Ancien tombeau romain réinvesti à l’époque mérovingienne, l’hypogée des Dunes, exceptionnel à plus d’un titre, se distingue par le fait qu’aucune source ne le mentionne. Il est pourtant bien réel. Ses nombreuses inscriptions concentrées dans seulement vingt mètres carrés représentent un exceptionnel échantillonnage des croyances des chrétiens de l’époque mérovingienne. La qualité et le nombre d’œuvres sculptées préservées en font un lieu unique, notamment une rare statue colonne de Syméon le stylite et l’une des premières représentations connues en Occident de la crucifixion du Christ.  

Un hypogée est une construction souterraine destinée à des sépultures. L’hypogée des Dunes est situé sur un plateau qui surplombe la rive droite du Clain, en face du quartier épiscopal de Poitiers. Il fut découvert le 24 décembre 1878 par le père Camille de la Croix qui explorait la nécropole romaine le long de la voie qui menait à Bourges. Exceptionnel à plus d’un titre, l’hypogée de Poitiers se distingue par le fait qu’absolument aucune source ne mentionne son existence, contrairement à d’autres édifices érigés hors les murs. 

L’hypogée de Poitiers est semi-enterré. Bâti sur un tombeau romain du début du IVme siècle, il fut saccagé à deux reprises avant d’être réinvesti à l’époque mérovingienne, probablement au VIIe siècle. Il fut consacré par des dépôts de reliques, attirant par conséquent des sépultures familiales. 

Pierres parfaitement alignées du tombeau romain 

On accède à l’édifice par un escalier organisé en deux espaces, comme le révèlent les vestiges de colonnes : une zone à l’air libre et une autre probablement protégée par une toiture. 

Trois marches attirent particulièrement le regard ; décorées de serpents entrelacés, de poissons et de rinceaux de lierre, symboles d’éternité, de ralliement et d’amour, elles sont très probablement des remplois de mobilier liturgique. 

De gauche à droite : rinceaux de lierre, poissons, serpents entrelacés (trois têtes et quatre queues…) 

L’édifice s’organise en deux salles : l’une accueille une chapelle avec un autel et l’autre est réservée aux fidèles. Elles sont séparées par une marche gravée de rosaces, peintes et probablement incrustées de verre, et d’une inscription évoquant la présence de saintes reliques. 

Moulage de la marche de séparation entre les deux salles de l’hypogée (détail) Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Les décors et les inscriptions, dont un anagramme et un psaume, comptent parmi les éléments les plus intéressants de l’hypogée. Leur concentration dans les vingt mètres carrés de l’hypogée représente un exceptionnel échantillonnage des croyances des chrétiens de l’époque mérovingienne. 

Dalle inscrite – VIe VIIe siècle – Calcaire – EMMANVHEL NVBISCVM D[EV]S – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

 Croix pattée – VIe VIIe siècle – Calcaire- Musée Sainte-Croix – Poitiers

Chrisme à huit branches – VIe VIIe siècle – Calcaire – Musée Sainte-Croix – Poitiers   

Au bas de l’escalier, les chambranles de la porte qui donnait accès à l’hypogée, sont gravés de nombreuses inscriptions. La plus imposante est la profession de foi de Mellebaude ; totalement inconnu des sources lui aussi, il avait choisi d’être inhumé à l’hypogée. Elle est l’occasion d’affirmer la double nature, divine et humaine, du Christ et prend toute sa valeur dans une Aquitaine longtemps acquise à l’arianisme.  

 Chambranles de la porte

Profession de foi de Mellebaude (Chambranle droit, partie haute) 

Le texte s’achève par un anathème, une malédiction à celui qui détruirait ce lieu, suivi de la formule MARANATHA VSQVID IN SEMPITERNVM, qui signifie « Dieu viendra ». 

Chambranle droit       

                                               Chambranle droit, partie basse MARANATHA VSQVID IN SEMPITERNVM

L’hypogée était un lieu de culte et un lieu d’inhumation ad sanctos. Parmi les trente-cinq sarcophages d’hommes, de femmes et d’enfants retrouvés, l’un d’eux semble avoir bénéficié d’attentions particulières. D’une part, il occupe une place privilégiée dans une niche spécialement aménagée qui, au regard des pierres parfaitement taillées du mur, se situe dans un espace préservé du tombeau romain d’origine. 

D’autre part, ce sarcophage devait être richement orné. Les vestiges laissent deviner une scène de procession comme l’indiquent les plis en mouvement de certains vêtements. 

Moulage du sarcophage (détail) – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Par ailleurs, la niche comportait un grand nombre d’inscriptions aujourd’hui disparues. Le père Camille de la Croix en avait heureusement réalisé une copie grandeur nature. 

Reproduction d’inscriptions de la niche (détail) – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Enfin, à la tête du sarcophage se trouvait un fragment de stèle, conservé aujourd’hui au musée Sainte-Croix de Poitiers. Il constitue sans doute la base d’une crucifixion, car il représente a priori les deux larrons condamnés avec le Christ, mains derrière le dos, comme attachés chacun à une croix. 

Base de la Crucifixion aux deux larrons – VIe VIIe siècle – Calcaire   Musée Sainte-Croix – Poitiers 

De plus, juste au-dessus de la colonne centrale, sur la traverse, il est possible de distinguer ce qu’il reste de deux pieds.  

Crucifixion aux deux larrons (détail) – VIe VIIe siècle – Calcaire – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Il s’agirait alors de l’une des plus anciennes représentations humaines connues en Occident de la crucifixion du Christ.  

Parmi les objets découverts à l’hypogée et conservés au musée Sainte-Croix, signalons deux d’entre eux. Une rare statue-colonne de Syméon le stylite.  

Colonne sculptée : saint Syméon – VIe VIIe siècle – Calcaire – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Une dalle, peut-être un couvercle de sarcophage, ornée de quatre figures : les évangélistes Matthieu et Jean, et les archanges Raphaël et Raguel.  

Dalle aux archanges et aux évangélistes – VIe VIIe siècle – Calcaire – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Dalle aux archanges et aux évangélistes (détail) – VIe VIIe siècle – Calcaire- Musée Sainte-Croix – Poitiers 

Lieu d’inhumation, de pèlerinage et d’exaltation de la Croix, l’hypogée est un des bâtiments les plus importants de la chrétienté. La conservation du site, la qualité et le nombre d’œuvres sculptées préservées font de l’hypogée un lieu unique, sans équivalent dans l’histoire de l’art médiéval occidental. Sa découverte a suscité en Europe un intérêt considérable. Le site fut remblayé par mesure conservatoire en 1886 par le père Camille de la Croix. Ce dernier l’offrit en 1905 à la Société des Antiquaires de l’Ouest qui en fit don à la Ville de Poitiers en 1947. Accessible aux chercheurs, le site est ponctuellement ouvert au public lors des Journées européennes de l’Archéologie ou des Journées européennes du Patrimoine. 

Hypogée des Dunes – D’après le relevé archéologique de Bénédicte Palazzo-Bertholon – Musée Sainte-Croix – Poitiers 

 

 

Cécile JEANNE 

Master 2 – Mondes antiques et médiévaux 

Mémoire en histoire médiévale sous la direction de Laurent Jégou 

 

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