Il n’est pas sans intérêt dans le contexte actuel de s’interroger sur la laïcité et de découvrir la vie publique et politique d’un religieux sous la République. Certes, le chanoine Kir n’est pas le premier prêtre à avoir été député sous la Troisième République, il y en a déjà eu, mais il est un des seuls religieux à être présent à l’Assemblée  nationale sous la IV^ème et surtout sous la V^ème République.

Son parcours, s’il n’est pas exemplaire en matière de religiosité à l’image de celui de son collègue député, l’Abbé Pierre, donne cependant un éclairage sur les rapports entre religion et société dans la France du XX^èmesiècle. Son itinéraire  est remarquable. Félix Kir traverse les grandes crises du XX^ème siècle, tant nationales qu’internationales, la séparation de l’Église et de l’Etat, la Première Guerre mondiale, l’Occupation, la Guerre Froide, en tant qu’acteur et non spectateur.

Le personnage, tant le religieux que le politique, marqué par une longévité politique hors du commun, est aussi un homme inoubliable, truculent, souvent excessif dans ses  propos, à la répartie remarquable. Enfin, il a le rare privilège d’avoir fait de son nom de famille un nom commun, “le kir ”  !

A l’image d’un Jean Dutour ou d’un Guy Roux, Félix Kir fait partie des figures emblématiques qui caractérisent l’âme bourguignonne. Je me propose d’étudier ce singulier personnage en deux parties, la première consacrée à sa vie « d’ecclésiastique » et la seconde à sa vie politique et à ses convictions. La première partie est présentée dans cet article. La seconde partie fera l’objet d’un article à venir.

Une promotion sociale plutôt qu’une vocation

Un milieu modeste mais républicain

Félix Kir est né en 1876 à Alise-Sainte-Reine, petit village de Côte-d’Or avec un riche patrimoine historique. L’endroit est reconnu comme étant le lieu de la bataille d’Alésia. C’est aussi à Alise que Sainte Reine fut martyrisée par le gouverneur romain Olibrius qu’elle refusait d’épouser. La monumentale statue de Vercingétorix érigée en 1865 par Napoléon III qui domine la ville inspira sans nul doute le jeune F. Kir.

Cependant, la famille Kir est pauvre. Son père, ex-cheminot, est devenu barbier itinérant à la suite d’un accident. Il reste souvent inactif avant d’être appelé pour les grandes occasions comme les communions ou les mariages où il coiffe les deux promis¹ La famille Kir fait partie du groupe des artisans ruraux qui forme avec les ouvriers agricoles le prolétariat rural. Le Chanoine n’oubliera jamais ses origines populaires. La famille Kir possède également une solide tradition républicaine. Le grand-père de F. Kir est un volontaire de l’an II, c’est le héros de la famille. Il fut aussi frère servant à la loge maçonnique de Dijon puis tisserand. La famille bien que modeste a ainsi une culture politique affirmée.

Le jeune F. Kir entre à l’école primaire d’Alise-Sainte-Reine en 1882/ 1883. C’est le temps des lois scolaires de Jules Ferry, mais un grand nombre d’écoles existaient déjà depuis la loi Guizot de 1847 qui oblige toutes les communes de plus de cinq cents habitants à entretenir des écoles. 92% des communes avaient déjà une école primaire pour les garçons en 1881² .

Kir est un bon élève et il devient aussi un enfant de cœur dévoué. L’inspecteur d’académie le remarque.Malheureusement, après son certificat d’étude il ne va pas au collège, certainement par manque de moyens financiers. L’instruction secondaire n’est pas encore démocratisée. Le début de la III^ème République suit encore les principes de Victor Cousin : « L’instruction primaire est faite pour tous, l’instruction secondaire pour un petit nombre, l’aristocratie légitime et sans cesse renouvelée de la société moderne »³ .

L’instituteur le conserve néanmoins auprès de lui comme répétiteur pour les autres élèves. Cette situation dure deux ans, F. Kir ne veut pas être barbier comme son père.

L’entrée au petit séminaire 

Finalement, à quinze ans, F. Kir répond à un appel de l’évêque de Dijon qui souhaite recruter des curés. Pour ce jeune garçon, c’est un moyen de promotion sociale ou comme l’écrit Christophe Charles c’est une voie pour échapper au prolétariat⁴ .  F. Kir entre ainsi en 1891 au petit séminaire Saint-Bernard à Plombières-les-Dijon en classe de quatrième. Il a deux années de retard.  Laetitia et labore (Joie et travail) est la devise de la maison. L’enseignement et les conditions de vie sont difficiles. Il apprend le grec, le latin, les mathématiques. Il rencontre des difficultés mais il se maintient dans le premier tiers de la classe et il obtient son baccalauréat en première avec une mention passable⁵ .

Le service militaire

Le 15 juillet 1889, la loi Freycinet sur le recrutement de l’Armée est promulguée. Le service militaire passe de cinq à trois ans. C’est aussi la loi dite « loi des curés sac au dos », elle supprime les dispenses de service militaire aux enseignants, aux élèves des grandes écoles et aux séminaristes. Désormais, tous les membres du clergé doivent servir sous les drapeaux (réguliers et séculiers). En 1895, F. Kir a dix-neuf ans, il fait son service militaire au 27^ème régiment d‘infanterie, caserné à Dijon . De cette période de sa vie, il garde un goût pour le sport, la boxe et la chaleur de la camaraderie.

Son service fini, F. Kir entre en 1896 au grand séminaire de Dijon chez « les prêtres de Saint-Sulpice », maison crée par Jean-Jacques Olier (1608-1657) à l’époque de la Contre-Réforme⁶ .

La vie y est morne et sévère, elle se découpe entre travail, prières et méditations. Il passe son baccalauréat de philosophie avec succès. Il poursuit ensuite son parcours avec cinq années d’études de philosophie et de théologie.

Kir est enfin ordonné prêtre en 1901 par le controversé évêque Albert Le Nordez. Ce dernier est à la fois républicain mais de plus il n’a pas toujours une vie en accord avec celle d’un prélat.

 

Naissance du “Don Camillo” Dijonnais 

Au cœur de la tempête anticléricale

L’offensive anticléricale reprend avec force en 1900. La loi de 1901 considère les congrégations comme des associations.  Les écoles des congrégations doivent demander des autorisations et beaucoup sont fermées. Finalement, la loi du 28 mars 1904 interdit l’enseignement à toutes les congrégations⁷ . Les tensions entre Républicains radicaux et Catholiques sont vives. Dans ce contexte, l’affaire Le Nordez éclate. Elle concerne l’évêque qui vient d’ordonner prêtre Félix Kir.

L’évêque Le Nordez est mis en cause pour ses agissements. C’est un personnage décrit comme fantasque. Par exemple, alors qu’on lui demande s’il aime le chant grégorien il aurait répondu préférer le Chambertin…  Mais surtout il déplaît aux catholiques  les plus radicaux car il est républicain, il côtoie notamment Emile Combes⁸ . En 1903, les séminaristes refusent d’être ordonnés par l’évêque Le Nordez⁹ .

Le pape Pie X le convoque en 1904 et l’oblige à démissionner sans avertir au préalable la République, c’est-à-dire le ministre des Cultes et sans respecter non plus le Concordat.

Le déplacement de l’évêque Le Nordez à Rome permet aux Républicains d’en faire une affaire d’Etat, de dénoncer le Concordat, de suspendre les relations avec le Vatican, précipitant ainsi l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État, votée le 9 décembre 1905. Des doutes pèsent alors sur les prêtres ordonnés par l’évêque Le Nordez, dont F. Kir. Ce dernier écrira une lettre au pape à ce sujet pour lui assurer de sa fidélité.

Après son ordination, F. Kir est nommé à Auxonne, petite ville de Côte-d’Or, puis dans le petit village de Drée. Le préfet remarque l’attitude républicaine du curé (les curés sont désormais payés par l’Etat et ont un statut de semi-fonctionnaires).  F. Kir est nommé vicaire de l’église Notre-Dame de Dijon. C’est l’église préférée des Dijonnais, elle porte le jacquemart¹⁰  qui ornait autrefois le beffroi de Courtrai avant d’être rapporté en 1382 par Philippe le Hardi. Le jeune prêtre va dès lors se retrouver au premier plan de la campagne des inventaires.

Avec la loi de 1905, la gestion des biens de l’Eglise est attribuée après inventaire à des associations cultuelles de fidèles. L’Etat ordonne que soit recensé les biens de chaque église.  La “campagne des inventaires” commence. Le pape s’y oppose. Les prêtres appliquant les consignes du pape refusent l’inventaire  ce qui conduit à des affrontements parfois violents.

Le jeune vicaire F. Kir, issu du peuple, rencontre des difficultés à comprendre ces querelles religieuses avec la République mais il est combattif et il ne laissera pas son église  vandalisée. Pendant deux jours,  avec un autre prêtre il tient tête à la police et au commissaire de Dijon ! Il coince la jambe d’un agent de police dans la porte. Comme la jambe est dans l’église, il demande à cette dernière si elle a un mandat ! La légende du chanoine Kir commence.

Finalement, il est arrêté et condamné pour délit de messe ( fairefermée ) .  Lorsque qu’il remet enfin les clefs de l’église, il présente un trousseau de plus de cent clés d’au moins quinze centimètres de long chacune sans préciser ce qu’elles ouvrent. F. Kir est un provocateur et il le restera. Profondément marqué par cet épisode, i l dira plus tard : « à qui la faute si quelquefois la religion s’est trouvée transplantée sur le terrain de la lutte politique ? Aux politiciens ! On nous dit : pourquoi sortez-vous de la sacristie ? On nous a fait sortir de la sacristie pour fouiller nos placards, compter nos vêtements, expertiser nos essuie-mains »¹¹ .

Kir est républicain et conscient que “la campagne des inventaires” est une erreur et qu’elle a failli détourner de la République un grand nombre de citoyens issus des milieux populaires.

En 1910, à vingt-cinq ans, F. Kir est envoyé à Bèze comme curé de campagne. Il fait partie de ces curés de choc qui vont à l’affrontement  avec les socialistes, cela convient tout à fait à son caractère.

Le curé de campagne 

Mal accueilli à Bèze car la mairie est rouge,  F. Kir veut reconquérir le cœur des paroissiens, les ramener à l’Eglise. Il crée une association sportive particulièrement dynamique : « les marsouins de Bèze ». Sa stratégie est payante. Il devient un personnage clé de la commune. Sa légende prend pied à Bèze . Il apprend à ses « marsouins » la gymnastique, le tir à la carabine et des bases de petite médecine. Les cours de catéchisme deviennent vite des cours de politique ou d’agriculture. Les rouges  veulent arrêter le défilé des « marsouins », F. Kir avance  alors un  revolver à la ceinture et n’hésite pas à faire le coup de poing pour défendre les intérêts de son Eglise¹² ! L’été 1914 arrive,  sac au dos il doit quitter sa paroisse.

Du prêtre au poilu

« A l’appel de la patrie, tous les ecclésiastiques atteints par la loi partent sans réclamation. Les prêtres du clergé paroissial dirent adieu à leurs fidèles, à leurs églises, à leurs presbytères et s’arrachèrent à leurs ministères, à leurs études, à leurs habitudes sacerdotales »¹³ .

Comme vingt-trois mille quatre cent dix-huit autres prêtres F. Kir est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale. Trois mille cent d’entre eux y laisseront leur vie¹⁴ .

A l’instar de beaucoup de prêtres, F. Kir est affecté dans le service de santé. Après plusieurs affectations dans des hôpitaux de l’arrière, il est envoyé  en 1916 dans un hôpital d’évacuation, l’ H.O.E.3, c’est-à-dire un hôpital d’orientation des étapes, à Cerisy-Gailly. Là, il est au plus près de l’horreur du conflit¹⁵ .

Ces HOE, très proches du front, voient arriver en premier les soldats blessés après les combats. Ces hommes Dans son livre, Alphonse Pasquier écrit : « L’H.O.E. 3 était en pleine activité, les baraques remplies, on logeait les blessés où l’on pouvait, sur une civière, ou même sur une simple couverture. Les chirurgiens mutilaient ; médecins, brancardiers, infirmières s’affairaient. Les moins atteints, sitôt pansés, étaient chargés dans le train sanitaire qui partait, chaque jour, vers des cieux plus cléments »¹⁶ .

L’hôpital est lui-même régulièrement bombardé. F. Kir sauve deux hommes dans un bombardement. Ses états de services lui valent la Croix de Guerre. Son expérience directe des horreurs de la guerre, notamment les bombardements réguliers par avions de l’hôpital de Cergy-Gailly, l’amène à s’identifier aux poilus, assurant plus tard à la tribune de l’assemblée qu’il avait été volontaire et fantassin. Mais la guerre nourrit en lui un profond pacifisme qui se renforça tout au long de sa vie. Il finit la guerre comme adjudant au ravitaillement.

Kir a indéniablement montré un courage certain durant la guerre. Dontsur cette période : « c’est grâce à moi que la guerre a été gagnée ! Oui je ravitaillais en tabac une division entière. Si je flanchais, c’était cuit : le moral tombait à zéro »¹⁷ . Il se déclare aussi un soignant-novateur : « vous avez devant vous l’homme qui aurait inventé la teinture d’iode », déclara-t-il devant un congrès de médecin¹⁸ .

Néanmoins, F. Kir n’a pas voulu vivre sa foi à l’armée, il n’a pas été aumônier. Il ne cherchera pas non plus à l’éprouver comme d’autres prêtres à l’image de l’abbé Loys Roux : « Les blessures, les râles et les suppliques Loys Roux connaît. Il a partagé le quotidien des soldats, soigné les blessés, déterré les corps entre deux assauts pour les identifier et leur donner une sépulture digne. Il était caporal brancardier au 23^émed’infanterie sur la Somme avec son frère, prêtre aussi qui y laissera la vie »¹⁹ .

Il est important de souligner que sur les photos d’époque F. Kir ne se montre jamais en curé ni en tenue d’infirmier mais de soldat. Il conserve ainsi l’uniforme jusqu’en mars 1919.

Plus tard, le chanoine Kir s’inventa aussi une carrière dans l’aviation, assurant qu’il avait demandé en vain une affectation dans une unité aérienne. « La Grande Guerre lui inspira les plus belles fictions ».

L’ENTRE DEUX GUERRES, L’ENTREE EN POLITIQUE

Une fois la Première Guerre mondiale finie F. Kir retourne à Bèze. Après quatre ans et demi de guerre il rencontre des difficultés à redevenir prêtre. Il met quatre mois à remettre sa soutane, mais le cœur ou la foi n’y sont plus. Nombre de ses « marsouins » ornent de leur nom le monument aux morts de la commune de Bèze . Il décide de s’engager dans le combat politique, soutenant la droite lors des élections législatives de mai 1924.

Son zèle est apprécié de sa hiérarchie qui le promeut curé doyen de Nolay, commune de mille trois cents habitants. Les citoyens y  sont peu religieux et votent essentiellement à gauche. Mais la greffe ne prend pas et le F. Kir entre rapidement en conflit avec le maire parce qu’il juge trop élevé le loyer du presbytère !

En 1924, F. Kir fait paraître un ouvrage intitulé Le problème religieux à la portée de tout le monde²⁰ . Monseigneur Landrieux, évêque de Dijon, note dans la préface : « Le titre de votre livre en détermine bien l’esprit et la portée ». Le contenu de l’ouvrage est au niveau des réparties dont le curé est coutumier : « L’homme descend-il du singe ? « N’a-t-on jamais vu un homme dont le grand-père était un singe ? ».

En 1928, l’évêque de Dijon, Monseigneur Pierre Petit de Juleville, promeut F. Kir directeur pour les Œuvres d’hommes. Cette promotion marque le tournant de sa vie. Il part s’installer à Dijon et en 1931, il devient  chanoine honoraire. Il anime puis il dirige l’hebdomadaire de l’évêché intitulé Le Bien du peuple de Bourgogne et anime activement à la très conservatrice Fédération Nationale Catholique ( FNC) du général de Castelnau. Il  réalise trois fois par semaine des discours la plupart du temps en milieu rural dans lesquels il s’oppose aux socialistes qui s’implantent en Côte-d’Or. Il rend les parlementaires responsables de la crise économique, il prône le protectionnisme, il propose de « liquider le marxisme une bonne fois pour toutes » et de « ralentir l’immigration »²¹ . Ses réparties ne brillent toujours pas par leur hauteur de vue mais elles plaisent au public. Une voix féminine l’interrompt, il répond  : « Je croyais qu’à cette heure les poules étaient couchées ». On lui demande « Pourquoi un prêtre parle-t-il de la famille, il n’est pas marié ? », « Si je ne me suis pas marié, c’est pour ne pas être cocu comme toi » répond F. Kir.  « La divine trinité ? » explique-t-il, « ce n’est pourtant pas difficile :  1 + 1 + 1 = 3 et la divine trinité c’est 1 + 1 + 1 = 1 »²² .

Kir se situe à droite. Il est surtout hostile à Léon Blum et à sa clique  . Il salue « l’éclaircie du 6 février 1934 … ». En revanche, il s’oppose aux ligues d’extrême droite et il n’est membre d’aucun parti. Le chanoine Kir a du succès, il souhaite ardemment  de se présenter à la députation mais il y a déjà trois prêtres au Palais Bourbon et l’évêque s‘y oppose.

Il est certain que F. Kir est très conservateur et qu’il fait partie de cette droite très antiparlementaire d ans les années trente.

UNE FIGURE DE LA RESISTANCE DIJONNAISE

La débâcle  

Le 15 juin 1940 une division allemande avance sur Dijon. Le lendemain , le maire quitte Dijon … Le préfet ordonne l’évacuation de la ville et cinquante mille dijonnais se lancent sur les routes²³ … Devant l’invasion allemande, une délégation municipale de cinq personnes est mise en place pour gérer la cité. F. Kir en fait partie. Comme à l’époque des grandes invasions du haut Moyen Âge, les religieux prennent en main leur ville face aux barbares.  F. Kir devient le defensor civitatis à l’instar des évêques de Troyes et de Châlons-sur-Marne. Il prononce un discours dans la cour de la mairie pour rassurer les citoyens, notamment sur les bombardements : « ne vous en faites pas c’est comme la loterie cela ne tombe pas sur tout le monde ». 

Les membres de la délégation déclarent Dijon ville ouverte car ils estiment ne pas avoir les capacités de résister aux Allemands . Le général chargé de la défense de la ville apparaît comme indécis voire  incapable, donnant  des ordres contradictoires : des troupes restent, d’autres se replient… La confusion est totale. Le 17 juin, les Allemands sont en ville. La délégation décide de parlementer avec les Allemands. Cette décision permet d’éviter la destruction et le pillage de Dijon dira plus tard le chanoine Kir¹⁵ .

Au début de la Seconde Guerre,  F. Kir est pétainiste, il fait partie des quarante millions de pétainistes comme l’écrit Henri Amouroux²⁴ . Il est satisfait de voir disparaitre les parlementaires radicaux, socialistes et communistes.

Au début de l’Occupation, le journal de F. Kir paraît encore. Le chanoine Kir y   évoque le gouvernement de Vichy avec des titres évocateurs : « déblayer et reconstruire », « le retour à la terre ». Il est aussi farouchement anti-boche.

Profitant de sa position de chargé des prisonniers et des réfugiés, il facilite les évasions du camp de Longvic²⁵ .

Au bout de quatre mois F. Kir est arrêté par les Allemands. Ces derniers, grâce à des prisonniers en fuite, ont remonté la filière. F. Kir dira plus tard qu’il aurait contribué à l’évasion de cinq à six mille personnes dont plus de deux mille en Suisse…  Il est condamné à mort par le tribunal allemand mais il est gracié… et relâché après cinquante-huit jours de prison. Comment l’expliquer ?  Sa condition de prêtre a-t-elle joué ?

Néanmoins, F. Kir est libéré à la fin de 1940 à la condition de ne plus être employé à l’administration de la ville. Il est sans emploi et sans affectation ecclésiastique. Ses relations avec l’évêché se dégradent très vite à cause des propos anti-allemand qu’il profère régulièrement.

Kir occupe dès lors son temps à dénigrer l’armée allemande. Il devient une figure du patriotisme populaire. Il est convoqué à deux reprises par le préfet qui lui somme de se taire au sujet des Allemands. Il est arrêté une seconde fois (22-23 octobre 1943) au sujet d’un prisonnier évadé. Il est interrogé et relâché dans l’après-midi.Cependant, le chanoine Kir exaspère les pétainistes. Le 26 janvier 1944 dans la soirée deux hommes font irruption chez lui et le prennent pour cible. Le Chanoine reçoit trois balles dont une arrêtée miraculeusement par son portefeuille rempli de billets de banque ….

L’attentat nocturne est organisé par un Commando, des miliciens de la Milice révolutionnaire nationale²⁶ .

Blessé, F. Kir est opéré dans la nuit à la clinique Sainte-Marthe de Dijon, mais ses blessures sont sans gravité. Dans la même nuit, il part se cacher en Haute-Marne dans le village de Malroy dans une école catholique d’agriculture.

Ses arrestations en 1940 et en 1943, son attitude patriotique et l’attentat dont il réchappe miraculeusement en 1944 lui confèrent  un prestige immense, une notoriété de grand résistant (même s’il n’a jamais fait partie d’une organisation de résistance). Il en tirera le titre de « Premier résistant de France » et une légitimité politique considérable.

La libération

En septembre 1944, le chanoine Kir décide de revenir à Dijon car la Libération est proche. Il ne veut pas manquer cet évènement. Il parcourt à pied les cent-dix kilomètres entre Dijon et Malroy où il s’est caché. Il arrive à Dijon le 11 septembre 1944, le même jour que les libérateurs. Il est acclamé, il incarne la Résistance : arrêté par la Gestapo, victime de la Milice, il symbolise la France qui n’a jamais abdiquée ! Il improvise un discours, prenant en exemple la libération de Dijon assiégé par les Suisses en 1513. Il fait hisser le drapeau tricolore sur la plus haute tour du Palais des ducs de Bourgogne. F. Kir est arrivé par le Nord. Les libérateurs, les troupes françaises de De Lattre de Tassigny arrivent par le Sud . Ils ont débarqué en Provence en août 1944.

Le chanoine Kir se fait photographier sur un char. Il a libéré Dijon !

Le nouveau préfet, Marcel Lhuillier, héros de la Résistance, socialiste, met en place le Comité Départemental de la Libération (CDL). Le Chanoine Kir est coopté et en fera partie. Il est membre de trois commissions : Justice, Action sociale  et Epuration des pouvoirs publics et collectivités. Il participe activement à l’épuration et il refuse de pardonner aux hommes qui étaient venus l’assassiner. Ces derniers seront fusillés. Dieu pardonne, le chanoine Kir non.

Le 18 septembre 1944, sur proposition du CDL, le chanoine Kir entre au Conseil municipal. Les portes de la mairie lui sont enfin ouvertes, il est décidé à y rester.

Aux élections municipales d’avril 1945, il se présente comme « partisan sans réserve de l’action du général de Gaulle, partisan du Conseil national de la Résistance ». Il gagne avec cinquante-trois pourcent des suffrages. Il est aussi élu député à la première constituante en octobre 1945. Sa carrière politique commence, il a soixante-neuf ans.

 

 

(La seconde partie à suivre dans un article prochain)

 

 

Louvier Danae, étudiante en Master 2 Histoire Moderne et Contemporaine 

 

1. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 12. [↩]
2. Claire. FREDJ, La France au XIX^ème siècle, éd. PUF, Paris, 2022, p. 250 [↩]
3. Victor. COUSIN, Discours prononcé à la Chambre des pairs à propos de la loi sur l’instruction secondaire : La Défense de l’université et de la philosophie, éd. Joubert, Librairie de la Cour de cassation, Paris, 1844, p. 51. [↩]
4. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 18. [↩]
5. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 12. [↩]
6. Hélène. DUCCINI, « Les médias de la Contre-Réforme en France au XVII^e siècle », in. Le Temps des médias, N° 17,  2011/2, p. 11. [↩]
7. Claire. FREDJ, La France au XIX^ème siècle, éd. PUF, Paris, 2022, p. 182. [↩]
8. Président du Conseil, anticléricale,  sous la III^e République [↩]
9. Jean-François. BAZIN, Histoire de Dijon, éd. Gisserot, Paris, 2003.  [↩]
10. Jaquemart : automate d’art représentant un personnage sculpté en bois ou en métal qui indique les heures en frappant une cloche avec un marteau. [↩]
11. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 39. [↩]
12. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 45. [↩]
13. Cardinal DE LUÇON, Livre d’or du clergé & des congrégations 1914-1922 : la preuve du sang,  éd. Bonne Presse, Paris, 1925, p. 7. [↩]
14. Cardinal DE LUÇON,  Livre d’or du clergé & des congrégations 1914-1922 : la preuve du sang, éd. Bonne Presse, Paris, 1925, p.21. [↩]
15. Louis. DEVANCE, Le chanoine Kir. L’invention d’une légende, éd. Université de Dijon, Dijon, 2007. [↩] [↩]
16. Alphonse Pasquier, Cerisy-Gailly mon village, éd. Par l’auteur, 1975, chapitre 1916, note p. 306. [↩]
17. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, 2018, Malakoff, p. 46. [↩]
18. Louis. DEVANCE, Le chanoine Kir. L’invention d’une légende, éd. Université de Dijon, Dijon, 2007. [↩]
19. Abbé Loys ROUX, Mon journal de guerre 1914-1919, Archives départementales du Rhône et de la métropole de Lyon, cote :  362J 1-362J10. [↩]
20. Félix. Kir, Le problème religieux à la portée de tous, Imprimerie de Thorey, Dijon, 1928 [↩]
21. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 59. [↩]
22. Jean-François. BAZIN, Le chanoine Kir : la vie fantasque d’un homme politique en soutane, éd. Armand Colin, Malakoff, 2018, p. 53. [↩]
23. Jean-François. BAZIN, Histoire de Dijon, éd. Gisserot, Paris, 2003. [↩]
24. Henri. AMOUROUX, 40 millions de pétainistes. La grande histoire des Français sous l’Occupation, edts Robert Laffont, 1977 [↩]
25. Commune proche de Dijon. [↩]
26. A ne pas confondre avec la milice, ce groupuscule collaborationniste issu de la ligue française a été créé en 1943 par Pierre Costantini, membre du comité central de la L.V.F. Souvent constitué de malfrats se faisant passer pour de faux policiers, cette milice rackette la population, commet des crimes mais reste protégée par les Allemands, in. Jean-Marc. BERLIERE, Polices des temps noirs, éd. Perrin, Paris, 2018, Milice révolutionnaire française et Ligue française p. 643-650. [↩]

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