Cet article a pour vocation de clarifier les différentes façons d’aborder le culte à Dionysos selon les populations concernées dans la Grèce antique entre le Vème et le IVème siècle avant J.-C

Cela correspond à 150 ans d’histoire d’une colonisation grecque qui a commencé vers 800 avant notre ère. Les Grecs, dans une volonté de découvrir des ressources au-delà de leurs frontières, ont cherché à conquérir de nouvelles terres sur le pourtour méditerranéen. Le commerce était généralement la première étape du processus de colonisation avec la création des comptoirs, puis, après la soumission et l’intégration des populations locales indigènes, des villes furent créées. Ce terme d’indigène est employé à plusieurs reprises et constitue la cible de l’étude sociale de cet article. La région de l’Italie du Sud et de la Sardaigne attira particulièrement les colons grecs avides des richesses géologiques, tant et si bien qu’ils réussirent à imprimer leur identité à la région, à tel point qu’ils l’appellent “Grande Grèce” ou Megalē Hellas, terme que l’on retrouve dans cette étude. L’établissement de colonies à travers la Méditerranée permit l’exportation de produits de luxe tels que la poterie grecque, le vin, l’huile, la métallurgie et les textiles. Cette expansion du commerce entraîne un développement de l’utilisation de contenants notamment des vases. Ces vases attiquesont été retrouvés principalement dans des tombes. L’article se propose d’en étudier certains. Cette étude s’intéresse à l’art de la céramique à figures rouges. Il s’agit avant tout d’étudier dans quelle mesure l’iconographie de Dionysos a été importante dans les villes italiques indigènes. Dionysos est un dieu aux facettes multiples, qui symbolise l’étrangeté et l’autre, présent parmi tous les dieux de l’Acropole mais avec un périmètre assez singulier. De nombreux points de description sont abordés, avec des analyses précises et ciblées sur les vases à figures rouges représentant des scènes avec des attributs reliés au dieu du vin et de la fête. Cette céramique est l’essence même de la culture grecque, en témoigne l’étymologie du mot céramique keramos qui signifie argile. La céramique est constituée d’un répertoire riche de l’iconographie religieuse et mythologique. Sa diffusion permet une unité spirituelle en Grèce et vers les rives de la Méditerranée. La céramique a connu différentes étapes, d’abord le style corinthien dès le VIème siècle avec la figure noire. Vers 550 avant notre ère, l’apogée d’Athènes qui exporte sa production bouleverse les traditions et la figure rouge apparaît. Cette couleur rouge est dûe à l’argile, et celle-ci devenant noire après cuisson, les artistes ont pu réaliser des créations avec des contrastes. Ces vestiges archéologiques à figures sont nécessaires pour connaître la culture matérielle des objets, les populations n’ayant pas restitué de sources écrites. Ces céramiques avaient avant tout un but utilitaire, mais il ne faut cependant pas exclure l’intention artistique, d’où les nombreux décors et ornements présents sur les vases, lesquels ont selon leur forme une utilité bien précise. Le cratère présente un intérêt par sa forme large et arrondie qui donnait une large surface au peintre pour le remplir de personnages. Cette production peut être qualifiée d’hybride car elle représente le mélange entre la culture grecque et italique. Les Italiques ont dû s’adapter au marché local pour faciliter les échanges commerciaux entre eux, clients, et la population grecque, productrice.

Les décors et les sujets iconographiques pouvaient intéresser les deux populations. L’iconographie et les symboles caractérisant le peuple grec et le peuple indigène sont étudiés en parallèle, sans jamais omettre les corrélations avec la symbolique dionysiaque. Ainsi, on constate l’association de l’iconographie dionysiaque et des peuples italiques sur les vases rouges de l’Italie du Sud Les populations non grecques étaient familières avec cette imagerie et participaient probablement au culte de Dionysos ou d’une divinité locale anonyme. Cette hypothèse est étayée par la popularité générale des motifs dionysiaques sur d’autres vases trouvés dans les tombes italiennes. Les populations autochtones se distinguent cependant des figurations grecques par les tenues vestimentaires. La figure masculine est étudiée dans le cadre de l’article et l’accent est mis sur sa stature de guerrier. Les femmes sont plutôt représentées à la grecque, dans des scènes traditionnelles. Sur de nombreux vases, notamment dans les Pouilles, les personnages italiques participent à des banquets. Il est fait mention des scènes de symposion, terme qui signifie “un partage de la boisson”. Cette pratique témoigne d’une sociabilité dans le monde aristocratique grec. Selon Elizabeth Heurer, ces représentations sont les marqueurs d’une volonté de montrer son statut social. Dionysos y symbolise ces pratiques sociales et de convivialité. Dans ces scènes, où des indigènes et des Grecs sont présents, les hommes italiques sont toujours debout, comme des serviteurs ou des amuseurs. De nombreux attributs dionysiaques sont représentés comme le canthare, les grappes de raisin, des satyres, le thyrse…On remarque que Dionysos tient un canthare; la nébride, qui est une peau de lion, représente l’altérité, ainsi que l’abondance de la nature, la nature spontanée reliée à la puissance du dieu.

Sur certaines représentations, il est seulement question d’un ou plusieurs objets qui apparaissent tenus par les personnages masculins ou féminins. Dans d’autres cas, les personnages sont associés à des scènes dionysiaques autour d’un rite funéraire par exemple. Ainsi, il est parfois complexe de différencier le guerrier voulant se faire représenter comme Dionysos de la représentation réelle de ce dernier entouré de ses compagnons. Le vin est associé à Dionysos, qui représente alors l’autre tout à la fois politiquement, culturellement et religieusement. Cette culture du vin traduit bien cet échange entre les deux communautés, avec la centralité de Dionysos. Le vin est un facteur d’intégration car il est consommé dans une pratique rituelle, et donné en offrande. On retrouve également de nombreux cratères dans les tombes, cratères qui sont des vases à boire, des vases pour verser le vin…Cette matérialité de la culture du vin est donc concrète en Campanie et dans les provinces italiotes. Dans tous les cas, l’explication sur l’image du guerrier qui retrouve sa famille en partageant le vin sacré est à mettre en parallèle avec une invocation faite à Dionysos. Ainsi il existe un lien entre le culte domestique, les liens familiaux et l’existence d’un lien avec Dionysos. Il est aussi question du rapport entre Dionysos, l’amour et la personnification de ces symboles au travers des représentations de couples d’hommes et de femmes. Les nombreuses scènes ambiguës mais clairement dionysiaques avec un jeune nu, une femme et parfois un satyre, si populaires sur les vases trouvés dans des contextes indigènes et dont de nombreuses représentations semblent avoir été modelées ou considérées comme analogues, peuvent être d’autres représentations du couple divin ou de mortels les imitant à travers les rites et les mystères du dieu. La figure de Dionysos et Ariane en tant que paradigme du mariage dans les communautés italiques, au moins parmi l’élite, aient bien expliquer la présence répétée d’Eros dans les tableaux dionysiaques des vases de l’Italie du Sud.

Pour les Grecs, il faut adapter le langage à la clientèle qui ne connaît pas nécessairement le grec en insérant des schémas visuels; pour les italiques, l’autre c’est le Grec. Malgré les nombreuses représentations liées à Dionysos, aucune preuve archéologique n’atteste d’un culte établi en Italie. L’auteur évoque néanmoins les monnaies archéologique retrouvé montrant l’adoption de la culture du vin et du culte dyonisiaque. L’exemple des monnaies en bronze retrouvées à l’effigie du dieu du vin représente une preuve d’une vénération de Dionysos même si elle n’est pas attestée et manifeste un intérêt de la part des indigènes pour cette divinité aux multiples facettes. Cet article permet d’aborder au travers d’un large spectre les manières dont Dionysos transparaît dans l’Italie du Sud par les représentations iconographiques sur les vases à figures rouges. Il décrit et analyse des décors de manière précise, en les reliant à des symboles dionysiaques. L’auteur insiste sur les parallèles faits entre les personnages représentés, que ce soit des couples ou des personnages isolés, et les scènes mythologiques ou rituelles. Ces analyses visuelles nous guident vers une meilleure compréhension du contexte social dans lequel vivent les peuples d’Italie du Sud et une meilleure connaissance des pratiques quotidiennes notamment avec ce rapport au vin et à sa consommation. Il est intéressant d’évoquer les Bacchanales, qui étaient des fêtes religieuses liées aux mystères dionysiaques. Introduites vers 300 avant notre ère, et inspirées des Dionysies grecques, d’abord théâtralisées, elles sont ensuite devenues des fêtes orgiaques à la mauvaise réputation. Que ce soit de manière plus figurative et claire sur les représentations avec des symboles dionysiaques bien connus et définis ou avec des scènes de vie, ou alors par des symboles plus dissimulés, l’auteur nous éclaire sur le culte dionysiaque et son importance dans les populations italiotes et grecques. La réception de l’image du dieu dans des cultures italiques est donc bien présente, à travers un répertoire iconographique de scènes rituelles et des assemblages de vases, qui montrent l’importance pour les aristocrates d’exhiber leurs connaissances et leurs pratiques des cultes notamment dionysiaques. Les communautés vouant un culte à Bacchus furent d’ailleurs réprimandées par l’empire romain. L’article permet une meilleure compréhension des rapports étroits entre les populations indigènes, les populations grecques et les pratiques autour de Dionysos. Cette approche porte sur l’histoire des arts et une analyse des symboles représentés. Cet ancrage de la religion dionysiaque en Italie du Sud et l’adhésion des populations italiques à cette figure porteuse d’une pratique sociale et d’une identité située aux marges de l’ordre social sont une évidence et cet article nous en donne un témoignage pertinent et argumenté.

Miclo Cathie, Master 2 Histoire des mondes antiques et médiévaux