Coignet Jean-Roch, Mistler Jean (éd.), Les cahiers, Paris, Arléa, 2013. 

En tant qu’apprenti historien, j’ai appris comme mes camarades la séparation des quatre grandes périodes historiques que sont l’Antiquité, le Moyen l’époque Moderne et l’époque Contemporaine. Chacune est pour des raisons pratiquesbien délimitée, même si dans les faits ce n’est pas aussi simple que cela. J’ai toujours été étonné de la zone de flou entourant la période révolutionnaire française et l’ère napoléonienne. En effet, on nous apprend que l’histoire moderne se termine en 1789 et que l’histoire contemporaine commence en 1815. Par exemple, je me souviens de notre premier cours d’histoire contemporaine en licence I portant sur le Congrès de Vienne. Même si les deux champs d’études s’autorisent quelques allers-retours dans cette période, il n’est pas clairement défini à qui il « appartient » de l’enseigner. Nous ne la voyons donc que très peu lors de notre cursus universitaire. De plus, il y a un domaine peu présent, tout du moins dans le cursus que j’ai pu suivre ces quatre dernières années à l’université de Nanterre, qui est la microstoria que l’on nomme en français la microhistoire. Cette branche des études historiques délaisse l’étude des masses et des institutions pour se concentrer sur l’individu. On parle parfois de l’Histoire vue d’en-bas. Encore une fois, un manque pour ma curiosité que j’ai pu combler avec la lecture de l’ouvrage édité par Jean Mistler, Les cahiers du capitaine Jean-Roch Coignet.   

1860, Auxerre. Jean-Roch Coignet, qui tient alors le débit de tabac Au lancier polonais depuis plusieurs années, s’attelle à la tâche de vendre dans les bars et autres commerces de sa ville les deux tomes de son œuvre, les Souvenirs. Je conseille cette lecture à tous ceux qui ne sont pas rebutés par l’histoire militaire, car, comme l’indique la couverture de la première édition de cet ouvrage en 1851-1853 chez Perriquet, nous sommes face aux mémoires d’un « Soldat de la 96e demi-brigade, soldat et sous-officier au 1er régiment des grenadiers à pied de la Garde, […] capitaine d’état-major en retraite, premier chevalier de la Légion d’honneur, officier du même ordre ». Selon moi la lecture de cet ouvrage est captivante pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, ce livre m’a tout particulièrement intéressé par rapport à la question de la microhistoire. Je vais essayer tant que possible de ne pas trop vous en dévoiler même si cela va parfois être nécessaire. Coignet naît le 16 août 1776 dans la petite ville de Druyes-les-Belles-Fontaine dans le département de l’Yonne. Il meurt en 1865 à Auxerre à l’âge avancé de 89 ans. Malgré le décalage entre les faits qu’il narre dans ses cahiers et le moment où il écrit, il nous donne de nombreux détails sur sa vie et les différentes périodes qu’il a vécues, et ce, de son point de vue de fils d’aubergiste. Il nous raconte son enfance sous le règne de Louis XVI, quasiment abandonné à lui-même par ses parents, sa vie durant la Révolution française, la Terreur, 1793-1794, ainsi que pendant le directoire, 1795-1799. En 1799, sous le Consulat, qui nait du coup d’État du 18 Brumaire an VIII, Coignet est conscrit. Nous suivons alors ses tribulations lors des années napoléoniennes. Fervent partisan de l’empereur des Français, il participe aux Cent-Jours. Il est par la suite réduit à la demi-solde et sous étroite surveillance des services de renseignements sous la Restauration. Il termine ses jours, dans la ville d’Auxerre où il tient comme nous l’avons dit un débit de tabac. C’est suite au décès de sa femme en 1848 qu’il se met à la rédaction de ses Cahiers et ce, dans un français phonétique plus qu’approximatif. Il n’a en effet appris à lire et à écrire que tardivement et par lui-même. 

Le deuxième point qui, à mes yeux, a rendu la lecture de ces Cahiers très agréable est l’aspect militaire de ces derniers. En effet, de sa conscription en 1799 sous le Consulat jusqu’aux Cent-Jours en 1815, Jean-Roch Coignet participe à toutes les campagnes napoléoniennes. Encore une fois, le décalage entre la rédaction de ses mémoires et les faits qu’il nous raconte occasionne un certain nombre d’incohérences dans son récit. Mais, nous quittons à travers son récit “l’histoire militaire vue d’en haut” pour avoir la vision d’un soldat. C’est notamment le cas quand il nous raconte la prise de canons aux mains des Autrichiens à la bataille de Montebello, qui lui vaut un fusil d’honneur. En 1803, usant de subterfuges sous la recommandation de l’un de ses supérieurs, il entre dans la Garde Impériale. Il est décoré, par l’empereur lui-même, Chevalier de la Légion d’Honneur durant l’an XII, c’est-à-dire en 1804, lors de la toute première remise de cette décoration. Il nous fait vivre à travers son récit ses seize années de services rythmées par autant de campagnes militaires. Nous pourrions alors parler de microhistoire militaire. 

Ainsi comme je l’ai dit auparavant, je conseille vivement cette lecture pour toute personne n’étant pas rebutée par l’histoire militaire, car c’est un ouvrage fascinant. N’oublions cependant pas un point. Nous sommes là face aux mémoires d’un fervent partisan de Napoléon Ier et il est généralement défini comme étant un mémorialiste de la période impériale. 

Benoit Laurent
Master 1 EAD Histoire des civilisations anciennes et médiévales
Mémoire d’histoire médiévale sous la direction de Catherine Vincent.

Image d’en-tête
Première remise de décorations de la Légion d’honneur par le Premier consul Bonaparte, le 15 juillet 1804, d’après le peintre Jean-Baptiste Debret, 1812. 

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