Il aurait dû être le projet de Kubrick. Il aurait dû être le film définitif sur Napoléon. Il est pendant longtemps resté un fantasme des cinéphiles ; tué par le coût exorbitant et l’échec du film Waterloo (1970) de Sergueï Bondartchouk. Le réalisateur de Barry Lyndon 1975 a dû abandonner un scénario de 180 pages, (3h théoriques, l’usage voulant qu’une page soit égale à une minute) et un dossier de 15 000 photos. Et puis le projet a été repris par un autre réalisateur touche à tout habitué aux films à grand spectacle et historiques : Ridley Scott. Celui qui a mis à en scène Gladiator (2000), Kingdom of Heaven (2005) et Le Dernier Duel (2021) a-t-il réussi à reprendre le Flambeau le Kubrick en réalisant un grand film historique ?
Techniquement parlant
Actuellement au cinéma dans certains pays avant une diffusion sur la plateforme Apple +, le film dure 2h30 alors un premier montage est annoncé par le réalisateur à 4h30. Nous sommes face à une version coupée, une succession de tableaux allant du 16 octobre 1793, exécution de Marie-Antoinette à la mort de l’empereur le 5 mai 1821 et retraçant la vie de Napoléon. A l’heure de ces lignes le film compte une note de 63 sur 100 sur le site américain Metacritic. Le film est un peu long voire répétitif, les scènes avec Joséphine cassent le rythme d’un film plutôt rapide. Il faut parfois qu’il y ait des temps de pause dans un récit mais elles sont ici trop longues et trop déconnectées. Un dernier élément est la bande originale de Martin Phipps, trop discrète, trop hachée à mettre sur le compte des coupures de la version cinéma. Le compositeur a même réutilisé des morceaux remixés de la série Guerre et Paix (2016) dont le morceau Charge repris et intégré dans Napoléon à celui de Russie. On attendra la sortie de la version longue pour avoir un avis plus éclairé.
Le film qui n’était pas fidèle
Il est temps aborder l’éléphant dans la pièce. Est-ce que le film est fidèle à l’histoire ? La réponse courte est non. La réponse plus longue est non est c’est très bien. Le but ici n’est pas d’établir une liste exhaustive des erreurs allant du tir sur les Pyramides au mauvais modèle de fusil à tel moment du film, d’autres le feront assez bien et l’entretien de France info avec George Mounier est relativement complet. Ce qui doit nous intéresser est le pourquoi de cette non-fidélité. Les entretiens accordés à la presse par Ridley Scott et Joaquin Phoenix ont donné le ton du film : il est centré sur Napoléon pas sur l’époque. Napoléon est tellement central que les généraux ne sont même pas nommés ! Pourtant certains ont joué des rôles très importants, notamment Ney ou Murat. Du point de vue de la narration, cela donne plus de liberté : on peut éviter les batailles coûteuses en temps et en argent pour aller chercher une romance humanisant l’empereur quitte à tronquer la réalité.
Dans la vidéo de Konbini, Musée Club avec Ridley Scott et Joaquin Phoenix, on y apprend que le réalisateur s’est inspiré des tableaux de l’empereur, la scène du sacre est notamment une reprise du tableau du Jacques Louis-David, et que la volonté était de réaliser un film sur le personnage Napoléon. En d’autres termes, de quitter la stature qui fascine le monde et de le mettre à notre hauteur. Ici, le pari est réussi, on découvre un Napoléon en proie au doute, alternant confiance et complexe d’infériorité, homme à femmes dur mais pleurant lors de son divorce. Ce n’est pas première fois que Scott donne une part belle à une idylle dans un film historique, la version longue de Kingdom of Heaven était plus centrée sur l’histoire entre la Reine de Jérusalem et Godefroy d’Ibelin.
Le film d’un imaginaire ?
On donna la place centrale à la relation amoureuse Joséphine Napoléon, David Scarpa, scénariste du film ne sombre pas dans le film de guerre classique. A l’instar de Gladiator (2000) et Le Dernier Duel (2021) Ridley Scott livre plus une idée de son sujet qu’une copie de partiel d’histoire. Cela ne veut pas dire que l’on peut ignorer des pans entiers de l’histoire au prétexte que ce qui est raconté est une vision et donc capable de toutes les fantaisies à la manière de la saga des Assassin’s Creeds qui raconte une histoire la lutte entre assassins et templier au milieu d’événement historique parfois modifiés au profit de la narration. Les jeux de stratégies donnent aussi là-dedans, Napoleon total Wars (2009) nous invitait à jouer notre propre Empereur dans sa conquête de l’Europe en choisissant nos propres stratégies, alliance et bataille. Cossack II : Napoleonic Wars (2005) aussi bon soit-il n’a pas été fidèle au placement tactique des troupes laissant seul maître dans la bataille. Les deux jeux vidéo étaient accompagnés de véritable encyclopédie que le joueur pouvait consulter et ainsi parfaire sa culture mais restait destiné à un public averti ce que le film n’est pas.
Dès lors les choix du réalisateur sont logiques puisqu’ils s’appuient sur la connaissance générale du spectateur : L’Egypte, Austerlitz, la campagne de Russie et Waterloo sont connus de tout le monde. Pas besoin de rentrer dans les détails stratégiques et tactiques de chaque bataille, on sait que Napoléon était un génie et qu’au fond le résultat est le même. Par exemple, combien de personnes savent que Napoléon n’a pas abdiqué en 1812 après la campagne de Russie mais en 1814 après la campagne de France ? Qui connait la campagne de Prusse d’ailleurs absente du film ? Ce n’est pas un hasard si la bande annonce avait intégré le barrage d’artillerie sur les Pyramides. Elle indiquait clairement que le film n’allait pas être un film fidèle historiquement et que l’on ne pouvait rien y faire mais plutôt que c’était un choix délibéré et qu’on ne pouvait que l’accepter ensuite c’est au spectateur de renseigner sur l’histoire s’il le veut.
Ce n’est pas le film attendu pour beaucoup et encore moins un film définitif sur Napoléon. On va en parler, pas mal polémiquer mais il a le mérite pour ce qu’il apporte sur le personnage et sur notre réflexion. Disons le terme : c’est une synthèse de l’imaginaire napoléonien. En humanisant le personnage qui ne pensait jamais faire d’erreur, on nous rappelle cette maxime que l’on murmurait à l’oreille des papes lors de l’élection : Memento Mori (Rappelle-toi que tu es mortel). Trop convaincu de pouvoir gagner, il a fini par emporter son empire dans sa chute sur l’île de Sainte-Hélène d’où il construira sa légende.
Bibliographie :
https://www.geo.fr/histoire/napoleon-a-la-tete-dun-empire-de-livres-204489
https://www.youtube.com/watch?v=XiWxwpFyUpI
BERNARD Rémi
Mémoire sous la direction de CHAUBET François
Master 2 Histoire et science du Politique
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldairain (5 décembre 2023). Remi Bernard. Napoléon, un film d’histoire. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 13 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mzjh