À l’occasion des quarante ans de la découverte du virus du SIDA, la ville de Strasbourg invite ses habitants à vivre pendant quatre mois “Aux temps du SIDA” en proposant de nombreux événements organisés autour de l’exposition phare présentée au Musée d’art moderne et contemporain (Mamcs). La commissaire de l’exposition, Estelle Pietrzyk, revient sur ces quatre décennies dmae lutte contre l’épidémie en plaçant les artistes ainsi que les associations au centre de sa réflexion.  

Le sida : épidémie exposée 

L’exposition « Aux temps du sida – Œuvres, récits et entrelacs », reportée à deux reprises en raison d’une autre épidémie, celle du COVID-19, s’inscrit dans la lignée de deux autres expositions : celles du Musée des civilisations et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille et du Palais de Tokyo à Paris.  

L’exposition « VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! », présentée au Mucem du 15 décembre 2021 au 2 mai 2022, retraçait l’histoire sociale et politique du sida en posant un regard à la fois rétrospectif et contemporain sur l’épidémie comme sur les mobilisations qu’elle a engendrées. Elle était l’occasion de valoriser l’exceptionnel fonds constitué au début des années 2000 par le Mucem sur le thème du VIH/sida auprès de nombreuses associations de lutte : banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures et matériel de prévention, objets militants, vêtements, badges et rubans rouges venaient alors dialoguer avec de nombreux prêts de particuliers afin de permettre aux visiteurs de découvrir plus en détail l’histoire sociale de la lutte contre l’épidémie. En mettant le sida au musée, l’exposition souhaitait elle-même contribuer à la lutte en réaffirmant son actualité, volonté retrouvée dans la création des deux expositions qui l’ont suivie¹ .  

« EXPOSÉ·ES », présentée au Palais de Tokyo du 17 février au 14 mai 2023, s’inspirait quant à elle du livre de l’historienne de l’art, militante lesbienne et féministe Elisabeth Lebovici Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XX^e siècle² , le prenant au pied de la lettre : en jouant sur le double sens du terme « exposé·es » – des personnes qui n’ont pas choisi d’être exposées à un virus, une maladie, une épidémie contrairement à des personnes qui ont choisi de s’exposer pour rendre visible ce virus, cette maladie, cette épidémie – l’exposition interroge ce que l’épidémie du sida fait aux artistes et ce qu’elle fait, par ricochets, aujourd’hui à une exposition. Le sida devient alors une grille de lecture actuelle pour reconsidérer un grand nombre de pratiques artistiques exposées à l’épidémie. L’exposition portait un discours au présent en demandant à des artistes d’interroger depuis aujourd’hui leur histoire et ce qui leur a été transmis du siècle passé³ . 

Dans le sillon des expositions évoquées précédemment, « Aux temps du sida » parle d’un temps encore non révolu où l’épidémie n’est pas surmontée en dépit d’importantes avancées médicales. Au carrefour de l’histoire sociétale, de l’histoire politique et de l’histoire des luttes, l’exposition souhaite mettre en avant la pluralité des récits qui entourent le sida. Pluridisciplinaire, l’exposition présente quatre décennies de création où les arts plastiques, la littérature, la musique, le cinéma, la danse rencontrent la recherche scientifique, la culture populaire et l’action déterminante des associations. Plus de soixante-dix créateurs et créatrices sont ainsi présentés, dont la plupart sont des artistes qui jalonnent l’histoire de la création au temps du sida à l’instar d’Hervé Guibert, de Nan Goldin, de Guillaume Dustan ou encore de David Wojnarowicz. Aucune des œuvres n’avait toutefois été précédemment montrées à Marseille ou Paris⁴   

Pluralité de récits, représentations plurielles  

« Aux temps du sida » est conçue comme un voyage chrono-thématique qui nous sollicite tout entier, notre corps et nos sens. L’exposition s’articule en dix sections qui mettent en évidence les entrelacs qui unissent les énergies mobilisées contre la maladie qui se fait « tantôt vacarme, tantôt bruit de fond »⁵ mais qui n’est toujours pas éradiquée en 2023.  

S’inspirant de la démarche du collectif d’artistes Group Material, qui a conçu en 1984 une « aids timeline » qui raconte le sida dans tous ses aspects, le Couloir du Temps ouvre l’exposition en juxtaposant une myriade d’objets en lien avec l’épidémie du sida. Si certains relèvent de la dimension artistique, d’autres proviennent d’associations militantes ou sont ancrés dans la réalité la plus ordinaire. Ensemble, ils révèlent les multiples aspects de l’épidémie et invitent à une réflexion sur les façons de présenter et de représenter.  

Antichambre 

Le Couloir du Temps débouche sur l’antichambre. Antichambre de l’exposition, antichambre de la maladie. Les corps fragmentés de l’artiste Kiki Smith côtoient le visage d’enfant radieux de John Hanning. Si le jeune John Hanning semble nous regarder dans les yeux, l’artiste Kiki Smith n’a pas peur de regarder de près les corps, invitant tous deux à regarder la maladie dans les yeux et à en faire œuvre.  

« Je sors ce soir »⁶ 

Sortir c’est s’exposer : aux autres, aux regards, aux corps, aux rencontres, aux expériences et, potentiellement, aux risques. Les photographies en noir et blanc de l’artiste Luc Chery montrent des corps, jeunes, qui dansent dans la nuit et nous incitent à pousser deux portes pour nous retrouver à notre tour en boîte de nuit, dans une pièce sombre éclairée de néons dont l’une des oeuvres pincipales est la statue grandeur nature d’un gogo dancer dont le corps couvert de cache-tétons évoque la prolifération d’une affection de la peau, realisée par Mehryl Ferri Levisse.  

Prolifération 

Le terme doit être compris à un double niveau : le niveau microscopique, celui de la prolifération de la maladie dans le corps lorsqu’il n’existe pas de traitement, et le niveau macroscopique, celui de la prolifération de la maladie à l’échelle de la planète, où il faudra un certain temps avant d’évacuer l’idée que le virus ne choisit pas de façon exclusive ses victimes dans des communautés identifiées par les « 4H » : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles et Haïtiens⁷.  

My beautiful closet  

L’artiste Jean-Michel Othoniel nous invite à pousser la porte d’un placard (en référence à la notion de coming out of the closet) qu’il a réalisé et qui dissimule une salle aux allures de backroom jouxtant la danceroom, dans laquelle cohabitent des oeuvres diverses, symboles des non-dits, des colères, des provocations, des propos et des images inavouables qui entourent l’épidémie.  

« Ceci est mon sang » 

« Par le sang, par le sperme et par la loi » figure parmi les slogans de l’association militante ACT UP dénonçant des lois qui, par leur caractère répressif, fragilisent ou discriminent des populations entières en les exposant au virus. Les modes de contamination au VIH ont fait l’objet de fantasmes divers avant que ne soient identifiés les canaux réellement susceptibles d’exposer le virus, à savoir le sang et le sperme. Ces fluides corporels renvoient à l’intime, or comment faire de la prévention sans nommer ni montrer ce dont on parle ? Dans une salle à la moquette rouge sang, les artistes exposés s’emploient à visibiliser ces fluides à l’image de Michel Journiac avec sa Carte du Sang, planisphère intime, en référence à la Carte du Tendre, représentation topographique de la conduite et de la pratique amoureuse au XVIIe siècle.   

« Je n’ai fait que traverser le monde en courant »⁸ 

Les deux premières décennies qui suivent la découverte du virus sont synonymes de course contre la montre pour les personnes exposées. De la course folle à l’arrêt brutal, le rapport au temps est questionné par les productions artistiques qui rendent également visible une part du temps de leur créateur.ice.  

« Cette époque est un thrène »⁹

Le thrène est le nom donné au chant qui accompagne les mort.e.s dans la culture antique. Les artistes, dont la photographe Nan Goldin, nous invitent ici à penser le temps de la célébration des absent.e.s, entre deuil collectif et deuil individuel.  

La page, la scène, la rue 

Trois scènes possibles d’expression, de la plus intime à la plus ouverte, toutes politiques. Des pièces de théâtre de Jean-Luc Lagarce à l’affiche recouvrant un pan de mur entier d’Avram Finkelstein, SILENCE=DEATH, devenu en 1987 l’emblème de l’AIDS Coalition to Unleash Power et le symbole d’Act Up.  

Protocoles et luttes  

« C’est vraiment la lutte contre le sida et Act Up qui m’a fait me situer. C’est l’activisme qui, aujourd’hui encore, permet à beaucoup de personnes d’adopter un discours situé ». Les mots d’Elisabeth Lebovici entre en résonance avec les œuvres de cette section qui toutes sont situées, sur une échelle qui va du militantisme assumé à l’émancipation heureuse.  

Danser = vivre  

L’exposition se clôt en nous proposant de danser sous une œuvre lumineuse de l’artiste Felix Gonzalez-Torres, décédé du sida en 1996.  

Événements associés 

« Faire une exposition sur le sida ne peut absolument pas regarder uniquement à travers le prisme artistique »¹⁰  déclare la commissaire de l’exposition Estelle Pietrzyk. C’est pourquoi un espace, dans l’enceinte même du musée, est dédié aux personnes qui consacrent leur vie associative ou professionnelle à la question du sida puisse. Cette Permanence permet au public de rencontrer des représentants des associations et des représentants du secteur médico-social.  

La programmation de la Permanence est disponible ici. 

Informations pratiques  

« Aux temps du sida – Œuvres, récits et entrelacs »  

Du 6 octobre 2023 au 4 février 2024 au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.  

Musée d’Art moderne et contemporain 

1, place Hans-Jean Arp, Strasbourg 

 
Ouvert en semaine de 10h à 13h et de 14h à 18h  

Samedi et dimanche de 10h à 18h / Fermé le lundi 

 

 

Clara Wilhelm,

M2 EAD Histoire contemporaine,

sous la direction de Raphaëlle Branche 

1. VIH/sida, [https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/vihsida], consulté le 15 octobre 2023. [↩]
2. Lebovici Elisabeth, Ce que le sida m’a fait : art et activisme à la fin du XXe siècle, Zürich : Paris, JRP-Ringier ; La Maison rouge, coll. « Collection “Lectures maison rouge” », 2017. [↩]
3. Exposé·es – Palais de Tokyo, [https://palaisdetokyo.com/exposition/exposees/], consulté le 15 octobre 2023. [↩]
4. Aux temps du sida – Oeuvres, récits et entrelacs – Musées de Strasbourg, [https://www.musees.stras 
   bourg.eu/aux-temps-du-sida.-Œuvres-récits-et-entrelacs], consulté le 17 octobre 20323. [↩]
5. Prologue de l’exposition. [↩]
6. Dustan Guillaume, Je sors ce soir, Paris, P.O.L., 1997. [↩]
7. Carricaburu Danièle et Ménoret Marie, « Le sida dans l’espace public », Sociologie de la santé, Paris, Armand Colin, coll. « Collection U », 2004, pp. 121136, p121. [↩]
8. Citation prononcée par Faust dans la pièce éponyme de Goethe. [↩]
9. Citation tirée de la pièce Angels in America de Tony Kushner. [↩]
10. Aux temps du sida – Œuvres, récits et entrelacs – Musées de Strasbourg, [https://www.musees.stras 
    bourg.eu/aux-temps-du-sida.-Œuvres-récits-et-entrelacs], consulté le 17 octobre 20323. [↩]

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