Les femmes russes se sont toujours engagées comme infirmières dans l’armée russe, notamment pendant les guerres russo-japonaises. Durant la Première Guerre Mondiale, la Grande Duchesse Maria Pavlovna, explique que s’engager comme infirmière lui a permis de découvrir les réalités de la vie du peuple. Maria Ulyanovna, sœur de Vladimir Ilitch Lénine et agent bolchevik, s’est aussi faite, elle aussi enrôlée pour échapper aux suspicions de la police. Ces deux exemples nous montrent que des femmes de diverses classes sociales ont été infirmières : des femmes de lettres, des étudiantes, des femmes médecins ou encore des figures du milieu culturel comme l’épouse et les filles du chanteur d’opéra Fiodor Chiapaline. En 1915, l’Union Automobile des Zemstvos organise un concours automobile ouvert tant aux hommes qu’aux femmes. Elle remarque alors que si les hommes ont de meilleurs résultats en termes de performances, les femmes ont de meilleures connaissances théoriques. Les cinquante-huit femmes présentes réussissent toutes à obtenir un diplôme de conductrice automobile et l’armée tsariste accepte de s’ouvrir aux femmes ambulancières. L’Union des Zemstvos compte trente mille femmes parmi ses membres en 1916. L’Union des Villes et de la Croix Rouge en comptabilise dix mille. Les femmes sont aussi majoritaires au sein du comité moscovite d’aide aux réfugiés de guerre. Mais elles restent tout de même cantonnées au domaine médical et les femmes soldats n’existent pas encore.

Je vais donc vous présenter rapidement Maria Botchkareva, la première combattante dans l’armée russe tsariste, également fondatrice du Bataillon Féminin de la Mort.
Maria Léontievna Frolkova est née en 1889, dans la province de Novgorod. Sa famille est très pauvre. Son père est un ancien serf qui a combattu pendant les guerres russo-turques. Il sombre rapidement dans l’alcoolisme et se montre violent envers sa femme et ses quatre filles. Maria commence à travailler à huit ans en tant que bonne d’enfant. Elle doit s’occuper d’un petit garçon à peine plus jeune qu’elle, âgé de cinq ans, mais ils se disputent fréquemment et cela ne dure pas. Vers ses dix ans, elle devient employée dans une épicerie. Elle décrit une enfance misérable et malheureuse. Elle commence très tôt à développer des pensées suicidaires.

A quinze ans, elle cherche à se marier surtout pour s’émanciper vis-à-vis de sa famille. Elle épouse Athanase Botchkarev, de dix ans son aîné. Il se montre tout aussi violent que son père. Elle fugue à plusieurs reprises et fait une tentative de suicide. Un jour, Athanase Botchkarev est arrêté. Maria Botchkareva exerce plusieurs activités pour subvenir à ses besoins. Pendant un temps, elle est par exemple contremaître dans une usine, ce qui lui permet de s’affirmer et de développer son autorité. Elle est aussi faite prisonnière dans une maison close mais elle parvient rapidement à s’échapper.
C’est à ce moment qu’elle rencontre son deuxième mari, Jacob Buck, surnommé Yashka, qui a une certaine influence sur elle. Jacob Buck défend des idées révolutionnaires. Il est condamné deux fois à l’exil pour vol et recel. Maria n’hésite pas à le suivre jusqu’à Amga, une colonie pénitentiaire reculée. Mais il devient de plus en plus violent et jaloux. Il essaye même de l’étrangler et est finalement interné de force dans un hôpital psychiatrique.
À la veille de la Première Guerre Mondiale, Maria Botchkareva-Buck se retrouve à nouveau seule. C’est alors qu’elle se sent gagnée par un élan patriotique. Selon ses propres mots, elle entend une voix lui dire de partir à la guerre. Elle se coupe les cheveux et s’habille alors en homme. Elle va au quartier du bataillon général de Tomsk et demande à s’engager, ce que le commandant refuse, lui conseillant plutôt de devenir infirmière. Elle décide d’écrire un télégramme au tsar, Nicolas II, et sa requête est finalement acceptée. Au moment de son départ, sa mère menace de la renier.
Une fois enrôlée, elle prend un pseudonyme masculin et se fait appeler Yashka (comme son deuxième mari). Elle a du mal à se faire accepter et respecter par ses camarades. Elle subit des moqueries mais elle échappe aussi à plusieurs tentatives d’agressions sexuelles dans le dortoir. Lors de sa première bataille, elle se fait remarquer. Elle rampe sous les bombes pour venir au secours de ses compagnons d’armes blessés et reçoit une médaille de quatrième classe. Dans ses mémoires, elle décrit sa vie quotidienne qui n’est finalement pas si différente de celle de ses collègues masculins. Un de ses pieds est gelé, elle craint de se faire amputer mais elle passe finalement quelques mois à l’hôpital et est guérie. Elle est aussi capturée par les Allemands et parvint à se libérer au bout de huit heures. Alors qu’elle gagne une certaine popularité, elle est pressentie pour obtenir la croix de deuxième classe mais elle ne reçoit qu’une médaille de troisième classe car elle est une femme.
En 1917, commence la révolution russe. Les soldats qui avaient déjà perdu leur enthousiasme patriotique, se laissent de plus en plus gagner par les idéaux pacifistes des révolutionnaires. Maria, déçue, quitte l’armée pendant un temps. Elle a alors une idée : puisque les hommes sont trop lâches pour se battre, les femmes doivent les remplacer. Grâce à ses contacts, elle est reçue à la Douma, chambre basse de l’Assemblée Fédérale de Russie. Elle déclare que : « Les femmes ont naturellement le cœur léger, mais celles qui sauront se sacrifier elles-mêmes pourront, par une parole bienveillante, par la bonté de leur âme et par l’exemple de leur héroïsme, contribuer au salut de la patrie. Nous sommes faibles physiquement, mais si moralement et spirituellement nous sommes fortes, nous ferons plus de besogne qu’une troupe considérable ». Son discours est un succès puisque deux mille femmes s’engagent dans son Bataillon Féminin de la Mort.
En tant que cheffe du Bataillon Féminin de la Mort, Maria met en place une forme de « maternalisme ». Elle interdit à ses soldates de flirter par exemple et elle n’hésite pas parfois à les gifler. Ce mode de fonctionnement ne plaît pas à tout le monde. Elle doit affronter des rebellions tant de la part de ses soldates que de la part de ses collègues masculins qui lui reprochent d’être trop attachée aux valeurs du régime tsariste.
Avec la fin de la guerre, elle est démobilisée. En 1918, elle comparait devant Vladimir Ilitch Lénine et Léon Trotski. Elle les accuse de vouloir ruiner la Russie. Elle rentre chez elle mais elle a du mal à s’habituer à la Russie post-révolution et aux comités bolcheviques. Désormais soupçonnée d’être un élément contre-révolutionnaire, elle reprend des vêtements féminins et se déguise afin d’éviter une éventuelle arrestation. Elle est même arrêtée et manque d’être fusillée mais est sauvée au dernier moment grâce à l’intervention d’un de ses anciens camarades et ami.
En 1918, elle décide de quitter la Russie. Elle se rend aux Etats-Unis où elle est accueillie par un comité de suffragettes. Elle rencontre le Président Woodrow Wilson. Elle fait aussi la connaissance d’Isaac Don Levine, journaliste américain d’origine biélorusse. Connu pour ses ouvrages anti-bolcheviks, il va lui permettre d’écrire sa biographie.
Mais en 1920, Maria retourne en Russie où elle est de nouveau arrêtée et fusillée le jour même, le 16 mai 1920, pour activité contre-révolutionnaire. Elle ne sera réhabilitée qu’en 1992.
Tout au long de sa vie, Maria Botchkareva montre une certaine indépendance. Elle qui avait manqué mourir plusieurs fois et qui avait fait plusieurs tentatives de suicide, avait trouvé une nouvelle raison de vivre dans l’armée. Elle a été accusée d’être contre-révolutionnaire. Mais en vérité, elle était partagée entre un enthousiasme révolutionnaire et un sentiment de fidélité à l’égard du tsar qui l’avait acceptée dans son armée. Comme elle le reconnaît dans sa biographie, elle est illettrée et elle a de faibles connaissances politiques.
La femme politique et militante féministe Emeline Pankhrust qualifie Maria Botchkareva de “Jeanne d’Arc” russe. En effet, la religion est l’un des moteurs principaux de son engagement. Elle avait été élevée dans le christianisme orthodoxe. Comme nombre de ses compatriotes à la même époque, elle avait aussi quelques préjugés antisémites, bien qu’elle évolue sur ce point à la fin de sa vie, au contact notamment de son biographe. Dans ses écrits, elle remercie Dieu à plusieurs reprises et elle explique qu’elle se sentait emportée par une volonté de sacrifice.

 

Anne Mariotti, étudiante en Master 2  Histoire Sociale du Politique

 

Sources :

• BOTCHKAREVA Maria, Yashka, journal d’une femme combattante. Russie (1914-1917), Armand Colin, « Hors collection », 2012, ISBN : 9782200275167. URL : https://www.cairn.info/yashka-journal…
• BOTCHKAREVA, Maria, DON LEVINE, Isaac, Yashka: My Life as Peasant, Exile and Soldier, Frederick A. Stockes Compagny, Londres, 1919, https://archive.org/stream/yashkamyli…
• STITES, Richard, The women’s liberation movement in Russia : feminism, nihilism, and bolshevism 1860- 1930, Princeton University Press, Princeton, 1978
• STOFF, Laurie, They fought for the Motherland : Russia’s women soldiers in World War I and the Revolution, Lawrence, Kan. : University Press of Kansas, 2006

---

---