Illustration : Relique de la Sainte Croix dans sa plaque d’émail (reliquaire de 1821), Abbaye Sainte-Croix, La Cossonière
Radegonde, reine des Francs par son mariage avec Clotaire 1er, fonda un monastère à Poitiers en 561. Elle le dota en 569 d’une relique de la Sainte Croix offerte par l’empereur de Constantinople. La plaque d’or émaillé et son précieux contenu sont conservés par les moniales du monastère Sainte-Croix de Saint-Benoît et présentés au public le premier dimanche de chaque mois. Quel apport pour la recherche historique représentent les récits de la susception de la Sainte Croix il y a quatorze siècles et les objets conservés par les moniales du monastère fondé par Radegonde ?
Radegonde est issue de la famille royale de Thuringe. Elle passe son enfance dans la maison d’un oncle, assassin de son père, jusqu’à ce que les Francs, après la rupture d’un traité, ravagent le royaume. A cette occasion, Clotaire Ier, fils de Clovis, s’empare de Radegonde encore enfant et la fait élever dans sa villa d’Athies en Vermandois, avant de la prendre pour épouse. Devenue reine de France, elle mène une vie pieuse et charitable. Après l’assassinat de son frère, elle quitte la cour. Elle est consacrée diaconesse par Médard, évêque de Noyon, avant de s’établir dans sa villa de Saix pour y mener une vie de prière et de pénitence, au service des pauvres. Puis, avec l’accord et le soutien de Clotaire Ier, elle fonde un monastère à Poitiers en 561 où elle se retire. Elle en confie l’abbatiat à Agnès, élevée elle aussi à Athies. La communauté suit la Règle de saint Césaire composée peu avant pour le monastère d’Arles. En adoptant la première règle rédigée spécifiquement pour une communauté féminine, Radegonde assure également au monastère de Poitiers l’exemption de la gouvernance épiscopale. Rapidement, elle s’emploie à doter sa fondation monastique de reliques prestigieuses afin d’en assurer le rayonnement et la pérennité. Dans cette perspective et avec l’accord du roi Sigebert, elle obtient de l’empereur de Constantinople un fragment de la Vraie Croix ou Sainte Croix.
C’est en 569, que le retour de l’ambassade porteuse du précieux fragment est annoncé. Radegonde en informe l’évêque de Poitiers, Marovée, afin qu’il prépare une réception solennelle. Mais ce dernier semble mal supporter que le prestige de la précieuse relique revienne uniquement au monastère que Radegonde s’évertue à soustraire à la juridiction épiscopale. Il quitte Poitiers pour sa maison de campagne après avoir donné l’ordre de fermer les portes de la ville et d’en refuser l’accès au cortège. Ce dernier remonte jusqu’à Tours en attendant que le roi Sigebert désigne un autre évêque pour présider la translation. C’est l’évêque de Tours, Euphrone, prédécesseur de Grégoire de Tours, qui est désigné. Le jour mémorable où Radegonde reçoit le coffret reliquaire est célébré chaque année le 19 novembre. A cette occasion, Venance Fortunat, ami et biographe de la reine moniale, considéré comme le plus illustre poète du VIe siècle, a composé l’hymne Vexilla regis, qui fait toujours partie de la liturgie catholique. Le monastère qui était jusqu’alors placé sous le patronage de Notre-Dame, devint Sainte-Croix.
Les cinq fragments de la Sainte Croix sont disposés en une croix à deux traverses, logée dans une plaque d’or et d’émail cloisonné. Cette plaque mesure 57 millimètres de large, 60 millimètres de haut et 4 millimètres d’épaisseur. Sur un fond bleu, un réseau de cloisons d’or se déploie symétriquement de chaque côté de la croix en rinceaux rehaussés de points d’or, de gouttes d’émail rouge, vert et turquoise. Dans la partie basse de la plaque, quatre volutes enferment chacune une fleur à trois pétales verts, surmontée d’un ornement rouge en forme de clou. Une rangée de petits carrés verts borde la croix. Subsistent tout autour de la plaque émaillée quelques griffes triangulaires d’une monture d’or. Cette plaque est généralement attribuée à l’art byzantin des XIe et XIIe siècles mais les divers démontages qui ont eu lieu ces dernières années révèlent une histoire d’une incroyable complexité1 . Actuellement conservée à l’abbaye Sainte-Croix, installée en 1965 sur le domaine de la Cossonière à Saint-Benoît, à sept kilomètres au sud de Poitiers, elle est visible pendant une heure, avant les vêpres, le premier dimanche de chaque mois.
Sainte Radegonde est probablement l’une des personnalités les plus richement documentées de son temps. Venance Fortunat est le premier à avoir rédigé une Vita Radegundis. Elle fut complétée, quelques années après, par une moniale du monastère Sainte-Croix répondant au nom de Baudonivie. Élevée par Radegonde, elle est l’unique auteur féminin de récits hagiographiques attesté pour la période mérovingienne. Un peu plus tard, Grégoire de Tours évoque lui aussi sainte Radegonde dans les Decem libri historiorarum et le Liber in gloria martyrum. L’épisode de la susception de la Sainte Croix apparaît dans les récits de Baudonivie et Grégoire de Tours. Il est révélateur des tensions qui existaient entre les monastères et les sièges épiscopaux d’une part, entre le roi et les évêques d’autre part, mais aussi des compétitions entre les élites franques et gallo-romaines. Ces récits hagiographiques sont donc l’occasion pour les historiens d’étudier les rapports de hiérarchie et d’autorité qui régissaient la société du VIe siècle.
Par ailleurs, l’intérêt porté au reliquaire, précieusement conservé par les moniales de l’abbaye Sainte-Croix, n’est pas sans entrer en résonance avec les recherches de ces vingt dernières années visant à reconsidérer la manière d’aborder les objets. Dans le sillage des travaux de Pierre Bourdieu, François Dosse2 et Igor Kopytoff3 , il serait envisageable d’établir un parcours biographique de l’objet qui insisterait sur les ruptures et les péripéties qui ont construit sa trajectoire de plus de quatorze siècles. Par-delà une authenticité souvent controversée, il pourrait être intéressant de replacer la relique, la plaque émaillée et les divers reliquaires, dans leur contexte de production, d’utilisation et de conservation. En effet, comme le rappelle Gil Bartholeyns4 , durant le haut Moyen Âge, les objets possédaient, au-delà du symbole, un rôle institutionnel fondamental. En ce sens, les reliques seraient selon lui un parfait exemple de cet aspect de la culture médiévale habile à faire d’un objet un sujet.
L’abbaye Sainte-Croix recèle bien d’autres objets, notamment un rare exemple de meuble de l’époque mérovingienne : un petit pupitre ou appui-tête attribué à sainte Radegonde qui serait probablement lui aussi un objet d’étude intéressant.
Cécile JEANNE
Master 1 – Mondes antiques et médiévaux
Mémoire en histoire médiévale sous la direction de Laurent Jégou
- Durand, Jannic, « Le reliquaire de la Vraie Croix de Poitiers. Nouvelles observations », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1992, p. 152-168 [↩]
- Dosse, François, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éd. La Découverte, 2005. [↩]
- Kopytoff, Igor, « La biographie culturelle des choses », Journal des africanistes, 76-1, 2006, p. 217-248. [↩]
- Bartholeyns, Gil, « Choses, objets, produits », Nouvelle histoire du Moyen Âge, Paris, Seuil, 2021 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marine Azcon (26 avril 2023). Cécile Jeanne. Sainte Radegonde et la relique de la Vraie Croix. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 9 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzid
Juste une petite précision concernant la légende du “pupitre” de Sainte-Radegonde. La photo montre un moulage en platre réalisé au 19e, collection du Musée de Poitiers. C’est bien l’original qui est conservé à l’abbaye Sainte-Croix. Le Musée a fait réaliser au 20e s. de très beaux moulages en résine confiés au Jean-Claude Bertrand. L’un se trouve au pays de Radegonde, à Erfurt en Thuringe, l’ autre est exposé au Musée Sainte-Croix.