Dans cet article, l’auteure souhaite démontrer que l’ouverture des archives des congrégations des sœurs de la Charité permet de mettre en lumière les trajectoires de vie voire les aspirations individuelles des sœurs. Anne Jusseaume remet au centre des institutions religieuses les principales actrices : les femmes.
Les archives des congrégations conservent les traces de vie de plusieurs milliers de femmes, les grandes oubliées de l’Histoire et de la recherche historique. Celles qui avaient fait vœu de silence sortent ainsi « des silences de l’Histoire » (référence faite à l’Ouvrage de Michelle Perrot, Les femmes ou le silence de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998).
Les registres des communautés recèlent de trésors d’informations biographiques sur les femmes qui y vivent : leur état civil, leur catégorie sociale, le caractère de leur vocation, leur état de santé, leur caractère, leurs capacités signalées parfois dans les éloges funèbres.
En croisant ces registres, avec les chroniques et les annales (qui sont le témoignage de la volonté des sœurs de garder une mémoire de leur histoire), ainsi qu’avec les comptes rendus des visites épiscopales qui rendent compte du quotidien des femmes au sein de l’institution, il est tout à fait possible de retracer des trajectoires individuelles, des parcours biographiques ou de brèves biographies, ou même de dévoiler les raisons de l’engagement religieux de certaines.
Par la lecture des recommandations édictées aux sœurs (qui apparaissent comme des rappels à l’ordre à celles qui s’écartaient du droit chemin), il est aisé de prouver que la « bonne » sœur n’est pas toujours aussi bonne que son nom l’indique. Dans sa volonté de ne pas mettre en péril l’idéal religieux, la supérieure qui rappelle les règles quotidiennes expose à l’historien à la fois le quotidien des sœurs qui les contournent et celui de celles qui les respectent.
Mesurer la vocation est plus compliqué.
Claude Langlois (historien contemporanéiste spécialiste du catholicisme et du catholicisme féminin) a décelé les possibilités d’individualisation du comportement religieux et les dimensions de la vocation en étudiant le contexte social, psychologique et religieux, les stratégies familiales, les logiques de réseaux et d’héritage, la politique de recrutement voire le conditionnement depuis l’enfance.
La vocation ou « l’appel » apparait comme le résultat d’un ensemble de négociations entre les individus qui incarnent une institution et d’autres qui aspirent à un moment à y entrer.
Il faut rappeler que l’absence de sources personnelles des sœurs produit une asymétrie avec les sources institutionnelles.
Les registres de postulat montrent la sélection qui se fait avant l’entrée en relation. Il est possible d’établir la raison des défections et de les comparer avec les sources de celles qui sont devenues sœurs. On s’aperçoit que la piété est minime au regard des critères de santé, de moralité, de capacités à exercer leurs tâches et d’appréciation de leur famille.
L’histoire sociale de la vocation apparait comme la combinaison entre les dispositions des postulantes et des critères sociaux, économiques, médicaux, culturels, institutionnels et religieux.
Elle est une possibilité d’état de vie, une alternative au mariage, à la maternité, au célibat. Aussi, la vocation est envisagée par contraintes et/ou désirs par de nombreuses jeunes femmes.
Cette approche permet de repenser les rapports sociaux entre les sexes (relation des sœurs avec leur père, le chapelain de la congrégation, les autres religieux, les prêtres, les clercs, les évêques…) et les liens entre le monde religieux et la société.
En conclusion, il est important de souligner que le fait de croiser les différentes sources permet de mettre en relief le monde congrégationniste, de saisir les acteurs dans leur quotidien et leur complexité individuelle et de repenser les liens entre l’individu, ici la femme, et l’institution.
Mon avis :
Cet article est particulièrement intéressant car il transpose des considérations actuelles dans une époque où les aspirations personnelles de la femme n’étaient pas prises en compte. Les sources religieuses sont écrites, produites et éditées par les hommes, dans un monde réglé par les hommes. Les renseignements sur les volontés ou les caractères des femmes ne transparaissent que très rarement.
Les sources des congrégations féminines permettent de mettre en lumière la vocation charitable de ces soigneuses (vocation finalement très féminine, voire exclusivement, féminine), la vie quotidienne des femmes, bien sûr sous le spectre de l’institution religieuse, et leur trajectoire de vie.
Leur dévotion envers Dieu et envers « les pauvres malades » n’est bien évidemment pas remise en question dans une société profondément religieuse, mais on peut s’interroger sur les autres raisons de la prise d’habit…
L’entrée dans les ordres hospitaliers, quels qu’il soient, n’apparait-elle pas comme une échappatoire pour certaines femmes ? Une échappatoire qui met bien souvent leur vie en péril, puisque le contact avec les malades leur est souvent fatal et leur espérance de vie réduite.
Serait-ce une manière de s’affirmer, en tant qu’individu, au sein même d’une communauté ?
Lauren Lassère
Master 1 d’Histoire Moderne, sous la direction de Madame Caroline Galland
Références
Jusseaume Anne, « Les archives des congrégations religieuses féminines : nouvelles sources et nouveaux objets pour l’histoire sociale à l’époque contemporaine », Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines [En ligne], 128-2,2016.
URL : http://journals.openedition.org/mefrim/3053 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mefrim.3053
Quelques mots sur l’auteure
Anne Jousseaume enseigne au centre d’Histoire de sciences politique. Elle a soutenu une thèse en 2016, sous la direction de Jean-François Chanet et Philippe Boutry intitulée, Soin et société dans le Paris du XIXe siècle. Les congrégations religieuses féminines et le souci des pauvres.
Elle étudie l’histoire du genre, le travail des femmes, la vocation religieuse, le soin et les pratiques de santé.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Hugues des Ligneris (28 novembre 2022). Lauren Lassère. “Les archives des congrégations religieuses féminines” d’Anne Jusseaume. Le genre, une nouvelle approche du fait religieux. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 16 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzgl