Fondée en 361 par saint Martin, l’abbaye de Ligugé revêt aujourd’hui une importance spirituelle, historique et archéologique majeure dans le paysage européen. Elle est le témoin exceptionnel de seize siècles d’histoire. A quelques kilomètres au sud de Poitiers, l’abbaye a subi les tumultes du siècle. Elle fut plusieurs fois détruite puis reconstruite. La vie monastique y fut souvent interrompue. Mais les moines bénédictins sont toujours revenus à Ligugé et encore aujourd’hui participent au rayonnement  de la plus ancienne fondation monastique d’Occident.

 

En 361, saint Martin a fondé près de Poitiers un des premiers monastères chrétiens d’Occident. Connu pour être l’un des premiers évangélisateurs de la Gaule, saint Martin a reçu de saint Hilaire des terres au sud de Poitiers sur la rive gauche du Clain pour y installer une petite communauté d’ascètes. Le premier biographe de saint Martin, Sulpice Sévère, ne donne pas plus de précisions sur le lieu de cet ermitage. Il faut attendre le témoignage de Grégoire, le successeur de Martin sur le siège épiscopal de Tours deux siècles plus tard, pour que le nom de Ligugé apparaisse. Les fouilles archéologiques ont révélé un bassin gallo-romain du IIe siècle probablement associé à un sanctuaire païen. Il est possible que saint Martin ait eu pour mission d’évangéliser les populations locales plutôt enclines à vénérer le dieu Lug si l’on en croit l’étymologie du nom Ligugé qui signifierait « la maison du dieu Lug ». Saint Martin quitta Ligugé vers 370 pour s’installer sur le siège épiscopal de Tours.

Le peu de traces que nous possédons de l’activité de l’abbaye de Ligugé pendant la période mérovingienne révèle tout de même un réel rayonnement. D’une part, la multitude de sarcophages retrouvés dans cette zone témoigne du développement de l’abbaye à cette époque. D’autre part, la rédaction du Liber scintillarum, florilège monastique communément attribué à Defensor de Ligugé, suggère que l’abbaye possédait une bibliothèque importante. Enfin, la découverte, en Vendée à la fin du XIXe siècle, d’une monnaie d’or datée de la fin du VIe ou du début du VIIe siècle, atteste d’un atelier monétaire à Ligugé donc de l’importance acquise par l’abbaye. Si, aucune source écrite ne mentionne l’abbaye pour l’époque carolingienne, toutefois, la dalle funéraire d’un abbé, découverte en 1891, présente une inscription ,« Sub hoc conditotio situm est corpus », qui n’est pas sans rappeler la formule initiale de l’épitaphe de Charlemagne. Cela laisse supposer que l’abbé appartenait à la haute aristocratie proche de l’empereur, autrement dit cela suggère un réel rayonnement de l’abbaye également à l’époque carolingienne.

Si Ligugé est actuellement la plus ancienne fondation monastique d’Occident encore en activité, son histoire n’est pas linéaire et la vie monastique a maintes fois été interrompue. L’abbaye et ses moines ont subi les violentes répercussions du siècle à plusieurs reprises. Bien qu’elle ne figure pas dans la liste des monastères disparus de la Chronique de Saint-Maixent, il semblerait que l’abbaye de Ligugé ait été détruite par les Normands durant la seconde moitié du IXe siècle. Plus tard, au XIVe siècle, les Annales d’Aquitaine de Jehan Bouchet nous apprennent que les habitants de Ligugé avaient détruit une partie des bâtiments de l’abbaye pour éviter que les Anglais s’y installent. Toutefois, non seulement les Anglais s’y installèrent mais ils détruisirent la majeure partie de l’église. Deux siècles plus tard, l’abbaye fut incendiée lors du siège de Poitiers par les troupes protestantes de l’amiral de Coligny.

Mais après chaque destruction l’abbaye de Ligugé s’est relevée de ses cendres. Ce fut tout d’abord l’œuvre d’Aumode, comtesse de Poitou de la fin du Xe siècle, qui fit ériger un oratoire destiné au pèlerinage martinien. Au XIIe siècle, le rouleau de Reuil, laisse penser que cette fondation a eu dès son origine un lien avec l’abbaye vendéenne de Maillezais. Ce lien est ensuite confirmé d’une part par le coutumier de Maillezais dans lequel est mentionné le prieur de Ligugé et  d’autre part par une bulle du pape Célestin III qui mentionne le prieuré de Ligugé parmi les biens de l’abbaye de Maillezais. De cette époque ne subsiste que le cellier qui a été réhabilité par les moines pour leur usage quotidien.

 

Au début du XVIe siècle le prieuré de Ligugé fut soumis au régime de la commende : son bénéfice fut confié à un laïc qui en percevait les revenus sans en assumer la charge effective. Le second prieur commendataire fit construire un logis encore visible aujourd’hui. Puis se furent les jésuites qui investirent les lieux, porteurs d’un brevet royal d’Henri IV en leur faveur. Ils firent édifier un grand bâtiment qui abrite aujourd’hui l’infirmerie et les chambres individuelles des moines.

 

Tombés dans la mense épiscopale après l’expulsion des jésuites du royaume, puis vendus comme biens nationaux en 1793, les bâtiments avaient finalement été transformés en maison de maître avec dépendances.   C’est en 1851, lorsque la ligne de chemin de fer qui reliait Paris à Bordeaux traversa le parc que la propriété fut mise en vente. Monseigneur Pie, alors évêque de Poitiers, se porta acquéreur. Il confia Ligugé à dom Guéranger, abbé de Solesmes et restaurateur du monachisme bénédictin en France. Le 24 novembre 1853 quatre moines bénédictins de Solesmes reprirent possession de la fondation de saint Martin. La clôture fut rétablie le 30 mars 1854 et le titre abbatial le 13 mai 1856.

Mais, le vœu de stabilité était décidément bien difficile à respecter pour les moines de Ligugé. En effet, à la fin du XIXe siècle, la Troisième République avait pour ambition d’enraciner les valeurs républicaines notamment dans les campagnes. Cette politique impliquait une laïcisation de la société et s’appuyait sur une école gratuite, laïque et obligatoire. Ainsi, Jules Ferry et les opportunistes interdirent l’enseignement aux « congrégations non autorisées » par les décrets des 29 et 30 mars 1880.  Il semble que la communauté de Ligugé ait été concernée car elle a fait l’objet de dispersions dès 1880. Les moines s’organisèrent en une nouvelle communauté en restaurant l’abbaye de Saint-Dominique de Silos fondée au Xe siècle en Espagne. Progressivement la vie conventuelle fut rétablie à Ligugé jusqu’au coup d’arrêt provoqué par l’application de la loi de 1901 qui contraignit une nouvelle fois les moines à l’exil. En effet, si cette loi prévoyait un régime de liberté pour la création des associations, les congrégations religieuses étaient soumises à un régime d’exception. La plupart des congrégations déposèrent leur demande d’autorisation. Les autres, dont celle de Ligugé, furent dissoutes en octobre 1901. Les moines de Ligugé trouvèrent refuge en Belgique jusqu’en 1923 date à laquelle ils purent réintégrer l’abbaye.

Durant la Seconde Guerre mondiale les bâtiments furent réquisitionnés par l’armée allemande mais cela n’empêcha pas les moines de participer activement à des activités de résistance au sein du réseau de Poitiers baptisé « Renard ». Robert Schuman trouva refuge au monastère en 1942 et ce sont les moines de Ligugé  qui assurèrent son passage en zone libre.  Le père Aimé Lambert fut déporté et exécuté pour sa participation active aux actions de résistance dans la région et en 1948 le père abbé dom Basset fut fait chevalier de la Légion d’honneur en reconnaissance des services rendus à la France.

Afin d’assurer des revenus à l’abbaye et fidèles à la règle de saint Benoît, les moines ont installé après-guerre un atelier d’émaillerie d’art où ils travaillèrent en collaboration avec notamment Georges Braque et Marc Chagall. Aujourd’hui les bénédictins de Ligugé partagent avec les carmélites de Niort le secret de la recette du Scofa, pâtisserie qui est distribuée à la boutique du monastère et dans les commerces locaux.

 

 

On trouve des traces du culte de saint Martin dans toute l’Europe. En 2005, a été créé un itinéraire culturel européen dont l’abbaye Saint-Martin de Ligugé est une étape majeure.

 

 

Cécile JEANNE, Master 1 – Mondes antiques et médiévaux. Mémoire  sous la direction de Laurent Jégou

 

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