L’exposition « Momies : Corps préservés, corps éternels » du Muséum de Toulouse propose une rétrospective des différentes techniques de momification développées par les sociétés humaines à travers les âges. Il s’agit également de s’intéresser aux phénomènes de momification naturelle dus aux conditions climatiques particulières de certaines régions du globe. Par ailleurs, l’exposition ne néglige pas les questionnements éthiques et juridiques liés à la conservation des corps des défunts et à leur étude.

Depuis le 22 octobre 2022, le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse propose une exposition temporaire ayant pour thème les momies. On pense évidemment tout de suite à l’Égypte antique et à ses momies qui ont tant fasciné les chercheurs mais aussi le grand public, depuis les découvertes du XIX^e siècle. L’exposition leur consacre bien sûr une place de choix, mais élargit les perspectives en évoquant les diverses pratiques de momification artificielle et de conservation des corps dans le monde (avec notamment une section importante sur les civilisations andines), mais aussi les phénomènes de momification liés aux conditions naturelles de certaines régions du globe. Enfin, le visiteur est amené à s’interroger de manière plus large sur la place faite aux morts dans le monde des vivants et l’exposition de restes humains dans les musées.

L’exposition débute par un propos assez général sur la mort : d’un point de vue biologique (descriptif des différentes étapes se produisant dans le corps humain suite au décès), mais aussi historique et anthropologique avec une évocation des différentes techniques inventées pour traiter les corps des défunts n’ayant pas pour but de les conserver (crémation, inhumation…). Le ton est très factuel et peut être déstabilisant pour le public car il renvoie inévitablement à l’expérience individuelle du deuil. Néanmoins, cette mise en contexte en début de visite paraît fort pertinente car elle permet de mettre en exergue la particularité de cette exposition : ce sont des êtres humains du passé au sort identique au nôtre qui en sont les sujets, ce qui peut être difficile à conceptualiser étant donné l’éloignement temporel.

La momification artificielle n’est que l’une des manières trouvées par les humains pour transcender l’étape de la mort ; elle est une technique visuellement spectaculaire puisqu’elle permet une conservation intacte des corps. Les momies sont aujourd’hui des objets précieux pour les chercheurs car elles offrent des clés de compréhension des sociétés anciennes ; elles sont aussi des témoignages du passé pour tous les êtres humains d’aujourd’hui.

L’Égypte demeure, bien sûr, incontournable lorsqu’il s’agit d’étudier les momies. La pratique de l’embaumement s’y est en effet étendue sur une période de cinq millénaires, de la fin de la Préhistoire au XI^e siècle de notre ère (momies coptes). Dans cette salle, plusieurs affiches nous renseignent sur les rites funéraires, les produits utilisés, les divinités associées. Une momie d’enfant, une momie de femme et des momies d’animaux sont exposées. Les momies humaines sont d’ailleurs laissées dans le noir ; à charge pour chaque visiteur qui souhaiterait les contempler d’appuyer sur un interrupteur. Cette démarche permet de préserver un public éventuellement sensible. Dans chaque salle, une figure représentative est mise en avant avec des détails sur l’environnement dans lequel elle a été conservée et les circonstances de sa découverte : ici, il s’agit de Toutankhamon.

Une autre salle est consacrée à la momification dans les civilisations andines, et notamment à l’apogée de l’embaumement durant l’empire Inca (1200-1533). Des momies d’enfants sont exposées ainsi que divers objets tels que des poupées funéraires. La momie nommée « la Doncella » est présentée plus en détails : elle fait partie d’un ensemble de trois corps d’enfants retrouvés en 1999 dans les Andes à la frontière entre l’Argentine et le Chili. Il semblerait que ces corps n’aient pas fait l’objet d’une momification artificielle, mais aient été conservés par le froid après avoir été enterrés vivants, lors d’un sacrifice rituel.

Des ouvertures sont faites sur d’autres techniques s’apparentant à la momification. Par exemple, un excursus est fait sur la pratique des têtes réduites par les Shuars, peuple amérindien habitant les forêts de la Haute-Amazonie. Un spécimen est d’ailleurs exposé. Sont également évoqués les rois de France, et la conservation particulière de leurs dépouilles.

La deuxième partie de l’exposition aborde plutôt les aspects scientifiques des phénomènes de momifications naturelles. Plusieurs momies retrouvées dans des environnements très différents sont présentées : « la beauté de Xiaohe » dans le désert de sable du Taklamakan au nord-ouest de la Chine, « Ötzi » au cœur du glacier du Hauslabjoch entre l’Autriche et l’Italie, ou encore « l’homme de Clonycavan » dans les tourbières irlandaises. Pour chacune de ces figures, des éléments scientifiques vulgarisés permettent de comprendre comment les conditions bioclimatiques ont rendu possible une conservation aussi nette. Des dépouilles d’animaux sont également mises en avant, comme la patte d’un mammouth laineux retrouvée en Sibérie, seul reste de mammouth conservé hors de Russie.

La dernière partie de l’exposition traite de la création de momies à visée scientifique depuis le XVIII^e siècle.

Diverses techniques sont présentées avec de nombreux spécimens : reproductions artificielles des corps humains ou animaux avec du plâtre ou d’autres matériaux, mais aussi préservation et mise en valeur à visée scientifique des corps d’animaux morts grâce à l’utilisation de produits chimiques divers.

Enfin, l’exposition invite le visiteur à s’interroger sur les enjeux bioéthiques et la portée philosophique des questionnements liés à la mort.

D’une part, l’impact des progrès scientifiques et technologique sur notre rapport à la mort est évoqué, avec notamment des éléments sur le clonage et la cryogénisation. Les expériences sur les animaux sont aussi abordées : par exemple, le projet de recréer une espèce de mammouth en synthétisant artificiellement le génome de cet animal disparu puis en le croisant avec l’éléphant d’Asie.

D’autre part, l’exposition des corps morts dans les musées est questionnée, a fortiori dans une société comme la nôtre, dans laquelle les défunts sont relégués hors de l’espace public. Il s’agit d’un thème extrêmement sensible, et la légitimité de ces démarches est régulièrement remise en cause. Le musée semble constituer un lieu unique de rencontre avec ces ancêtres dont les corps sont parvenus presque intacts jusqu’à nous. Néanmoins, il est indispensable de préserver leur dignité. Ces éléments renvoient aussi au sujet de la détention de dépouilles, ou même d’objets, hors du pays où a eu lieu leur découverte. L’exemple de l’affaire des “têtes maories” en est une bonne illustration : depuis 1992, la Nouvelle-Zélande émet des demandes de récupération concernant l’ensemble des dépouilles maories conservées par d’autres pays.

Cette exposition propose ainsi une vision innovante au croisement de plusieurs disciplines. Les sciences naturelles rencontrent l’histoire et l’anthropologie pour accompagner le visiteur vers une approche complète des questions liées à la conservation des corps, le tout dans une configuration interactive. La place importante occupée par les questionnements éthiques est fort stimulante car elle introduit de la réflexivité sur les éléments présentés au public et permet d’inscrire le propos de l’exposition dans le cadre de débats qui animent nos sociétés de façon plus globale.

Informations pratiques :

Muséum de Toulouse, 35 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse

Ouvert de 10h à 18h. Fermeture hebdomadaire le lundi.

Jody CIEUTAT

Master 1 EAD Histoire des civilisations anciennes et médiévales

sous la direction d’Hervé Inglebert

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