Entre 1815 et 1818, vivre c’était souffrir de la faim. Guillen D’Arcy Wood va s’attarder à expliquer « comment des changements climatiques abrupts peuvent affecter les sociétés humaines à grande échelle, dans le temps, des décennies^[1] ». Pour réaliser ce travail, il va se pencher sur l’étude du mont Tambora dans le but de donner une nouveauté à l’étude de ce « bombardier furtif des débuts du XIXe siècle^[2] » en traitant de cet « évènement non pas comme un désastre naturel affectant une seule année 1816, mais comme une période de changement climatique de trois ans^[3] » mais aussi de l’approche globale suscitée par cette éruption. Cette période de changement débute en 1815 et se termine en 1818.

Guillen D’Arcy Wood est un enseignant américain spécialiste de l’environnement, il enseigne l’anglais à l’université de l’Illinois. C’est un spécialiste de l’art et de la littérature du XIXe siècle. Il a écrit quatre autres livres^[4] traitant de la littérature, de la culture et de l’histoire de l’environnement du XIXe siècle. Actuellement, il travaille sur la détérioration des océans et sur les origines victoriennes de la science marine.  Le travail de Guillen D’Arcy Wood est particulièrement intéressant et très pertinent car il a effectué cinq ans de recherches en vulcanologie et en climatologie. Il s’est donné pour mission de « reconstituer les évènements cataclysmiques mondiaux^[5] » découlant de l’irruption du Tambora afin de comprendre les liens de cause à effet sur une partie de la population mondiale. Pour réaliser cet écrit, il a bénéficié de l’aide de chercheurs pluridisciplinaires. Il met clairement en évidence que « personne n’a sérieusement jusqu’à ce jour tenté de rendre compte de l’ensemble de la littérature scientifique toujours plus importante sur le Tambora^[6] ».

Son analyse est centrée sur « l’histoire humaine qui a suivi l’éruption^[7] ». Il  a eu l’occasion d’assister à de nombreux débats scientifiques ayant pour objet les volcans et dispose de matériaux permettant de « voir les téléconnexions entre éruptions tropicales, changements climatiques et affaires humaines, invisibles autrement^[8] ». Ce travail a pris naissance lors d’un séminaire sur la science atmosphérique auquel il a assisté, c’est la première fois qu’il entend parler du volcan Tambora ; à la suite de cette réunion scientifique, il éprouve le désir de réunir l’histoire et la climatologie pour traiter de ce volcan et pour raconter son histoire qui a eu un impact destructeur dans un grand nombre de pays du monde.

Il est difficile de croire que la catastrophe naturelle du Tambora ait pu générer autant de dégâts au cours du XIXe siècle. L’éruption du Tambora en avril 1815 a conduit une grande partie de la population mondiale à changer sa façon de vivre et à engendrer de grands « désordres » économiques (diminution des récoltes agricoles), sociaux (famine, maladie, mort), environnementaux (changement climatique). L’enjeu pour nous, lecteurs, est de réussir à comprendre comment les transformations du climat peuvent heurter de plein fouet « la vie humaine » à grande échelle, bouleverser une économie dans une période donnée et modifier l’apparence de l’atmosphère. C’est donc pour cela que D’Arcy Wood se donne pour mission de montrer comment et pourquoi cet évènement a eu un impact considérable sur le climat mondial. 

Au début de son enquête, Guillen D’Arcy Wood a du mal à visualiser les effets dévastateurs qu’une éruption volcanique peut engendrer sur le plan mondial car « le changement climatique est aussi difficile à percevoir qu’à imaginer^[9] ». L’intérêt est de montrer les répercussions générées à l’échelle humaine, environnementale par l’explosion de Tambora. Les populations européenne et américaine sont loin de soupçonner que ces années « difficiles » résultent de l’entrée en éruption d’un volcan situé complètement au Sud-est du globe terrestre. Notre compte rendu se base sur l’introduction, le premier et le troisième chapitre du livre. Chaque chapitre traite des répercussions générées dans les zones géographiques touchées de plein fouet.

L’introduction débute avec l’exemple de la théorie de Benjamin Franklin pour montrer qu’il est difficile d’établir « un lien entre le volcanisme et une météo extrême^[10] » dans les années 1783 et 1784. Le point d’origine serait vraisemblablement une activité volcanique localisée en Islande. Le 22 décembre 1784, B. Franklin décide de présenter sa théorie^[11] aux chercheurs, alors qu’il est un membre important de la communauté scientifique. Ceux-ci sont assez réticents car ils ne voient pas le lien possible entre les éruptions volcaniques et les effets irréversibles à l’échelle du globe. D’Arcy Wood entame par la suite une brève présentation du mont Tambora (situé sur l’île de Sumbawa, Indes néerlandaises, en Indonésie actuelle), l’éruption de ce volcan est « masquée » par les guerres napoléoniennes de 1815. D’Arcy Wood annonce clairement ses motivations et indique la manière dont il compte procéder pour donner « vie » aux réels « dégâts » provoqués par le réveil de Tambora sur le plan humain et sur le climat (sur plusieurs années) à l’échelle mondiale.

Le premier chapitre est centré sur les dégâts locaux engendrés par le Tambora en 1815 et les années qui ont suivi. Il s’agit aussi de montrer le avant/après de l’éruption du Tambora mais aussi de traiter de la gestion assez « spéciale » de l’île de Sumbawa et des archipels voisins par des Européens (Hollandais et Anglais). Les habitants de cette île vivaient de cultures vivrières (riz, haricots mungo, maïs) et de leur vente sur le marché avec des produits tels que le café, le poivre et le coton. « Les êtres humains constituaient […] une marchandise de grande valeur et le trafic de chair humaine était aussi implacable que cruel^[12] ». Le commerce d’esclaves permettait d’échanger des biens de première nécessité ou de luxe. D’Arcy Wood dénonce la mauvaise gestion de ces îles par les Hollandais en mentionnant que ceux-ci occupaient ces territoires administrativement et militairement dans un but purement économique. Le passionné de volcans déclare que les Hollandais « se sont contentés d’exploiter une gigantesque zone agricole […] et étaient les bénéficiaires de la cascade de richesses des Indes orientales^[13] ». Il parvient à dénoncer le désintérêt «total » de ces européens car ils n’ont réalisé aucun écrit portant sur l’histoire ou même la culture de ces îles^[14].

« Les éruptions étaient considérées comme un miroir des affaires humaines, une punition pour la mauvaise gestion des chefs [dans ces territoires]^[15] ». Alors, lorsque les habitants ont entendu des grondements en provenance du Tambora, ils savaient que ces bruits étaient de mauvais présages. C’est la deuxième explosion du 10 avril 1815 qui a été fatale, très dévastatrice et longue car « une grêle de pierres tomba du ciel en même temps qu’un déluge de cendres de pluie brûlante^[16] » et a pris en otage toutes les îles voisines. Le déchaînement du Tambora a occasionné la pétrification de certaines personnes, la destruction des villages par la fumée. D’Arcy Wood révèle que « la colossale éruption de 1815 survenue sur l’île de Sumbawa n’a survécu [dans d’autres pays en diverses langues] qu’à travers le conte populaire climatique de la légendaire « année sans été ^[17] » ». Les Britanniques siégeaient sur l’île bien avant l’éruption du Tambora^[18], cependant les rescapés ont dû attendre le mois d’août 1815 pour recevoir quelques rations de riz. Les survivants se sont nourris de feuilles desséchées et de la chair de cheval afin de survivre car le gouverneur de Java avait interdit le commerce d’esclaves (ce qui constituait le seul filet de sécurité sociale de ce peuple ). Ces survivants sont exposés à la famine (eau contaminée, récolte impossible), aux maladies (50% de la population morte). La solution est de migrer vers d’autres archipels et pour d’autres d’habiter très loin du volcan. Il est nécessaire de souligner qu’Owen Phillips (lieutenant de marine britannique) a recueilli « l’unique compte rendu livré par un témoin de la puissance explosion^[19] ».

Dans le troisième chapitre, Guillen D’Arcy Wood parvient à dresser l’état désastreux du climat des années 1816 et 1817. Il traite principalement de l’impact climatique qu’a suscité le réveil du Tambora en expliquant, comment a circulé durant plusieurs mois le « nuage dynamique d’aérosols en forme de serpentin^[20] » au sein de l’atmosphère et les désagréments générés sur le plan terrestre. Les parties du monde qui sont fortement touchées par ces changements climatiques sont principalement l’Europe de l’Ouest, la Grande-Bretagne et l’Amérique du Nord. Une atmosphère glaciale régnait à Londres et à Genève, des pluies incessantes et des tempêtes. Il explique que « l’éruption de Tambora a projeté d’énormes volumes de roches volcaniques et de gaz longtemps comprimés à plus de 40 km de hauteur de la stratosphère^[21] ». « Au cours d’un voyage de dix-huit mois, [le nuage d’aérosols] passa au-dessus des pôles Nord et Sud en laissant des résidus et « une empreinte sulfurique sur la glace^[22] » ». Ce qui a engendré « trois années de refroidissement^[23] », cependant le froid a été réparti de « manière inégale en fonction des courants des différents systèmes climatiques de la planète^[24] ». Les pays comme la Russie et la partie transappalachienne des Etats-Unis ont été peu impactés. Il souhaite bien faire comprendre aux lecteurs les principes de la circulation générale de l’atmosphère. Pour réussir cela, il donne des renseignements sur l’inclinaison de la Terre par rapport au soleil et la capacité d’absorption de la chaleur entre la terre et la mer. Selon lui, « le Tambora a provoqué à la fois des inondations et la sécheresse dans l’Europe des années 1816-1818^[25] » mais aussi des souffrances mondiales (famine, maladies). Le nom donné à l’année 1816 en français ne rendrait pas compte réellement de l’atmosphère de crise sociale des années 1815-1818. Contrairement à la France, les Allemands ont nommé cette année « l’année du mendiant », pour les Suisses, il s’agit de « l’année de la misère ». La rareté des denrées alimentaires conduit à une augmentation des prix qui pousse les habitants à manifester et à se battre dans le but d’avoir de quoi se nourrir. En France certaines mères abandonnaient leurs enfants ou tuaient les bébés car elles n’avaient pas de quoi les nourrir. 

L’auteur s’est efforcé de traiter du chaos engendré par le Tambora de 1815 à 1818 dans certains pays. En publiant ce livre, D’Arcy Wood cherche à donner au Tambora l’histoire qu’il mérite car il a laissé des traces indélébiles dans les mémoires, dans les pensées des personnes qui ont vécu lors de cette éruption. A l’époque, il était pratiquement impossible pour les personnes d’imaginer que le froid et la faim dont ils souffraient résultaient de l’explosion d’un volcan. Les habitants de l’île de Sumbawa et les habitants des pays concernés par le changement de climat ont tenté de faire face au désastre en adaptant leur façon de vivre, en cherchant à se nourrir avec des aliments qu’ils n’étaient pas habitués à consommer. Ils ont été confrontés à la famine, aux maladies et ont vu des personnes devenir des « spectres animés^[26] ». Ce livre est le fruit de plusieurs années de recherche et d’exploration des sources, ce qui en fait une véritable œuvre historique. L’objectif principal de cet auteur a été de raconter et d’expliquer de manière claire comment un volcan peut agir sur le climat et sur une population donnée. Il faut aussi comprendre qu’il existe un lien « exclusif » entre la nature et l’homme, si celui-ci est rompu, les conséquences peuvent être très graves. Les explications de l’enseignant de l’Illinois sont très riches et sont étayées par de nombreuses cartes, de nombreux graphiques (statistiques) et peintures permettant de visualiser concrètement ce qui est traité et donc de savoir exactement où se situent les lieux en question.

 

Ce livre est vraiment fascinant car l’auteur prend la peine de décrire scrupuleusement l’histoire du Tambora (principalement axée sur les dégâts postérieurs à l’entrée en éruption de ce volcan) en partant des dégâts locaux de cette explosion en concluant avec les répercussions générées dans les autres pays du monde. Les travaux dont il s’est servi, donnent une nouvelle vision de l’éruption du Tambora et de ses dégâts, ce qui est profitable aux lecteurs qui en apprennent plus sur cet évènement « planétaire ». En lisant attentivement ces chapitres nous comprenons que l’homme est totalement dépendant du climat, de la nature ; sans eux sa vie est en péril. Il est important aujourd’hui d’être attentif et d’entretenir un lien « sain » entre les hommes et le lieu sur lequel ils habitent.  Cette étude réalisée par Guillen D’Arcy Wood nous montre l’importance des écrits qui permettent de capturer, de raconter et d’expliquer des évènements passés. Les écrits permettent aux historiens de conserver des pratiques anciennes, des histoires, des livres de l’époque, il ne faut pas négliger non plus la géographie. Le témoignage du raja de Sanggar a permis d’avoir des informations sur le rationnement de la population en riz et des dégâts causés. Ce livre a aussi une portée pédagogique et de conscientisation car les personnes passionnées par les volcans et le climat peuvent avoir un intérêt à le consulter. On peut aussi parler d’une œuvre « inédite » s’inscrivant dans la World History. D’Arcy Wood parvient à outre passer les séries des guerres napoléoniennes, en s’attardant sur l’histoire du Tambora. C’est l’impact que ce volcan a généré qui fascine le lecteur. L’auteur éprouve le besoin de rendre public et de partager l’histoire « dramatique » de ce volcan.

Séphora Bonfils

M2 Histoire des sociétés modernes et contemporaines dans les mondialisations.

Mémoire d’histoire moderne sous la direction d’Aliocha Maldavsky.

 

^[1] D’ARCY WOOD Guillen, L’année sans été. Tambora, 1816 : le volcan qui a changé le cours de l’histoire, Paris, La Découverte, 2016, p. 17.

^[2] Ibid. p. 12-13.

^[3] Ibid. p. 19.

^[4] Les quatre ouvrages sont les suivants : The Shock of the Real: Romanticism and Visual Culture, 1760-1860, Palgrave, 2001. ; Romanticism and Music Culture in Britain, 1770-1840: Virtue and Virtuosity, Cambridge UP, 2010. ; Hosack’s Folly, Other Press, 2005. ; Land of Wondrous Cold: The Race to Discover Antarctica and Unlock the Secrets of its Ice, Princeton University Press, 2020.

^[5] Ibid. p. 12.

^[6] Ibid. p. 19.

^[7] Ibid. p. 19.

^[8] Ibid. p. 16.

^[9] Ibid. p. 13.

^[10] Ibid. p. 10.

^[11] Théorie selon laquelle l’éruption d’un volcan en Islande aurait causé de grands désordres climatiques durant les années 1783 et 1784. Il cherche à montrer qu’il peut y avoir un lien entre l’explosion du volcan et le changement climatique.

^[12] Ibid. p. 27.

^[13] Ibid. p. 43.

^[14] « En deux siècles d’occupation par les Hollandais, ces derniers n’ont pas écrit un seul article sur quelque aspect que ce soit de l’histoire, des coutumes ou de la langue javanaises ». p. 44.

^[15] Ibid. p. 28.

^[16] Ibid. p. 30.

^[17] Ibid. p. 47.

^[18] Les Britanniques ont succédé aux Hollandais.

^[19] Ibid. p. 35.

^[20] Ibid. p. 69.

^[21] Ibid. p. 68.

^[22] Ibid. p. 69.

^[23] Ibid. p. 69.

^[24] Ibid. p. 69.

^[25] Ibid. p. 79.

^[26] Ibid. p. 90.

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