A l’occasion des soixante ans de l’indépendance de l’Algérie, la Maison Française de Columbia University propose une réflexion sur les images de la révolution algérienne et leur postérité. Les différents événements proposés s’articulent autour d’une exposition de photographies prises par Mohamed Kouaci, qui n’avaient jamais été montrées en dehors de l’Algérie.
Je commente l’exposition de photographies de Mohamed Kouaci ainsi que la conversation qu’a eu le commissaire de l’exposition, Adel Ben Bella, avec Safia Kouaci et Meriem Merzouga. Le programme complet des événements ainsi que les liens des enregistrements se trouvent à la fin de l’article.
Exposition – Mohamed Kouaci : Vision(s) of Algeria
Mohamed Kouaci a été l’un des rares photographes algériens à avoir documenté l’intégralité de la guerre d’indépendance algérienne du côté du Front de Libération Nationale (FLN) ainsi que les premières années (1962-1965) de la nouvelle nation algérienne. Praticien autodidacte et militant du FLN, il a été chef du service photographique du ministère de l’Information du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) ainsi que l’unique photographe et rédacteur en chef photo du journal du FLN, El Moudjahid, de 1958 à 1962. Ayant rejoint les combattants de l’armée implantés à la frontière tunisienne dès 1958, il n’a pas pu entrer en Algérie pendant la majeure partie de la guerre en raison de la fermeture des frontières par l’armée française. Malgré cela, son travail a permis de créer une vision durable et puissante de la guerre d’Algérie et du récit de sa révolution, dans le but de s’opposer à la vision française de celles-ci.
L’exposition a été conçue par Adel Ben Bella en deux tableaux, dont le deuxième a été divisé en deux parties latérales qui entourent le premier.
Le tableau central, Vision(s) of Independence, est le fruit du retour de Kouaci à Alger lors de l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. La joie du peuple algérien transparaît sur ces photos où l’on voit hommes et femmes rire et danser dans les rues d’Alger. Kouaci réussit à capturer ce moment fugace, cet entre-deux suspendu, entre la fin de la guerre, qui signe la fin de la domination coloniale française, et le début d’un tout nouveau régime : la République Algérienne Démocratique et Populaire.
Derrière ces images puissantes d’un peuple en communion, que l’on voit danser et rire dans les rues d’Alger, Kouaci nous offre un aperçu du parcours qui a conduit à ce moment. Il retrace à la fois l’histoire populaire, mais également l’histoire des intellectuels, l’histoire politique ou encore l’histoire de la représentation de la guerre. Nous assistons à des réunions de l’Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens (UGEMA), mais également du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), successivement dirigé par Ferhat Abbas et Benyoucef Ben Khedda. Le photographe nous montre aussi la guerre des images que livrait le FLN à la France, le FLN ayant bien compris qu’il lui était crucial de la remporter s’il voulait gagner la guerre et parvenir à l’indépendance. Enfin, Kouaci relate le moment où les différents acteurs, politiciens, militants et soldats, comme Ben Bella, Boumediene, Boudiaf, Ben Khedda et bien d’autres, rentrent à Alger, prêts à livrer la dernière bataille de la révolution, la bataille pour le pouvoir.
En juxtaposant ces photographies prises par Mohamed Kouaci autour de l’indépendance, Adel Ben Bella réussit à rendre compte de la complexité et de la multiplicité des réalités qui co-existent à un même moment et dans un même espace. En faisant dialoguer ces réalités, il parvient à mettre en perspective la joie du peuple algérien, les tensions politiques et la guerre des images menée par le FLN.
Autour de ce tableau central se trouvent deux tableaux qui n’en forment en réalité qu’un seul : Vision(s) of a War.
Depuis sa base tunisienne, Kouaci a activement participé à la production de récits de la guerre qui ont largement contribué à la perception de celle-ci dans le monde entier. Bien qu’il soit attaché à la figure héroïque du moudjahid et de l’armée révolutionnaires, Kouaci a également passé une grande partie de son temps à photographier les soldats en dehors de leur entraînement militaire, ainsi que la vie de milliers de réfugiés algériens. En capturant de nombreuses images de la vie quotidienne, il retrace la création d’un proto-État en devenir. En effet, nous pouvons voir l’émergence de services de santé, la création d’hôpitaux cachés dans des grottes de la montagne ou encore l’apparition de maisons d’enfants destinées à la scolarisation et à la formation technique des enfants de réfugiés et de soldats. Ces photographies permettent également de redonner une place centrale aux femmes au sein d’une guerre dominée par les hommes.
L’exposition, à travers un collage kaléidoscopique de moments et de visages, nous permet de complexifier notre compréhension de la guerre et nous ouvre à de nouvelles interprétations au-delà des catégories de la violence pure, de la lutte armée et de l’héroïsme masculin pour nous offrir un portrait complexe et changeant de la révolution algérienne.
En outre, un album photo est mis à la disposition du public. Dans cet album photo se trouvent une cinquantaine de portraits réalisés par Mohamed Kouaci, de femmes et d’hommes ayant participé à la Révolution. On y trouve ainsi, entremêlés, le portrait officiel d’Ahmed Ben Bella, des portraits de Rabah Bitat, Baya Hocine ou encore Frantz Fanon côtoyant les visages anonymes de combattants du FLN et de femmes et enfants réfugiés en Tunisie. Ces photos de réfugiés, publiées dans El Moudjahid, ont grandement participer à l’éveil de la conscience internationale au problème algérien et à l’accroissement de l’aide humanitaire envoyée en Tunisie.
Commissariat de l’exposition
Adel Ben Bella est doctorant en culture moderne et médias à Brown University. Il est titulaire d’une licence en Lettres Modernes Spécialisées de l’Université de La Sorbonne, et d’un MFA en réalisation de films de l’Université de Columbia. Son travail porte sur la France et l’Algérie coloniales et postcoloniales, et plus particulièrement sur la création médiatique et littéraire militante et activiste dans le contexte de la guerre d’Algérie et de la formation de l’identité algérienne. Adel est également un réalisateur de documentaires en activité.
Il travaille actuellement sur le fonds de photographies de Mohamed Kouaci qui lui a été prêté par la veuve de ce dernier, Safia Kouaci. C’est en lien avec sa recherche qu’il a eu l’idée de créer cette exposition d’une centaine de photos d’abord exposée à Brown University puis à la Maison Française de Columbia University.
Conversation avec Safia Kouaci et Meriem Merzouga
Adel Ben Bella a pu converser avec deux témoins privilégiés à l’occasion du vernissage de l’exposition. Le vernissage a eu lieu à la Maison Française de Columbia University le 1er novembre 2022, date qui fait référence à la Toussaint Rouge du 1er novembre 1954.
En conversant avec Safia Kouaci, veuve de Mohamed Kouaci, et Meriem Merzouga, ancienne militante du FLN, Adel Ben Bella parvient à entrelacer avec générosité histoires personnelles et histoire plus large, en nous offrant un récit de l’intérieur des grands moments qui ont jalonné la révolution algérienne.
Safia Kouaci était présente pour le vernissage de l’exposition et a pu nous donner des clés de lecture des photographies prises par son mari.
Meriem Merzouga est quant à elle revenue sur son enfance à Alger dans les années 1940, puis son engagement progressif pour le FLN dès 1954, qui l’a obligée à fuir vers Paris en 1957 pour échapper à une arrestation des parachutistes. Elle pensait revenir en Algérie une semaine après son départ, mais elle a finalement été contrainte de rester en France jusqu’à la fin de la guerre.
Une fois arrivée en France, Meriem Merzouga s’est engagée au sein de la Fédération de France du FLN. Elle a rejoint le collectif des avocats chargés de constituer comme prisonniers politiques les cinq dirigeants du FLN, capturés lors du détournement de leur avion le 22 octobre 1956 : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf, Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf. Meriem Merzouga a ainsi pu s’entretenir longuement avec eux et constitue de fait une témoin privilégiée de la formation du premier gouvernement algérien et de l’État algérien indépendant naissant.
Clara WILHELM
Programme complet :
Curated by Adel Ben Bella, the photography exhibit centers on the work of Algerian photographer Mohamed Kouaci.
The wartime photography of Mohamed Kouaci, which is being exhibited for the first time outside Algeria, presents an opportunity to reflect on photography as a site of memory. Four scholars of Algerian visual culture discuss how the history of the Algerian War has been communicated through images. The discussion will be led by Marianne Hirsch, whose work has shaped conversations on memory and photography.
Panelists:
– Meryem Belkaïd, Assistant Professor of Romance Languages and Literatures, Bowdoin College
– Zeynep Çelik, Distinguished Professor of Architecture and Design, New Jersey Institute of Technology; Sakıp Sabancı Visiting Professor of History, Columbia University
– Samia Henni, Assistant Professor of History and Theory of Architecture and Urbanism, Cornell University
– Jill Jarvis, Assistant Professor of French, Yale University
Moderated by Marianne Hirsch, William Peterfield Trent Professor of English and Comparative Literature & Professor in the Center for the Study of Sexuality, Columbia University
- Conversations with Safia Kouaci and Meriem Merzouga
Moderated by: Adel Ben Bella, curator and PhD student in Modern Culture and Media, Brown University
Safia Kouaci is an ex FLN militant and the widow of Algerian photographer Mohamed Kouaci, with whom she shared her life for almost half a century until his death in 1996. She spent most of the war in Tunis as a documentalist at the Centre de documentation du ministère de l’information, participating in the making of the FLN newspaper El Moudjahid, where Mohamed Kouaci was photo editor and photographer.
Meriem Merzouga, originally from the Casbah of Algiers, was a close aide to first Algerian President Ahmed Ben Bella. Based in France during most of the war, she was active in the French Federation of the FLN until returning to Algeria in 1962. She became a privileged witness of the formation of the first Algerian government and nascent Independent Algerian State.
This series of screenings composed of newsreels, propaganda films, military films and archival documents produced during and around the Algerian Revolution by foes and allies alike, never or rarely shown in the U.S., was specially curated by Olivier Hadouchi and Adel Ben Bella for Algeria at 60: Images from a Revolution at the Columbia Maison Française and Brown University. English subtitles were added for this curated program. These screenings explore the creation and production of the myth of the Algerian Revolution through the moving image. Tracing how the Algerian Revolution became the anti-colonial struggle par excellence, these films demonstrate how its example, narrated through images, both drew from and inspired other anti-colonial struggles in Africa and beyond (Cuba, Angola, Mozambique, Palestine, etc.)
Pour des raisons de droits, il est impossible de donner accès aux films.
Photography has been an important point of departure for the exploration of the political possibilities of images in contemporary Algeria. In this panel discussion in French, Ammar Bouras and Mourad Krinah, two leading Algerian visual artists, discuss visual culture and politics with Selma Hellal, visionary editor of Barzakh Press.
Panelists
– Ammar Bouras, Algerian Photographer and Visual Artist
– Selma Hellal, co-founder of Barzakh publishing house in Algiers
– Mourad Krinah, Algerian Visual Artist and Graphic Designer
Moderated by Madeleine Dobie, Chair of French Department, and Professor of French and Comparative Literature, Columbia University
The 60th anniversary of Algerian independence takes place within a tense yet galvanizing political context in Algeria. The Hirak protests, which mounted the most serious challenge since 1988 to the army-backed regime and ended the two decades presidency of Abdelaziz Bouteflika in 2019, became the largest and longest lasting protest movement in the country’s young history. Starting with a reflection on images of popular protest, our panelists will discuss how the Hirak has challenged the core of the FLN state legacy and its co-optation of narratives of the Algerian Revolution.
Panelists:
– Brahim Rouabah, PhD candidate in Political Science, CUNY
– Nadia Sariahmed-Belhadj, Lecturer in the Department of Middle Eastern, South Asian, and African Studies, Columbia University
Moderated by Ahmed Mitiche, PhD student in Anthropology, Columbia University
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
raphaellamiral (29 novembre 2022). Clara WILHELM. Thinking Algeria at 60: Images from a Revolution – Série d’événements à la Maison Française de Columbia University à New-York. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 13 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzgn