UNE VIE AU XVIIe SIÈCLE ENTRE ANGOLA , BRÉSIL ET PORTUGAL.

L’espace transatlantique du XVIIe siècle est un lieu de circulation intense d’informations et de personnes, voilà ce que démontre l’historienne et journaliste Charlotte de Castelnau-L’Estoile dans son essai : « Páscoa et ses deux maris: Une esclave entre Angola, Brésil et Portugal au XVIIe siècle », publié le 03 mai 2023 aux éditions Flammarion. 

Le procès pour bigamie intenté par l’Inquisition portugaise à Pascoa, esclave angolaise embarquée au Brésil, tel est le sujet de l’essai que nous livre Charlotte de Castelnau l’Estoile.  

Grâce aux archives de l’Inquisition portugaise, l’auteur a pu reconstituer une grande partie de la vie de Pascoa ainsi que  le déroulement de  son procès ;  Charlotte de Castelnau l’Estoile met en lumière ce que fut l’univers colonial portugais du XVIIe siècle dans lequel la papauté n’eut cesse d’évangéliser les populations locales  par le biais de missionnaires.   Cet essai  passionnant et fort bien documenté  nous dévoile  la réalité « esclavagiste » de cette époque, une pratique qui au premier abord aurait pu être considérée comme incompatible avec l’humanité prônée par la religion chrétienne, mais dont la papauté et les missionnaires s’accommodèrent fort  bien  en réalité car l’esclavage satisfaisait les intérêts des uns et des autres et donnait bonne conscience à la papauté; En effet, cette pratique  avait, aux yeux de la papauté,  la vertu  de sauver l’âme de ces anciens adeptes du paganisme.  

Pascoa est une esclave de confession chrétienne née en Angola, ancienne colonie portugaise de Afrique de l’Ouest. Convaincue à plusieurs reprises d’infidélité vis à vis de son mari, Alexeio, esclave comme elle, et ayant essayé d’échapper à l’autorité de son maître, ce dernier la vend à un réseau esclavagiste qui l’embarque au Brésil, à Bahia de Salvador où elle refait sa vie et épouse un autre esclave. Au Brésil, le cousin de son second maître, résidant en Angola, la reconnaît et incite ce dernier à la dénoncer à l’Inquisition pour bigamie, car étant déjà mariée en Angola et son premier mari étant toujours vivant, Pascoa n’avait pas droit, selon le droit canon, de contracter un second mariage. En effet, le mariage est considéré par l’Eglise comme un sacrement indissoluble, et un second mariage ne peut être contracté qu’en cas de décès de l’un des conjoints.  

Le tribunal inquisitorial de Lisbonne, mis au fait de cette affaire, diligente une enquête transcontinentale afin de collecter les preuves qui permettront la tenue d’un procès pour bigamie.

L’Inquisition cherche à déterminer si Pascoa avait été préalablement mariée en Angola sous la forme tridentine, auquel cas Pascoa se serait rendue coupable de bigamie, un crime que l’Inquisition prend très au sérieux. Mais l’Inquisition, malgré les nombreux efforts déployés,  échoue à trouver la trace écrite du mariage angolais de Pascoa. A l’issue de ces enquêtes qui s’étalent sur plusieurs années, Pascoa est arrêtée et envoyée à Lisbonne pour faire face à ses juges qui s’appliqueront à lui faire avouer que son mariage avec Aleixio a été célébré dans le respect des formes du Concile de Trente. Mais Pascoa est une femme forte, intelligente et au fait du droit canon, elle fait face à ses juges avec détermination et déjoue les pièges que ceux-ci lui tendent: Pascoa déclare que son union à Aleixio a été célébrée sous la forme d’une cérémonie d’échanges des anneaux, elle ne changera pas de version tout au long des différents interrogatoires déstabilisants que le tribunal inquisitorial lui fera subir. Malgré le fait  que le registre prouvant que  Pascoa aurait été mariée selon la forme tridentine n’ait jamais été retrouvé, Pascoa est condamnée à trois ans d’exil dans une forteresse située dans le sud du Portugal. L’auteur de l’essai s’interroge sur l’intérêt de cette affaire pour l’Inquisition: Pourquoi  cette institution s’acharne-t-elle pendant près de dix ans sur le cas d’une esclave inconnue : serait – ce là le moyen de recadrer les missionnaires chargés de l’évangélisation des populations des territoires nouvellement conquis et qui s’écartent des rituels et pratiques codifiés par le concile de Trente? Cette question est légitime étant donné le caractère implacable de la procédure à laquelle Pascoa a dû faire face et  l’importance des moyens déployés par l’Inquisition pour récolter des preuves contre Pascoa.  

En nous révélant cette affaire, Charlotte de Castelnau l’Estoile nous plonge dans un épisode de l’histoire globale des circulations transatlantiques au XVIIe siècle et nous éclaire notamment  sur  ce que fut le statut  des esclaves africains embarqués au Brésil, leurs droits – que certains au fait des procédures n’hésitent pas à faire valoir, les contraintes auxquelles ils étaient assujettis. Cet essai est très instructif pour comprendre la perception que se faisait l’Eglise des enjeux du mariage des esclaves. C’est également l’occasion pour le lecteur de pénétrer dans le monde de l’Inquisition, de découvrir ses pouvoirs,  ses procédures mais aussi ses limites.  

 

 

IMAN HELAL 

Master 1 Histoire médiévale 

Mémoire sous la direction de Mme Tixier Du Mesnil 

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