En 2011, le Mémorial de la Shoah, fidèle à ses missions d’enseignement et de transmission de l’histoire de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale, inaugure l’exposition Le sport européen à l’épreuve du nazisme des J.O. de Berlin aux J.O. de Londres (1936-1948). Proposant un regard historique sur la manière dont les régimes totalitaires ont utilisé l’image du corps et du sport à des fins propagandistes, cette exposition a mis également en parallèle le parcours individuel de grands sportifs des années trente dont le destin a été bouleversé par la Seconde Guerre mondiale. Elle a ainsi ouvert l’intérêt du Mémorial de la Shoah pour le sport et cela s’est poursuivi par la mise en place d’un atelier pédagogique autour de cette thématique et de son adaptation en exposition itinérante à destination du grand public et du public scolaire.

À l’occasion des Jeux de Paris 2024, le Mémorial a donc souhaité approfondir la question de l’histoire du sport et des Jeux Olympiques via le prisme des préjugés et des discriminations en balayant un siècle d’olympisme. C’est ainsi que l’exposition Paris 19242024, les Jeux Olympiques, miroirs des sociétés, a été inaugurée en mars dernier. Le commissariat scientifique est assuré par Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine, directeur du Centre Lucien Febvre à l’université́ de Franche-Comté́, Caroline François, coordinatrice des expositions itinérantes du Mémorial de la Shoah et Hubert Strouk, responsable du service pédagogique du Mémorial de la Shoah. Tous trois étaient déjà les commissaires de l’exposition de 2011.

© Elise Arnaud.

À partir d’images emblématiques des olympiades, de documents d’archives, de films ou encore d’extraits de presse et de témoignages, cette exposition propose une lecture politique et thématique des Jeux mettant en parallèle cette manifestation internationale et universaliste avec les évènements marquants du XX^e et XXI^e siècle. Différentes problématiques sont ainsi abordées : les valeurs et rituels olympiques et leur détournement, la domination coloniale et raciale dans le sport, le genre et la discrimination des corps ou encore le sport comme outil de lutte contre les préjugés.

L’exposition Paris 1924-2024, les Jeux Olympiques, miroirs des sociétés est découpée en deux parties. Elle revient, tout d’abord, sur la mise en place des valeurs et des rituels olympiques que le créateur des Jeux modernes, Pierre de Coubertin, concevait comme une religion. Ces valeurs et symboles, puisés dans l’histoire antique, sont ainsi des rituels qui sont instaurés lors des trois premières décennies des Jeux soit entre 1896 et 1936. Via toute cette mise en scène Coubertin souhaite servir la cause de la paix.

• On retrouve tout d’abord la parade olympique qui est instaurée en 1904 lors des Jeux de Saint-Louis. Les délégations nationales défilent les unes après les autres. Les athlètes représentent ainsi les couleurs de leur pays. Pour Pierre de Coubertin cela a pour but de symboliser l’universalisme et la paix. Mais dans les années 1930 la parade olympique va être détournée afin de montrer l’affrontement entre les nations avec notamment l’affirmation du nationalisme allemand et italien lors des Jeux de Berlin en 1936.

• En 1913, les anneaux olympiques sont présentés pour la première fois au public à l’occasion de la célébration des vingt ans de la naissance du Comité international olympique (CIO). Ces cinq annaux entrelacés, dessinés par Pierre de Coubertin en personne, symbolisent les cinq continents.

• En 1920, lors des Jeux d’Anvers le serment olympique et le salut olympique sont instaurés pour la première fois. Ce serrement est rédigé par Pierre de Coubertin et reprend les valeurs de l’aristocratie.

• Enfin, vient la flamme olympique qui est allumée pour la première fois en 1928 lors des Jeux d’Amsterdam. La flamme est un symbole qui est au cœur des religions et des mythes. Elle annonce le début des Jeux Olympiques et transmet un message de paix et d’amitié. Le relais de la flamme est quant à lui instauré à l’occasion des Jeux de Berlin de 1936. Le flambeau olympique a en effet un caractère symbolique fort pour les nazis car il permet de matérialiser le prétendu lien de filiation entre les Aryens et les anciens Grecs. L’exposition présente à cette occasion l’une des torches des Jeux de Rome de 1960 conservée au Musée du sport et de l’olympisme de Cologne.

L’exposition revient également sur le détournement de ces symboles et à leur dévoiement notamment lors des Jeux de Berlin 1936. L’exposition présente ainsi un photomontage de l’artiste John publié dans l’hebdomadaire Arbeiter-Illustrierte-Zeitung le 1^er juillet 1936 dénonçant l’instrumentalisation des Jeux Olympiques par le régime nazi à des fins idéologiques.

L’exposition nous conduit ensuite dans un couloir sensoriel mettant en parallèle la finale du 100m de Jesse Owens à Berlin en 1936 et celle de Carl Lewis en 1988 lors des Jeux de Séoul. Ces deux athlètes sont des symboles des Jeux aux États-Unis. Plus encore, ils cristallisent les espoirs de la communauté africaine-américaine dans la représentation des noirs américains sur la scène internationale dans de la lutte des droits civiques aux ÉtatsUnis.

La deuxième partie de l’exposition se présente sous forme de focus sur les lieux, les évènements, les acteurs et les thématiques liées aux Jeux Olympiques. Le premier focus s’intéresse à l’expérience du stade. Ces édifices sont à la fois une démonstration de force pour les pays d’accueil et des lieux dévoyés lors des guerres qui ont jalonné le XX^e siècle. L’un des exemples les plus parlants est le Vélodrome d’Hiver. À travers trois photographies d’archive, l’exposition retrace les évènements marquants qui se sont déroulés sur cette piste. Construit en 1903, le Vel d’Hiv abrite, lors des Jeux de 1924, les compétitions de boxe, de lutte, d’escrime et d’haltérophilie. En juillet 1942, il est l’un des théâtres d’opération de la rafle qui porte son nom. Plus de huit mille juifs sont parqués dans ce stade avant d’être transférés dans les camps du Loiret puis au centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Une troisième photo prise à l’automne 1944, lors de la Libération, vient conclure cette partie en nous montrant des collaborateurs enfermés dans l’enceinte du Vel d’Hiv par les Forces Françaises Libres (F.F.L).

© Elise Arnaud.

Le deuxième focus revient sur trois moments olympiques qui symbolisent autant la haine raciale et l’antisémitisme que la lutte contre le racisme. Il s’agit des Jeux de Berlin 1936, de Mexico 1968 et de Munich 1972.

Dans un troisième focus, nous suivons les parcours de sept sportifs ayant marqué l’histoire des Jeux et dont le destin représente des valeurs ou des combats sociétaux forts.  On peut ainsi retrouver les portait de Wilma Rudolph, de Nadia Comaneci, d’Alain Mimoun, d’Éva Székely, de Sam Rabin, de Jesse Owens et d’Alfred Nakache. Deux objets d’archives marquent particulièrement l’attention du visiteur : le dossard de Jesse Owens lorsqu’il courait pour l’Université d’Ohio et l’unique témoignage d’Alfred Nakache sur sa déportation, exposé au public pour la première fois.

Le quatrième focus se présente sous forme d’alcôves interactives et sensorielles. Il aborde cinq thématiques en lien avec le sport et les Jeux Olympiques comme la médiatisation des Jeux, le dopage, les Jeux Paralympiques ou encore l’émancipation des minorités grâce au sport.

Il faut également mentionner la scénographie colorée, immersive et percutante de l’exposition reprenant tous les codes visuels des Jeux : couleurs, anneaux, médailles, etc. Le principe des alcôves interactives faisant chacune appel à un sens est particulièrement réussi et permet au public jeune, et moins jeune, de découvrir de façon ludique des thématiques pertinentes.

Le Mémorial de la Shoah propose également depuis la rentrée scolaire une exposition itinérante Paris 1924-2024, les Jeux Olympiques, miroir des sociétés à destination du grand public et des scolaires. Plusieurs adaptations de cette exposition itinérante sont aussi présentées dans les lieux de mémoire du Mémorial de la Shoah : à Drancy en mettant en lumière les parcours des athlètes étant passé par ce camp ; au Chambon-sur-Lignon en abordant l’angle des sportifs « Justes parmi les Nations » ; et au Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret (CERCIL) en abordant la figure de Jean Zay.

Cette exposition et ses déclinaisons offrent ainsi une expérience unique qui allie histoire, sport et engagement social, dans le contexte symbolique et historique des Jeux Olympiques de Paris 2024.

Elise Arnaud

M1 Histoire moderne et contemporaine dans les mondialisations

Mémoire sous la direction de Mme Ingrid Hayes 

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