La JEC évoque assez rarement quelques images parmi la jeunesse française. La JAC, la JIC ou la JOC éveillent davantage de souvenirs chez les générations les plus âgées. Mais l’ACJF est victime d’une profonde ignorance. Cela est pourtant paradoxal quand on découvre qu’elle est à l’origine de ces mouvements spécialisés dont certains existent encore de nos jours. Il faut prendre conscience du poids qu’elle représentait en fait dans l’entre-deux-guerres. Elle constituait le plus grand mouvement de jeunesse catholique. Elle a formé environ un demi-million de jeunes Français, nombre qui a de quoi donner le tournis. Elle a créé une génération de dirigeants dans l’entreprise et dans le personnel politique de la Quatrième République. Ce pourrait être l’équivalent de ce que représente le scoutisme en France actuellement. Mais alors, comment a-t-elle pu sombrer ainsi dans l’oubli ?
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L’Association catholique de la jeunesse française est fondée en 1886 par le comte Albert de Mun. Elle naît d’une inquiétude : celle de voir la France se déchristianiser peu à peu depuis la Révolution française. En cette fin de XIXe siècle, la laïcisation progressive de la société française accomplie par la Troisième République incite les catholiques à réagir pour que leur pays ne perde pas son statut privilégié de « fille ainée de l’Eglise ». Au fil des appels lancés par le Vatican pour un ralliement à la démocratie, certains finissent par concevoir un engagement direct dans les structures du nouveau régime. Les membres fondateurs de l’ACJF choisissent donc de former une élite, « une aristocratie de dirigeants » catholiques capables de reprendre les rênes du pays. L’organisation d’Albert de Mun ne se conçoit donc pas comme un mouvement de masse, mais comme une formation s’adressant d’abord aux étudiants, dans le but de faire d’eux l’élite intellectuelle et dirigeante d’une société chrétienne. Rapidement pourtant, elle étend son recrutement à toutes les classes de la population. Elle se focalise sur la jeunesse, car c’est elle qui apparaît porteuse d’avenir et se présente comme la génération la plus réceptive au discours missionnaire. L’ACJF a cela d’original qu’elle est un mouvement d’action catholique fondé par des laïcs. Pour conserver son autonomie face au clergé français, elle entretient dès le départ une relation ultramontaine avec la papauté, qui s’exprime à travers le choix des jésuites comme aumôniers. Elle s’efforcera toujours de défendre cette spécificité, qui provoquera pourtant nombre de ses difficultés et sa crise finale avec l’épiscopat français.
L’association s’adresse aux jeunes catholiques de 15 à 25 ans. L’unité de base est le groupe diocésain, qui comprend une à plusieurs dizaines de membres. L’organisation dispose de relais administratifs par région, couronnés par le comité directeur parisien de la rue d’Assas. Les jeunes se réunissent en moyenne une fois par semaine dans leur lieu de vie, autour de leur bureau composé d’un président, de secrétaires, de trésoriers et de leur aumônier jésuite. Leurs activités s’organisent autour du triptyque « Piété, Etude, Action ». Les jeunes se rassemblent donc pour un moment de vie spirituelle, suivi d’un cercle d’étude où l’on discute d’une thématique doctrinale, sociale ou politique. Enfin, ils participent au militantisme en tractant, en renseignant, en évangélisant. Des congrès régionaux ou nationaux rassemblant des membres et des dirigeants de toute la France sont organisés par année, de façon irrégulière. Ces congrès sont des moments phares de l’ACJF qui lui donnent l’occasion de mesurer ses forces et de galvaniser les esprits. Ils lui permettent aussi de réaffirmer son unité et sa coordination avec les évêques français présents à ces rassemblements.
Sans réel concurrent, l’ACJF devient rapidement le plus grand mouvement de jeunesse français, dépassant les 100 000 membres au tournant du siècle. Ce succès est porté par l’orientation sociale impulsée par son président Henri Bazire. Ce dernier s’inspire de la doctrine sociale de l’Eglise dont l’élaboration démarre sous le pontificat de Léon XIII, en 1891. A l’époque de la montée des tensions entre les classes, l’Eglise propose un juste équilibre entre les deux excès que représentent le capitalisme libéral et le marxisme. Elle vise avant tout la paix sociale et l’entente des classes. Bazire lance donc le slogan « sociaux parce que catholiques », appelé à devenir le moteur de ce que l’on nomme le catholicisme social. La Grande Guerre vient saigner à blanc la jeunesse de France et désorganise un temps l’association. Il ne s’agit pourtant que d’une interruption. Le mouvement renoue rapidement avec le succès. Imitant l’appel de Bazire, le président Charles Flory proclame « civiques parce que sociaux », appelant de ses vœux la création d’un mouvement démocrate-chrétien. L’ACJF devient alors le vivier des futurs dirigeants catholiques de la Quatrième République. C’est l’accomplissement du « second Ralliement » réclamé par Rome.
A la fin des années 1920, la création de l’Action catholique française par le pape Pie XI aboutit à une transformation de l’ACJF fondée par Albert de Mun. Les catholiques prennent conscience de l’urgence de la mission dans les régions et les milieux qui abandonnent peu à peu la pratique religieuse. On choisit donc d’évangéliser autrui par son semblable. L’ACJF passe ainsi d’une politique de préservation à une stratégie de conquête. Ainsi l’abbé Guérin charge-t-il les ouvriers catholiques de ramener leurs camarades de travail dans le giron de l’Eglise en créant la branche française de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) en 1926. Jusqu’en 1935, d’autres mouvements sont fondés pour chaque catégorie socio-professionnelle : la JAC dans les milieux ruraux, la JEC pour les étudiants, la JMC pour les marins bretons, la JIC pour la bourgeoisie et les artisans. C’est la naissance d’une « deuxième ACJF », une fédération de mouvements moins unis entre eux qu’auparavant mais dont la forme correspond mieux aux évolutions de la société et semble plus à même de les pénétrer. Durant l’entre-deux-guerres, l’Association perçoit avec lucidité le danger que représente les idéologies totalitaires montantes. Dès le début des années 30, elle dénonce ainsi le néopaganisme nazi. Elle irrite une partie des catholiques de la droite nationaliste en approuvant les efforts de paix de la SDN et l’appel à l’unité européenne d’Aristide Briand. Pour autant elle ne bascule pas dans le pacifisme, et s’oppose très tôt à l’esprit de Munich. A la fin des années 1930, les rassemblements spectaculaires de milliers de jeunes de ses mouvements lors des congrès parisiens marque l’âge d’or de l’Association.
La défaite de 1940 est perçue comme une conséquence de la déchristianisation de la société française. L’ACJF salue donc au départ la Révolution nationale du maréchal Pétain car elle espère y trouver les sources d’un renouveau spirituel. Le régime la séduit en mettant en œuvre une politique favorable à la jeunesse. Cependant les frictions et les déceptions ne tardent pas à apparaître. L’ACJF se méfie des velléités totalitaires de Vichy plusieurs fois tenté de constituer un mouvement unique de jeunesse soumis à l’Etat. Sans appeler à la lutte contre le système en place, l’Association finit par devenir une « propédeutique de la résistance ». Nombre de ses dirigeants basculent dans la clandestinité, tels Georges Bidault, qui devient président du CNR, ou François de Menthon, responsable du mouvement Combat. Cette initiative des laïcs engendre toutefois des frictions avec un épiscopat qui ne veut pas entrer en conflit ouvert avec le régime légal. Ces tensions perdureront après la guerre.
A la Libération, l’ACJF est auréolée par son prestige de mouvement contestataire. Elle continue d’affirmer sa puissance en encadrant plus de 300 000 jeunes, ce qui en fait un mouvement sans rival, le scoutisme n’atteignant pour l’instant qu’une centaine de milliers de membres. Paradoxalement, la période d’après-guerre se caractérise par l’effacement de l’ACJF dans la mémoire collective. En effet les mouvements spécialisés créés lors des années 20 ont acquis une forte autonomie. L’ACJF est en passe de ne devenir qu’un « état-major parisien », un organisme purement fédératif et incapable d’impulser une ligne directrice à ses mouvements. De même, elle entre en crise avec l’épiscopat qui lui reproche sa trop grande autonomie face à la hiérarchie. Les évêques souhaitent replacer la mission apostolique dans les mains du prêtre, et ne considèrent donc les laïcs que comme les bénéficiaires d’un « mandat » d’évangélisation accordée par l’Eglise. Les dirigeants de l’ACJF tentent de parer à ces crises en constituant une « troisième ACJF », plus unifiée que la précédente. Mais elle fragilise sa position en perdant ses soutiens : celui de Rome, qu’elle refuse d’aider dans son projet d’une jeunesse internationale solidaire des démocraties occidentales ; et celui de ses anciens passés au MRP démocrate-chrétien, dont elle n’approuve pas l’orientation droitière. Les volontés d’émancipation de la JOC vont alors entrainer la mort de l’ACJF. Le mouvement ouvrier entre en conflit avec les autres mouvements spécialisés, et ne suit plus le programme commun de la fédération. Celle-ci n’ayant pour fonction que d’impulser une ligne directrice à l’ensemble de ses groupes, elle devient inutile dès lors qu’un d’eux entend se diriger par lui-même. L’ACJF est donc dissoute en 1956. L’épiscopat français se résigne à cette disparition en misant sur le succès des autres mouvements.
Le bilan de cette association, au terme de soixante-dix années d’existence ? Elle témoigne par son succès de l’extrême dynamisme des catholiques dans la société à partir de la fin du XIXe siècle. Par les lois de laïcisation, l’Eglise avait perdu le contrôle absolu dont elle disposait sur la jeunesse à travers l’enseignement scolaire privé. La création des mouvements de jeunesse fut donc une façon habile de compenser cette perte et de poursuivre la formation religieuse de la dernière génération. Et ces efforts furent plus récompensés qu’on ne le croit. En effet, la déchristianisation de la France est souvent représentée comme une irrésistible descente aux enfers tout au long du XIXe et du XXe siècle. Pourtant, par son énergie, l’ACJF a participé à la reconquête chrétienne des élites de la société, ce qui est très net après la Libération. On a pu parler d’une « renaissance des campagnes » là ou la JAC s’était mobilisée. La période 1930-1960 constitue peut-être, comme l’écrit l’historien Yves-Marie Hilaire, « les Trente Glorieuses du catholicisme ».
Henri GROSSIN, Etudiant en Master 1 Histoire et Sciences Sociales du politique, Mémoire de recherche sous la directon de François Chaubet
Source principale : Catholiques en démocratie, Alain René Michel, Cerf, 2006.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
milenafrachebois (6 décembre 2022). Henri Grossin. L’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) : les grandes lignes de son histoire . Master Histoire de Nanterre. Consulté le 11 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzgr
Notre échange du 3 mai 2023 porte ses fruits. Votre recherche m’intéresse. J’actualise ma fiche sur vous et tombe sur cette “main tendue”. Je la saisis. Donne-moi des nouvelles de votre master.