Le Palais de Poitiers : réalisation exceptionnelle de l’architecture civile médiévale en France
Poitiers, Quartier du Palais (détail), salle d’apparat et tour Maubergeon 1
En 1862, Viollet-le-Duc écrit « nous avons peu d’édifices civils en France qui aient l’importance du Palais des comtes de Poitiers ». Cette même année cet ensemble architectural remarquable est classé au titre des Monuments historiques.
Si un palais est mentionné à Poitiers au IXe siècle lors du séjour de Louis le Pieux au cours de l’hiver 839-840, c’est à partir du Xe siècle qu’il devient le symbole de l’autorité des comtes de Poitou qui imposent progressivement leur indépendance au roi de France et leur souveraineté à l’Aquitaine. Le XIIe siècle modifie profondément son architecture et son rôle dans la cité. Le palais sert de résidence temporaire à Aliénor d’Aquitaine ainsi qu’à ses deux époux successifs, Louis VII roi de France puis Henri II roi d’Angleterre. Au XIIIe siècle, le Palais devient la propriété du roi de France. Le frère de Louis IX, Alphonse de Poitiers alors comte de Poitou, acte la fonction du Palais comme structure de l’administration royale alors en plein essor. Pendant la guerre de Cent Ans, le futur roi Charles VII y installe une partie de son gouvernement. Le Palais héberge jusqu’en 1436 le Parlement et la Cour des aides. Jusqu’à la Révolution, il constitue le siège administratif de la sénéchaussée du Poitou. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, le monument accueille de nouvelles cours de justice, notamment les Grands Jours de Poitou. Puis, la Révolution abolit les justices seigneuriales et supprime les parlements. L’ancien palais ducal devient alors Palais de Justice jusqu’en 2019, année où les services judiciaires déménagent.
Le Palais comportait une chapelle, une tour et une salle officielle. La chapelle Saint-Vivien, mentionnée dès 1146, a été détruite en 1824. La tour, baptisée « Maubergeon », probablement érigée vers 1104, est encore visible aujourd’hui, ainsi que la grande salle d’apparat. L’entrée principale se faisait grâce à un pont en pierre construit vers 1130. Des vestiges de ce pont sont conservés dans des habitations et des commerces.
La salle des pas perdus
La grande salle d’apparat, ou aula, est l’un des plus beaux exemples d’architecture civile médiévale en France.
Palais, salle d’apparat – Poitiers (© Office de tourisme)
Construite dans un style gothique angevin, elle mesure environ 17 mètres de large pour 50 mètres de long. Bâtie à l’initiative d’Aliénor d’Aquitaine entre 1199 et 1204 en remplacement d’une autre salle plus ancienne, elle faisait alors partie des plus vastes salles palatiales d’Europe. C’est dans cette salle que les comtes de Poitou et ducs d’Aquitaine recevaient l’hommage de leurs vassaux, rendaient la justice et organisaient fêtes et banquets.
Vers 1380, le frère de Charles V, Jean de France, duc de Berry et comte de Poitou, embellit la ville en conduisant une politique de grands travaux notamment au sein du Palais. Le projet est confié à l’architecte Guy de Dammartin. Ce dernier reconstruit entièrement le mur sud de la salle qu’il dote de trois cheminées monumentales, un balcon et de hautes verrières, que traversent les conduits de cheminée.
Palais, mur sud de la salle d’apparat – Poitiers
Encadrant les fenêtres quatre statues représentent les anciens maîtres des lieux, le roi Charles VI et la reine Isabeau de Bavière, entourés du duc de Berry et de sa seconde épouse Jeanne de Boulogne. Ces œuvres ont été moulées et des copies sont visibles dans la grande salle.
Jean de Berry
Charles VI
Isabeau de Bavière
Jeanne de Boulogne
Les cheminées sont ornées de blasons. De gauche à droite, les armes de Berry, les armes de France et celles de Jeanne de Boulogne également comtesse d’Auvergne.
Palais, salle d’apparat, cheminées du mur sud, Poitiers.
Symbole de pouvoir, la salle d’apparat du Palais est un lieu privilégié, témoin de grands événements historiques. En 1174, Richard Cœur de Lion vient au palais ducal se soumettre à son père Henri II. En 1241, Hugues de Lusignan y défie publiquement Alphonse de Poitiers. En 1307, le pape Clément V y séjourne pendant un peu plus d’un an afin de rencontrer le roi de France, Philippe le Bel. Il gouverne alors la chrétienté depuis Poitiers. En 1308, il y réunit le consistoire qui décide du sort de l’ordre des Templiers. En 1453 s’y déroule le procès de Jacques Cœur, ancien grand argentier du royaume de France.
La tour Maubergeon
À la fin du XIVe siècle le duc de Berry confie également à Guy de Dammartin la reconstruction de la tour Maubergeon. L’architecte opte pour un plan rectangulaire flanqué de quatre tours d’angle circulaires.
Palais, mur sud de la salle d’apparat et tour Maubergeon – Poitiers
Le chantier s’arrête vers 1389 avant que les parties hautes de la tour soient achevées. Seize statues couronnent le sommet de la tour et représentent les principaux vassaux du duc de Berry et de Jeanne de Boulogne. Selon certains récits ce serait dans cette tour que les docteurs de Poitiers auraient conduit l’interrogatoire de Jeanne d’Arc en mars 1429, mais il n’en existe aucune preuve historique. En 1845, la tour Maubergeon, oubliée de la population car entièrement masquée par des habitations, réapparaît à la faveur de l’effondrement de maisons.
Le Palais qui était propriété de l’État et du département est acquis par la ville de Poitiers le 18 novembre 2019. L’acte est devenu effectif le 1er janvier 2020. Depuis son acquisition par la ville de Poitiers l’édifice a fait l’objet de fouilles archéologiques pour mieux connaître et comprendre son histoire. La ville de Poitiers a signé une convention de partenariat avec le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM) de l’Université de Poitiers – CNRS et l’État / DRAC Nouvelle-Aquitaine pour un projet de recherches autour du Palais. La première campagne de fouilles a porté sur la tour Maubergeon et ses abords. Cette année, a été mise au jour une fosse-dépotoir qui contenait des os, des céramiques, des dés à jouer en os, des monnaies et surtout des verres à pied tronconiques exceptionnels par leur qualité et leur quantité, probablement utilisés à la table princière au XIIIe siècle. Des maçonneries antiques ont également été mises au jour ainsi que des tuiles entières et des pièces de bois calcinées. Pour en savoir plus, il est possible de suivre l’évolution des recherches sur le compte Facebook intitulé « Fouilles au palais comtal de Poitiers2 ».
Enduit du XVIIIe siècle, enduit du XIXe siècle, terre et bardage en bois du XIVe siècle
Ces fouilles sont organisées en parallèle d’un programme de réhabilitation du Palais et de son quartier.
Depuis 2020, la salle des pas perdus est accessible tous les jours de l’année, faisant office de « place publique couverte ». Des visites guidées gratuites de la tour Maubergeon sont organisées le mercredi de 13h à 18h et le dimanche de 11h à 18h.
Devenu de nouveau traversant le Palais permet de relier le cœur de ville au quartier de la cathédrale et du baptistère Saint-Jean. À partir du printemps 2024, le Palais sera rénové dans le but d’accueillir des manifestations et des projets culturels qui s’articuleront autour de l’idée que l’excellence de la création contemporaine puisse révéler un patrimoine d’exception.
Cécile Jeanne
Master 2 – Mondes antiques et médiévaux
Mémoire en histoire médiévale sous la direction de Laurent Jégou
-
Frédéric Chauvaud, Robert Favreau, Jean Hiernard et Fabrice Vigier, Grand Poitiers, le guide, Éditions du patrimoine, Paris, 2016. [↩]
- https://www.facebook.com/groups/330311121619924 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ahulin (6 février 2024). Cécile Jeanne. Le Palais de Poitiers : réalisation exceptionnelle de l’architecture civile médiévale en France. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 11 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vrp8