Actuellement étudiant en master à l’université de Paris Nanterre, je travaille pourtant dans le domaine de la santé en tant que psychomotricien. Même si je suis passionné d’histoire depuis mon jeune âge, en tant que professeur d’arts martiaux, je me devais de travailler avec le corps, d’où cette orientation dans un métier du paramédical. Pourtant, j’ai entrepris de reprendre des études en licence puis master pour mieux appréhender mon intérêt dans ce domaine. Même si je ne souhaite pas me réorienter vers les métiers de l’histoire, je me suis attelé à mettre en pratique les connaissances acquises. Ainsi, j’ai pu réaliser quelques événements autour de l’histoire de Paris pour l’association Kleio, de l’université nanterroise et j’ai réalisé une centaine d’ateliers dans des EHPAD où j’ai travaillé.

Depuis plusieurs mois de pratique dans une clinique de rééducation, j’ai utilisé l’histoire comme une médiation originale en psychomotricité. Des séances regroupent entre une dizaine et une quinzaine de participants avec une composition variée des profils de personnes. Cette approche permet de stimuler les capacités cognitives de personnes ayant des troubles de la mémoire. Ces moments permettent également de changer les idées de personnes voulant oublier un instant les enjeux autour de la rééducation de leur nouvelle prothèse articulaire ou de la récupération trop lente de leur accident vasculaire cérébral. La psychomotricité constitue une rééducation ou une thérapie à travers le corps et l’esprit. Plus précisément, le décret de compétence du psychomotricien (décret n°88-659 du 6 mai 1988 relatif à l’accomplissement de certains actes de rééducation psychomotrice) évoque une « contribution, par des techniques d’approche corporelle, au traitement » (…) « des troubles des régulations émotionnelles ». Or, il faut d’abord se demander de quelle manière le corps est mis en mouvement dans une séance de discussion autour de l’histoire. La réponse se trouve tout d’abord dans une approche sensorielle multiple avec une multiplication des canaux sensoriels : la parole stimule l’ouïe tandis que le tableau atteint la vision et la feuille distribuée monopolise le toucher de la main. Ensuite, le corps est directement placé dans un contexte social groupal qui rompt l’isolement d’une chambre de clinique avec une disposition en demi-cercle autour d’un tableau où chacun est visible des autres. Enfin, la position assise constitue souvent un défi chez des personnes qui voudraient rester alitées en raison de douleurs. L’intérêt du groupe les pousse alors à ignorer la fatigue des autres séances de rééducation pour rester avec une posture d’écoute.

Le choix des thématiques appartient aux personnes qui participent à ce groupe. Ainsi durant le mois de juillet 2023, nous avons exclusivement abordé la Grèce. La première séance sur la Grèce antique fut suivie d’une séance sur la Grèce médiévale, moderne et contemporaine. La majorité du groupe connaissait la conquête du territoire grec par l’empire ottoman. Pour autant, l’évocation de la croisade de 1204 était une découverte pour l’ensemble du groupe. Ensuite, nous avons parlé de la philosophie grecque puis de la religion antique la semaine suivante. Cette régularité sur une thématique est rare. Nous avons ensuite parlé de l’art contemporain dans une acception large, c’est-à-dire depuis le néoclassicisme du XIXe siècle pour tendre vers l’abstraction du cubisme. Nous avons ainsi évoqué le rôle du salon des refusés ou de l’invention de la photographie pour aboutir à d’autres formes artistiques. Deux séances ont été consacrées à la ville de Paris. De Lutèce au Paris médiéval, nous avons pu aborder des éléments d’archéologie jusqu’à discuter des hôtels médiévaux. La séance s’est achevée avec l’âge classique et l’ouverture des Grands Boulevards ainsi que la création des places royales.

Une séance réalisée en octobre a été révélatrice du processus mis en œuvre dans ces séances. Ce jour-là, les patients présents étaient majoritairement constitués de personnes ayant des troubles cognitifs légers à modérés avec une connaissance moyenne des faits historiques. Le thème demandé par une patiente était tourné vers Louis XIV. En tant que professionnel du corps, je n’ai pas pu m’empêcher de commencer en évoquant l’importance du traitement de la fistule anale du roi telle qu’elle est décrite dans l’ouvrage de Stanis Perez sur Le corps du roi (2018). Il a été très difficile de faire retrouver le nom des principaux protagonistes du règne (Molière, Lully, Colbert, etc.) et de leurs actions. De ce fait, la description des fortifications de Vauban ou de la structure des jardins et du palais de Versailles ont été une intense recherche mentale. Une notion importante dans ces séances se retrouve dans l’association d’idées. Un mot unique peut parfois sortir de façon plus ou moins hasardeuse dans l’esprit des patients. Ce mot revêt alors une importante capitale puisqu’il est le seul témoin d’une pensée qui a essayé d’être formulée. Il est alors crucial de se saisir de ce mot-phrase pour tenter de débrouiller une préoccupation ou un élément qui se révèle alors tout à fait logique dans l’intervention d’une personne ayant des troubles cognitifs.

Depuis, une séance a été consacrée à Louis XI tandis qu’une autre sur Henry IV se prépare. L’apport de mes études en histoire est un élément qui me permet d’être un des rares psychomotricien à pouvoir se targuer d’avoir une « médiation histoire » dans son escarcelle. Ces séances rencontrent un grand succès. Pour s’en rendre compte de façon ironique, il suffit de constater l’absence systématique de besoin pour chauffer la salle même au plus profond de l’hiver. La présence conséquente des protagonistes ainsi que leur mise en mouvement de l’esprit génèrent une forte chaleur qui oblige même à ouvrir la fenêtre. L’heure dédiée à ce groupe passe toujours très vite et étonne la foule des patients ennuyés par la longue attente de leur hospitalisation. On peut ainsi évoquer une notion chère à la psychomotricité : la phénoménologie de la perception. Cette façon « d’être au monde » constitue une réflexion fondamentale de ce métier qui partage avec la science historique le fait d’appartenir aux sciences humaines.

BORIS BONTEMPS

Master 2 Mondes antiques et médiévaux

Mémoire sous la direction de Mme Bénédicte Sère

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