L’exposition « Cathares : Toulouse dans la croisade » a débuté le 5 avril 2024. Elle est répartie sur deux sites : le Musée Saint-Raymond, musée d’archéologie de Toulouse dont les collections permanentes sont constituées d’objets datant de l’Antiquité, et le Couvent des Jacobins, édifice typique du gothique méridional ouvert à la visite toute l’année. Il n’y a pas d’ordre de visite à respecter entre les deux parties de l’exposition, car certains panneaux sont présents sur les deux sites afin d’assurer une compréhension optimale à chaque étape du parcours (rappel des dates les plus importantes, par exemple).

L’expression « croisade des Albigeois » désigne une expédition militaire proclamée par l’Église catholique en 1208, contre l’hérésie cathare, implantée dans le Midi de la France actuelle, à l’instar des croisades menées au Proche-Orient pour reconquérir la « Terre sainte ». Comme cela est rappelé tout au long de l’exposition, au-delà de cet aspect religieux, il s’agit surtout d’une guerre de conquête, fruit de la cristallisation de conflits d’influence, dans un contexte de tension entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.

La partie de l’exposition présentée au Musée Saint-Raymond a pour objectif premier de nous faire saisir les enjeux politiques et militaires de la croisade, en nous présentant d’abord les principaux belligérants ainsi qu’une chronologie mentionnant les grandes dates du conflit.

À partir du XIIe siècle, les sources ecclésiastiques mentionnent l’existence, dans les régions du Midi, d’« hérétiques » ou « hérétiques confirmés », c’est-à-dire de chrétiens dont les conceptions en matière de foi divergent du dogme catholique. Ces individus ne sont d’ailleurs pas qualifiés de « cathares » dans ces sources, et eux-mêmes ne revendiquent pas non plus cette appellation, se faisant plutôt appeler « bons hommes ». Le terme « cathare » (du grec katharos, qui signifie « pur ») est utilisé notamment par Augustin d’Hippone au début du Ve siècle. Ce père de l’Eglise l’utilise dans ses écrits pour désigner certains hérétiques de son temps. Le terme apparaît de manière sporadique dans les sources médiévales et a surtout été repris par les historiens, de manière beaucoup plus tardive. Même si sa pertinence est donc aujourd’hui fortement contestée, nous l’utiliserons ici par commodité de langage.

Les cathares sont souvent issus des classes sociales supérieures et reçoivent donc le soutien de nombreux seigneurs locaux. Lorsque Raymond VI devient comte de Toulouse en 1194, leur implantation est solide ; il ne souhaite donc pas prendre le risque de voir fleurir des rebellions sur son territoire en engageant un combat contre eux. Mais le pape Innocent III, soucieux d’éliminer toute menace envers la puissance de l’Église, et donc toute divergence par rapport à la doctrine catholique, est très inquiet quant à la propagation de cette hérésie. Il envoie un légat, Pierre de Castelnau, auprès de Raymond VI afin d’essayer de le convaincre de mener la lutte contre les cathares, mais ce dernier refuse. Au début de l’année 1208, Pierre de Castelnau est assassiné. Innocent III tient le prétexte qu’il recherchait pour accuser le comte de Toulouse de défendre l’hérésie et déclencher une guerre contre lui : il appelle à la croisade contre les « Albigeois », terme qui sert alors à désigner les hérétiques du Languedoc de manière générale, la ville d’Albi n’ayant pourtant pas spécifiquement constitué un foyer d’hérésie. Le légat Arnaud Amaury est nommé chef de la croisade ; de nombreux barons s’y rallient. Toutefois, le roi de France Philippe Auguste s’y refuse. La réunion des différentes armées a lieu à Lyon ; elles se dirigent ensuite vers le sud-ouest. La croisade dure de nombreuses années ; cette guerre est marquée par le fait que les croisés ne servent que pour un temps limité, et que leurs chefs doivent donc attendre parfois l’arrivée de nouvelles troupes avant de pouvoir entamer leurs mouvements.

Les belligérants sont présentés dans une installation interactive, à travers leurs blasons, ce qui est l’occasion pour le public de s’initier à l’héraldique. Du côté des croisés, les principaux chefs de guerre sont Simon IV de Monfort, Gui de Lévis, Pierre de Voisins et Hugues de Lacy. Les seigneurs méridionaux qui défendent leurs territoires vassaux sont Raimond-Roger Trencavel et Raimond-Roger de Foix. Le roi Pierre II d’Aragon les soutient. Quant à Raymond VI de Toulouse, il rejoint rapidement les croisés car il ne parvient pas à trouver d’entente avec les Trencavel.

Un « mur du temps » présente la chronologie des événements, et notamment les sièges et prises des différentes villes, qui s’accompagnent de massacres de populations (condamnation au bûcher pour les hérétiques qui refusent de reconnaître la foi catholique). Le 22 juillet 1209, Béziers est prise par les croisés. Carcassonne capitule le 15 août 1209 ; les habitants sont expulsés de la ville. Raimond-Roger Trencavel se livre comme otage.

Simon de Montfort devient le nouveau vicomte de Trencavel, mais les territoires ne se soumettent pas à son autorité. Il mène alors la conquête du Languedoc. En janvier 1211, Pierre II d’Aragon réunit une conférence pour tenter d’établir la paix. Les légats du pape demandent à Raymond VI de Toulouse de démilitariser ses territoires. En raison de son refus, il est excommunié. Il s’oppose alors de nouveau aux croisés en réunissant une armée.

Simon de Montfort fait un premier siège de Toulouse en juin 1211, mais c’est un échec. En revanche, au printemps 1213, la bataille de Muret est une victoire pour les croisés. Pierre II d’Aragon y trouve la mort, et Simon de Montfort gagne en influence.

En avril 1214, une paix provisoire est décrétée par l’Église. Du 11 au 30 novembre 1215 se tient le concile de Latran IV : il y est décidé que Simon de Montfort deviendrait le nouveau comte de Toulouse. Raymond VI ne conserve que ses possessions provençales. Ce dernier organise alors la révolte avec son fils Raymond VII. Ils sont de retour à Toulouse en septembre 1217. Simon de Montfort tente un nouveau siège, mais trouve la mort en juin 1218. Amaury VI, son fils, lui succède à la tête de l’armée des croisés.

Louis VIII devient roi de France en 1223 ; contrairement à son père, il décide d’intervenir et part en croisade, mais il meurt en 1226. Le conflit s’enlise. En avril 1229, le traité de Paris établit les conditions de la paix. Raymond VII fait pénitence. Néanmoins, la lutte contre l’hérésie cathare continue, menée par l’Inquisition mais peu soutenue par le comte de Toulouse. En 1244, c’est la prise de Montségur, l’un des derniers bastions cathares. En l’absence d’héritier dans la famille comtale, le comté de Toulouse finit par être annexé au royaume de France en 1271. On perçoit à travers ces principales étapes du conflit à quel point l’épisode de la croisade contre les Albigeois s’inscrit dans la construction de l’État monarchique français.

La suite de l’exposition permet d’en apprendre plus sur la vie à Toulouse au début du XIIIe siècle. La vie économique est dépeinte, avec de nombreux objets du quotidien issus de fouilles archéologiques. Un plan de la ville permet d’en situer les principaux édifices, et de faire la distinction entre ses deux parties, la Cité (au sein des anciens remparts romains), et le Bourg. L’union des deux secteurs est liée à l’essor des consuls (capitouls), qui représentent les habitants et administrent la ville grâce à un partage des prérogatives avec le comte. Leur existence a perduré jusqu’à la Révolution. Le château comtal était alors un centre de pouvoir de premier plan. Des animations présentent les restitutions qui peuvent être aujourd’hui faites grâce à l’archéologie.

Cette partie de l’exposition se conclut par une salle présentant la vitalité de la vie religieuse dans la ville, comme en témoigne la production artistique. Toutefois, ce dynamisme semble bien ancré dans le dogme catholique, et on ne trouve pas véritablement de trace d’hérésie. On connaît en revanche l’existence de communautés juives, par exemple grâce à des stèles funéraires. Ces communautés ont été elles aussi visées par la croisade : on sait par exemple que les Juifs de Béziers ont dû fuir la ville lorsqu’elle est tombée aux mains des croisés.

La partie de l’exposition présentée au couvent des Jacobins s’intéresse plus particulièrement à l’hérésie cathare en elle-même. Il s’agit ici de s’affranchir des images communément véhiculées à ce sujet pour essayer de définir la réalité de ce mouvement.

Ces hérétiques semblent avoir été intégrés à la vie locale, et admirés pour leur vie simple et conforme au message originel du Christ. Nous n’avons pas de preuve qu’il y aurait eu une « Eglise cathare » structurée et que tous les hérétiques obéissaient à une foi similaire. Les sources mentionnent seulement des sacrements qui n’existent pas dans le dogme catholique, comme le consolamentum, par exemple. Il s’agissait d’une sorte de baptême spirituel par imposition des mains. Le catharisme a pu être associé au manichéisme, religion syncrétique apparue en Perse au IIIe siècle, mais il semble qu’ils étaient véritablement chrétiens. En somme, il s’agissait d’un christianisme déviant du point de vue de la doctrine définie par l’Église de Rome, mais qui recouvrait peut-être une pluralité de mouvements.

L’exposition rappelle le contexte de la réforme grégorienne, menée par les papes depuis le XIIe siècle pour rétablir l’autorité de l’Église face au pouvoir temporel. Dans ce contexte, la lutte contre les hérésies, perçues comme un risque de déstabilisation de l’autorité pontificale, prend une place particulière. En particulier, Innocent III a accéléré l’évolution vers une théocratie pontificale, en étendant les prérogatives du Saint-Siège.

À travers plusieurs documents d’archives, l’exposition nous plonge dans l’historiographie du catharisme, fortement influencée par les mouvements anticléricaux et régionalistes du XIXe siècle. Par exemple, Napoléon Peyrat, historien protestant ayant publié une Histoire des Albigeois en 1872, a assimilé les cathares à des prédécesseurs des chrétiens réformés et des Camisards. Ce type d’analyse est aujourd’hui abandonné par les historiens, qui remettent en question l’existence même d’un catharisme unifié, mais elle a eu de forts impacts dans l’imaginaire collectif et la culture populaire. Depuis les années 1960 et 1970, le terme « cathare » a notamment été repris dans un objectif de développement touristique de la région, l’Aude étant présentée comme le « Pays cathare ». Pourtant, comme l’exposition le montre à l’appui d’une série de photos et vidéos aériennes, les « châteaux cathares » que l’on visite aujourd’hui (Montségur, Quéribus, Peyrepertuse…) sont en réalité des châteaux construits sur ordre du roi de France, sur les ruines des places fortes tombées à la fin de la croisade.

Enfin, l’exposition nous rappelle que la lutte contre les hérésies s’est perpétuée en particulier au moyen du tribunal de l’Inquisition. Des extraits de registres d’interrogatoire sont présentés, mais le visiteur est alerté sur la fiabilité de ces sources, étant donné leur caractère stéréotypé et la transcription en latin des paroles prononcées en occitan par les accusés. Un procès est reconstitué dans une installation interactive. Les autres moyens d’influence utilisés par l’Église pour asseoir sa puissance à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, comme le développement des ordres mendiants, sont aussi présentés.

Cette exposition s’inscrit de manière pertinente dans les dernières avancées historiographiques concernant ce sujet qui alimente toujours beaucoup de fantasmes. Son contenu informatif est très dense, mais présenté de manière ludique et vulgarisé sans tomber dans la simplification. Elle nous permet d’avoir une vision globale de la vie à Toulouse au début du XIIIe siècle, au cœur des grandes problématiques qui concernent alors la chrétienté latine. Une visite qui tombe à point nommé pour les candidats et futurs candidats au concours de l’agrégation d’histoire, dont la préparation à la question d’histoire médiévale au programme pour les années 2024 et 2025, intitulée “Église, société et pouvoir dans la chrétienté latine (910-1274)”, ne pourra être qu’enrichie !

 

Informations pratiques :

Musée Saint-Raymond, 1ter place Saint-Sernin, 31000 Toulouse

Ouvert de 10h à 18h, fermeture hebdomadaire le lundi.

Couvent des Jacobins, allée Maurice Prin, 31000 Toulouse

Ouvert de 10h à 18h, fermeture hebdomadaire le lundi.

Jody CIEUTAT

Master 2 Histoire des civilisations anciennes et médiévales sous la direction d’Hervé Inglebert

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