En mai et juin 1940, la France subit le plus grand désastre militaire de son histoire. L’armée française, réputée comme étant la première armée du monde à la suite du premier conflit mondial, est balayée en six semaines.

Une préparation et une doctrine d’emploi d’un autre âge éclatent au grand jour. Le nombre insuffisant de chars, pièces maîtresses du corps de bataille, et une défense antiaérienne quasi inexistante ont clairement fait défaut devant la Wehrmacht. Très vite, de plus en plus d’autorités civiles et militaires se rallient à l’idée de cessation des hostilités. La capitulation ou l’armistice ? Tel semble être le seul sujet des décideurs en place. Pourtant, d’autres ne pensent qu’à continuer la lutte. Charles de Gaulle, sous-secrétaire d’État à la Défense Nationale, s’exile à Londres pour continuer d’entretenir la flamme de la nation française, refusant la défaite et l’asservissement. Rejoint par des hommes et des femmes venus de tous les horizons, la France libre ne devient pas seulement une petite armée mais une entité politique sur laquelle les Alliés pourront compter. Le 20 novembre 2020, Daniel Cordier, qui fut le secrétaire de Jean Moulin, s’est éteint à l’âge de 100 ans. En 1940, il se met à la disposition du Général de Gaulle pour continuer la lutte. Sa disparition nous rappelle que les derniers acteurs de cette période nous quittent. Cet article a pour but de rappeler ou de faire découvrir ces Français qui décidèrent de choisir la dissidence pour défendre les valeurs de notre pays. Revenons donc sur cette épopée.

Charles de Gaulle : Un esprit visionnaire

Il est intéressant de revenir sur cet officier qui comprit les problématiques de son temps. Charles de Gaulle est né en 1890 dans une famille catholique et patriote. Sorti de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1913, il est affecté au 33^ème régiment d’infanterie d’Arras, commandé par un certain Colonel Philippe Pétain. Son chef de Corps remarque très vite ses qualités. Durant la Grande Guerre, il s’illustre à de nombreuses reprises, ce qui lui vaut d’être promu au grade de Capitaine. En 1916, blessé à Verdun lors de la chute du fort de Douaumont, il est fait prisonnier et le reste, malgré plusieurs tentatives d’évasion, jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918. Durant l’entre-deux guerres, il publie plusieurs ouvrages, parmi lesquels Vers l’Armée de métier : conscient des avancées technologiques, il y préconise notamment la création de divisions blindées.

Charles de Gaulle n’est pas seulement un grand patriote, amoureux de la France. C’est aussi un visionnaire, qualité qu’il partage avec le premier ministre britannique, Winston Churchill qui n’avait eu de cesse d’alerter sur le danger hitlérien durant les années 1930. Lorsque l’on étudie l’appel lancé le 18 juin 1940, sur les ondes de la BBC, de Gaulle n’appelle pas seulement à poursuivre la lutte mais explique aussi ce qui fera gagner les Alliés. Il évoque l’empire colonial de la France. Lorsqu’il était membre du gouvernement de Paul Reynaud, de Gaulle avait notamment émis l’hypothèse de poursuivre la lutte depuis l’Afrique du Nord. Se heurtant au défaitisme ambiant qui régnait autour de Pétain et Weygand, ce projet n’aboutira pas. Il évoque le potentiel industriel américain alors qu’un courant isolationniste domine encore les États-Unis en cette année 1940. Notons que le Président des États-Unis, Franklin Roosevelt, ne pourra rester éternellement à l’écart du conflit ; il faudra néanmoins attendre l’attaque japonaise de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, pour que l’Amérique ne soit plus uniquement « l’arsenal des démocraties » mais bien un allié à part entière. Enfin, de Gaulle est conscient qu’une « force mécanique supérieure » peut mener à la victoire. Rappelons que les chars français se révélaient techniquement supérieurs aux chars allemands, comme à Montcornet ou sur la Somme. Mais utilisés en trop petit nombre, en appui de l’infanterie et sans renfort aérien, ils ne purent faire la différence face aux divisions de Panzer. De plus, de Gaulle n’accepte pas que la France demande l’armistice alors que la plupart des gouvernements des pays se trouvant sous la botte nazie se sont exilés à Londres et continuent officiellement de s’opposer à Hitler. Tout comme les Polonais, les Tchèques ou encore des Belges, des Français ressentent la même chose que lui.

Les Français libres de la « première heure »

Il faut noter que très peu de Français écoutent l’Appel du Général de Gaulle. Ceux qui décident, en cet été 1940, de continuer le combat, n’ont tout simplement pas supporté le discours défaitiste du Maréchal Pétain. Mais qui sont ces Français qui décident de poursuivre le combat et de rejoindre Londres ?

 

Ce sont des unités constituées qui, au moment du déclenchement de la bataille de France, se trouvaient dans la mer du Nord ou dans le fjord de Narvik. Lorsque les Allemands déferlent sur l’Hexagone, ces Français reçoivent l’ordre de revenir au pays. Ils se trouvent en Angleterre ou à proximité au moment de la demande d’armistice du 17 juin 1940. Parmi ces unités, se trouvent la 13^ème Demi-Brigade de la Légion Étrangère (DBLE), qui sera bientôt le socle des forces terrestre de la France libre, ou encore des bâtiments de la flotte qui avaient déjà commencé le combat aux côtés de la Royal Navy.

Ce sont, pour la plupart, des officiers subalternes âgés de trente à quarante ans. Trop jeunes pour avoir connu les combats de 1914-1918, ils avaient vu leurs pères partir défendre la patrie et avaient été élevés dans cet esprit de revanche ayant éduqué deux générations de Français, à l’image de Philippe de Hauteclocque, capitaine d’état-major qui juge impensable de se soumettre à l’ennemi. Certains n’ont pas eu l’occasion de combattre et sont lucides sur le potentiel qu’il reste à l’armée française. C’est le cas de nombreux cadres basés outre-mer. Honoré d’Estienne d’Orves, officier de marine, basé à Alexandrie durant les hostilités, se refuse à suivre le Maréchal Pétain. Pierre Messmer, Lieutenant détaché dans l’Armée de l’Air, n’a pas eu l’occasion de combattre. Il décide, avec un ami, de s’embarquer sur un cargo en direction de Gibraltar puis vers l’Angleterre. Ces officiers ont tous un point commun. Lorsqu’ils décident de rejoindre Londres, ils savent qu’ils entrent en dissidence. Ils accomplissent donc un acte individuel. Ils sont le plus souvent isolés et n’ont pas à se poser la question de l’avenir de leurs subordonnés placés sous leurs ordres, car un officier digne de ce nom n’abandonne pas ses hommes. Pierre Messmer écrit dans ses mémoires : « Officier de l’Armée de Terre détaché dans l’aviation, je n’avais aucun commandement, donc aucune responsabilité à l’égard d’autres hommes.¹»

Ce sont des pilotes, confirmés ou en formation. Nous retrouvons au sein de la jeune Armée de l’Air plus d’actes collectifs, dans les bases aériennes ou les écoles de pilotages. Il est plus facile pour un pilote de rejoindre les unités combattantes en Angleterre ou en Afrique du Nord, que pour un individu qui, au sol, doit affronter de multiples épreuves. Roland de La Poype, élève pilote en juin 1940, rallie l’Angleterre avec ses camarades.

Ce sont des jeunes Français nés dans les années 1920. Certains se destinent aux grandes écoles, comme Jean-Matthieu Boris. Lorsque la France est attaquée, alors qu’il prépare le concours d’entrée à l’école Polytechnique, il n’est pas question pour lui d’accepter la défaite. Profondément patriote et ayant reçu l’éducation de sa grand-mère qui avait quitté Metz lorsque la ville était allemande, pour lui, « prendre les armes pour défendre la France n’est qu’un réflexe »². Il décide donc de s’embarquer clandestinement dans le Sud-Ouest de la France, aux côtés d’une unité polonaise, pour partir en direction de l’Angleterre. Ces jeunes gens se révèleront plus tard être des aspirants qui feront l’honneur et la colonne vertébrale des Forces Françaises Libres.

Ce sont des hommes et des femmes sans expérience militaire qui sont écœurés à l’écoute du discours du Maréchal Pétain, demandant à cesser le combat. On retient notamment les hommes de l’Île de Sein qui font partie des premiers à rejoindre le général de Gaulle et poursuivent la lutte dans les Forces Navales Françaises Libres (FNFL). Il existe une autre motivation poussant des Français à s’engager : venger les morts de la bataille de France. Rappelons que les combats de mai et juin 1940 ont fait près de 100 000 morts du côté l’armée français. Roland de La Poype, qui a rejoint l’Angleterre apprend la mort au combat de son père engagé dans les opérations de mai/juin 1940. Une raison de plus pour lui de continuer le combat³.

De Gaulle est-il le seul officier général désireux de continuer le combat en 1940 ? Les sources nous apprennent que non. Si, en métropole, la plupart des officiers restent dans la légalité, il en va différemment dans l’Empire. Compte tenu des forces qu’il reste à la France, des généraux comme Noguès, alors gouverneur général d’Afrique du Nord, montrent leur désaccord avec la décision du Maréchal. Mais dans une institution ou l’esprit de discipline et d’obéissance sont des valeurs inébranlables, la plupart des généraux et amiraux restent à disposition du gouvernement, pensant qu’un jour le vainqueur de Verdun sonnera l’heure de la revanche. Néanmoins, quelques généraux entrent en dissidence. C’est le cas du Général Legentilhomme, relevé de son commandement, prend l’initiative de continuer le combat depuis l’Empire, avant de se ranger sous l’autorité du Général de Gaulle. Notons également le ralliement du Général Catroux en provenance d’Indochine et de l’Amiral Muselier, qui avait été placé en retraite quelques années plutôt. Ces officiers, qui n’ont pas de commandement, ne décident pas de constituer leurs propres forces combattantes mais de rallier l’ancien membre du gouvernement, en qui ils voient déjà un chef politique.

Au fil des mois d’autres rejoignent la lutte en gagnant l’Angleterre ou en entrant dans ce qui devient la Résistance. Dès sa démobilisation en décembre 1940, Guy Hattu, jeune sous-officier, quitte l’Afrique Occidentale Française pour le Brésil. Il adhère au Comité de la France libre de Rio, avant de partir pour l’Angleterre⁴. Qu’ils soient issus de la classe bourgeoise, apolitiques, issus de la gauche ou même adhérents de l’Action française, ils ont tous en commun un profond sentiment patriotique. Ces ralliements individuels se poursuivent mais semblent insuffisants pour constituer une véritable force indépendante.

Les premières difficultés

Le Général de Gaulle « invite tous les Français qui se trouvent en territoire britannique ou qui seraient amenés à s’y trouver, à se mettre en rapport avec lui. » Cependant, rejoindre l’Angleterre n’est pas chose facile pour ceux qui le souhaitent. Durant les derniers jours de juin 1940, les navires qui quittent les côtes de la France sont susceptibles d’être bombardés par la Luftwaffe. De plus, l’Angleterre est sur le point de ne plus être officiellement un allié.

Ceux qui ne disposent ni de bateau, ni d’avion, doivent emprunter un itinéraire qui les conduit par la péninsule ibérique pour rejoindre Gibraltar. Ainsi Philippe de Hauteclocque bénéficie d’un passeport établi par le Consul du Portugal Sousa Mendès (connu pour avoir aidé de nombreux Juifs à fuir les persécutions), pour rejoindre l’Angleterre. D’autres, basés en Afrique, rallient Gibraltar ou Malte, jusqu’à ce que le nouveau gouvernement interdise les départs en direction des territoires britanniques. Lorsqu’ils y parviennent, ils sont isolés et interrogés par les services de sa Majesté. Comment appréhender ces Français qui prétendent vouloir continuer la guerre alors que le gouvernement légal cesse le combat et est susceptible de devenir un pays ennemi ?

La question du devenir de la flotte française continue d’embraser les relations franco-britanniques. L’armistice entré en vigueur prévoit que la flotte française ne sera pas livrée aux Allemands mais devra rejoindre ses ports d’attaches pour être désarmée. Or la plupart des ports se trouvent en zone nord et dans les faits, les Allemands pourraient s’en emparer à tout moment, constituant ainsi une menace terrible pour les Iles britanniques. Le 3 juillet 1940, Churchill déclenche l’opération « Catapult » afin de s’emparer des bâtiments français présents dans les ports britanniques et de contraindre les forces navales présentes en Afrique. Si la force X mouillant à Alexandrie est préservée à la suite d’une négociation entre l’Amiral Cunningham et l’Amiral Godfroy, la Flotte de Mers El-Kébir est finalement détruite. La marine française dénombre 1295 morts. Ce drame marque profondément les Français qui voient désormais les Britanniques comme des agresseurs. Mers El-Kébir marque un coup d’arrêt au recrutement des volontaires de la France Libre. Pire, nombreux sont ceux qui avaient décidé de poursuivre la lutte et qui décident finalement de rentrer en France et de se mettre à la disposition du Maréchal Pétain. À la fin du mois de juillet 1940, la France Libre ne compte qu’environ 7000 hommes. Notons également que si des soldats, des marins, des aviateurs et des civils sans expérience militaire rejoignent ce Général en dissidence, aucun homme politique ne décide de partir pour Londres, ce qui constitue un handicap pour lancer la légitimité de son mouvement. Winston Churchill en est bien conscient. Lors des accords d’août 1940, le gouvernement britannique reconnaît la France Libre comme allié. Les seuls messages que de Gaulle reçoit en provenance de France sont l’ordre de se présenter devant un conseil de guerre à la fin du mois de juin 1940 et sa condamnation à mort au début du mois d’août. Le chef de la France Libre et ceux qui l’ont rejoint ne peuvent plus faire marche arrière.

Mers El-Kébir réveille un sentiment d’anglophobie en France. Les souvenirs de Trafalgar et de Fachoda mettent le voile sur l’entente cordiale de 1905. Ainsi, les quelques Français qui rejoignent le Général de Gaulle sont présentés par la propagande de Vichy comme des mercenaires à la solde de l’Angleterre. Des officiers comme Philippe de Hauteclocque, qui prend bientôt le pseudonyme de Leclerc pour protéger sa famille restée en France, sont condamnés à mort par contumace. Pour autant, cette minorité de Français qui refusent la défaite et l’asservissement est bien décidée à continuer la guerre.

Aux côtés des Britanniques

Les bâtiments de la flotte sont rassemblés sous le nom de Force Navale Française Libre (FNFL), créée par l’Amiral Émile Muselier. Après l’opération Catapult, il réussit à convaincre les Britanniques que les navires français peuvent contribuer à la lutte contre l’Allemagne nazie. Muselier reprend donc possession de 15 destroyers, 4 sous-marins, ainsi que des corvettes et des avions. Environ 6000 marins participent aux missions de la Royal Navy et à la protection des convois durant la bataille de l’Atlantique. N’oublions pas non plus les cargos de la marine marchande qui permettent le ravitaillement indispensable à la survie des Britanniques. L’insularité se présente une force, mais peut aussi être une faiblesse face à l’ennemi. Dès l’été 1940, 13 pilotes français rejoignent les escadrilles de la Royal Air Force (RAF) et participent à la Bataille d’Angleterre. Le Fighter Command⁵ du Maréchal de l’Air Dowding est renforcé par de nombreux pilotes venant de l’Empire Britannique

(Canada, Australie, Afrique du Sud) mais aussi des volontaires de pays occupés par le Reich et dont les gouvernements sont exilés à Londres. Ainsi les pilotes français se joignent notamment à des Polonais et des Tchèques.

La plupart des volontaires de 1940 sont jeunes, avec peu ou pas d’expérience militaire. Il est donc nécessaire de les instruire ou, a minima, de compléter leur instruction. Il est donc procédé, sur le territoire britannique, à la création d’écoles de cadres chargées de former les aspirants, qui seront le véritable creuset des Forces Françaises Libres. Une école navale forme ainsi les futurs officiers de marine des FNFL. Les élèves pilotes se perfectionnent chez leurs camarades britanniques. L’arrivée de pilotes permet la création des Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL).

Lorsque les volontaires terminent leur instruction, ils sont affectés à des unités des Forces Françaises Libres. Jean-Matthieu Boris, nommé au grade d’aspirant en mai 1941, rejoint le 1er régiment d’artillerie. Pour ceux ayant déjà une formation militaire, ils sont incorporés dans les unités s’étant ralliées à la France Libre, comme Pierre Messmer qui rejoint la 13ème Demi-Brigade de la Légion Étrangère (13^ème DBLE), en tant que chef de section. Cette petite armée des Forces Françaises Libres est placée sous le commandement britannique. Comme la RAF, cette armée est cosmopolite, regroupant les unités de l’Empire et des unités constituées de volontaires venant de pays occupés par le Reich et refusant la soumission. La France Libre se dote bientôt d’un service de renseignement et d’action, le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), commandé par le Colonel Passy.

Durant l’été 1940, la France Libre poursuit le combat sur mer et dans les airs au côté des britanniques. Cependant, il faut attendre la constitution de forces conséquentes pour que les FFL puissent poursuivre le combat sur terre. C’est l’une des raisons qui poussent de Gaulle à rallier l’Empire à sa cause.

Le ralliement des colonies

Pour que la France libre puisse peser sur les plans militaire et politique, il est impératif que l’Empire se joigne à la cause commune car il est aussi synonyme de ressources en matières premières pour l’économie de guerre et pour la constitution d’une force armée indépendante des Britanniques. L’Empire colonial français, le deuxième du monde, est préservé des conventions de l’armistice et demeure donc sous l’autorité de Vichy. Le Général décide de tenter un débarquement à Dakar afin de rallier l’Afrique Occidentale Française. Mais la flotte restée fidèle à Pétain et Darlan ne commet pas la même erreur qu’à Mers El-Kébir. La tentative de de Gaulle est un échec et la force doit se replier sur le Gabon. Le chef de la France libre décide également de missionner des émissaires chargés de rallier les différents territoires. Ils se nomment Leclerc, Pleven et Hettier De Boislambert. Malgré l’échec de Dakar, le travail des émissaires porte ses fruits. Le Tchad de Félix Éboué se rallie, ainsi que le Gabon après une opération militaire conduite par Leclerc. La France libre peut dès lors apporter son concours dans le combat contre les forces de l’Axe en Afrique.

Les Français libres prennent part aux opérations en Érythrée, contre les Italiens. Les légionnaires de la 13, commandé par le Colonel Montclar, démontrent leurs qualités combattantes aux Britanniques en les aidant à chasser les Italiens de la corne de l’Afrique. Ils s’illustrent également en Lybie avec la colonne Leclerc qui reprend l’oasis de Koufra. C’est alors que Leclerc et ses hommes font le serment de ne déposer les armes que lorsque les couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg.

L’affaire de Syrie : le traumatisme d’un combat fratricide

Ce que l’Histoire a retenu sous le nom de « l’affaire de Syrie » est un véritable traumatisme tant pour les Français libres que pour les forces restées fidèles au gouvernement légal. Lorsque les Allemands demandent à pouvoir bénéficier du survol et d’escales en Syrie dans le but de soutenir la rébellion irakienne face aux Britanniques, la collaboration d’État présentant déjà un aspect politique et économique prend un aspect militaire. Ce dernier type de collaboration, très critiqué par les militaires restés fidèles au Maréchal, constitue une nouvelle étape vers la désolidarisation envers le gouvernement de Vichy. De leur côté, les Britanniques décident de lancer une expédition en Syrie afin de s’emparer de ce territoire et de mettre un terme au soutien de la Luftwaffe en Irak.

Churchill donne l’ordre de s’emparer du Levant. La France libre marche aux côtés de son allié. Après un mois de combat les troupes du Général Dentz restées fidèles à Vichy se rendent, après la signature de l’armistice à Saint-Jean d’Acre, le 14 juillet 1941.

La résonnance de Bir-Hakeim :

En Libye, les Britanniques doivent faire face à l’avancée des Italiens et de l’Afrika Korps de Rommel qui menace l’Égypte. Le repli général est donc ordonné. La 1ère Brigade Française Libre (1^ère BFL) du Général Koenig, placée au sud du dispositif, a pour mission de retarder l’avance des forces de l’Axe dans le secteur de Bir-Hakeim. La plupart des Français libres qui jusqu’ici avaient eu affaire aux Italiens et aux vichystes, affrontent pour la première fois les Allemands depuis juin 1940. Du 27 mai au 10 juin 1942, les Français libres parviennent à contenir les forces de l’Axe, permettant ainsi au reste des troupes britanniques de se replier. Les hommes de Koenig parviennent à ouvrir une brèche et évacuent leurs positions le 10 juin. Cette bataille rencontre un formidable écho. Dans un message adressé au Général Koenig, le Général de Gaulle déclare : « (…) Général Koenig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil. » Ces combats de Bir-Hakeim se révèlent être d’importance militaire et politique. La 1^ère BFL compte 129 tués, 190 blessés, 612 prisonniers et 47 disparus.

S’il ne fait pas bon être prisonnier de guerre, cela l’est encore moins lorsque l’on est un Français libre. À la suite des armistices signés par les représentants de Vichy avec l’Allemagne et l’Italie, la France doit, selon les lois de la guerre, se tenir en dehors de combats. Les gaullistes sont donc considérés comme des rebelles. Par conséquent, les Allemands et les Italiens ne s’estiment pas obligés de respecter les conventions internationales à l’égard de ces prisonniers. La radio allemande communique que « les Français blancs et de couleur faits prisonniers à Bir-Hakeim, n’appartenant pas à une armée régulière, subiront les lois de la guerre et seront fusillés. » Dès lors, de Gaulle menace en faisant diffuser à la BBC le communiqué suivant : « Si l’armée allemande se déshonorait au point de tuer des soldats français faits prisonniers en combattant pour leur patrie, le Général de Gaulle fait connaître qu’à son profond regret, il se verrait obligé d’infliger le même sort aux prisonniers allemands tombés aux mains de ses troupes. » À la suite de cette joute radiophonique, aucun prisonnier de guerre n’est fusillé⁶.

Les Français libres s’illustrent ensuite durant la bataille d’El Alamein, qui marque le véritable de tournant de la guerre du désert. À présent, l’Axe ne fait plus que reculer jusqu’à l’arrivée des Américains. En métropole, grâce au travail de Jean Moulin les principaux mouvements de résistance reconnaissent le Général de Gaulle comme chef. La France libre est rebaptisée la France Combattante.

La France Combattante est-elle la France ?

Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent sur les côtes d’Afrique Française du Nord. L’arrivée des Alliés a été préparée par le fameux « groupe des 5 » officiers de l’Armée d’Afrique et les groupes gaullistes. Après une opposition des vichystes obéissant aux ordres du Maréchal Pétain, l’Amiral Darlan, présent à Alger, ordonne le cessez-le-feu. Les Alliés n’avaient pas prévu la présence de ce dauphin du Maréchal, resté à Alger en raison de la maladie de son fils. Il était convenu que le Général Henri Giraud, récemment évadé d’Allemagne, prenne le commandement civil et militaire en Afrique du Nord. Le Général de Gaulle demeurant à Londres, est mis volontairement à l’écart du plan prévu.

Pour le Président américain Roosevelt, le Chef de la France Libre est un apprenti dictateur qui doit être évincé de toute fonction politique. Privilégiant les intérêts de son pays qui impose un consensus avec le nouvel allié américain, et compte-tenu de son apport dans la guerre, Churchill s’entend de plus en plus avec son homologue américain, aux dépends de de Gaulle. L’assassinat de l’Amiral Darlan, qualifié d’expédient provisoire, le 25 décembre 1942, permet au Général Giraud de prendre ses fonctions de gouverneur civil et militaire en Afrique du Nord. Il s’agit pour lui de rassembler les troupes de l’Armée d’Afrique pour reprendre le combat aux côtés des Britanniques et des Américains. Ce n’est pas sans compter de Gaulle, qui arrive de Londres. Les FFC voient d’un mauvais oeil l’arrivée de Giraud qui poursuit la politique de Vichy au nom du Maréchal, considéré comme prisonnier des Allemands en métropole. D’ailleurs, des mesures de rétorsion sont prises contre les gaullistes et ceux ayant trempé dans l’insurrection. Lorsque de Gaulle arrive en Afrique du Nord, il a l’obligation de composer avec Giraud. À la suite de la conférence d’Anfa, il est prévu que l’armée française soit rééquipée avec du matériel américain. Cependant, les antagonismes entre gaullistes et anciens vichystes ne sont pas effacés. Mers El-Kébir, Dakar, la Syrie ont laissés des traces. Pour les exvichystes, les partisans de de Gaulle ne sont que des mercenaires à la solde d’un apprenti dictateur. Pour les gaullistes, les ex-vichystes font figures de traîtres. Le Général Leclerc avait ainsi déclaré : « Tous ceux qui n’ont pas rejoint le Général de Gaulle en 1940 sont des traîtres et devront être considérés comme tels. » Lors des opérations menées pour la libération de la Tunisie, les troupes françaises couvrent la moitié du front. Cependant, les FFC et l’Armée d’Afrique gardent leurs spécificités. Lors du défilé de la victoire de Tunis, elles défilent séparément. L’arrivée de nouveaux volontaires venus de France et de l’Empire profite à la France Combattante. De plus en plus de soldats de l’Armée d’Afrique désertent leurs unités pour rejoindre les rangs de ceux qui se battent sans interruption depuis l’été 1940. Giraud décide donc d’envoyer les troupes des FFC en Libye.

La création du Comité Français de Libération, coprésidé par de Gaulle et Giraud, forme les prémices de la « réconciliation ». Avec la reconnaissance du Chef de la France Combattante par les principaux mouvements de résistance en France et l’incompétence déclarée de Giraud en matière politique, ce dernier finit par s’écarter du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) pour se concentrer sur le poste strictement militaire de Chef d’État-Major de l’Armée. Après une longue série d’épreuves, Charles de Gaulle est reconnu par les Français d’Afrique comme étant le seul chef politique.

L’amalgame entre l’Armée d’Afrique et les troupes gaullistes finit par se réaliser. C’est ainsi que le Général Leclerc prend le commandement de la 2^ème division blindée. Placé sous commandement américain, ce n’est pas sans arrières pensées politiques que de Gaulle obtient qu’elle embarque pour l’Angleterre afin de prendre part aux opérations en Normandie et dans Paris. La 1^ère Division Française Libre est rebaptisée 1^ère Division Motorisée d’Infanterie (1ère DMI) et s’illustre aux côtés des autres divisions du Corps Expéditionnaire Français du Général Juin en Italie. Les vieux antagonismes finissent par s’estomper face à l’épreuve du feu. Alors que les Alliés piétinent devant la ligne Gustav, c’est bien l’armée française qui ouvre une brèche donnant accès à la route de Rome, qui est libérée. Le 4 Juin 1944, le Général Clark, commandant les forces alliées en Italie, invite d’ailleurs Juin à entrer avec lui dans la Ville éternelle. Il lui déclare : « Sans vous, nous ne serions pas là. » Et Juin lui répond : « Sans le matériel américain, l’armée française n’aurait pu être là. »

Le 6 juin 1944, les forces alliées débarquent en Normandie. Encore une fois, de Gaulle est écarté du projet. Néanmoins, les Alliés ne peuvent réussir sans les Français. Le Général Koenig ayant pris le commandement des Forces Française de l’Intérieur, est mis dans la confidence. L’Opération Overlord ne peut réussir sans le travail de la Résistance chargée de saboter tout ce qui peut retarder l’effort de guerre allemand car le but n’est pas seulement de débarquer des troupes, mais d’établir une solide tête de pont. Les FFI participent grandement à la réussite de l’invasion. N’oublions pas les forces navales et les forces aériennes sous commandement britannique, ainsi que les commandos de Philippe Kieffer, seuls Français à débarquer en Normandie le Jour J. Les régiments de Chasseurs Parachutiste du Special Air Service (RCP SAS) parachutés en Bretagne établissent le contact avec les maquisards bretons. Même s’ils ne peuvent détruire les forces de la Wehrmacht présentes dans la péninsule, leur action les retarde et les éreinte avant leur arrivée en Normandie. N’oublions pas non plus les groupes Jedburgh du BCRA parachutés sur tout le territoire, avec pour mission de préparer les différends maquis pour l’arrivée des Alliés. La 2ème DB du Général Leclerc débarque le 1er août 1944 et prend part aux combats de la poche de Falaise, le « Stalingrad Normand ».

Le 15 Août 1944, les Alliés débarquent en Provence. L’armée B, commandée par le général Jean de Lattre De Tassigny, met le pied dans le Var. Les Français libèrent Toulon et Marseille, avant de progresser dans la vallée du Rhône et de libérer Lyon, bien en avance sur le calendrier prévu. Pendant ce temps, de Gaulle réussit à convaincre Eisenhower, le commandant suprême des forces alliés en Europe, de donner l’ordre à la 2^ème DB de Leclerc de foncer sur Paris en état d’insurrection. Le commandant suprême américain ne peut aller à l’encontre de l’homme du 18 juin. L’armée française présente maintenant 8 divisions, sans compter les multiples unités FFI. Notons que de Gaulle et le Gouvernement Provisoire de la République Française sont depuis juillet reconnu apte à diriger la France. C’est ainsi que les « gars de Leclerc » entrent dans la capitale avec l’appui de la 4^ème Division d’Infanterie US du Général Barton. Le 25 août 1944, le Général de Gaulle descend les Champs-Élysées avant de se rendre à l’hôtel de ville. Il s’installe rue de Brienne, au ministère de la Guerre, pour y installer le nouveau gouvernement de la France.

L’Armée B, devenue 1^ère Armée Française, fait sa jonction avec les troupes venues de Normandie. Les Français de de Lattre et de Leclerc participent à la campagne des Vosges et à la libération de l’Alsace. Ainsi Leclerc, en libérant Strasbourg, remplit la promesse du serment prononcé à Koufra trois ans auparavant. Malgré le dernier sursaut de la Wehrmacht dans les Ardennes, les Français tiennent l’Alsace, qui est totalement libérée avec la réduction de la poche de Colmar. S’il s’agit ensuite de franchir le Rhin, il faut également réduire les poches de résistance sur le littoral. Un détachement d’armée aux ordres du Général de Larminat, composé de FFI incorporées dans l’armée régulière ainsi que des unités de la 2^ème DB, est chargé de réduire ces poches de l’Atlantique. Néanmoins, Leclerc regrette l’envoi de ses forces sur ce théâtre d’opération secondaire, synonyme d’éloignement de l’Allemagne. La 1^ère DMI, de son côté, est envoyée dans les Alpes pour réduire les poches ennemies. Les combattants de la première heure semblent se voir privés de la bataille finale au moment où la « real politique » reprend ses droits. Néanmoins, après ces opérations sur le littoral atlantique, la 2^ème Division Blindée peut rejoindre l’Allemagne. Les hommes de Leclerc terminent la guerre dans l’un des fiefs du parti nazi, Berchtesgaden.

Ainsi, la France Libre ne fut pas seulement incarnée par un officier général visionnaire. Elle fut aussi l’émanation de Français désireux de défendre leur pays et de s’élever contre l’occupation et la collaboration. Des incompréhensions, des erreurs, des rivalités ralentiront la création puis la reconnaissance officielle de ce mouvement. Ces volontaires de la première heure, troupes d’active, réservistes ou encore néophytes dans le combat, s’illustreront au fil du temps, malgré les épreuves, afin que la France recouvre son rang et sa liberté.

Olivier Sorlin
Master 1 EAD Histoire et Sciences sociales du politique
Mémoire sous la direction de Julie Le Gac

¹ MESSMER Pierre, Après tant de Batailles, Paris, Albin Michel, 1992
² BORIS Jean-Matthieu, Combattant de la France Libre, Paris, Perrin, collection Tempus, 214 pages, 2013
³ DE LA POYPE Rolland, L’épopée du Normandie-Niemen, Paris, Perrin, collection Tempus, 228 pages, 2007
⁴ HATTU Guy, Un matin à Ouistreham, témoignage d’un français libre, Paris, Tallandier, 272 pages, 2014
⁵ Le Fighter Command est l’état-major de l’aviation de chasse britannique.
⁶ MESSMER Pierre, Après tant de Batailles, Paris, Albin Michel, 1992

---

Bibliographie :

Ouvrages généraux :

BEEVOR Anthony, La Seconde Guerre mondiale, Paris, Calmann-Lévy, 2012,1006 p, 2012
DE LA GORCE Paul-Marie, 39-45 une guerre inconnue, Manchecourt, Flammarion, 646 p, 1995

Ouvrages spécialisés :

BROCHE François, Bir-Hakeim, Paris, Perrin, Collection Tempus, 216 p, 2012
KERSAUDY François, DE GAULLE et CHURCHILL, Paris, Perrin, collection Tempus, 512 p, 2003
LABANCA Nicola, REYNOLDS David, WIEVIORKA Olivier (dir), La guerre du désert 1940-1943, Paris, Perrin, Ministère des Armées, École française de Rome, 352 p, 2019
MONTAGON Pierre, Histoire de la Légion, de 1831 à nos jours, Paris, Tallandier, collection Texto, 608 p, 2019

Mémoires :

BORIS Jean-Matthieu, Combattant de la France Libre, Paris, Perrin, collection Tempus, 214 p, 2013
DE GAULLE Charles, Mémoires de Guerre, L’appel 1940-1942, Plon, 303 p, 1962
DE GAULLE Charles, Mémoires de Guerre, L’unité 1942-1944, Plon, 365 p, 1962
DE GAULLE Charles, Mémoires de Guerre, Le salut 1944-1946, Plon, 381 p, 1962
DE LA POYPE Rolland, L’épopée du Normandie-Niemen, Paris, Perrin, collection Tempus, 228 p, 2007
HATTU Guy, Un matin à Ouistreham, témoignage d’un français libre, Paris, Tallandier, 272 p, 2014
MESSMER Pierre, Après tant de Batailles, Paris, Albin Michel, 457 p, 1992

Biographies :

AZÉMA Jean-Pierre, Jean MOULIN, Paris, Perrin, collection Tempus, 608 p, 2006
DE MONTETY Etienne, Honoré d’ESTIENNE d’ORVES, Paris, Perrin, collection Tempus, 352 p, 2005
NOTIN Jean-Christophe, LECLERC, Paris, Perrin, collection Tempus, 832 p, 2005

---

---