Dans le cadre de mon mémoire, j’ai étudié les registres des écoles primaires. Ces registres nous révèlent parfois des informations surprenantes !

Image d’illustration : Extrait du registre de l’école Béliard.

Mon mémoire porte sur la population juive algérienne dans cinq rues du dix-huitième arrondissement pendant l’Occupation. C’est un mémoire de micro-histoire. Ma directrice de mémoire, Mme Sarah Gensburger, m’a donc conseillé de regarder les registres des écoles primaires du quartier.
Un de mes premiers constats est que la population du quartier est plutôt jeune. En effet, cinquante-quatre pour cent des habitants ont moins de vingt et un ans en 1936. Les écoliers sont d’ailleurs au nombre de 406. Trois écoles de filles, deux écoles de garçons et deux écoles maternelles sont situées non loin du quartier. Parmi les jeunes de quinze à vingt ans, 38,4 % sont sans activité, 55,2 % travaillent, 4,4 % sont encore à l’école et seuls 2 % sont étudiants.
Ces écoliers poursuivent rarement leur scolarité au-delà du certificat d’études. En étudiant les registres des différentes écoles, on constate des résultats scolaires très mitigés voire plutôt faibles. Malgré l’obligation de scolarité jusqu’à quatorze ans, une partie des élèves fréquentent l’école de manière trop irrégulière : ils ne restent que quelques mois ou quelques jours et parfois, ne se présentent même pas à l’école. Certains travaillent avec leurs parents pendant le temps scolaire. D’autres profitent du manque de contrôles pour faire l’école buissonnière. D’autres encore quittent parfois subitement l’établissement au milieu de l’année scolaire ou en cours de scolarité, sans explications. Les motifs des absences et des irrégularités ne sont pas toujours mentionnés.

Une éducation très genrée

Si les filles ont également des résultats plutôt faibles, elles sont néanmoins plus disciplinées que les garçons. La « docilité » et la « douceur » font partie des qualités valorisées par les enseignants : elles sont souvent décrites de manière positive dans les appréciations scolaires. « Enfant n’ayant aucune disposition pour l’étude et peu d’aptitudes manuelles. Mais bien gentille, complaisante, très douce, docile », « Gentille enfant. Pas très douée mais appliquée et docile »¹ . Elles semblent avoir une meilleure réussite au Certificat d’Etudes Primaires.
En regardant les différentes écoles, les problèmes de discipline sont fréquents. En 1942, un élève de CM2 de l’école Beliard est en liberté surveillé pour vol à l’étalage. Un autre élève est « Transféré au 135, rue Béliard par mesure disciplinaire. Considéré comme le chef de bande d’un groupe d’élèves qui ont volé plus de 3 500 francs de tickets de métro à la station Clignancourt (des parents revendraient les billets ??). […]. A trempé dans de menus vols rue Béliard »²  .
Si les garçons sont davantage sanctionnés pour des problèmes de violences ou de vols, les filles sont sanctionnées pour leurs fréquentations, leurs mœurs ou bien pour une tenue jugée trop vulgaire : « Conduite déplorable (enfant vicieuse). A été emmenée au poste de police pour affaire de mœurs »³ .
Parmi les meilleurs élèves, certains entrent en apprentissage dans des Cours Supplémentaires. Les filles vont par exemple au Cours Supplémentaire de Couture situé rue Vauvenargues et les garçons vont au Cours Supplémentaire de la rue Damrémont.

Des familles parfois très précaires : l’exemple de la famille Guior

Esther Henif est née le 29 octobre 1885, en Algérie. En 1918, elle épouse Mardochée Aim Guior, employé de commerce⁴ . Ils s’installent d’abord rue François Miron dans le quatrième arrondissement⁵ . Ils ont quatre enfants : Adolphe né en 1919, Léon, né en 1921, Jacques né en 1924 et Joséphine l’année suivante.
Après le décès de son mari, la mère de famille emménage avec ses enfants rapide. Son fils ainé, Adolphe, est apprenti-plombier. Léon, le cadet est décrit comme un « élève médiocre dangereux pour ses camarades. Terrorise sa mère à la maison. Joueur de passe et de bonneteau à 14 ans ! ». A propos de son troisième fils, Jacques Guior, son institutrice de CE1 écrit : « Très peu surveillé par la mère. Fréquente irrégulièrement. La rue est son domaine »⁶ .
Quant à sa fille Joséphine, c’est une élève⁷ « intelligente mais assez indisciplinée ». En 1933, elle est « Placée dans un orphelinat pour son plus grand bonheur. L’enfant ne devait pas être heureuse chez elle »⁸ . Plus tard, en 1938, alors âgée de treize ans, on apprend qu’elle ne s’est pas présentée à l’école.
Différentes hypothèses peuvent expliquer ces problèmes sociaux. Esther est marchande des quatre saisons. Cette activité impliquait souvent toute la famille et pas seulement le chef de famille. On peut supposer que les enfants Guior contribuaient au travail de leur mère et n’avaient donc que peu de temps à consacrer à leurs travaux scolaires.

L’école : un moyen d’intégration

Les parents sont parfois stigmatisés et très mal vus par les professeurs. Esther Guior est par exemple qualifiée de « peu intelligente ». D’autres parents sont qualifiés d’”ivrognes” ou de “malpropres”.
Les Juifs algériens rencontrent aussi des difficultés qui leur sont propres. Certains comme Charles Pitoun n’ont pas fréquentés régulièrement l’école en Algérie⁹ . Sa mère, Estelle, est femme de ménage et élève seule ses cinq enfants. Elle se dit heureuse d’être française et est très fière de son père qui a combattu dans l’armée française pendant la Première Guerre Mondiale. Son fils se souvient d’elle comme d’une femme combattive, énergique et optimiste qui se démenait pour ses enfants malgré les difficultés économiques et sociales¹⁰ . Estelle est morte en déportation.
Simone Levi, dite Mina, représente, elle aussi, un témoignage est née le 4 octobre 1923 à Bougie en Algérie. Son père, Lucien, est marchand des quatre saisons et sa mère ne travaille pas. Elle a deux sœurs cadettes, Yveline et Jeanine. Très bonne élève, qualifiée de « gentille et bien élevée », elle obtient son certificat d’études primaires et poursuit sa scolarité dans un Cours Complémentaire, centre d’enseignement technique après l’école primaire¹¹ . Elle exerce ensuite la profession de vérificatrice : elle est chargée de vérifier et de contrôler la qualité des appareils dans une entreprise de chauffage.

On voit ici que l’étude des registres des écoles permet une meilleure compréhension des conditions sociales d’un arrondissement. Ils nous apprennent tout d’abord que malgré les lois Jules Ferry sur la scolarité obligatoire, certains enfants n’allaient pas encore régulièrement à l’école.
Ces documents nous montrent aussi l’évolution de la place des femmes dans la société. Si l’orientation scolaire est très genrée, les jeunes filles peuvent exercer un travail et ne sont plus cantonnées au rôle de ménagères comme leurs mères.
Enfin, les registres des écoles élémentaires posent aussi la question de l’intégration : intégration des enfants immigrés ou des élèves allophones mais aussi intégration des élèves handicapés par exemple.

1. Ibid, juillet 1942 [↩]
2. Ibid [↩]
3. 2797W7 : Ecole publique de filles sise 129 rue Béliard : registres d’inscription des élèves (1937-1945), janvier 1938 [↩]
4. Archives Nationales d’Outre-Mer, registre des mariages, acte de mariage d’Esther Herif et Guior Mardochée, 4 mars 1918, http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=ALGERIE&registre=39918 [↩]
5. D2M8 227 [↩]
6. 3364W9 : Ecole publique de garçons sise 135 rue Béliard (1934-1941 [↩]
7. 3364W9 : Ecole publique de garçons sise 135 rue Béliard (1934-1941) [↩]
8.  Ibid [↩]
9.  3364W9 : Ecole publique de garçons sise 135 rue Béliard (1934-1941) [↩]
10. Archives départementales, recensement de 1926, quartier Saint-Gervais, rue François Miron, D2M8 227 [↩]
11. 2788W3 : Ecole publique de filles sise 3 rue Labori : registre d’inscription des élèves (1932-1959) [↩]

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