Proposition II

Question autour du conflit israélo-palestinien

EDWARD SAÏD ET DANIEL BAREMBOIM (Fondation Saïd Barenboim)

1- La guerre a ressurgi en Israël et à Gaza, après l’offensive menée par des jeunes affiliés à Kataib Al Qassam, samedi 7 octobre. Quelles sont les vraies origines de ce conflit ?

Les origines du conflit israélo-palestinien sont complexes, reposant sur des questions à la fois territoriales, politiques et économiques.

Au XIXe siècle, l’arrivée des premiers colons juifs en Palestine a suscité l’opposition des populations arabes locales. La Déclaration de Balfour de 1917, qui a promis la création d’un foyer national juif en Palestine, a encore exacerbé les tensions. La guerre de 1948 a constitué un tournant majeur dans le conflit. Elle a conduit à la création de l’État d’Israël et à l’exil de centaines de milliers de Palestiniens. Cette guerre a laissé un lourd héritage conflictuel entre les deux parties.

En dehors de ces repères historiques je vois principalement deux lignes de clivages, la première ligne est l’expansion des idéologies du nationalisme religieux au détriment des idéologies séculières dans les années 1960, et la seconde est la question ambivalente de l’internationalisation du conflit .

De manière générale, les idéologies qui structurent historiquement le conflit que ce soit le nationalisme juif ou le nationalisme arabe était des idéologies séculières : du parti travailliste israélien à l’OLP en passant par le nationalisme nasserien les formes idéologiques répandit à un cadre de référence marqué par le nationalisme européen du XIXe siècle avec une dimension séculière mais aussi nationaliste et socialiste. A partir de 1967 et la Guerre des six jours, le nationalisme religieux se développe au détriment des idéologies séculières avec une vision totalitaire du conflit, il s’agissait de nier la culture de l’autre par sa religion et son identité culturelle, les partis nationalistes religieux à prétention coloniale en Israël et les mouvances religieuses nationalistes palestiniennes : s’ils s’inspirent de courants antagonistes ont une vision identique de la relation à l’Autre. Une vision ethno-religieuse qui aspire à l’établissement totalitaire d’espace politique homogène linguistiquement et culturellement ce qui brise les anciennes appartenances jugées « archaïques » et « hérétiques » . De ce fait le conflit est aujourd’hui l’instrument d’idéologies politiques qui font du cadre référentiel religieux un outil de puissance politique, par exemple en Israël

-Les partis politiques nationalistes et religieux tels que le Likoud et Shas utilisent la religion pour justifier leur expansion territoriale et leurs politiques discriminatoires envers les Palestiniens. Par exemple, le Likoud a fait campagne sur la promesse de “rétablir la souveraineté du peuple juif sur l’ensemble de la Terre d’Israël”, y compris les territoires palestiniens occupés. Shas, quant à lui, a utilisé la religion pour justifier ses politiques discriminatoires envers les femmes et les minorités religieuses.

-Les mouvements de colons religieux juifs ont contribué à accroître les tensions entre Israël et les Palestiniens en établissant des colonies illégales dans les territoires palestiniens occupés, ce qui a été condamné par la communauté internationale.

-Des groupes extrémistes juifs ont commis des actes de violence contre les Palestiniens et les Israéliens qui ne partagent pas leurs opinions, alimentant ainsi l’intolérance et la haine entre les deux communautés.

En Palestine :

-Les mouvements politiques islamistes tels que le Hamas et le Jihad islamique utilisent la religion pour justifier leur lutte contre Israël. Par exemple, le Hamas a déclaré que son objectif est de “libérer la Palestine” et d’établir un État islamique. Le Jihad islamique, quant à lui, a revendiqué de nombreuses attaques contre des civils israéliens.

-Des groupes radicaux palestiniens ont perpétré des actes de violence contre des palestiniens qui ne partagent pas leurs opinions, contribuant ainsi à diviser la société palestinienne.

Dans ces cas nous avons une conception du monde du nationalisme religieux qui réduit le monde en deux faces binaires, le bien dont ils se veulent les représentants et le mal qui est l’Autre. Celui ci peut être le non croyant ou la personne d’une autre identité culturelle, il est vu comme une menace qu’il s’agit pour le nationalisme religieux d’exterminer .

Le rôle de l’internationalisation représente facteur historique qui détermine certains mécanismes dans ce conflit. En effet dans la multitude des dates repères (1917, 1948, 1967, 1987, 1993, 2000), une première césure me paraît concentrer l’ensemble de la question. Pour moi le centre de l’histoire réside dans la stratégie « ambivalente » d’acteurs internationaux qui ont participé grandement aux impasses successives : la Grande Bretagne, les États Unis et l’URSS. Prenons l’exemple de la Grande-Bretagne,qui pendant la Première Guerre mondiale, a cherché à gagner le soutien des Uns et des Autres en promettant des territoires en échange de leur soutien contre l’empire Ottoman. Cela a conduit à des promesses contradictoires, notamment la Déclaration de Balfour (1917), dans laquelle la Grande-Bretagne soutenait la création d’un foyer national juif en Palestine tout en promettant en parallèle aux nations arabes l’émergence d’une unité politique. Nous retrouvons le « même jeu contradictoire » avec les États unis et la Guerre de 1948 et l’URSS avec la guerre de 1973. Les puissances internationales régulatrices, se fourvoient dans les jeux d’équilibre et d’intérêts en étant les « pions » du conflit plutôt que des médiateurs efficaces.

 

2- Quelle est pour vous la racine contemporaine de ce conflit ?

L’Intifada de 2000 peut s’inscrire dans la racine idéologique et politique du conflit israélo-palestinien de 2023. comme un exemple de conflits circonscrits à basse intensité qui a eu des conséquences internationales majeures.

Les conséquence fut l’élaboration d’une stratégie d’endiguement qui pourrait s’apparenter à la doctrine Truman des États Unis vis à vis de l’URSS dans les années 1950. La stratégie politique et militaire israélienne mise en place après la Seconde Intifada comme sa devancière américaine présuppose que la politique de dissuasion marquée par la supériorité militaire d’Israël suffira à maintenir l’adversaire dans une forme de rationalité impuissante. Cette doctrine marquée par le double rôle de la supériorité technologique et militaire s’accentue après le conflit avec le Hezbollah au Liban en 2006 : elle visait à maintenir Gaza sous pression, se protéger des missiles à courtes portée et des obus et à développer une politique continue de colonisation de la Cisjordanie .

Cette stratégie reposait sur trois piliers :

· Le maintien de l’occupation militaire de la bande de Gaza. Israël a maintenu sa présence militaire à Gaza, ce qui lui permettait de contrôler les frontières et les mouvements des personnes et des marchandises.

· Le recours à la force technologique et militaire. Israël a utilisé la force militaire et la puissance technologique « Dome de Fer » à partir de 2011 pour répondre aux attaques palestiniennes du Hamas, du djihad islamique et du front libanais avec le Hezbollah, notamment aux tirs de roquettes et de missiles.

. Une politique de sous traitance financière . Suivant le vieux précepte romain « Divide et impera », diviser pour régner, il s’agissait de laisser le soin au Qatar de maintenir un financement sur Gaza afin d’affaiblir l’autorité palestinienne chassée par le Hamas de Gaza en 2007.

 

3- Des signes avant-coureurs ont-ils précédé le déclenchement du conflit, en prenant en compte la situation politique interne du pays ?

Les tensions politiques internes, les discours incendiaires, les désaccords sur les questions territoriales et les conditions économiques difficiles ont contribué à l’escalade des conflits. Les signes avant-coureurs de la reprise du conflit en octobre 2023 comprenaient notamment des tirs de roquettes et de missiles au cours des mois précédents. Mais ce conflit ne date pas d’hier. En 2005, Israël, sous la direction du Premier Ministre Ariel Sharon, retire ses forces militaires de la bande de Gaza, une enclave palestinienne. En 2007, après la victoire du parti Hamas aux élections législatives de 2006, le Hamas prend le contrôle de Gaza, entraînant l’expulsion des forces du Fatah. L’Autorité palestinienne, largement sous le contrôle du Fatah, conserve le pouvoir en Cisjordanie, tandis que le Hamas gouverne à Gaza.

Dans un contexte où Israël contrôle toujours la majeure partie de la Palestine mandataire, y compris la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, les Palestiniens sont soumis à un blocus israélien et égyptien. Alors que les Palestiniens de la Cisjordanie sont dépendants du processus de colonisation et de découpage territorial des gouvernements israéliens -processus qui discréditent pour la jeunesse palestinienne la politique « invisible » de Mahmoud Abbas. Cette division au sein du mouvement national palestinien a donné lieu à deux administrations distinctes. Le Hamas s’est révélé être un piètre gestionnaire de Gaza porté à bout de bras par les pays du golfe le Qatar avec l’assentiment tacite des gouvernements israéliens. Quant à Abbas, il incarne à la tête de l’Autorité palestinienne une caricature de gérontocratie inefficace et corrompue. Dans ce contexte, les confrontations entre le Hamas et Israël depuis 2014 se sont caractérisées par des affrontements armés limités mais meurtriers.*

 

4- Le renversement du concept de bataille décisive dans les guerres asymétriques.

Carl von Clausewitz (1780-1831), théoricien militaire prussien de renom, a défini la guerre comme un acte politique par excellence. Cette vision, qui stipule que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, a profondément marqué la pensée stratégique occidentale. Le Hamas a utilisé cette approche pour créer un choc et toucher l’opinion publique israélienne. Son opération constitue à la fois une reconduction de la pensée de Clausewitz (la guerre comme continuation de la politique) et un dépassement de celle-ci (la guerre n’est plus nécessairement limitée à un territoire distinct).

Dans son ouvrage De la guerre¹  Carl von Clausewitz définit la bataille décisive comme un engagement entre les forces principales des deux adversaires, qui, si elle est remportée, permet de remporter la guerre. Cette définition est fondée sur l’idée que la guerre est une continuation de la politique par d’autres moyens, et que la décision politique se trouve dans la défaite de l’ennemi.

Pour le théoricien prussien , la guerre est un acte de violence dont l’objectif est de soumettre la volonté de l’adversaire. La bataille décisive est le moment crucial où cette volonté est brisée, menant à la victoire. Cependant, le concept de bataille décisive est remis en question dans le contexte des guerres asymétriques. Dans ces conflits, les adversaires ne sont pas de puissances égales, et l’acteur faible ne peut pas espérer remporter une bataille décisive contre l’acteur fort.

Cependant, dans un conflit asymétrique, le concept de bataille décisive est renversé. Comme Clausewitz l’a également reconnu, “Le choc de deux masses en mouvement est une idée fondamentale de la stratégie. Le concept de la bataille décisive a une place centrale dans la stratégie classique. Dans un conflit asymétrique, l’acteur faible ne peut pas espérer gagner une bataille décisive contre l’acteur fort.”¹

Dans les guerres asymétriques, un acteur faible s’oppose à un acteur plus puissant. L’acteur faible ne peut pas espérer vaincre son adversaire sur le champ de bataille conventionnel, il doit donc adopter une stratégie différente, axée sur la guerre par d’autres moyens. La guerre par d’autres moyens peut inclure des actions telles que le harcèlement, l’intimidation, la subversion, la propagande et le terrorisme. L’objectif est d’affaiblir la volonté de l’adversaire et de le contraindre à abandonner ses objectifs. Cette stratégie est souvent longue et coûteuse, mais elle peut être efficace contre un adversaire plus puissant.

La définition du conflit asymétrique.

Un conflit asymétrique se caractérise par une disparité significative en termes de puissance militaire, économique et/ou politique entre les parties belligérantes. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, il y a un donc un déséquilibre entre les forces et les capacités des parties en conflit.

Israël est une puissance militaire supérieure au Hamas. Cette disparité peut influencer les stratégies et les tactiques employées par les parties prenantes, ainsi que la dynamique et l’issue du conflit. Mais il n’en reste pas moins si nous reprenons un concept de psychanalyse, que l’intervention surprise du Hamas inflige une forme de défaite symbolique insupportable pour les responsables politiques israéliens. Les instruments de défense mis en place par Israël après le retrait de Gaza en 2005, ont été neutralisés par Hamas en quelques heures. L’intervention du mouvement par mer, terre et air constitue un échec de première grandeur pour le gouvernement Netanyahu. De manière plus stratégique, Israël a négligé la montée en puissance logistique de l’Iran et son pouvoir de diffusion d’un matériel militaire hautement compétitif, les missiles de croisières par exemple que Téhéran a « testé » sur des bases saoudiennes puis des bases américaines en Irak en 2019 et 2020.

De manière plus large le conflit israélo-palestinien à la lumière des cinq niveaux de la stratégie définis par Edward Luttwak.²  Ces niveaux sont interdépendants, et la réussite d’une stratégie à un niveau donné dépend de la réussite des stratégies aux niveaux inférieurs. Cela rappelle la pensée de Clausewitz selon laquelle “la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens”.¹

Les guerres asymétriques présentent des défis uniques qui exigent des approches stratégiques adaptées. Clausewitz a souligné l’importance de la communication dans la guerre en disant que “la guerre est le domaine de l’incertitude ; trois quarts des facteurs sur lesquels l’action dans la guerre est basée sont entourés d’un brouillard absolu.”³ “La bataille est l’acte central de la guerre, la suspension de tout le reste, la fin de toutes les opérations ultérieures, la fin en soi.”³ Dans un conflit asymétrique, la communication devient un outil essentiel : Elle permet à l’acteur faible de gagner la guerre dans la durée. L’acteur faible doit donc adopter une stratégie différente. Il doit privilégier la guerre par d’autres moyens, tels que la communication et la subversion.

L’objectif est de saper la volonté politique de l’ennemi, et de le contraindre à négocier.

Dans ce cadre, la communication est un outil essentiel pour l’acteur faible, qui doit gagner la guerre dans la durée.

Par conséquent, l’opération du Hamas illustre la guerre asymétrique dans laquelle le concept de bataille décisive est remis en cause. Dans un contexte où la victoire militaire ne se traduit pas nécessairement par un succès politique. La pensée de Clausewitz, bien qu’utile, n’est pas suffisante pour comprendre et mener à bien ces conflits.

Les limites de l’approche Clausewitzienne dans les guerres asymétriques.

Primat exclusif sur les conflits entre États-nations: La pensée clausewitzienne se concentre principalement sur les guerres entre États-nations et sur la notion de la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens. Cela limite son applicabilité dans des contextes de conflits asymétriques, de guérillas, ou de conflits impliquant des acteurs non étatiques, qui sont devenus de plus en plus courants dans le monde contemporain.

Simplification de la nature de la guerre: Clausewitz présente la guerre comme un phénomène relativement simple, dominé par des objectifs politiques clairement définis et des actions rationnelles. Cependant, la réalité des conflits modernes est souvent beaucoup plus complexe, avec des motivations multiples, des acteurs non étatiques comme le Hamas , et des enjeux transnationaux.

Absence de considération pour les aspects sociaux et culturels: La pensée de Clausewitz accorde peu d’attention aux dimensions sociales, culturelles et psychologiques des conflits. Pourtant, ces aspects sont souvent cruciaux pour comprendre les dynamiques des guerres modernes, notamment en ce qui concerne les questions d’identité et de perception publique comme le démontre le conflit actuel .

 

5- L’expérience d’Israël dans les guerres asymétriques?

Depuis 1978, le conflit israélo-palestinien a été marqué par une série de conflits armés, chacun ayant des conséquences militaires et politiques importantes. En examinant ces conflits, il est clair que les résultats militaires ont été souvent favorables à Israël, mais qu’ils n’ont pas conduit à une résolution durable du pouvoir de nuisance de ses adversaires.

Le niveau stratégique

Au niveau de la grande stratégie, les objectifs stratégiques des deux parties sont en conflit. Israël vise à maintenir sa sécurité et son existence, tandis que les Palestiniens visent à obtenir leur indépendance. Ces objectifs sont incompatibles, ce qui conduit à un conflit permanent.

Les stratégies de théâtre focalisent sur un espace géographique limité, le “théâtre d’opérations”, plutôt que sur l’ensemble du champ de bataille.

• Elles visent à obtenir une victoire décisive dans ce théâtre d’opérations, plutôt que de simplement affaiblir l’adversaire.

• Elles insistent l’accent sur la concentration des forces et des moyens sur un point d’attaque précis, plutôt que sur une dispersion des efforts.

• Elles utilisent une combinaison d’opérations militaires et non militaires pour atteindre ses objectifs.

Au niveau des stratégies de théâtre, les deux parties ont des stratégies différentes. Israël privilégie une stratégie offensive, visant à détruire les capacités militaires des Palestiniens et définir unilatéralement le cadre politique. Les forces armées palestiniennes, quant à eux, privilégient une stratégie d’internationalisation de la question palestinienne qui associe tactique offensive et retrait défensif.

Les stratégies opératives

Au niveau des stratégies opératives, les deux parties utilisent une variété de tactiques pour atteindre leurs objectifs. Israël utilise une combinaison de frappes aériennes, terrestres et navales, tandis que les Palestiniens utilisent des attaques terroristes, des roquettes et des tirs de mortier.

Les niveaux tactique et technique

Au niveau tactique, les deux parties utilisent des unités militaires différentes. Israël dispose d’une armée régulière bien équipée, tandis que les forces armées palestiniennes disposent de forces irrégulières. Au niveau technique, les deux parties utilisent des armes et des technologies différentes. Israël dispose d’un avantage technologique important, mais les Palestiniens compensent cet avantage par leur connaissance du terrain et leur détermination.

Les similitudes et différences avec la Guerre de 1973 ? Le parallèle

Il existe plusieurs similitudes entre les deux événements. Tout d’abord, les deux opérations ont été lancées de manière surprise par des acteurs considérés comme faibles face à Israël. Ensuite, les deux opérations ont eu un impact significatif sur le cours du conflit israélo-palestinien.

Cependant, il existe également des différences importantes entre les deux événements.

En 1973, la guerre était menée par une coalition de pays arabes, tandis que l’opération du Hamas est menée par un groupe non étatique. De plus, l’opération du Hamas a eu lieu sur le territoire israélien, tandis que la guerre du Kippour a eu lieu sur le territoire occupé par Israël.

Depuis l’intervention militaire d’Israël au Liban en 1978, le pays a été impliqué dans plusieurs guerres asymétriques. Ces guerres ont conduit Israël à gagner militairement sur le terrain, mais n’ont pas nécessairement abouti à des victoires politiques durables.

Si nous élargissons le spectre historique nous remarquons que les résultats des conflits israélo-palestiniens depuis 1973 se traduisent par des succès militaires limités pour Israël et des résultats politiques très mitigés. Aucun conflit depuis 1973 n’a été décisif pour Israël. Bien au contraire, le Liban en 1982 ou la guerre contre le Hezbollah en 2006 sont des contre exemples d’opération militaire au résultats négatifs (1982) ou incertains (2006).

Le 6 octobre 1973, l’Égypte et la Syrie lancent une offensive surprise contre Israël.

Cette guerre, connue sous le nom de guerre du Kippour, marque un tournant dans le conflit israélo-palestinien. Elle met fin au modèle de guerre interétatique entre puissances souveraines, qui avait caractérisé les trois conflits précédents.

Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, les pays arabes ont mené trois guerres contre lui. Israël a remporté des victoires décisives à chaque fois, ce qui a renforcé son sentiment de supériorité militaire.

L’offensive surprise du 6 octobre 1973. En 1973, les pays arabes décident de renverser la tendance. les Égyptiens traversent le canal de Suez et les Syriens lancent une offensive sur le plateau du Golan. L’armée israélienne est prise de court et subit de lourdes pertes. Au début de la guerre, les forces arabes semblent avoir l’avantage. Cependant, l’armée israélienne parvient à se redresser et à lancer une contre-offensive. Le 25 octobre 1973, un cessez-le-feu est signé. La guerre du Kippour a des conséquences importantes sur le conflit israélo-palestinien. Elle met fin au modèle de guerre interétatique, qui était basé sur l’affrontement entre deux puissances souveraines. La guerre devient plus complexe et imprévisible, avec l’émergence de nouveaux acteurs, tels que les groupes politco-militaires (OLP HEZBOLLAH HAMAS) La guerre du Kippour est un moment charnière dans l’histoire du conflit israélo-palestinien. Elle marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère, caractérisée par une guerre plus complexe et imprévisible.

Depuis 1978, le conflit israélo-palestinien a été marqué par une série de conflits armés, chacun ayant des conséquences militaires et politiques importantes. En examinant ces conflits, il est clair que les résultats militaires ont été souvent favorables à Israël, mais qu’ils n’ont pas conduit à une résolution durable du pouvoir de nuisance de ses adversaires.

Le conflit du Liban (1982).

En 1982, Israël a envahi le Liban pour déloger l’OLP du sud du pays. L’opération a été un succès militaire, mais elle a conduit à l’émergence du Hezbollah, un groupe pro-iranien.

Les Intifadas

Les deux Intifadas palestiniennes (1987-1993 et 2000-2005) ont été caractérisées par des soulèvements populaires contre l’occupation israélienne. Les forces israéliennes ont réussi à rétablir

l’ordre après ces périodes de violence, mais elles n’ont pas réussi à résoudre lesproblèmes politiques sous-jacents.

La Seconde Guerre du Liban : Un exemple illustratif

La Seconde Guerre du Liban en 2006 contre le Hezbollah est un exemple significatif. Israël a obtenu des succès tactiques sur le plan militaire, mais n’a pas réussi à affaiblir de manière significative le Hezbollah ni à atteindre ses objectifs politiques. En fait, la guerre a entraîné des critiques internationales, des pertes civiles importantes, et n’a pas contribué à renforcer la sécurité d’Israël.

Gaza comme espace de cristallisation politique et militaire (depuis 2005)

Après son retrait en 2005, Israël a mené plusieurs offensives à Gaza, dont celles en 2008-2009 et en 2014. Ces offensives ont réussi à réduire la capacité militaire du Hamas à court terme, mais elles n’ont pas mis fin au pouvoir de nuisance de l’organisation.

Cette série de conflits post-1978 montre que les victoires militaires d’Israël n’ont pas abouti à une solution politique durable.

Les groupes palestiniens, comme le Hamas et le Hezbollah, ont continué d’exercer un pouvoir de nuisance sur Israël, malgré les victoires militaires israéliennes. Cette réalité souligne la complexité du conflit israélo -palestinien et la nécessité d’une approche politique plus large pour parvenir à une résolution à long terme.

Quelle type de guerre asymétrique préfigure ce conflit ?

A partir de la situation de Gaza, il convient d’insister sur le lien essentiel entre la guerre urbaine et la guerre asymétrique, en mettant particulièrement l’accent sur les conflits modernes dans des zones densément peuplées, comme le conflit de Gaza. Pour ce faire, nous allons décomposer les éléments clés de cette relation, intégrer la dimension temporelle et spatiale, et fournir des références spécifiques à la guerre révolutionnaire de Mao en Chine et à la guerre de libération nationale de Ho Chi Minh au Vietnam.La guerre de guérilla de Mao en Chine est un exemple notoire de guerre asymétrique. Elle s’est déroulée principalement dans des zones rurales, mais ses principes, tels que l’utilisation de tactiques de guérilla et la mobilisation de la population, ont influencé les conflits urbains contemporains.

Par exemple, la guérilla de Mao dans les années 1930 1940 a été caractérisée par l’utilisation d’EEI et d’armes non conventionnelles pour lutter contre les forces supérieures. Les enseignements de cette époque demeurent pertinents pour la compréhension des tactiques modernes.

De plus, les groupes asymétriques utilisent fréquemment l’environnement urbain pour tendre des embuscades aux forces attaquantes, créant des conflits prolongés et coûteux.

 

6- Comment expliquez-vous l’échec des services de renseignement israéliens dans ce contexte ?

L’échec des services de renseignement israéliens à prévoir l’offensive du Hamas est une question controversée. Certains experts estiment que les services de renseignement ont sous-estimé la menace du Hamas,⁴  tandis que d’autres estiment qu’ils ont été incapables d’obtenir des informations fiables.⁵

Il convient d’ajouter que depuis le début des gouvernements Nétanyahou dans les années 2010, une extrême polarisation idéologique a sans doute contribué à désorienter les responsables des services de renseignements sommés de se concentrer sur la sécurisation des politiques de colonisations en Cisjordanie par exemple. Est ce que cela à décentré la démarche stratégique des services de renseignements dans le travail humain de renseignements à Gaza ou en Cisjordanie ?

La question reste entière.

 

7- Le danger de l’essentialisme

Il faut fortement nuancer la vision des choses, qui correspond à la rhétorique de certains régimes politiques désireux de mettre fin à tout processus de normalisation avec Israël. Ni le gouvernement israélien, ni les mouvements nationalistes religieux n’incarnent l’ensemble de tout les citoyen israéliens loin de la. Pareillement l’autorité palestinienne ni le Hamas n’incarne l’ensemble des Palestiniens, ni ne les représentent dans leur totalité. Il s’agit d’éviter les généralisation et l’essentialisation des acteurs de ce conflit. L’intérêt par exemple de l’Iran confronté à une grave crise de régime est de développer une lecture du conflit religieux afin d’établir un outil de mobilisation idéologique en vue d’effacer les clivages entre chiites/ sunnites afin de cimenter une forme d’unité sacré des opinions musulmanes contre Israël d’une part mais aussi contre les régimes politiques ayant choisi la normalisation d’autre part. Par conséquent, la stratégie de Téhéran vise à casser les accords d’Abraham et prendre la tête du leadership anti-israéliens. Le Hezbollah sur le plan chiite dans les années 2000 fut parfait comme acteur géopolitique de cette politique au Liban. Le Hamas aujourd’hui sur le plan sunnite est le nouvel acteur de cette stratégie en vue de mobiliser le soutien des Palestiniens et des musulmans. Mais là encore nuançons, le Hamas n’est pas un instrument docile de l’Iran, il ne répond pas complètement à une guerre par intermédiaire comme au Liban pour certains mouvements dans les années 1980. Au contraire, le Hamas est un acteur à part entière, son idéologie issue des Frères Musulmans est totalitaire et maximaliste mais le mouvement répond à son propre agenda politique palestinien tout en étant un allié objectif de Téhéran.

Il est donc essentiel de ne pas généraliser et de ne pas réduire la situation à une opposition entre musulmans et Arabes d’un côté et Juifs de l’autre. De nombreux acteurs et opinions sont impliqués pour la paix de chaque côté, et les relations entre les communautés varient et parfois sont fortement symbiotiques comme au Maroc .

 

8- A quel point cela risque-t-il de déstabiliser encore davantage la région ?

Le conflit a le potentiel de déstabiliser encore davantage la région. Il pourrait conduire à une escalade des tensions entre les pays arabes et Israël, et à une augmentation de la violence dans la région. Ce contexte asymétrique est illustré par les conséquence de l’opération du Hamas a eu un impact significatif sur le conflit Israélo-palestinien. Elle a eu un triple effet

1) la solidarité de l’Occident envers Israêl traumatisé par l’attaque terroriste du 7 octobre considéré comme un “nouveau 11 septembre” .

2) Pour l’opinion arabe cette attaque a donné une visibilité à la cause palestinienne d’une part et au Hamas au détriment de l’autorité palestinienne d’autre part.

3) Le besoin de ces mêmes états (Notamment de l’Égypte) en vue de renforcer la pression internationale sur Israël, vise à ne pas laisser le rôle majeur dans le cadre de négociation au seul Qatar et à l’idéologie des Frères Musulmans . D’ailleurs la question du Hamas divise les États arabes. Certains le classent comme organisation terroriste et soutiennent l’Autorité palestinienne laïque, tandis que d’autres entretiennent des liens étroits avec lui et lui apportent un soutien politique et financier.

Nous voyons déjà la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan mais aussi l’Afrique du Sud avec son action à la CIJ pour condamner Israël se positionner comme de nouveaux acteurs du conflit en faveur de la cause palestinienne en s’affirmant comme les tenants du « Sud Global ». Un “Sud Global” qui s’auto-érige contre l’Occident présenté comme l’identité politique et symbolique reliant les États Unis, l’Europe et Israël. En effet, du point de vue de la Russie ou des tenants des théoriciens de la Gauche radicale, il s’agit du creusement d’une ligne de démarcation et de confrontation entre le Nord et le Sud : la Guerre en Ukraine, les putsch anti français en Afrique francophone et la guerre entre le Hamas et Israël représentent une unique ligne de front entre l’hégémonie d’un Occident présenté comme « décadent et arrogant » et le « Sud Global » incarnée par les nouveaux « héritiers autoproclamés » de la conférence de Bandoeng du 18 avril 1955.

 

9- Ibn Khaldoun et l’apport des sciences humaines et sociales

Ibn Khaldun, historien, sociologue et philosophe musulman du XIVe siècle, a développé une théorie de la dégénérescence du pouvoir.⁶  Selon cette théorie, le pouvoir tend à se corrompre et à se détériorer avec le temps en raison de plusieurs facteurs, notamment l’accumulation de richesses et de privilèges par les dirigeants, la perte de leur sens de la justice et de l’équité, et le développement d’une bureaucratie corrompue.

La relation entre l’asabiyya et le concept de dégénérescence selon l’historien est centrale pour comprendre sa théorie de l’histoire. Il soutient que l’asabiyya, ou solidarité sociale, est essentielle à la cohésion et à la force d’une communauté. Lorsque l’asabiyya est forte, elle conduit à la formation de dynasties puissantes et prospères.

Cependant, au fil du temps, cette solidarité diminue, ce qui entraîne la dégénérescence de la dynastie. La désintégration de l’asabiyya conduit finalement au déclin et à la disparition de la dynastie, marquant ainsi la fin d’un cycle dans l’histoire des civilisations. Ainsi, selon lui , la force et la faiblesse de l’asabiyya sont intrinsèquement liées à la montée et à la chute des empires.

Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, la dégénérescence du pouvoir des deux côtés peut être perçue comme ayant des conséquences sur la cohésion et la solidarité des groupes respectifs En effet cette théorie peut être appliquée à divers gouvernements, y compris ceux de Mahmoud Abbas et de Benjamin Netanyahou, en examinant les signes de dégénérescence du pouvoir et leurs implications pour la stabilité et la cohésion des sociétés israélienne et palestinienne.

La comparaison entre un gouvernement sans État, tel que celui de Mahmoud Abbas, et un État avec un gouvernement, comme celui de Benjamin Netanyahu, souligne les défis uniques auxquels sont confrontés ces deux types d’entités politiques. Malgré les différences de structure et de pouvoir, les critères d’analyse de la dégénérescence du pouvoir restent pertinents. En effet, la corruption, l’abus de pouvoir et la détérioration des institutions peuvent affecter les deux gouvernements, bien que de manières différentes en raison de leur contexte politique distinct.

Les gouvernements de Benjamin Netanyaou (2009) et de Mahmoud Abbas (2005) connaissent tout deux des logiques similaires de nature khaldounienne de dégénérescence du pouvoir, processus qui ne peut qu’accentuer l’effet de vide dans la situation de tension extrême et de guerre actuelle.

En effet, dans les deux cas nous avons des signes de dégénérescence du pouvoir :

L’impopularité croissante de Abbas est un signe que les Palestiniens sont de plus en plus mécontents de leur leadership. Cette impopularité est due à plusieurs facteurs, notamment sa coopération sécuritaire avec Israël, perçue comme un abandon des intérêts palestiniens.

La longévité au pouvoir d’Abbas est également un facteur de dégénérescence du pouvoir, selon la théorie de Khaldun. Son extension de mandat et son contrôle sur les pouvoirs législatif et judiciaire témoignent d’un durcissement autoritaire qui éloigne le leadership de la volonté populaire.

La longévité au pouvoir de Netanyahou a suscité des critiques concernant la consolidation d’un pouvoir personnel au détriment de la démocratie. Les accusations de corruption qui pèsent sur Netanyahou soulignent également la possibilité de la dégénérescence du pouvoir, car elles mettent en lumière un détournement de ressources publiques au profit personnel.

Paramètres possibles avec la théorie khaldunienne :La montée de l’impopularité de Mahmoud Abbas et de Benjamin Netanyahou peut être vue comme le résultat de politiques perçues comme éloignées des aspirations et des besoins de leurs populations respectives, correspondant au concept de dégénérescence du pouvoir de Khaldun. L’analyse des gouvernements de Mahmoud Abbas et de Benjamin Netanyahou à la lumière de la théorie khaldunienne de la dégénérescence du pouvoir met en lumière des tendances qui pourraient être interprétées comme des signes de déclin du pouvoir et de désaffection populaire, avec des conséquences potentielles sur la stabilité et la cohésion des sociétés israélienne et palestinienne.

Les conséquences potentielles de la dégénérescence du pouvoir sur la stabilité et la cohésion des sociétés israélienne et palestinienne sont multiples.

Elle peut conduire à une augmentation de la violence et de l’instabilité. Elle peut affaiblir la légitimité des institutions et des processus démocratiques.

Elle peut conduire à une fragmentation de la société et l’accentuation des divisions sociales, ce qui peut conduire à une fragmentation de la société, rendant plus difficile la résolution du conflit israélo-palestinien

 

10- Les conséquences politiques du conflit sur les Accords d’Abraham : lecture de Bergson

Dans notre démarche de décentrement, nous aimerions partir non du conflit directement mais des concepts de Henri Bergson permettent de prendre en compte la dimension subjective des relations internationales. Les relations entre États ne sont pas seulement des interactions entre des acteurs rationnels, mais aussi des interactions entre des acteurs qui sont influencés par leurs émotions, leurs valeurs et leurs perceptions. Les concepts de Bergson permettent de comprendre l’impact du temps sur les relations internationales. Les relations entre États ne sont pas figées, mais évoluent au fil du temps. Les concepts de Bergson permettent de comprendre comment le temps peut affecter les perceptions, les intérêts et les comportements des acteurs. Voici un exemple de paragraphe qui pourrait être ajouté à l’introduction pour développer ce point : Les concepts de Bergson sont pertinents pour l’étude des relations internationales car ils permettent de prendre en compte la dimension subjective des relations entre États et l’impact du temps sur ces relations. Les relations entre États ne sont pas seulement des interactions entre des acteurs rationnels, mais aussi des interactions entre des acteurs qui sont influencés par leurs émotions, leurs valeurs et leurs perceptions. Le temps est également un facteur important dans les relations internationales, car il peut affecter les perceptions, les intérêts et les comportements des acteurs.

Dans son œuvre “Essai sur les données immédiates de la conscience” (1889),⁷  Bergson explore les concepts de temps et de durée, mettant en lumière la différence fondamentale entre eux. Ces concepts seront notre point de départ pour analyser comment le temps objectif de la raison d’État et la durée subjective des opinions peuvent éclairer la question de la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes à travers les Accords d’Abraham. Cette analyse mettra en lumière l’impact potentiel de la durée du conflit sur ces accords et soulignera l’importance de considérer à la fois le temps objectif et la durée subjective dans l’étude des relations internationales. Les concepts de Bergson peuvent être utilisés pour comprendre la question de la normalisation dans le conflit israélo-arabe.

Le temps objectif correspond à la logique de la raison d’État. Les États signataires des Accords d’Abraham ont pris une décision politique, basée sur un calcul rationnel.

La durée subjective des opinions. La durée objective correspond aux opinions arabes sur la question palestinienne. Ces opinions sont marquées par une histoire longue et complexe, et elles ne sont pas nécessairement compatibles avec la logique de la raison d’État.

La durée du conflit pourrait avoir un impact sur la solidité des Accords d’Abraham.

Si le conflit dure assez longtemps, il pourrait remettre en cause la décision des pays signataires de normaliser leurs relations avec Israël. Cela serait dû au fait que la durée subjective des opinions arabes pourrait s’imposer à la logique de la raison d’État.

La notion de “durée subjective” est importante ici. Le sentiment d’injustice et de frustration face à l’occupation israélienne peut s’amplifier avec le temps, même si la situation politique et militaire sur le terrain ne change pas significativement. Ce sentiment peut influencer les opinions publiques et les amener à rejeter toute forme de normalisation avec Israël, même si elle est présentée comme une étape vers la paix.L’exemple de l’accord de paix entre l’Egypte et Israël en 1979 est à ce titre éclairant.

Cet accord a été suivi d’une période de “paix froide” entre les deux pays, car l’opinion publique égyptienne n’a jamais vraiment accepté la normalisation des relations avec Israël. Par conséquent, la durée du conflit israélo-palestinien est un facteur important qui peut influencer la solidité des Accords d’Abraham.

Les Accords d’Abraham ont été un choix mûrement pensé par les monarchies du Golfe etle royaume du Maroc.

Ces accords, qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs pays arabes, pourraient être remis en cause par le conflit.

Les Accords d’Abraham ont été critiqués par certains pays arabes, qui les considèrent comme une trahison de la cause palestinienne.

Ces critiques s’inscrivent dans une logique de durée subjective.

Les opinions arabes sur la question palestinienne sont marquées par une longue histoire de conflit et de violence. La normalisation des relations avec Israël est perçue comme un abandon de la cause palestinienne, et elle suscite un sentiment de colère et de frustration chez de nombreux Arabes.

Le temps objectif de la raison d’État

Les Accords d’Abraham s’inscrivent dans une logique de temps objectif, celle de la raison d’État. Les États signataires ont pris la décision de normaliser leurs relations avec Israël, non pas par conviction idéologique, mais par calcul politique.

Ils ont pesé les avantages et les inconvénients de cette décision, et ont conclu qu’elle était dans leur intérêt.

Dans le cas des monarchies du Golfe, la normalisation des relations avec Israël permet de contrer la menace iranienne. L’Iran est un État hostile à Israël et aux États-Unis, et il soutient des groupes terroristes dans la région. La normalisation des relations avec Israël permet aux monarchies du Golfe de renforcer leur alliance avec les États-Unis et de se protéger de l’Iran.

Dans le cas du Maroc, la normalisation des relations avec Israël permet de mettre fin à un conflit territorial avec l’Algérie. Le Maroc revendique la souveraineté sur le Sahara occidental, et l’Algérie soutient le Front Polisario, un mouvement indépendantiste.

La normalisation des relations avec Israël permet au Maroc de s’allier avec un allié puissant, et de faire pression sur l’Algérie pour qu’elle abandonne son soutien au Front Polisario.

Temps subjectif contre temps objectif ? La durée du conflit pourrait avoir un impact sur la solidité des Accords d’Abraham. Si le conflit dure assez longtemps, il pourrait remettre en cause la décision des pays signataires de normaliser leurs relations avec Israël.

Pour le moment les signataires bien que marquant un certain refroidissement avec Israël n’ont pas remis en question ces accords.

Ces accords ont été critiqués par certains pays arabes, qui les considèrent comme une trahison de la cause palestinienne notamment dans les relations entre l’Algérie et le Maroc ou de l’Iran dans ses relations avec les Émirats Arabes Unies et de Bahreïn.

Ces critiques bien qu’elles reposent sur des positionnements historiques de ces pays quant à la question palestinienne ont aussi à voir avec des postures idéologiques qui reposent d’abord sur des questions de politique intérieure. La cause palestinienne associe souvent des élans sincères à des calculs de realpolitiks .L’Algérie traverse une crise profonde en terme de transition politique et voit les affirmations stratégique du Maroc comme une forme de rivalité insupportable et l’Iran veut développer une forme d’hégémonie culturelle et politique au sens du théoricien Gramsci, afin de se définir comme la protectrice des populations musulmans contre Israël et l’Occident de manière plus générale.

Rhétorique qui n’a que peu à voir d’ailleurs avec les opinions des algériens et des iraniens eux même, qui bien que sensible à la question palestinienne ; n’en oublient pas moins les problèmes internes de crise économique de leur pays restent sceptiques quant aux envolées post révolutionnaires de leur régime.

Les Accords d’Abraham sont un événement majeur dans l’histoire du conflit israélo-arabe. Ils pourraient avoir un impact profond sur la région, mais leur avenir est incertain. La durée du conflit et la réaction des opinions arabes seront des facteurs déterminants.

La durée subjective des opinions pouvant menacer de devenir le temps objectif de la fin définitive de la normalisation.

 

11- Peut-on parler d’horizon diplomatique et politique, près de dix ans après l’absence du processus de négociation entre Israéliens et Palestiniens ? Ou est-ce qu’il est déjà tard ?

Il est difficile de dire si un horizon diplomatique est possible entre Israël et les Palestiniens. Les deux parties sont profondément divisées sur les questions essentielles, telles que la souveraineté sur Jérusalem et le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il faut aussi souligner que le conflit israélo-palestinien n’a plus la centralité géopolitique qu’elle pouvait avoir à la fin des années 1990. Dans son remarquable ouvrage Gérard Chaliand intitulé «Pourquoi perd-on la guerre? Un nouvel art

occidental,⁸ souligne la difficulté des puissances occidentales à maintenir une hégémonie militaire dans le contexte des guerres asymétriques. Aujourd’hui c’est la question de l’Iran et son potentiel déstabilisateur qui inquiète notamment l’Arabie Saoudite. Mais dans une perspective réaliste entre une puissance nucléaire régionale que constitue Israël et une entité fracturée et divisée palestinienne, les jeux diplomatiques sont structurellement déséquilibrés. En terme de discours mobilisateur, Israël présente l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 comme un nouvel 11 septembre mais Joseph Biden, le président des États unis signale à Israël que les interventions américaine après le 11 septembre 2001 en Afghanistan et en Irak n’ont conduit qu’à renforcer les adversaires des États Unis. Le message est clair si Israël attaque sur terre le territoire gazaoui, elle risque de se retrouver elle aussi face à une nouvelle guerre d’Afghanistan.

 

12- Évolution de la situation

L’évolution de la situation dépendra de nombreux facteurs, notamment les actions des parties en conflit, la médiation internationale, les pressions diplomatiques et la volonté de parvenir à une solution négociée. Mais aucun des paramètres n’est opératoire.

Ce conflit s’apparente à une nouvelle version du fiasco de Suez de 1956.

C’est à dire la remise en cause du rôle des États Unis comme puissance médiatrice du conflit, le retrait des puissances occidentales en terme d’influence et de pouvoir de négociations en faveurs de nouveaux acteurs comme la Chine ou l’Iran. Ce dernier s’est illustré dernièrement avec l’accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Pour le moment les pertes militaires israélienne sont encore réduites mais les conséquences diplomatiques et géopolitiques sont très dommageables pour les intérêts de la politique israélienne. En terme de communication publique, les opinions occidentales notamment aux États Unis et en Grande Bretagne étant majoritairement pro-palestinienne. Alors que les élites politiques américaines et européennes après un soutien inconditionnel à Israël semblent vouloir trouver une positon d’équilibre.

– Les États-Unis, bien que leur rôle soit déterminant dans les négociations vis-à-vis des otages, sont en retrait et leur politique d’alignement avec Israël achève de les discréditer auprès de leurs alliés traditionnels dans la région. Si leur rôle reste majeur, d’autres acteurs géopolitiques (le Qatar, la Turquie) semblent jouer leurs propres partitions.

– L’Égypte comme puissance médiatrice traditionnelle: bien qu’elle est jouée un rôle notable de clarification sur la question des réfugiés palestiniens en refusant d’endosser une forme de sous traitance humanitaire que lui aurait confiée Israël ou dans le cadre de négociation sur les otages n’a pas à moyen terme, les moyens d’une politique plus ambitieuse. : le Caire traverse un déclin économique et diplomatique continue depuis les dernières années Moubarak et cela n’a guère l’aire de changer sous Sissi.

– L’Arabie Saoudite après un premier mouvement de normalisation doit rebrousser chemin et se retrouve dans l’impasse stratégique qui l’enferme dans un face à face envers l’Iran.

Son seul atout est de faire le contraire de sa politique précédente en tenant une politique dure envers Israël. Mais personne n’est dupe, à moyen terme, le danger iranien pour Ryad et plus important que la question palestinienne .

– L’Iran se contente de développer une politique par alliés interposés, les Houthis au Yemen , le Hezbollah au Liban, les milices en Irak et le Hamas sans que l’on décèle une clarté stratégique dans les options de Téhéran.

– L’autorité palestinienne continue son lent naufrage. Pour le moment Hamas a gagné une première manche contre l’autorité palestinienne. -La Turquie et la Russie semblent actuellement s’approprier superficiellement le rôle de défenseur de la cause palestinienne.

– Le Qatar a stratégiquement bien joué sa partition après avoir été un « sous traitant économique » en accord avec les gouvernements israéliens depuis 2007 en finançant le Hamas à Gaza , retrouve ce rôle de « sous traitant diplomatique » dans le cadre de négociations pour la libérations des otages israéliens. Négociation qui constitue indéniablement un succès pour le Hamas avec l’opinion publique palestinienne.

 

13- Le Facteur temporel et spatial; Guerre d’usure et d’embuscade : l’enlisement des puissances dans les conflits urbains”

La dimension temporelle et spatiale joue un rôle crucial dans la relation entre guerre asymétrique et guerre urbaine. Les conflits asymétriques ont montré comment l’adaptation à l’évolution du temps et de l’espace était essentielle pour les acteurs asymétriques. Cette adaptation s’est avérée essentielle dans la guerre révolutionnaire de Mao en Chine et dans la guerre de libération nationale de Ho Chi Minh au Vietnam.

Comment le conflit asymétrique s’applique-t-il au conflit ? Le groupe Hamas en question n’est pas constitué de soldats professionnels, mais de volontaires idéologiquement formés qui ne répondent pas aux critères militaires professionnels. Comment Israël peut-il détruire un mouvement dont les membres sont à la fois des civils et des militaires ?

Nous retrouvons une tendance historique d’Israël de vouloir anéantir exclusivement de manière militaire un mouvement d’inspiration politico-militaire qui au final donne naissance à un mouvement encore plus radical, en tant qu’acteur asymétrique : l’intervention au Liban afin de chasser l’OLP en 1982 a donné lieu sur le long terme à la construction générationnelle d’une milice chiite pro iranienne : le Hezbollah. Aujourd’hui quel mouvement générationnel va naître sur les ruines de Gaza ?

Gabryel Nasser

sous la direction de Emmanuelle Tixier du Mesnil

Master 2 EAD

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Badie Bernard, “Guerre au Proche-Orient : les mots et l’histoire du conflit” Mediapart 2003

Bergson , Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, thèse pour le doctorat présentée à la Faculté des lettres de Paris, par, Paris, Félix Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1889.

Brunel Pascal, “Attaques du Hamas : les multiples bévues des renseignements israéliens” Les Echos le 28 déc. 2023

Chaliand Gérard , « Pourquoi perd-on la guerre? Un nouvel art occidental. Edition Odile Jacob 2016

Clausewitz, Carl von « De la guerre », 1832.

Luttwak Edward N, « Le Grand Livre de la stratégie, de la paix et de la guerre » Paris, Odile Jacob, 2002

1. Carl von Clausewitz, De la guerre, 1832 [↩] [↩] [↩]
2. Edward N. Luttwak Le Grand Livre de la stratégie, de la paix et de la guerre Paris, Odile Jacob, 2002, [↩]
3.  Carl von Clausewitz, De la guerre, 1832 [↩] [↩]
4. Bernard Badie “Guerre au Proche-Orient : les mots et l’histoire du conflit” Mediapart 19 oct. 2023 [↩]
5. Pascal Brunel “Attaques du Hamas : les multiples bévues des renseignements israéliens” Les Echos le 28 déc. 2023 [↩]
6. 9Ibn Khaldoun Les Prolégomènes. Traduits en français et commentés Par M. De Slane Tomes 1,2 et 3. 1858 [↩]
7. Essai sur les données immédiates de la conscience, thèse pour le doctorat présentée à la Faculté des lettres de Paris, par Henri Bergson, Paris, Félix Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1889. [↩]
8. Gérard Chaliand « Pourquoi perd-on la guerre? Un nouvel art occidental. Edition Odile Jacob 2016 [↩]

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