Ewa Tartakowsky est sociologue, chargée de recherche au CNRS, membre de l’Institut des sciences sociales du politique (UMR7220) et chercheuse rattachée au Centre de civilisation française et d’études francophones (CCFEF) à l’université de Varsovie. Après avoir travaillé sur la production littéraire des écrivains d’origine judéo-maghrébine en France postcoloniale, elle étudie les politiques de l’enseignement de l’histoire en Pologne. Elle enseigne à Sciences Po Paris et au Nouveau collège d’études politiques (Université Paris-Nanterre-Université Paris 8).
Le 17 novembre, elle est venue s’adresser aux étudiants d’histoire de Nanterre dans le cadre du séminaire interdisciplinaire d’histoire et de sciences sociales, animé par Sylvie Aprile. Elle nous a fait part de ses recherches sur les évolutions de l’enseignement de l’histoire en Pologne. En effet ce pays entretient une certaine gêne avec la mémoire de la Shoah. L’enseignement scolaire sur la question a ainsi varié au gré des changements politiques, depuis le régime communiste jusqu’à l’arrivée du PiS (le parti d’extrême-droite) au pouvoir ces dernières années.
Pour étudier le programme scolaire, Ewa Tartakowsky s’est appuyée sur un corpus de 150 manuels de l’enseignement public remontant jusqu’à 1947. Elle s’est également déplacée en Pologne pour observer des cours, s’entretenir avec les enseignants et les élèves.
Elle remarque que l’histoire des Juifs est quasiment absente du programme scolaire, sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer l’Antiquité ou l’époque contemporaine. La Pologne est réduite à son identité catholique depuis 1945. Elle est présentée comme le Christ sacrifié sur l’autel des pays voisins, comme l’illustre une collection de timbres. La croix est devenue un symbole national. Elle est présente au Parlement et dans la plupart des classes. Ainsi les Juifs ne sont pas distingués comme catégorie spécifique ayant son histoire propre en Pologne. Ils sont englobés dans la communauté nationale. Leur malheur au cours de la Seconde Guerre mondiale n’est évoqué que parallèlement aux souffrances de la population polonaise. Ainsi on ne parle pas de « Juifs » mais de « déportés polonais ». De même l’insurrection de Varsovie de 1944 est davantage mise en avant que l’insurrection du ghetto de Varsovie en 1943. Cette omission s’explique par le fait que la Pologne est mal à l’aise avec l’attitude de sa population envers les Juifs au cours de la guerre. La collaboration d’une partie de la société polonaise à la Shoah fait débat dans les champs universitaire et politique.
On observe une « période de dégel » dans le discours officiel à partir de la chute du communisme. Au cours des années 1990, le marché des manuels devient plus libre, les enseignants sont plus autonomes dans leur enseignement. Le mot « Holocauste », qui renvoie directement à l’extermination des Juifs, fait alors son apparition tardive dans le programme en 1999. Auparavant on préférait évoquer le « génocide » ou les camps d’extermination, sans préciser. On voit même l’apparition d’un comité israélo-polonais pour les manuels scolaires au cours de cette période. Ce basculement est accéléré par l’évolution diplomatique de la Pologne qui choisit de rentrer dans l’Union européenne et dans l’OTAN. A ce moment il n’est plus pensable qu’elle fasse l’impasse sur son passé et qu’elle ignore l’état de la recherche historique sur la Shoah.
Les Polonais prennent donc lentement conscience des responsabilités de la population au cours de la guerre à l’égard des Juifs. Déjà le documentaire de Claude Lanzmann, Shoah, paru en 1985 interrogea le public en remettant en cause l’exemplarité de la population polonaise. Au début des années 2000, Jan Gross publie Les Voisins, l’histoire d’un massacre de Juifs en 1941 par des paysans polonais. Cet ouvrage provoque un choc médiatique et politique et engendre des débats entre historiens. L’institut de la mémoire nationale lance une enquête. Le président Kwasniewski finit par s’excuser pour ce drame au nom de la nation polonaise. Le fait est que la recherche démontre la fréquence de cet antisémitisme, surtout dans la région nord-est de la Pologne où un certain nombre de pogroms furent accomplis par la population locale.
La victoire du PiS aux élections en 2015 signe un retour en arrière. Le parti conservateur entend occulter le passé antisémite de son pays pour mieux exalter l’identité catholique, dans un contexte de réaffirmation nationaliste. Il entend rompre avec une « pédagogie de la honte » en mettant en avant les exploits et la résistance des Polonais au cours de la guerre. Le programme scolaire est ainsi réformé en 2017 par la ministre de l’éducation Anna Zalewska. Un manuel officiel apprend ainsi aux élèves que le génocide juif est « un crime [qui] pèse sur ses auteurs, mais non sur notre nation ».
Actuellement il est très difficile de faire part de la recherche historique sur le génocide en Pologne. La loi de 2018 permet de poursuivre en justice les chercheurs polonais qui assignent aux Polonais la responsabilité des crimes nazis. Ewa Tartakowsky nous expliquait ainsi la prudence qu’elle devait adopter dans son discours lorsqu’elle se déplaçait en Pologne.
Henri GROSSIN
Étudiant en Master 1
Mémoire de recherches sous la direction de François Chaubet
Sources iconographiques :
Sources bibliographiques :
- TARTAKOWSKY Ewa, « L’enseignement de l’histoire en Pologne depuis 2017. De la « décommunisation » à la centralité d’un nationalisme catholique », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2020/1 (N° 1), p. 105-134. DOI : 10.3917/receo1.511.0105. URL : https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-d-etudes-comparatives-est-ouest-2020-1-page-105.htm
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marine Azcon (17 janvier 2023). Henri Grossin. Les manuels scolaires polonais et l’histoire de la Shoah – Résumé de l’intervention d’Ewa Tartakowsky à l’Université de Nanterre le 17 novembre 2022. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 11 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzh3