Entre les historiens et le monde guerrier, la relation n’a pas toujours été simple. En effet, la guerre a été, pendant une très longue période, une thématique mise à l’écart des différents  axes  de l’historiographie. Cette situation fut notamment due à la généralisation du phénomène d’« histoire-bataille », c’est-à-dire une histoire de la guerre ne se concentrant que sur l’évènement le plus emblématique de ce domaine. Mais depuis la fin des années 1970 et la parution des premiers travaux de John Keegan (1934-2012), l’histoire militaire est redevenue un champ historiographique stimulant des générations d’historiens, une situation qui ne peut que perdurer au regard des évènements récents. Par cette remise au goût du jour de la guerre au sein de la grande Histoire, l’occasion est donnée aux différents spécialistes de mettre en valeur des aspects méconnus de cette dernière.

C’est l’objectif affiché de l’ouvrage intitulé Cessez-le-feu, cessez les combats ? De l’époque moderne à nos jours, un ouvrage collectif dirigé par Claire Miot, Thomas Vaisset et Paul Vo-Ha, paru en septembre dernier aux presses universitaires du Septentrion (qui regroupent les universités de Lille, Littoral-Côte d’Opale, Polytechnique Hauts-de-France, et Picardie-Jules Verne) dans le cadre de la collection War Studies. Cette collection, créée en 2018, se veut être pluridisciplinaire et met avant tout la réflexion sur la guerre au sens global du terme (la stratégie certes, mais également l’organisation militaire, l’armée en temps de paix, les violences martiales, ou encore la sortie de guerre).  Issu d’un colloque organisé en 2018, cet ouvrage souhaite attirer l’attention sur le phénomène de la reddition en temps de guerre, entraînant une cessation des combats sur un théâtre d’opérations donné. Une thématique qui, jusqu’alors, restait encore un des angles morts de l’histoire militaire, malgré différents travaux sur des thématiques proches. Ici, il est non seulement question de comment une reddition peut avoir lieu, mais ce n’est pas tout : il faut également identifier les acteurs de la reddition, les rites permettant de la manifester, ainsi que les négociations et éventuellement les transgressions de ces accords. Pour ce faire, pas moins d’une quinzaine d’historiens ont apporté leur contribution.

Les plus importants sont bien évidemment les directeurs de cet ouvrage. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Cachan, Claire Miot est maîtresse de conférences à Sciences Po Aix. Agrégée d’histoire, elle est l’auteure d’une thèse portant sur la Première armée française du débarquement en Provence (15 août 1944) à la capitulation allemande en 1945, thèse réalisée en 2016 sous la direction d’Olivier Wieviorka, un des spécialistes de cette période. Elle fut détachée auprès du Service Historique de la Défense (SHD) afin d’y assurer la fonction de chargée d’études, de recherches et d’enseignement pendant 3 ans, entre 2017 et 2020. L’ensemble de son œuvre s’intéresse à la question de la mobilisation des soldats colonisés au XXème siècle ainsi qu’à l’étude des mouvements de résistance au cours de la Seconde Guerre mondiale, thématique ayant fait l’objet de la publication d’un autre ouvrage collectif, Militaires en résistance en France et en Europe (Presses Universitaires du Septentrion, collection War Studies, 2020) qu’elle a dirigé aux côtés de Thomas Vaisset.

Thomas Vaisset, le deuxième directeur de Cessez-le-feu, cesser les combats ? est maître de conférences en histoire contemporaine au sein de l’Université Le Havre-Normandie, plus précisément au sein de l’UMR IDEES (Identité et Différenciation de l’Espace, de l’Environnement et des Sociétés), un laboratoire de recherche pluridisciplinaire lié au CNRS. Agrégé d’histoire et détenteur d’un doctorat grâce à sa thèse sur l’amiral d’Argenlieu (L’amiral d’Argenlieu. Le moine-soldat de de Gaulle, Belin, 2017) réalisée sous la direction de Philippe Levillain à l’Université Paris-Nanterre, Thomas Vaisset s’est notamment spécialisé dans l’étude de l’histoire du fait guerrier, en particulier dans le cadre des conflits maritimes contemporains et de la France libre.

Enfin, Paul Vo-Ha est maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne depuis septembre 2017. Ancien élève de l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaine, agrégé d’histoire et détenteur d’un doctorat à la suite de la réalisation de sa thèse intitulée Rendre les armes. Le sort des vaincus XVI-XVII^ème siècle(Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017), travail placé sous la direction d’Hervé Drévillon et Nicolas Le Roux. Paul Vo-Ha s’est ainsi spécialisé dans l’étude de la guerre à l’époque moderne, en particulier dans l’étude des violences pouvant y avoir lieu et le sort des vaincus, ainsi que l’histoire sociale et confessionnelle des armées de cette époque. Ce dernier aspect est d’ailleurs en cours d’étude, autour de la question des minorités confessionnelles au sein des armées françaises à cette époque.

Intéressons-nous maintenant à la principale thématique abordée dans Cessez-le-feu, cesser les combats ?, à savoir la reddition. Mettre bas les armes au cours d’un conflit est un évènement très important, puisque cela peut faire entièrement basculer le rapport de force entre les deux belligérants, ou du moins permettre à l’un des deux camps d’exploiter la situation à son avantage. Il n’est donc pas étonnant que ce type de phénomènes soit relativement bien documenté au fil des ans et à toutes les époques. Pour les époques modernes et contemporaines, puisque ce sont celles-ci qui sont étudiées dans cet ouvrage, les différents historiens ont pu s’appuyer sur plusieurs types de sources. Il y a tout d’abord les mémoires des commandants qui ont dû se rendre à un moment ou un autre de leur carrière, comme ce fut le cas de Jacques de Chastenet, seigneur de Puységur (1600-1682), vicomte de Buzancy (aujourd’hui dans les Ardennes), qui fut fait prisonnier au cours de la guerre de Trente Ans (1618-1648) à la bataille de Honnecourt face aux Espagnols (26 mai 1642). À cette occasion, il introduisit dans sa narration les gestes, signes et négociations qu’il a pu accomplir au moment de se rendre. Dans le cadre de guerres de siège, où la reddition est commune, les traités stipulant les conditions dans lesquelles la garnison choisit de se rendre sont une autre source précieuse d’informations sur l’ensemble des rituels, et thématiques de discussion au sujet du dépôt des armes. Enfin, les lois mises en place sous les différents régimes peuvent nous donner des indications sur le déroulé et les conditions dans lesquelles une reddition peut être acceptée, à l’image des lois de l’an II (7 prairial) de la République française interdisant de faire des prisonniers anglais ou hanovriens.

Comme nous avons déjà pu l’esquisser, la reddition peut se réaliser de diverses façons, selon si les acteurs sont des États, un groupe ou un seul individu. Mais la reddition ne s’arrête pas seulement à l’acte volontaire de mettre fin au combat (ce qui la différencie de la simple capture).  D’ailleurs, cette action ne signifie pas toujours que la guerre est terminée pour ceux qui acceptent de se rendre. C’est ce qui est montré au début de Cessez-le-feu, au travers d’un essai rédigé par l’historien américain John Albert Lynn (1943-), dans lequel celui-ci cherche à définir ce qu’est la reddition, les modalités selon lesquelles  celle-ci peut avoir lieu, sous quelles contraintes parfois, mais aussi la suite des évènements potentiels pour les individus ayant dû s’y résoudre. Selon lui, l’action de se rendre est soumise à deux principaux effets : la coercition et la compensation. En effet, un État, un chef d’unité militaire ou des individus au sein de cette unité peuvent accepter de mettre bas les armes dans le cas où, par exemple, ils ne verraient aucun espoir de victoire future, et que les conditions de reddition proposées par l’autre belligérant sont suffisamment honorables pour être acceptées. Après cette reddition, les individus ou États ayant accepté de déposer les armes disposent de plusieurs options. Il y a tout d’abord l’acquiescement tacite des conditions de la reddition, mais aussi l’utilisation de celle-ci afin de se donner un avantage (par exemple, résister dans une forteresse suffisamment longtemps pour que son propre camp puisse réorganiser ces forces). On peut également citer la transformation de cette reddition en une pause dans la poursuite du combat. Enfin, le changement de combat mené, comme ce fut le cas après la guerre de Sécession américaine (1861-1865) où malgré la défaite de la Confédération sudiste, l’objectif de guerre que celle-ci affichait, à savoir perpétuer la suprématie blanche, est poursuivie par de nouveaux groupes jugés terroristes comme le Ku Klux Klan ou les White Leagues. Il existe également des redditions dites « exceptionnelles », qui ne peuvent pas être inclues dans les différentes catégories citées précédemment.  Pour illustrer celles-ci, John Lynn s’appuie notamment sur les exemples de la guerre de Corée (1950-1953) et de la guerre du Vietnam, tout du moins la partie américaine de celle-ci, entre 1963 et 1975. Dans ces conflits, les redditions qui y ont été négociées avaient en effet d’autres buts  que celui  de stopper le combat : dissimuler l’humiliation subie au Vietnam en une défaite honorable, tandis que le  conflit coréen devient une aubaine pour la propagande, avec notamment la question des prisonniers de guerre et leur retournement idéologique.

Au travers des différents exemples exposés dans cet ouvrage collectif, le lecteur peut se faire une image plus globale des enjeux autour de la reddition, mais aussi des différentes normes et pratiques permettant de la mettre en place. Il y a bien évidemment certains gestes aujourd’hui connus de tous, comme élever un drapeau, lever les bras en l’air, etc…. Mais au fil des siècles, on peut également se rendre de la diversité des situations entourant la possibilité de se rendre. Selon les contextes, une reddition peut être plus ou moins bien reçue : une capitulation de place forte beaucoup trop rapide aux yeux d’un gouvernement, comme cela a pu être le cas pour le maréchal Bazaine après la reddition de Metz, au cours de la guerre de 1870, peut ensuite mener à de graves accusations de trahison. Les premières années de la Révolution française disposent également d’un certain nombre d’exemples similaires, à l’instar d’un Dumouriez¹ . La notion du bon moment pour se rendre, souvent symbolisé par la création d’une brèche dans les murailles, est ainsi quelque chose d’important. On ne se rend pas à n’importe qui également : lorsque Puységur est fait prisonnier à la bataillede Honnecourt (26 mai 1642), celui-ci se place entre les mains d’un officier issu de la noblesse comme lui, avec qui il partage certaines valeurs communes, ou ethos nobiliaire. Mais même à ce moment, le sort du prisonnier reste périlleux, de simples soldats se mêlent à la discussion en estimant que le vicomte devrait se rendre à eux et non pas à l’officier, la rançon pouvant être obtenue suscitant des convoitises. Un autre exemple, celui de la pacification de la Vendée, ouvre les yeux sur une chose fondamentale : battre une armée ne suffit pas, il faut aussi se réconcilier avec la population, tâche d’autant plus difficile après une guerre civile. Les négociations autour de la reddition doivent donc, aussi bien du côté du vainqueur que du vaincu, prendre en compte la situation globale du conflit : la reddition des villes de Casale et Volpiano (dans le Piémont) en 1555 ne se fait pas à l’avantage absolu de l’un ou l’autre camp, des secours pouvant toujours être envoyés et renverser ainsi le rapport de force. Rendre les armes, cela ne signifie pas se plier au bon vouloir de celui contre qui nous nous sommes battus : c’est surtout l’art de trouver un compromis le plus honorable possible.

L’œuvre de Claire Miot, Thomas Vaisset, Paul Vo-Ha et leurs nombreux collaborateurs donne ainsi d’importants repères quant à l’étude de la reddition guerrière. Néanmoins, plusieurs éléments manquent dans ces pages, au grand dam d’ailleurs des auteurs. On peut ainsi regretter qu’aucune des contributions n’évoquent la perception des civils, dont le sort peut considérablement influer sur la décision de se rendre, ou conserver une mémoire de l’évènement différente de celle à quoi nous pourrions nous attendre. C’est également le cas pour les guerres coloniales, qui ne sont pas spécialement évoquées ici (à l’exception du chapitre sur les accords d’Évian de 1962). En tout cas, nul doute que la question de la reddition, notamment en raison du contexte géopolitique actuel, est devenue une des pierres angulaires de l’écriture de l’histoire militaire.

 

Sébastien VIDAL, Master 2 Histoire et Sciences sociales du Politique sous la direction de Mr Simon SARLIN

 

 

1. Charles François Dumouriez (1739-1823) est un général français au service d’abord de la monarchie puis de la Convention. En 1793, après sa défaite à la bataille de Neerwinden (18 mars 1793), celui-ci se rapproche de la coalition anti-révolutionnaire afin de rétablir les Bourbons sur le trône, s’engageant notamment à livrer la place forte de Condé (dans le Nord, près de Valenciennes). Le projet échouera, sa trahison étant parvenue aux oreilles de la Convention. [↩]

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