Proposition III

La Russie au XIXe siècle : Comprendre le présent. Les sources de l’imaginaire historique : la guerre de Crimée 1854-1855 et la Guerre Russo-turque 1877-1878

PLAN

-Le cadre de référence du XIXe siècle :

-La Guerre de Crimée 1853-1856 : un échec traumatique ?

-Le Traité de San Stefano de 1878 : les illusions de la victoire ?

Enjeux:

• Comprendre la guerre russo-ukrainienne et la politique de Vladimir Poutine.

• Décrypter les racines historiques de la politique étrangère russe.

• Analyser les relations complexes de la Russie avec ses voisins et l’Occident.

• Identifier les éléments de continuité et de rupture entre la politique impériale du XIXe siècle et la Russie contemporaine.

Objectif:

Explorer l’évolution de la Russie en tant que puissance au XIXe siècle, en s’attardant sur les aspects suivants :

• La politique étrangère russe et ses motivations (sécurité, prestige, influence, etc.).

• Les relations avec les pays voisins, notamment l’Europe occidentale, l’Empire ottoman et les puissances asiatiques.

• Les interventions dans les conflits internationaux et leurs implications.

• Les différentes visions et idéologies qui ont influencé la politique russe.

• L’impact de la politique étrangère sur les relations internationales.

Méthodologie:

• Étude approfondie des sources primaires et secondaires (documents diplomatiques, correspondances, récits historiques, etc.).

• Analyse comparative avec d’autres puissances contemporaines.

• Approche diachronique pour identifier les changements et les permanences dans la politique russe.

• Utilisation d’outils cartographiques et d’autres ressources visuelles pour contextualiser les événements.

-Le cadre de référence du XIXe siècle.

Depuis la guerre de Crimée (1854-1855) et la guerre russo-turque (1877-1878), la Russie est devenue de plus en plus réticente à l’internationalisation de ses affaires. Cette résistance découle également d’une méfiance envers les interventions extérieures perçues comme menaçant la souveraineté russe. Ainsi, la guerre de Crimée de 1854 et ses répercussions ultérieures (Guerre russo-turque 1877-1878, Congrès de Berlin 1878) ont contribué à façonner une attitude défensive de la Russie contre toute ingérence internationale, en particulier dans des régions jugées cruciales pour sa sécurité et sa stabilité.

Nous voyons les conséquences de cela dans l’étude de l’imaginaire de Vladimir Poutine, qui est façonné par plusieurs dimensions. Tout d’abord, le traumatisme de la chute du mur de Berlin et de la fin de l’URSS. Poutine, né en 1952, a vécu la période de l’URSS et a été profondément affecté par ces événements, voyant la fin d’un monde qu’il connaissait. De plus, la politique russe au niveau international et son histoire diplomatique ont également façonné son imaginaire. Il est un homme instruit, connaissant bien l’histoire russe et les relations internationales, et il aspire à restaurer la puissance de la Russie sur la scène mondiale.

La mémoire des enjeux de la fin du XIXe siècle et la nostalgie de la gloire de l’URSS jouent également un rôle important dans l’imaginaire de Poutine. Il est fasciné par la période où la Russie était une grande puissance mondiale et nostalgique de l’ère soviétique. De plus, la nécessité d’une gloire militaire, héritée de la période de l’URSS, ainsi que l’absence de succès dans les relations internationales depuis la chute du mur de Berlin, ont contribué à sa détermination à restaurer la position de la Russie sur la scène mondiale.

La réticence de la Russie à l’internationalisation s’est manifestée spectaculairement en 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie. La Crimée, abritant la base navale de la mer Noire à Sébastopol et avec une prédominance de la langue russe parmi sa population, a été présentée comme une question de protection des droits des russophones à l’étranger. Cette annexion a été condamnée par la communauté internationale comme une violation du droit international, mais elle a illustré la résistance persistante de la Russie à un cadre de négociation internationale dans les affaires régionales, en particulier lorsque des intérêts stratégiques sont en jeu.

 

-La Guerre de Crimée 1853-1856 : un échec traumatique ?

Le rejet par la Russie d’un cadre de négociation internationale découle en partie de la perception selon laquelle certaines régions, notamment la Crimée, revêtent une importance stratégique et historique vitale pour le pays. Cependant, cette réticence repose également sur la mémoire longue des relations internationales et sur les dimensions historiques et politiques qui ont façonné l’imaginaire russe. Cela soulève des questions sur la perspective historique de la politique russe et sur l’analyse des étapes de sa cristallisation diplomatique, y compris dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne.

Dans le cadre de l’histoire des relations internationales, la guerre de Crimée (1854-1856), la guerre russo-turque (1877-1878) et le congrès de Berlin, ainsi que les traités historiques et l’annexion de 2014, ont façonné une dynamique importante dans ces dimensions imaginaires.

Cette guerre et le traité de Paris constitue une humiliation majeure pour la Russie tsariste de Nicolas I (1825-1855) et Alexandre II (1855-1881) . Elle a été un tournant géopolitique majeur, opposant la Russie à une coalition principalement composée de la France, de l’Angleterre, de l’Empire ottoman et du royaume de Sardaigne. Ce conflit, enraciné dans un contexte de rivalités impérialistes et de tensions religieuses en Europe de l’Est, a mis en lumière les faiblesses de l’armée russe et a conduit à une défaite humiliante pour la Russie.

Le traité de Paris de 1856 et les conséquences diplomatiques. Le traité de Paris a mis fin à la guerre a imposé des conditions restrictives à la Russie, l’affaiblissant sur la scène internationale et contribuant à son isolement diplomatique.

Le Traité a été le résultat de négociations ardues entre les puissances européennes et l’Empire russe, marque un tournant crucial dans l’histoire de la Russie, sous les règnes successifs de Nicolas I et Alexandre II. Ces pourparlers ont été précédés par une série d’événements tendus, notamment l’occupation par la Russie des principautés danubiennes, déclenchant ainsi la Guerre de Crimée.

Les dispositions clés de ce traité ont profondément affecté la Russie impériale. Tout d’abord, la neutralisation de la mer Noire, avec l’interdiction de toute présence militaire et de fortifications sur ses rives, a eu un impact significatif sur la politique étrangère russe, réduisant considérablement son influence dans la région.

En outre, la restitution des territoires occupés par la Russie à l’Empire ottoman, y compris des villes stratégiques telles que Sébastopol, a représenté une perte territoriale majeure pour l’Empire russe, sous le règne autoritaire de Nicolas I.

La démilitarisation de la zone danubienne, avec le retrait des troupes russes et l’instauration d’une tutelle conjointe ottomane et européenne sur les principautés danubiennes, ainsi que la reconnaissance de l’autonomie de la Moldavie et de la Valachie, ont sapé davantage l’influence de la Russie dans cette région cruciale.

Par conséquent, les conséquences diplomatiques de ce traité ont été profondes pour la Russie. Sur le plan politique et diplomatique, la défaite et les concessions imposées par les vainqueurs ont humilié l’Empire russe sur la scène internationale, portant un coup au prestige de Nicolas I et marquant le début de troubles internes.

En termes militaires et économiques, les pertes humaines et financières infligées par la guerre ont affaibli l’Empire russe, créant un terreau fertile pour les réformes ultérieures entreprises par Alexandre II. Ce dernier, confronté aux conséquences désastreuses de la Guerre de Crimée, a été poussé à entreprendre des réformes radicales, telles que l’abolition du servage en 1861, dans le but de moderniser et de renforcer la Russie.

Cependant, le Traité de Paris a également laissé un héritage décisif . Les conditions imposées ont alimenté un profond ressentiment anti-occidental et revanchard au sein de la société russe, engendrant des tensions durables qui ont façonné la politique étrangère russe pour les décennies à venir.

De plus, cette défaite a mis fin à une période de victoire marquée par les guerres au Caucase, qui ont été une guerre coloniale difficile et longue. Ce conflit est vécu comme l’antithèse de la guerre patriotique de 1812 : la guerre patriotique contre Napoléon en 1812 est, à l’instar de la Guerre patriotique de 1941 contre l’Allemagne nazie, une référence importante pour les élites russes car elle a galvanisé le sentiment national russe. Elle a révélé les faiblesses de l’armée russe, qui était mal équipée et mal entraînée, et a conduit à une série de réformes, notamment la réforme militaire d’Alexandre II.

Les conséquences historiques de la guerre de Crimée. Les conséquences de la guerre de Crimée ont été multiples. Pour la Russie, il marque un moment de profonde introspection et de remise en question de la politique étrangère et intérieure initiée sous le règne de Nicolas I et continuée par Alexandre II. Depuis le XVIe siècle, l’Empire russe avait été façonné dans un moule impérial, consolidant son territoire à travers les conquêtes et les annexions. Cependant, la guerre et la défaite de 1856 ont jeté une lumière crue sur les limites de cette politique d’expansion. La menace de la dislocation de l’empire, unifié depuis des siècles, devient tangible face aux forces combinées de l’Europe occidentale.

La politique de Nicolas I, caractérisée par un autoritarisme fort et une vision impériale ambitieuse, est désormais remise en question. Les pertes territoriales et les concessions humiliantes imposées par le Traité de Paris mettent en évidence les conséquences néfastes d’une politique étrangère confrontée à des forces supérieures et unies.

Ainsi, le Traité de Paris de 1856, en plus de ses conséquences immédiates sur la carte politique de l’Europe de l’Est, remet en question l’identité même de l’Empire russe et les fondements de sa politique. Il marque un point tournant où les ambitions impériales se heurtent à la réalité géopolitique et où la nécessité de réforme devient impérative pour assurer la survie et la stabilité de l’État russe.

 

Les conséquences idéologiques de la guerre de Crimée.

En plus de l’affaiblissement de la puissance russe et de son isolement diplomatique, cette défaite a nourri un sentiment de ressentiment et de désir de revanche au sein de la société russe. Ce sentiment a été exploité par les élites politiques et militaires russes pour promouvoir un nationalisme exacerbé et un militarisme accru, orientant ainsi la politique étrangère russe vers des objectifs de restauration de la puissance et du prestige perdus.

Sous le règne d’Alexandre II, cette remise en question se traduit par un virage radical. Confronté à la réalité brutale de la défaite, Alexandre II est contraint de réévaluer les fondements de l’empire et d’entreprendre des réformes internes audacieuses. L’abolition du servage en 1861, souvent considérée comme l’une des réformes les plus significatives de l’histoire russe, témoigne de cette nouvelle orientation politique visant à moderniser et à stabiliser l’empire.La modernisation de l’armée russe a été une réponse directe aux faiblesses révélées par la guerre de Crimée. Dans ce cadre, le gouvernement russe, sous l’impulsion du Tsar a entrepris des réformes profondes visant à moderniser ses forces armées en s’inspirant des modèles occidentaux. Ces réformes ont été essentielles pour renforcer la capacité de défense de la Russie et pour rétablir sa crédibilité sur la scène internationale.

 

Vers une nouvelle politique d’expansion d’Alexandre II : les Balkans comme terrain d’affrontement.

Dans les années 1860, Alexandre II se retrouve à la tête d’un empire russe affaibli par la défaite humiliante de la Guerre de Crimée et confronté à la nécessité impérieuse de restaurer le prestige diplomatique de la Russie. Dans ce contexte de reconstruction de la politique impériale, Alexandre II conçoit une stratégie d’expansionnisme visant à réaffirmer la puissance russe sur la scène internationale.

La politique étrangère d’Alexandre II se fixe alors comme objectif de redonner à la Russie une position de premier plan dans les affaires européennes. Pour ce faire, il se tourne vers les Balkans, une région où les intérêts russes convergent avec les aspirations nationalistes des populations slaves orthodoxes, opprimées par l’Empire ottoman. En se posant en protectrice des Slaves des Balkans, Alexandre II cherche à exploiter les tensions existantes dans la région pour renforcer l’influence russe et restaurer le prestige perdu de l’Empire.

Dans cette optique, Alexandre II soutient activement les mouvements nationalistes balkaniques et encourage les soulèvements contre l’Empire ottoman. Cette politique d’ingérence russe dans les Balkans vise à affaiblir la position de l’Empire ottoman dans la région et à favoriser l’émergence d’États balkaniques indépendants, alliés de la Russie.

La guerre russo-turque (1877-1878) : La revanche d’Alexandre II

La Russie s’est orientée vers une politique de puissance, axée sur la consolidation de son influence dans sa sphère d’influence traditionnelle et la recherche d’alliances stratégiques pour contrer

l’hégémonie occidentale. Cette orientation a été marquée par le développement d’une diplomatie active et le renforcement de ses capacités militaires. En 1877, la Russie passe à l’action en déclarant la guerre à l’Empire ottoman, dans le but de concrétiser ses ambitions expansionnistes dans les Balkans. Cette guerre, perçue comme une revanche par Alexandre II, se solde par une série de succès militaires russes, mettant en lumière la résurgence de la puissance russe sur la scène européenne.

Le Traité de San Stefano en 1878, issu de cette guerre, représente un triomphe pour la Russie et pour Alexandre II en particulier. En créant une Grande Bulgarie pro-russe et en accordant à la Russie d’importants gains territoriaux dans les Balkans, ce traité consolide la position de la Russie comme acteur majeur dans la région et lui permet de retrouver une place centrale dans les affaires européennes.

Un triomphe aux conséquences incertaines

Cependant, malgré cette victoire diplomatique apparente, le Traité de San Stefano suscite la méfiance et l’hostilité des puissances occidentales, qui voient d’un mauvais œil l’établissement d’une hégémonie russe dans les Balkans.

 

– Le Traité de San Stefano de 1878 : les illusions de la victoire ?

Le traité de San Stefano (1878), qui a suivi la guerre russo-turque de 1877-1878, a été un autre moment charnière dans l’histoire diplomatique russe. Signé à l’issue de la guerre russo-turque de 1877-1878, le traité de San Stefano consacre la victoire militaire de la Russie. Il redéfinit les frontières des Balkans, créant de nouveaux États indépendants comme la Bulgarie et accordant à la Russie une influence considérable dans la région. Le traité a provoqué une vive réaction des grandes puissances européennes, qui craignaient l’expansionnisme russe dans les Balkans et un bouleversement de l’équilibre des forces en Europe.Bien que le traité initial ait été favorable à la Russie, les grandes puissances européennes ont révisé certaines dispositions lors du congrès de Berlin de 1878, limitant ainsi l’influence russe dans les Balkans et restreignant ses ambitions expansionnistes.

Les revers diplomatiques de la guerre de Crimée et du congrès de Berlin suscite la perception d’une Russie mal aimée dans le concert des nations. Encourageant la méfiance envers les puissances occidentales. De ce fait, la Russie a développé une hantise de l’encerclement et de l’hostilité de la part de l’Europe, l’incitant à adopter une posture plus isolationniste et méfiante dans ses relations internationales. Ces défaites successives ont rendu la Russie hésitante face à l’internationalisation des conflits. La question de l’intervention dans les affaires d’autres pays est devenue un sujet sensible, tiraillée entre la volonté de protéger ses intérêts et la crainte d’une ingérence étrangère et de ses conséquences.

Ces événements historiques, de la guerre de Crimée au traité de Berlin, ont profondément marqué la perception de la Russie sur la scène internationale et ont influencé ses choix stratégiques et diplomatiques pendant des décennies. Ils ont contribué à façonner l’imaginaire russe et ont jeté les bases de la politique étrangère russe moderne, marquée par un mélange de pragmatisme, de nationalisme et de recherche de puissance.

Gabryel Nasser

sous la direction de Emmanuelle Tixier du Mesnil

Master 2 EAD

 

Bibliographie

Albin, Pierre (1912). “Acte General Du Congres de Paris, 30 Mars 1856”. Les Grands Traités Politiques: Recueil des Principaux Textes Diplomatiques Depuis 1815 Jusqu’à nos Jours avec des Notices Historiques et des Notes. Paris: Librairie Félix Alcan. pp. 170–180.

“Preliminary Treaty of Peace between Russia and Turkey: Signed at San Stefano, February 19/ March 3, 1878 (Translation)”. The American Journal of International Law. II (4, Supplement, Official Documents): 387–401. October 1908.

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