Présentation du livre
Lucile Clémens-Morisset n’est pas une historienne. Elle a d’abord fait des études littéraires puis elle s’est engagée dans la Marine nationale, le 3 janvier 1989, en tant que photographe dans un premier temps afin de réunir plusieurs passions. Elle a été à même d’écrire deux romans, des thrillers policiers, à partir de ses nombreuses et diverses expériences. Puis, à la suite de toutes les questions qu’elle a pu avoir sur son expérience dans la Marine en qualité de femme, elle a décidé d’écrire un livre consacré aux « marinettes ».
La Marine nationale au féminin : de 1943 à nos jours est « une véritable étude sociologique sur la condition des femmes dans la Marine »1 . Le vice-amiral d’escadre de l’époque, Pierre-Xavier Collinet utilise ces mots pour décrire ce travail dans la préface. Il le décrit également comme une « remarquable illustration » du chemin parcouru pour féminiser ce corps d’armée.
Le livre se compose d’une préface, de neuf parties et d’une postface.
La préface est écrite par Pierre Xavier Collinet, nommé vice-amiral d’escadre (cf : annexe) en septembre 2001. Il vante l’aspect utile et important du livre dans sa dimension sociologique et sur son rôle de synthèse de la très grande féminisation de la Marine de 1943 à 2003.
La première partie concerne la femme française. Plus particulièrement sa place dans la société et son évolution afin de mettre un cadre à ce qui va suivre. Lucile Clémens-Morisset explique aussi d’où lui est venue l’idée de ce livre. Lors de son engagement, elle s’est rendu compte que peu de personnes civiles ou militaires connaissaient le nom et quelques actions de celles qui se sont attelées à faire évoluer la mixité dans la Marine.
La deuxième partie traite de l’appel du 18 juin 1940 et des premières « marinettes ». Ce sont des femmes qui se rendent en Angleterre et s’engagent aux côtés des femmes britanniques puisqu’il n’y avait pas de corps féminins français. Celui-ci est créé le 7 novembre 1940 sous le nom de « Corps féminin des forces françaises libres », l’appellation évoluera plusieurs fois. Le 9 septembre 1943, le corps féminin prend le nom de « service féminin de la flotte » et le statut des femmes est fixé le 13 janvier 1944.
La troisième partie s’intéresse aux services féminins de la flotte. Le rôle des femmes à cette époque est seulement le remplacement des hommes, c’est-à-dire que leur service dure toute la guerre et un mois supplémentaire. Leur grade maximal est alors celui de capitaine de corvette, le premier grade d’officier supérieur (cf : annexe). Dans cette partie, il y a les témoignages de deux chiffreuses. Elles codaient et décodaient des documents chiffrés à l’aide d’un dictionnaire du chiffre qui changeait régulièrement. Cette partie évoque aussi le cas d’autres femmes. En 1945, une majorité de femmes mettent fin à leur carrière tandis que d’autres persévèrent bien qu’elles soient dénigrées. Les marinettes ne sont plus que 700 début 1946 et 125 en 1947.
La quatrième partie concerne le personnel féminin de l’armée de mer. En réalité, une fois la guerre finie, elles sont cantonnées aux bureaux. Le 15 octobre 1951, un nouveau statut commun aux femmes des trois armées voit le jour. On ne parle toujours pas de militaires, elles ne touchent pas les armes et ne connaissent que des rudiments du monde militaire comme la marche au pas par exemple. Elles sont soit dans le service de santé, soit dans le service général. Une fois formées, elles sont affectées à un grand port, à une base ou au service d’approvisionnement en matériel d’aéronautique navale. D’ailleurs, au sein de l’état-major, elles doivent circuler vêtues en civil. Il y a dans cette partie, deux témoignages dont celui d’une majore qui explique que la vie familiale devait être mise de côté et qu’elle essayait au maximum de mettre en avant sa féminité en ne voulant pas porter de pantalon. Elle a quitté la marine après 33 ans de service.
La cinquième partie traite du personnel féminin de la Marine. Les années 70 marquent un tournant dans la société française tout comme dans le monde militaire. Les femmes deviennent le « personnel féminin de l’armée de mer » en 1973, ce qui montre toujours une séparation par rapport aux hommes. Mais elles sont désormais des militaires et il n’y a plus aucune différence en terme de position, elles peuvent se référer au même statut militaire que les hommes. Dans cette partie du livre, se trouve le témoignage de Madame Chantal Desbordes, elle a été nommée contre-amiral en 2001. Elle a assisté et participé à l’évolution de la condition féminine dans la Marine nationale. Pour 1977, il était prévu d’avoir 26 officières et 570 officières-marinières. Seulement, les effectifs ne vont pas être augmentés, mais les femmes vont prendre la place des hommes qui partent à la retraite. C’est peut-être ce qui a donné l’impression aux hommes qu’elles prenaient leur place.
La sixième partie s’intéresse au cas des marins des ports ou OCTAM, qui signifie officiers du corps technique et administratif de la Marine. Le 1er janvier 1977, les corps féminins sont finis. Les femmes intègrent alors les corps déjà préexistants, mais qui étaient réservés aux hommes. Un décret du 22 décembre 1975 reste néanmoins valide, ce dernier stipule que les femmes n’ont toujours pas accès aux branches et spécialités navigantes ou combattantes. Les femmes font encore uniquement du travail de bureau. Ce qui est intéressant, dans cette partie, est le témoignage d’une marinette qui est enrichi par celui de son mari qui travaille dans le civil. Elle met en avant le fait qu’elle n’ait pas eu de problèmes relationnels avec les hommes qui étaient corrects avec elle, le plus important était pour elle de mettre des limites entre eux. Son mari se pense chanceux d’avoir vécu avec une militaire puisqu’elle lui a permis, ainsi qu’à leurs enfants, un cadre plus stable. Il pense aussi qu’il voulait quelque part garder un lien avec la Marine puisque son père en avait fait partie.
La septième partie concerne les années 1980. La Commission d’étude prospective de la condition de la femme militaire est créée grâce à un arrêté du 30 décembre 1981. Le but de cette commission est de parvenir à améliorer la condition d’emploi du personnel féminin, tous grades confondus. En octobre 1982, trente mesures sont décidées pour toutes les armées confondues. Pour les femmes ayant au moins le grade de premier maître (cf : annexe), elles peuvent embarquer pour une expérimentation pendant 5 ans dans les bâtiments de surface. Les femmes sont petit à petit admises dans les métiers navigants de l’aéronautique navale. De nouvelles spécialités sont ouvertes aux femmes. Le corps des officiers-mariniers supérieurs jusque-là exclusivement masculin est ouvert aux femmes. Au 1er janvier 1984, 65 femmes officières ont une appellation de grade identique à leurs équivalents masculins. Il y a dans cette partie d’autres témoignages, dont celui de Nadine Z., pilote d’hélicoptère. Elle a dû commander en tant que jeune officière des hommes avec plus d’ancienneté qu’elle, ce qui n’a pas été chose aisée.
La huitième partie traite de l’équipage de la flotte. Un arrêté est pris le 14 décembre 1987 pour mettre fin à la branche féminine des marins des ports. Les femmes sont alors incluses dans la branche de l’équipage de la flotte. Elles en étaient auparavant exclues. Certaines spécialités navigantes sont inaccessibles aux femmes dans l’attente des résultats de l’expérimentation de l’embarquement des femmes. Ce sont par exemple les spécialités de manœuvrier qui consiste à conduire des navires et assurer le bon déroulement des différentes manœuvres et de timonier qui détermine la position du navire à l’aide des instruments de navigation, et tient à jour les cartes et les documents nautiques, il gère aussi les transmissions radiotéléphoniques de la passerelle, les signaux lumineux et les pavillons flottants. Les femmes et les hommes sont sur le même tableau d’avancement en respectant l’ancienneté et le grade. On retrouve le témoignage de Scarlette C. qui s’est engagée en 1989 et a été la première infirmière hyperbariste. Cette spécialité passe d’abord par le cours de plongeur de bord puis d’hyperbariste afin d’être capable de traiter les accidents de plongée à l’aide de caissons hyperbares. Un caisson hyperbare est étanche et permet d’exposer des patients à une pression supérieure à la pression atmosphérique pour accélérer le renouvellement cellulaire. Cela n’a pas été facile pour elle, étant la première femme à tenter ce métier, elle a dû faire encore plus ses preuves que les hommes. L’un des collègues de Scarlette était réticent à la présence de femme dans cette spécialité, mais Scarlette ne lui posait aucun problème. Elle était l’exception qui confirme leur règle, qu’une femme dans leur spécialité ce n’est pas possible.
La neuvième partie s’intéresse aux années 1990. Le 11 septembre 1992, une note d’information annonce la volonté de donner une « impulsion nouvelle à la politique d’emploi des femmes ». Les femmes ayant continué à naviguer après l’expérimentation sont très peu et elles sont déçues pour la plupart de devoir rester à terre. Les femmes n’y ayant pas participé se sentent mises de côté en restant à terre. Les officières ont l’impression d’être toujours des subalternes qu’on laisse en dehors de la vie opérationnelle. Elles souhaitent embarquer et être des marins à part entière. Justement, « la note d’information annonce que « la généralisation de l’embarquement des femmes à bord des bâtiments est la plus significative de ces mesures, sinon la plus spectaculaire » »2 . Des quotas sont créés et les bateaux doivent être aménagés pour que les femmes puissent embarquer. Dans un premier temps, il n’y a que le navire-école Jeanne d’Arc, deux frégates F70 et un bateau de ravitaillement (BCR) qui sont adaptés en 1992. À partir du 1er janvier 1993, toutes les femmes embarquent selon les besoins au même titre que les hommes. Un arrêté du 16 février 1994 est abrogé le 29 avril 1998. Toutes les spécialités sont alors possibles sauf la chasse et les sous-marins. La spécialité de pilote de chasse est ouverte aux femmes un an plus tard, le 10 novembre 1999. Les sous-marins restent les seuls fermés aux femmes à cause de leur difficulté d’aménagement. Le 25 août 2000, les submersibles sont déclarés non féminisables dans un arrêté. L’année 2003, année du livre, est celle des 60 ans de l’intégration des femmes dans la Marine. Les femmes sont à ce moment 4120 dans la Marine, ce qui représentait environ 10 % de l’effectif total. Il y a également dans cette partie le témoignage de Lucile Clémens-Morisset. Je vais terminer le résumé des parties par cette phrase du livre : « Jusqu’à ce jour, malgré un vieil adage qui prétendait qu’une femme à bord portait malheur, aucun bateau n’a sombré ! Il ne nous reste donc qu’à leur souhaiter bonne continuation, bon vent et bonne mer… »3 .
La postface est écrite par Chantal Desbordes, nommée contre-amiral en décembre 2001. Elle salue le travail de ses aînées qui ont débuté ce combat. Elle met en avant le fait que celles engagées avec elle ont dû se servir de leurs différences afin d’évoluer en tant que femmes dans un milieu d’hommes. Pour elle le combat n’est pas terminé. En parlant de ses successeurs, elle met en garde sur la difficulté à lier vie militaire et vie de famille : « Pour que « faire carrière » ne soit pas le seul apanage des hommes, il conviendra sans doute d’inventer des dispositions nouvelles qui exonèrent les femmes d’un choix trop cruel entre vie professionnelle et vie familiale. »4 .
Critique du livre
L’objet de ce livre est, pour reprendre une nouvelle fois les mots de l’ancien vice-amiral d’escadre, de retracer « avec précision leur intégration progressive dans les unités à travers les témoignages de celles qui en ont fait l’histoire »5 .
Les sources utilisées sont assez diverses, il y a énormément de témoignages, quelques livres, des sources officielles comme les bulletins officiels, des documents du service historique des armées de Toulon, des documents de nature journalistique comme la revue Cols bleus ou encore les articles du journal Var matin. Il y a aussi les comptes-rendus des Services Féminins de la Flotte. On retrouve de nombreuses photos représentant les personnes dont le témoignage est retranscrit. Il y a aussi d’autres documents comme un acte d’engagement ou un certificat de bonne tenue en mer.
Ce qui fait toute la clarté et la précision des recherches est le parfait assemblage entre recherches et témoignages. En effet, certains témoignages sont coupés afin que l’auteure puisse apporter une précision ou alors elle termine la restitution du témoignage puis effectue une clarification qui lui a semblé nécessaire. Les photos des personnes ayant témoigné permettent de se sentir plus proche de ces femmes. C’est intéressant puisque la période analysée est très large, plus étendue que tout ce qui a déjà été réalisé.
La lecture a été très pertinente pour mes recherches puisqu’elle m’a permis d’être un très bon point de départ assez complet. Mon sujet de mémoire étant la féminisation de la Marine nationale, ce livre m’a permis de choisir le cadre temporel de mes recherches. Le livre est novateur puisque le cadre temporel est très vaste et il utilise énormément de témoignages ce qui rend l’analyse très significative et pertinente.
Les limites de l’étude sont surtout par rapport à la première, et seule, édition du livre en mai 2003. Le livre étant vieux d’une vingtaine d’années, la féminisation dans la « Royale »6 a depuis évolué. Les femmes peuvent désormais embarquer à bord des deux types de sous-marins, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engin depuis 2017 et les sous-marins nucléaires d’attaque depuis 2022. Je souhaite justement évoquer cette question plus en détail dans mon mémoire.
Lola COLIN
Master 1 d’Histoire – Sociétés modernes et contemporaines dans la mondialisation
Mémoire sous la direction de Mme Claire Fredj
- CLÉMENS-MORISSET Lucile, La Marine nationale au féminin : de 1943 à nos jours, Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, coll. « Evocations », 2003, p.5. [↩]
- Ibid., p.103. [↩]
- Ibid., p.147. [↩]
- Ibid., p.149. [↩]
- Ibid., p.5. [↩]
- Surnom familier et hérité de l’ancienne marine royale, afin de la distinguer de « la marine de commerce ou marine marchande ». [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
sophieboucau (6 mars 2024). Lola Colin. COMPTE-RENDU DE LECTURE : “LA MARINE NATIONALE AU FÉMININ : DE 1943 À NOS JOURS” DE LUCILE CLÉMENS-MORISSET, 2003. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 9 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vyrd