Mon mémoire porte sur la Congrégation des Filles de l’Enfance (1656 – 1686), sise à Toulouse. Elle est peu connue des Toulousains et des archivistes locaux, car de puissants ennemis ont tout fait pour effacer son existence.

Cette petite congrégation voit le jour en 1656 sous l’impulsion de l’Abbé Gabriel de Ciron et de Jeanne de Juliard dite Madame de Mondonville. Malheureusement, ces derniers étaient détestés par les jésuites, qui avaient de l’influence sur le roi (Louis XIV), par l’entremise de son confesseur : le père de la Chaise (qui donnera son nom au célèbre cimetière de Paris 20^e).

Cette institution religieuse avait la particularité de réunir des jeunes filles abandonnées ou issues de familles de parlementaires et de les former pour servir le peuple. L’institution des Filles de l’Enfance se consacre à l’éducation des jeunes filles, notamment protestantes converties au catholicisme. Le Pape Alexandre VII appuie alors la Congrégation via un bref, ainsi que l’archevêque de Pamiers, et bien d’autres personnalités telles que la Reine Mère par exemple.

Le siège des Filles

En 1662, la Congrégation des Filles de l’Enfance s’installe sur une vaste propriété bâtie au lieu-dit « Îlot Valade » à Toulouse (actuel 30 bis au 32 bis de la Rue Valade), et actuel n°34 de la Rue de la Bastide jusqu’au n°34 de la Pargaminiere, abritant les locaux administratifs de la mairie de Toulouse depuis 1970. Le bâtiment est inscrit sur la liste des monuments historiques depuis 1965 (façades, portes, toitures, murs de clôture).

 

Les filles logeaient dans les bâtiments. Lorsque les pensionnaires de l’institution vivaient dans cette bâtisse, par le biais de petites écoles, elles y apprenaient à lire, à écrire, à broder, à tenir une maison, et des œuvres de charité. Elles allaient, en compagnie de Madame de Mondonville, rendre visite aux pauvres dans toute la ville, ainsi qu’à ceux enfermés¹  un peu plus loin, à La Grave² . Elles leur portaient des remèdes et des rafraîchissements et se renseignaient quant à l’environnement des enfants pauvres. Si des femmes de petite vertu se trouvaient à proximité, elles en informaient les capitouls³ . Enfin, si l’état du miséreux le nécessitait, elles n’hésitaient pas à le faire visiter par un chirurgien gagé.

Les Filles au grand Cœur

Le fonctionnement de cette Congrégation s’inscrit dans l’événement du « grand renfermement des pauvres » (1673 – 1676) à l’Hôpital Général Saint Joseph de La Grave en vue de les « soigner, nourrir, instruire et relever leur moral ».L’Abbé Gabriel de Ciron et Madame de Mondonville organisent cette assistance aux pauvres, sous l’influence de Saint Vincent de Paul.

L’Hôpital Saint Joseph de La Grave a une architecture innovante. Tout comme à l’Hôpital des Invalides, le bâtiment est construit autour de la Chapelle, en cours carrées. Cette architecture permettait une bonne aération des bâtiments. Les cours étaient reliées entre elles par des coursives. La vue sur la croix du Dôme permettait une « sortie spirituelle ». (Ospedale Maggiore, plan typique italien, construit en premier à Milan, des années 1456, ramené par François 1^er en France lors de ses campagnes italiennes).

Cet hôpital est transformé en 1647 pour les besoins de leurs œuvres. Par exemple, les hommes valides travaillaient dans de petites échoppes au bénéfice de la population. Il était auparavant nommé Hôpital Saint Sébastien des pestiférés. La peste n’est plus une calamité à Toulouse dès la seconde moitié du XVII^ème siècle.

Par contre, un autre fléau s’est abattu sur la ville. Guerres et épidémies de peste ont engendré une misère effroyable. Les mendiants, vagabonds, handicapés et les filles de petite vertu sont une menace pour l’ordre public. Ils sont rassemblés dans un cadre conçu pour les remettre sur le chemin d’une vie chrétienne, par le travail et la prière. Les Hôpitaux généraux sont donc créés. C’est la politique du « grand renfermement ». Le travail courageux de cette Congrégation est alors très apprécié par les Toulousains et les ecclésiastiques. Cet hôpital est devenu le symbole actuel de Toulouse, même si son lien avec la Congrégation demeure aujourd’hui méconnu de ses habitants.

 

Des filles châtiées

Le fonctionnement de cette Congrégation s’inscrit ensuite dans la chasse aux jansénistes qui sévit dans la ville rose. En effet, Gabriel de Ciron et Jeanne de Juliard sont suspectés d’appartenance à « l’hérésie » et, malgré le soutien passif de nombreux parlementaires toulousains, favorables aux milieux jansénistes, ils sont inquiétés. Les jésuites déclencheront un certain nombre d’attaques pour anéantir cette Congrégation. Ils réussiront à convaincre le Conseil du roi qui, par arrêt du 12 mai 1686, qui ordonne l’annulation des formalités portant création de cette « Fondation », procède rétroactivement à la liquidation des biens au profit de l’archevêque de Paris et renvoie, hypocritement, au pouvoir Spirituel le soin de décider de sa « dissolution ». La motivation est bien sûr inexistante en cette époque absolutiste d’Ancien Régime. L’énigme du motif de cet anéantissement n’est pas résolue à ce jour et les sources trop partisanes. En quoi cette Congrégation était-elle janséniste voire hérétique ? Si oui, pouvait-elle créer un schisme comme l’historiographie le suggère au vu de sa taille réduite ? N’est-elle pas en réalité au cœur d’une bataille interpersonnelle, loin des débats religieux, entre les jésuites et ses fondateurs ? C’est l’objet de ma recherche.

Les bâtiments de l’ilot Valade sont immédiatement cédés par l’archevêque de Toulouse, Joseph Carbon de Montpezat, aux jésuites pour qu’ils y installent le séminaire diocésain, dont il leur a confié la fondation. L’Archevêque Loménie de Brienne fait édifier, entre 1763 et 1784, sur l’emplacement de l’édifice de la Congrégation des Filles de l’Enfance, un séminaire pour hommes (séminaire des Messieurs de Saint Sulpice), dans une architecture néoclassique. Tel un symbole « anti-Filles ». Quant aux pauvres Filles, elles sont persécutées par les dragons du roi comme tout janséniste. Les fondateurs connaîtront un triste sort : l’abbé Ciron décédera peu de temps après, tandis que Madame de Mondonville sera exilée dans un couvent, à Coutances (Manche), et mise au secret. L’acharnement jésuite conduira à faire exhumer ses restes hors de l’église catholique qu’elle avait choisie pour son éternité.

La stratégie « jésuite-royale » pour l’anéantissement, à Toulouse, de la petite Congrégation des Filles de l’Enfance sera remise en place quelques vingt-sept ans plus tard, pour la destruction de l’Abbaye des religieuses de Port Royal (Paris), vue comme un foyer janséniste.

L’histoire locale toulousaine recèle ainsi une grosse pépite de l’histoire de France.

 

 

AGASSE Agnes, Master 1, Histoire des mondes antiques et mondes médiévaux

 

1. Contexte du Grand Renfermement des pauvres et autres indigents. [↩]
2. La Grave, le plus ancien des hôpitaux de Toulouse. Il a été hôpital général sous Louis XIV, pendant le Grand Renferment, pour « cacher » les nécessiteux. [↩]
3. Magistrat municipal de Toulouse [↩]

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