Dans le cadre du séminaire pluridisciplinaire en sciences sociales de l’année 2021-2022, organisé par Vincent Meyzie et intégré au parcours « Histoire et sciences sociales du politique », du master d’Histoire de l’Université Paris-Nanterre  , Robinson Baudry est intervenu sur le sujet « Gouverner et administrer l’Empire romain : le modèle “centre-périphérie en question ». Cette intervention est la quatrième séance de ce séminaire dont l’objectif, pour ce semestre, est d’étudier les modes de gouvernement et d’administration du territoire en abordant les apports et les approches des sciences sociales sur ce sujet. Après une première partie introductive, le deuxième thème de ce séminaire qui couple les approches historique et géographique, porte sur une interrogation : le modèle centre-périphérie est-il un système de gouvernement et d’administration des territoires ? R. Baudry a questionné la pertinence de ce modèle géographique dans le cadre de l’Empire romain.

Robinson Baudry est maître de conférence en histoire romaine à l’Université Paris-Nanterre, rattaché à l’unité de recherche ARCSAN (Archéologie et sciences de l’Antiquité, UMR 7041). Il est l’auteur d’une thèse consacrée aux patriciens de la fin de la République romaine et du début du Principat, et le co-directeur de deux ouvrages collectifs. Le premier portant sur La société romaine et ses élites, a été publié en 2012, en collaboration avec Sylvain Destephen. Le second, intitulé Le prestige de Rome à la fin de la République et au début du Principat et co-dirigé par Frédéric Hurlet est paru en 2016. Spécialiste de l’Empire romain, il s’intéresse tout particulièrement à la question du patriarcat et de la noblesse, des élections ou encore des discours généalogiques. Il mêle l’étude des phénomènes institutionnels à l’étude des représentations et des comportements. Pour ce faire, le chercheur s’appuie essentiellement sur une méthode de prosopographie. Science auxiliaire de l’histoire, celle-ci consiste à établir une biographie d’un groupe en particulier, ici celle des élites romaines étudiées par R. Baudry.

 À travers l’étude des élites romaines, de leur identité, de leur statut au sein de la société romaine de la fin de la République jusqu’au Principat, le chercheur explore des phénomènes politiques. Ainsi, même si la question de l’administration de l’Empire ne semble pas être le coeur de son travail, son terrain de recherche l’amène à s’y intéresser, en raison du rôle politique et administratif des élites romaines. Ainsi, son intervention qui mobilise cette lecture politique, propose une réflexion nouvelle sur le sujet. En effet, il questionne la pertinence du modèle géographique centre-périphérie pour comprendre les modes d’administration et de gouvernement de cet immense Empire romain par ses acteurs politiques. C’est une grille de lecture peu centrale dans la recherche actuelle sur la période antique.

Dans son introduction, il pose les jalons de son exposé à travers l’étude d’un extrait des Discours d’Aelius Aristide. Ce dernier, issu des élites provinciales d’Asie Mineure  au temps de l’Empire romain, arrive à Rome et s’extasie devant le flux massif de marchandises. R. Baudry soulève deux détails dans le texte qui sont révélateurs du rapport centre-périphérie : le positionnement des élites provinciales vis-à-vis de cette domination impériale et la centralité romaine dans les flux commerciaux. Pour exprimer et expliquer cette centralité, le chercheur mobilise la notion géographique de « flux centripète » et évoque les raisons fiscale, politique et socio-économique à l’origine de ces flux. Ainsi, tout converge vers Rome, en particulier les marchandises provinciales, mais aussi les hommes. En effet, Rome s’impose comme centre politique aux yeux des élites romaines d’où la présence d’Aelius Aristide dans la cité. Le parcours de ce dernier illustre le phénomène de coopération (terme plus neutre que celui de « collaboration » utilisé par Paul Veyne) des élites grecques avec l’Empire romain. Ces premières notions et explications posées, le chercheur poursuit avec quelques éléments de définition générale. Ici, le centre désigne la cité romaine (la ville, le territoire rural et le corps de citoyens) et la périphérie sont les provinces romaines, au nombre d’environ 40. Toutefois, le chercheur nous met en garde sur les limites de ce modèle contemporain centre-périphérie et de son application à une réalité antique. Par exemple, les critères de développement, de recherche, d’innovation et d’attractivité qui définissent le centre ne sont pas applicables à l’Empire romain, preuve que toute notion doit être historicisée. Enfin, il finit son introduction par des éléments historiographiques et chronologiques. Il prend pour cadre une période allant de 200 av JC à 200 ap JC, moment de transition politique et de conquêtes intenses et continues de l’Empire romain en dehors de l’Italie, nécessitant la mise en place d’une administration destinée à gérer ces nouveaux territoires, ces nouvelles richesses et ces nouvelles populations. La tendance historiographique actuelle est justement d’étudier les modes de fonctionnement et de gestion de cet Empire, et non plus la construction de celui-ci. En plus de la première tendance qui s’intéresse au poids des circulations et au rôle des cités, deux autres tendances historiographiques sont observées par le chercheur. Les historiens tentent de comprendre la singularité de Rome en la comparant à d’autres empires . La dernière tendance consiste à définir ce qu’est l’Empire, sujet de grands débats entre chercheurs. Pour donner deux exemples, R. Baudry énumère les critères de définition de l’Empire établis par F. Hurlet et ceux établis par C. Badel, parmi lesquels figurent les notions de centre et de périphérie. Cependant R. Baudry précise que les chercheurs n’y accordent pas une très grande importance. Ainsi, l’exposé s’inscrit dans une continuité historiographique, reprend des thèses tout en les dépassant  puisqu’il utilise le prisme du modèle centre/périphérie comme élément de compréhension principal de la gestion de l’Empire, contrairement à ses prédécesseurs qui en faisaient un élément définitionnel parmi d’autres.

Le chercheur développe une première partie portant sur les « rapports dissymétriques entre un centre et sa périphérie ». R. Baudry s’intéresse tout d’abord à la figure d’autorité centrale de la province : le gouverneur. Ce dernier, désigné par la cité (selon des procédés politico-religieux), exerce l’imperium (pouvoirs militaire, judiciaire et fiscal) au niveau des provinces. L’historien s’attarde tout particulièrement sur le pouvoir fiscal. Selon lui, le rapport d’inégalité centre-périphérie se construit d’abord autour de la fiscalité. En effet, alors que les provinces sont soumises à un impôt (le stipendium), les citoyens de Rome en sont exemptés (dès 167 av JC). De plus, la nature même du stipendium est impériale. En effet, ce terme désigne d’abord l’indemnité de guerre prélevée après la conquête de la province pour alimenter la cérémonie du triomphe (c f Plutarque, « Vie de Paul Émile », Vie des hommes illustres, cité par R. Baudry). Elle est ensuite reconduite chaque année, devenant ainsi l’impôt provincial affluant dans les caisses de la cité par l’intermédiaire du gouverneur. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’une réforme. En effet, R. Baudry évoque les mesures engagées par Rome pour acquérir le consentement des provinciaux à l’impôt, preuve qu’il existait une certaine hostilité vis-à-vis de cette ponction fiscale. Ainsi, parmi ces mesures, nous avons le remplacement du terme de stipendium, par celui de tributum (impôt anciennement payé par le citoyen romain de Rome), signe de l’appartenance à la communauté romaine. Cette rhétorique sémantique est accompagnée d’un discours de justification dont R.Baudry  un exemple cité par Tacite (Histoires). Selon un gouverneur de la Gaule, c’est en échange de la protection militaire romaine que les habitants consentent à cet impôt servant à payer les troupes. Cette justification est remise en cause par R. Baudry puisqu’il s’avère que le gouverneur ne paie pas les troupes avec le stipendium prélevé dans sa province mais avec les ressources envoyées depuis Rome. Preuve d’une logique centripète, cela fait partie également d’une stratégie du pouvoir central pour éviter que le gouverneur ne supplante son autorité. En le rendant dépendant des ressources romaines mais aussi en lui confiant un « mandat » de courte durée, le gouverneur est dans l’incapacité de construire un pouvoir personnel. Son horizon politique reste d’ailleurs toujours Rome (le cursus honorum). Quoi qu’il en soit, ce sont surtout les politiques de recensement dans les provinces qui ont pérennisé l’impôt puisqu’elles ont établi une fiscalité « équitable » : l’impôt est ajusté selon les richesses et les capacités de la population. Selon R. Baudry, la fiscalité, en plus de l’économie administrée et de la demande, sont également à l’origine de « l’organisation de courants d’échange » selon un rapport dissymétrique.

En effet , même si Rome exporte de manière importante (vente de vin en Gaule), les courants commerciaux sont dominés par l’importation pour pouvoir répondre à l’importante demande romaine. « Tout converge ici » (Aelius Aristide) et surtout les marchandises provinciales (exemple de la colline de Testaccio, vrai dépotoir antique d’amphores venues de la péninsule ibérique). La conséquence majeure est la spécialisation économique des provinces. Ainsi la Sicile (puis plus tard l’Égypte) devient le grenier à blé de l’Empire. Le territoire provincial change pour répondre aux exigences du pouvoir central. Ces flux concernent également les hommes (soldats et personnels administratifs) et les informations. Toute une organisation se met en place pour faciliter cette circulation qui se fait essentiellement par voie terrestre (vehiculatio). La circulation de courriers entre les gouverneurs et l’Empereur concernant la gestion de la province devient alors fréquente.  Se met en place un « gouvernement par correspondance » selon l’expression de Fergus Miller. R. Baudry donne l’exemple de la correspondance entre Pline Le Jeune et l’Empereur Trajan concernant la présence de chrétiens dans sa province. Administrer le territoire nécessite ainsi des aménagements territoriaux. Ainsi, la fiscalité provinciale et l’organisation des circuits d’échange nous donnent un aperçu du « regard de Rome sur les périphéries ». Les Romains sont conscients de ce rapport dissymétrique puisqu’ils le provoquent et l’entretiennent. De plus, certains symboles rappellent aux citoyens leur hégémonie. R. Baudry cite la supposée carte d’Agrippa affichée à Rome et représentant l’étendue de l’Empire, source de fierté romaine, ou encore les édifices à Rome bâtis à partir de l’argent des provinces. La souveraineté romaine n’est donc jamais mise  à mal sur ses territoires et ses populations, du moins durant la période qui nous concerne.

Après avoir démontré la pertinence de ce modèle centre/périphérie appliqué à la Rome antique, le chercheur s’attaque désormais à en montrer les limites. Étant avant tout une notion géographique, le modèle centre/périphérique s’applique d’abord sur un territoire. Or c’est une conception très moderne (voire contemporaine) de l’exercice du pouvoir. À l’époque romaine, le pouvoir s’exerce d’abord sur des populations plus que sur des territoires. La preuve étant que la priorité est d’établir une formula provinciae et non la cartographie précise de la province conquise. D’ailleurs, la connaissance géographique est hodologique chez les Romains. Selon R. Baudry, les Romains se représentent plus des itinéraires que des territoires. Malgré une connaissance approximative du territoirecelui-ci est soumis à d’importantes mutations notamment par la création (ou la conservation) de nombreuses cités sur le modèle romain. Plusieurs raisons expliquent cette reconfiguration spatiale par le pouvoir central. Cela permet de déléguer les pouvoirs administratifs à un centre provincial et d’ éviter de faire peser une très lourde administration sur Rome. La diffusion du modèle de la cité favorise également la romanisation des populations provinciales, en particulier des élites devenues les intermédiaires du pouvoir central (exemple du sénateur évoqué par Tacite dans ses Agricola). Le risque de la création de ces cités est une possible autonomisation du gouverneur. R. Baudry cite le cas de Vespasien, gouverneur romain à la tête de la Syrie, renversant l’Empereur et le remplaçant. Cependant, celui-ci acquiert une légitimité seulement en revenant à Rome : ainsi l’horizon politique reste toujours le centre. Finalement R. Baudry répond à sa problématique initiale : sommes-nous, avec les cités provinciales, dans un « empire polycentrique » ? Les cités sont dans l’incapacité de concurrencer la centralité de Rome même si elles acquièrent d’importants pouvoirs et privilèges leur procurant quelquefois une certaine autonomie. La dynamique reste donc avant tout centripète et non centrifuge. Plus qu’au niveau politique, c’est surtout au niveau économique que les provinces peuvent concurrencer Rome. En effet, R. Baudry évoque l’inversion des courants d’échange notamment pour trois marchandises jusque-là  produites en Italie mais qui désormais sont acheminées depuis les provinces : le vin, l’huile d’olive et la céramique. Prenons l’exemple du vin que R. Baudry détaille. Alors que sous César, 95% des amphores d’Ostie viennent d’Italie, ce chiffre chute à 40% sous les Flaviens. L’essentiel du vin provient désormais de Bétique ou de Gaule. Plusieurs hypothèses expliquent ce phénomène d’inversion selon R. Baudry. D’abord, selon l’explication de l’historien Rostovtzeff, les produits des provinces étant d’une qualité supérieure que ceux d’Italie, les marchands provinciaux ont pu conquérir le marché romain. Cela suppose l’existence d’une concurrence entre centre et province et donc la mise à mal de la centralité romaine. Or cette notion de concurrence n’est pas opératoire ici puisque le marché est loin d’être saturé comme le souligne l’historien Tchernia. Une autre explication serait celle de l’historien Hopkins. Ce serait les provinces intermédiaires, celles qui ne sont pas soumises à un contrôle militaire très fort,et donc où il y a peu d’entrée d’argent via la consommation des soldats, qui ont développé leur logique mercantile pour combler ce déficit, notamment par rapport au centre (Rome) et aux provinces périphériques. Cette explication volontariste est complétée par une dernière interprétation développée par l’histoire Freyberg. Selon celui-ci, c’est l’arrivée massive des impôts provinciaux à Rome qui aurait augmenté les prix en Italie. Les marchandises provinciales seraient alors devenues plus avantageuses. R. Baudry soutient que ce sont les analyses complémentaires de Hopkins et de Freyberg, qui expliquent l’inversion des courants d’échange. Des logiques économiquesspécifiques seraient adoptées par les provinces selon leur degré de proximité avec Rome.

Mais ce critère de proximité par rapport au centre est justement remis en cause par le chercheur. En effet, dans sa dernière partie, R. Baudry évoque la nécessité de « redéfinir le centre, la périphérie et l’empire » pour pouvoir appliquer ce modèle géographique à l’Empire romain. En théorie, il n’y a pas de hiérarchie entre les provinces selon leur degré de romanisation (lié à leur proximité avec le centre). La distinction est faite seulement entre les habitants de l’empire et les barbares. Toutefois, R. Baudry montre que les Romains reconnaissent, de fait, des zones « barbares » dans l’Empire. Pour cela, le chercheur cite le cas de la province sicilienne considérée, par Strabon, comme peu civilisé en raison du mode de vie nomade de sa population. En opposition, R. Baudry cite le cas des cités libres d’Orient bénéficiant d’un statut d’extraterritorialité qui leur permettent d’échapper à la domination romaine (mais pas forcément à son influence). Le chercheur donne l’exemple des cités de la province d’Achaïe devenues libres suite à la décision de Néron (qui ne perdure que deux ans). Ainsi, alors que la Sicile est un territoire plus proche du pouvoir central, c’est l’Orient qui se voit attribuer des privilèges. À travers l’exemple de ces deux territoires, R. Baudry montre qu’un modèle concentrique ne peut être appliqué pour comprendre la hiérarchie entre les provinces. De plus, les distinctions entre les territoires soumis à la domination romaine deviennent de plus en plus problématiques. Certes, au début de l’Empire, une certaine pluralité y est reconnue mais celle-ci s’amoindrit avec l’attribution de la nationalité à tous les habitants de l’Empire qui deviennent ainsi citoyens romains. À travers l’attribution de la citoyenneté, les Romains cherchent à intégrer la périphérie et à amoindrir les rapports de force qui restent toutefois assez prégnants. Le rapport dissymétrique est toujours réel mais il est moins institutionnalisé. Il est plutôt marqué dans les pratiques politiques et  administratives et dans la représentation que se font les Romains de leurs provinces. On passe ainsi d’un premier modèle où un centre s’impose à des périphéries plus ou moins intégrées, à autre modèle dans lequel le centre fabrique une périphérie intégrée (du moins sur le plan de la nationalité). Mais que faire alors de l’Italie ? C’est la dernière question que se pose R. Baudry. L’Italie n’est ni un centre, ni une province puisque ce n’est ni un lieu de pouvoir, ni un lieu dominé. D’ailleurs l’une des questions posées en fin d’intervention permet à R. Baudry de rappeler que le concept d’Italie est assez tardif (fin de la République ) ce qui rend ce territoire encore plus délicat à placer au sein de l’échiquier administratif. Le chercheur ne fournit pas de réponse à cette question qui reste donc ouverte et qui pourrait potentiellement faire l’objet de travaux. Ainsi, le modèle centre-périphérie, jusque-là pertinent pour comprendre l’Empire romain, le devient moins pour analyser la place de l’Italie dans ce vaste système politique et administratif.

Avant de clore cette restitution, rappelons que l’intervention de Robinson Baudry est la première d’un thème portant sur le modèle centre-périphérie. La communication de Claire Aragau, chercheuse en géographie à l’Université Paris-Nanterre, vient compléter les propos de l’historien. La géographe remet en question le modèle centre-périphérie via les notions de métropolisation et de périurbanisation. La méthodologie et le rapport à la temporalité de ces deux chercheurs ne peuvent être comparés mais leurs questionnements et les notions abordées sont assez similaires. Ils commencent, tous les deux, par évoquer une thèse initiale équivalente : au même titre que Rome, les métropoles contemporaines fonctionnent sur des logiques centripètes puisque le centre concentre « les pouvoirs et les ressources » Alors que C. Aragau fonde son argumentation sur les notions d’« attractivité », de « politiques d’aménagement », R. Baudry les considère comme anachroniques pour évoquer l’Empire romain. Cependant la conclusion est la même : comme les métropoles, Rome concentre une grande population au sein de sa ville et elle met en place certaines formes d’aménagement (les cités, vehiculatio). Arrivée à l’analyse du fait périurbain, C. Aragau montre que « l’hypercentralisation nourrit les périphéries » notamment via des « mouvements centrifuges ». Ni la notion de périurbanisation ni celle de dynamique centrifuge n’étant transposable au cas romain, cette analyse s’éloigne des thèses de R. Baudry. Notons, toutefois, que les périphéries romaines sont en quelque sorte « nourries »  par le centre notamment en les obligeant indirectement à adopter des logiques mercantiles. Les thèses s’éloignent totalement quand C. Aragau soutient l’idée d’une « émancipation des périphéries ». Cette émancipation se construit sur des logiques de proximité au centre. La notion d’émancipation ne peut être appliquée au cas des provinces romaines puisqu’elles sont, par définition, soumises au contrôle du gouverneur, donc à une autorité du pouvoir central. De plus, le critère de proximité a été considéré, par R. Baudry, comme non pertinent pour comprendre les rapports centre-périphérie dans l’Empire romain. Finalement, même si les conclusions divergent, les notions abordées et la réflexion se rejoignent. Mettre en parallèle ces deux interventions nous rappelle qu’il est toujours possible voire pertinent d’utiliser des concepts issus d’autres sciences sociales mais qu’ils sont toujours à saisir avec prudence et surtout à historiciser. Cette même prudence est à conserver face à des concepts  qui semblent plus attachés à la discipline historique. Pour étayer notre propos, rapprochons l’intervention de R. Baudry avec celle de V. Meyzie  portant sur « les intermédiaires du pouvoir à l’époque moderne : le cas de la monarchie française au XVIIè siècle. ». Baudry évoque le rôle de relais du pouvoir joué par les élites provinciales romanisées. Ce rôle semble être proche de celui joué par les officiers ou les intendants de la monarchie française. Cependant, cette proximité ne nous permet en aucun cas de désigner les élites provinciales de l’Empire romain comme des « intendants » ou des « officiers » du pouvoir central. Les élites romaines n’achètent aucune charge et ne sont pas des administrateurs du pouvoir central. En bref, il n’y a pas de « professionnalisation » du champ politique (pour reprendre l’expression de Christophe Le Digol) comme cela commence à être le cas pour la France de l’époque moderne (voir l’intervention de  Nicolas Tardits).

Pour finir, cette intervention nous rappelle, encore une fois, le dialogue traditionnel qui existe entre histoire et géographie. La pluridisciplinarité, tout en nous permettant de rester attaché à une méthodologie spécifique, offre l’opportunité d’ouvrir de nouveaux champs de recherche comme c’est le cas ici. Cependant, cette transposition de notions issues d’autres sciences sociales est toujours à effectuer avec prudence. Ici les éléments « contemporains » de la notion de centre-périphérie ont été évacués. Ainsi, la redéfinition  des concepts et leur contextualisation incitent à la pluridisciplinarité voire à l’interdisciplinarité, sources de décloisonnement de la pensée.

Sidal Sonmez, Master 2 Parcours Histoire et sciences sociales du politique. Mémoire en histoire contemporaine sous la direction de Raphaëlle Branche

 

---

---