Le sort des sépharades pose question. La littérature à ce sujet est très peu documentée. La Tunisie fut pourtant occupée par les États italiens et allemands durant la Seconde Guerre mondiale et les occupants mirent en place des camps de travail pour les hommes juifs tunisiens (dont le plus connu est celui de Bizerte). Nous pouvons donc élaborer cet épisode en quelques points.

Les déportations 

Plusieurs témoignages existent, notamment celui de Jacob-André Guez, déporté à Bizerte. Il décrit sa vie quotidienne à l’intérieur du camp. Les travailleurs y sont employés pour des travaux particulièrement épuisants. Ils doivent ranger des caisses de munitions sous des arbres et les camoufler, démolir de vieux bâtiments de six à vingt et une heure. L’écrivain Albert Memmi est persuadé que certains travaux inutiles (casser des cailloux) étaient proprement destinés à les affaiblir. 

Soumis à la cruauté des Schutzstaffel (SS), Ils sont aussi à la merci des possibles bombardements et n’ont pas le droit de s’abriter. La nuit, ils sont cent cinquante enfermées dans une cave. Le matin, les SS les réveillent en les frappant à coups de crosse Ils subissent des violences psychologiques (menaces de fusillades si un travail n’est pas fini à temps, racket) et physiques (coups de fouets et de cravache, enfermement). 

Mais des formes de solidarité s’organisent. Les prisonniers peuvent écrire des lettres à leur famille. Les chefs juifs du camp essayent d’éviter le maximum de contacts avec les soldats allemands. Pendant quelques rares moments, ils se retrouvent et chantent ensemble des chansons juives et arabes. Le comité juif leur envoie des vêtements. 

Dans le camp de Bizerte, Jacob-André Guez remarque qu’il y a eu deux-cent-quatre vingt évasions mais on ne sait pas si elles sont réussies ou non. Elles sont fortement réprimées. Le jeune Emile Hababou fait partie des quatre travailleurs assassinés. Selon plusieurs témoins, sa supposée tentative d’évasion n’est qu’un prétexte donné par ses bourreaux pour l’abattre. 

Le bilan est terrible. Quatre cent Juifs Tunisiens furent déportés par avion vers l’Europe (dont Serge Moati, père du réalisateur, qui en revint), quatre-vingt-quatre furent tués et quatre-vingt-sept blessés dans les camps ou les bombardements. 

Des formes d’entraides en Tunisie 

Khaled Abdul-Wahab est le fils de l’historien Hassan Hossni Abdelwaheb. L’écrivain américain Robert Satloff a raconté son histoire dans son livre en 2006. Durant la Seconde Guerre mondiale, il cache et héberge deux familles juives soit une vingtaine de personnes dans sa ferme. Le bâtiment se trouve à côté d’un campement de la Croix Rouge allemande mais les Allemands semblent fermer les yeux et viennent même en aide aux réfugiés. Khaled Abdul-Wahab protège aussi une femme juive, Odette Boukris contre le harcèlement sexuel des officiers allemands. Il est le premier musulman pressenti au titre de « Juste parmi les nations » mais n’a finalement pas été retenu. 

L’histoire de Richard Abel est celle d’un officier allemand qui sauva un groupe de jeunes Juifs qu’il était chargé de surveiller pendant la Seconde guerre mondiale. En 1942, quatre jeunes Juifs tunisiens quittent Tunis pour Depienne (aujourd’hui devenu Smindja). Ils sont faits prisonniers par les Allemands, accusés d’ « espionnage avec l’ennemi » et enfermés dans la gare transformée en poste de garde. L’un d’entre eux, Louis Betrevas, originaire d’Hongrie, parle allemand. Il noue une amitié avec le maréchal des logis allemand, Richard Abel, qui en fait son interprète. Le 12 décembre 1942, l’officier allemand prévient les cinq jeunes hommes que les SS vont venir les chercher. Il leur fournit même des armes Le soir venu, il fait en sorte d’éloigner la sentinelle puis prévient par un sifflement les cinq amis que la voie est libre. S’enfonçant dans la nuit, ils parviennent au PC britannique. Ils réussissent ensuite à gagner Alger. Plus tard, ils restent toujours amis avec Richard Abel. 

Louise Hanon est l’une des trois premières femmes avocates de Tunisie. Elle crée un réseau de résistance dans le Nord de la Tunisie, elle héberge des parachutistes anglais, elle est emprisonnée en Allemagne mais écrit une lettre aux autorités allemandes dans laquelle elle explique être pétainiste. Elle est finalement libérée et rejoint un autre réseau de résistance à Trabes. Après la guerre, elle retournera en Tunisie et elle défendra la cause des indépendantistes tunisiens. Malgré ses bons et loyaux services, elle ne pourra pas empêcher l’expulsion de Tunisie de son frère Guy Hanon puis sera elle-même expulsée. Elle est morte en 2000 à Paris. 

Sources 

ALLALI, Jean-Pierre, Les Juifs de Tunisie sous la botte allemande, Paris, Glyphe, DL 2014, 329 p. 

GUEZ, Jacob-André, Au camp de Bizerte : journal d’un Juif tunisien interné sous l’occupation allemande, Paris, l’Harmattan, 2001, 151 p. 

 (en) SATLOFF, Robert Barry, Among the Righteous: Lost Stories from the Holocaust’s Long Reach into Arab Lands, New York, PublicAffairs, 2006, 251 p. 

Anne Mariotti

Etudiante en M2 histoire sociale du politique

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