Le Museum National d’Histoire Naturelle vous invite à une plongée insolite, à la rencontre des espèces disparues grâce à la réalité augmentée. Certes la dimension historique tient plus de la vulgarisation que de la stricte approche scientifique (même si on imagine que le musée n’a pas pris de liberté avec le sujet) et convient plus à des familles qu’à des chercheurs. Toutefois, on retiendra surtout l’usage de cette technologie digitale qui, à l’aide de lunettes et d’écouteurs, permet une expérience immersive saisissante. A l’issue de cette animation, on imagine que ce dispositif, couplé à une intelligence artificielle capable de traiter des données historiques plus traditionnelles, devrait ouvrir de nouvelles voies d’études à l’historien en permettant de réaliser reconstitutions ou mises en situation. Et quel apport en classe pour l’apprentissage de l’histoire si, demain, les élèves dotés de tels casques peuvent revivre les moments clés de l’histoire de France !

Depuis juin 2021, le Museum National d’Histoire Naturelle à Paris propose une animation originale dans la salle des espèces menacées et disparues en invitant les visiteurs à découvrir en réalité augmentée¹  quelques dodos de l’Ile Maurice, un Aepyornis (aussi appelé oiseau éléphant), une rythine de Steller accompagnée de son petit ou encore un redoutable smilodon, fameux tigre aux dents de sabre, pour ne citer que quelques-unes des espèces croisées.

Munis d’un casque équipé de lunettes et d’écouteurs, les visiteurs sont ainsi placés au cœur d’une expérience immersive qui permet de côtoyer ces animaux disparus dans l’environnement réel de la salle du muséum, parmi les vitrines d’exposition et les autres visiteurs déambulant dans l’exposition, comme si de rien n’était. Les commentaires audios éclairent utilement et de manière aussi synthétique que pédagogique les causes ayant entrainé la disparition de ces espèces. Et de constater que l‘homme est la plupart du temps à l’origine de ces situations ! Outre la représentation animée de ces animaux, représentation quasi palpable et d’une si saisissante façon, cette exposition, comme l’indique le site internet du Museum, « nous éclaire aussi sur les espèces actuelles souffrant de pressions anthropiques et sur les bonnes pratiques des peuples autochtones dont on peut s’inspirer ». Il s’agit donc non seulement de remonter le temps mais aussi de nous projeter dans l’avenir pour faire en sorte de tirer des leçons nous permettant de ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Evidemment, le caractère à la fois pédagogique et spectaculaire de cette animation la destine à une audience clairement grand public, principalement familiale et qui ne manquera pas de séduire les plus jeunes (l’exposition est accessible dès 8 ans). Toutefois, et c’est bien là que nous semble résider le principal enseignement de cette expérience muséographique originale, on ne manquera pas de s’interroger utilement sur tout l’apport que peut représenter la réalité augmentée, non seulement dans une approche muséale (imaginons quelles seraient les impressions d’un visiteur déambulant dans la Grande Galerie des Glaces de Versailles en compagnie du Roi Soleil ou l’effroi qui le saisirait au fond d’une tranchée, entouré de poilus et d’explosions), mais aussi dans le cadre de simulations historiques plus scientifiques pour reconstituer voire valider une hypothèse, à la manière d’une expérience grandeur nature comme celle du chantier de Guédelon.

En effet, on peut aisément envisager que, par le truchement du calcul informatique avec l’aide d’une intelligence artificielle nourrie de données historiques, on parvienne à reconstituer mais aussi à vivre la réalité d’une bataille, du sacre d’un roi ou d’une exécution lors de la Terreur. N’est-ce finalement pas là le rêve de tout historien, d’être au plus proche contact de son objet d’étude ? Ainsi, à la manière d’une reconstitution judiciaire, l’historien plongé au cœur de l’action serait alors en mesure de discerner certains aspects, certaines contraintes ou certaines configurations particulières, lui apportant ainsi une complémentarité utile à l’étude des sources directes, plus traditionnelles.

L’usage de cette technologie numérique ouvre également un nouveau chapitre du manuel d’histoire du XXIè siècle, déjà complété par des expériences de réalité virtuelle cette fois : l’exposition Sites éternels du Grand Palais en 2017 (visite de Palmyre par exemple) ou le projet du CIREVE à l’université de Caen (reconstitution de la Rome du IVe siècle). En effet, l’attrait et l’apprentissage de l’histoire en classe, dès le plus jeune âge, ne pourraient que s’en trouver renforcées par une expérience immersive bien plus saisissante pour comprendre un fait historique que ne le permet le support d’un manuel (papier ou numérique) ou même encore un cours magistral. Ce sont là aussi les nouveaux dispositifs au service de l’enseignant en histoire pour le siècle qui s’ouvre, celui de la génération Z, et qu’il lui faudra donc s’approprier comme un nouvel instrument à glisser dans sa caisse à outils.

Vincent Leglaive
Étudiant en Master 2 – Sociétés Modernes et Contemporaines dans la Mondialisation
Mémoire de recherches en histoire contemporaine sous la direction de Xavier Vigna

1. La réalité augmentée consiste essentiellement à ajouter un contenu numérique dans un environnement réel alors que la virtualité augmentée consiste à ajouter un contenu physique dans un environnement virtuel [↩]