », dit l’un. « J’avais lu dans un livre que ce peuple était arriéré car, avant notre arrivée, il se soignait avec des sorciers », dit un autre quand on lui parle de la colonisation éthiopienne. « Il est normal que les gens qui ne respectent pas la loi soient punis », dit un troisième au sujet des exécutions pour délit d’opinion. Seul regret à leurs yeux, la proclamation des lois racistes à Trieste, le 18 septembre 1938. « Une connerie ! », s’exclame un ex-membre des chemises noires.

A en croire les fascistes, il n’y avait qu’un ennemi : le communisme. D’ailleurs, ils s’empressaient de briser les grèves à coup d’expédition punitive. « Au final, la seule armée à pouvoir nous protéger du communisme c’était l’armée allemande », avoue un militant fasciste venu rejoindre Mussolini à Salò  dans les derniers mois de son règne. La primauté de la « race » italienne sur les autres n’était, semble-t-il, pas une priorité pour ces gens. Maintenant que le communisme a disparu, le fascisme n’aurait donc plus de raison d’être. Pas sûr si l’on en croit, Santino Pichetti, ancien député communiste : « Si Mussolini n’avait pas été avec Hitler, il serait encore au pouvoir. »

Ce documentaire qui propose plusieurs témoignages de militants fascistes montre à quel point la doctrine politique de Mussolini n’a jamais vraiment disparu du paysage politique italien d’après-guerre. Face à la caméra, les militants parlent à visage découvert, fiers et presque nostalgiques. En les écoutant on comprend mieux comment, en 2022, Giorgia Meloni qui revendiquait l’héritage de Mussolini dans sa jeunesse peut accéder au siège de présidente du Conseil. Un situation rendue possible en raison de l’absence d’un véritable travail de mémoire depuis la chute de la République de Salò, selon certains historiens et personnages politiques transalpins[1]. La diffusion de ce documentaire 100 ans après la marche sur Rome et au lendemain de la nomination de Giorgia Meloni comme présidente du conseil n’est sans doute pas une coïncidence. Par ailleurs, le film nous surprend aussi par quelques anecdotes. On y apprend, par exemple, que Mussolini a attendu que ses troupes soient sûrs d’entrer dans Rome pour y entrer à son tour ou que le Parti National Fasciste comptait près de 10 000 membres juifs avant la promulgation des lois antisémites en 1938.

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[1] Baptiste Madinier, Italie : pourquoi l’élection de Giorgia Meloni ravive le spectre du fascisme ?, rcf.fr, 28 septembre 2022

Jean-Baptiste Carton

M1 Histoire parcours sciences sociales du politique

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