Au travers des mémoires de Jeanne Bouvier, nous avons un témoignage des grands changements de son époque et des incidences sur la vie quotidienne des ouvrières.  À la fin du XIXème siècle, il est possible de passer d’une enfance dans la pauvreté à une situation relativement modeste avec quelques distractions tout en épargnant pour assurer sa retraite. Jeanne Bouvier nous dresse tout au long de ses mémoires l’état des lieux de son parcours personnel avec des détails du quotidien saisissants. Elle dépeint une société extrêmement dure pour les femmes, qui sont les premières touchées par la pauvreté avec une issue souvent macabre. Au travers de ses mémoires se dresse un portrait de la consommation ouvrière qui n’est pas uniforme. Elle mentionne en effet ces femmes extrêmement pauvres, mais aussi ses camarades qui s’octroient plus de loisirs et plaisirs dans leurs consommations (vêtements à la mode) Les changements dans ces statuts ouvriers où il est possible de passer d’un état de pauvreté à un statut meilleur quoique modestes ont ainsi indéniablement liés aux pratiques de consommation de l’époque. Néanmoins, cette transformation n’est pas soudaine, et confère à Jeanne une conscience de classe lui permettant de se syndiquer pour contester et lutter contre les injustices sociales et économiques qu’elle subit. La naissance de cette contestation sociale peut continuer à transformer la consommation ouvrière dans l’optique de réduire les inégalités avec les classes sociales plus élevées. 

 

Compte rendu de lecture – nombre de signes (2659 signes) 

 

Jeanne Bouvier est un exemple intéressant d’une vie passée au sein de la classe ouvrière, et retrace au travers de ses mémoires un vécu de travailleuse dès son plus jeune âge de la fin du XIXème siècle au début du XXème siècle. Nous pouvons observer la possibilité d’un changement du statut ouvrier, ainsi qu’un changement dans les typologies de consommation ouvrière dans la société contemporaine du début du XXème siècle.  

Tout d’abord, nous observons un passage d’un statut d’extrême pauvreté au prolétariat notamment par le récit de son enfance pauvre dans une famille économiquement instable. Cette famille possède une source de revenus peu pérenne par le biais du travail paternel payé aux productions réalisées, les mettant souvent dans la précarité avec une dépendance financière forte et une inquiétude quotidienne concernant l’alimentation de la famille. Aussi, dès son plus jeune âge, Jeanne Bouvier a été mise à contribution pour travailler et apporter un revenu à ce foyer permettant ainsi de se nourrir au jour le jour. On note que ce poste de dépense est le principal de la famille, qui ne peut consacrer de l’argent à d’autres dépenses notamment matérielles. Son passage en pension dans sa région natale de l’Isère est également révélateur de la consommation alimentaire chez les ouvriers à l’époque puisqu’elle y détaille ce que sa mère lui déposait une fois par semaine afin de réduire les frais de pension.  

Néanmoins, à la suite de la perte d’emploi de son père, tonnelier, la famille a dû vendre tous ses biens pour subvenir à ses besoins primaires, passant ainsi de la classe des familles à faible revenus à celle des nécessiteux. On note la situation d’extrême pauvreté dans laquelle elle et sa famille se trouvaient avec le récit du quotidien : ils dormaient à même le sol et se nourrissaient de châtaignes, tout en faisant appel à la solidarité familiale pour survivre. Jeanne Bouvier a donc dû sortir de pension, renoncer à une éducation élémentaire et commencer à travailler à l’âge de onze ans dans une fabrique de soie. Elle travaillait dans des conditions éreintantes où pour treize heures de travail, elle percevait cinquante centimes permettant de payer le pain quotidien familial. Le salaire étant insuffisant, elle complétait sa journée de travail par des travaux de crochetage la nuit, toujours pour payer la nourriture du foyer.  

Au travers de son récit, on note que la consommation d’une famille pauvre se résumait uniquement à de la nourriture. Afin d’augmenter son salaire – et donc les revenus familiaux- , la famille décide par la suite de placer Jeanne dans des familles aisées à Paris ou en proche banlieue. Elle était rémunérée à hauteur de vingt francs par mois en échange de travail domestique : ménage, cuisine et lavage. Par la suite, elle quitta ce travail pour rejoindre une maison de commerce où sa cousine faisait de la confection textile pour un salaire plus élevé. Le rapprochement avec les centres économiques et industriels sont ici caractéristiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, permettant de trouver plus facilement du travail car on y recherchait une main d’œuvre abondante et bon marché, pas ou peu qualifiée. 

Ensuite, l’étude de l’évolution des différents travaux exécutés par Jeanne Bouvier dans ses différents postes dès son plus jeune âge, montre un salaire croissant, permettant d’accroître sa consommation. Elle affirme elle-même qu’à partir du moment où elle a commencé à travailler dans l’atelier de confection, ce travail lui permet de « gagner raisonnablement sa vie ». Elle passe ainsi de la classe des « nécessiteux » aux « ouvriers pauvres ». Une fois la situation de Jeanne Bouvier stabilisée, on perçoit dans le descriptif de son quotidien la place prépondérante qu’y prend sa consommation. Ses dépenses sont planifiées méthodiquement au quotidien pour ne laisser aucune place à l’imprévisible.  Au-delà de cette description, Jeanne Bouvier évoque les prémices d’un commerce international dans la confection vestimentaire concurrençant les productions françaises. En outre, Jeanne retrace la naissance et le développement et l’existence des caisses d’épargne ouvrières auxquelles elle a recours pour prévenir une « vieillesse sans pain ».  Ainsi, par le biais de ses mémoires, on note un parcours personnel et professionnel marqué par la crainte de manquer et la minutie dans la tenue de ses comptes.  

L’évolution de la vie de Jeanne Bouvier est marquée par les moyens financiers dont elle dispose en raison d’un travail acharné. De plus, cette évolution est en lien avec une époque en pleine mutation théâtre de nouvelles inventions avec l’arrivée de l’électricité, tout à l’égout etc… Ce récit laisse percevoir les débuts d’une consommation de masse permettant aux plus modestes d’accéder à des loisirs encore impossibles à envisager au siècle précédent. 

 

Mylène Boutonnet-Tranier. Etudiante en Master 1 – Sociétés modernes et contemporaines dans la mondialisation. Mémoire de Recherche en histoire contemporaine sous la direction de Laure Machu.

 

 

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