Contexte
Juillet 1916.
Alors qu’au loin, les soldats français se battent à Verdun, le commandement allié, désormais amputé de ce soutien, cherche à infliger de lourdes pertes aux Allemands, installés durablement dans les plaines de la Somme depuis 1915, à l’abri de tranchées profondes et solidement bâties, de fortifications enterrées, d’abris solides.
Depuis six mois la bataille se prépare.
Des nouveaux réseaux de tranchées facilitant l’arrivée régulière des unités sont creusées ; de nouvelles voies ferrées sont construites afin de faire circuler une trentaine de trains par jour ; 1500 pièces d’artillerie sont acheminées.
Également, et ce depuis le 24 juin, les Britanniques maintiennent un tir nourri sur les positions ennemies, afin de les affaiblir. 1.5 million d’obus sont tirés sur un front de 25km. Cependant, des centaines de milliers d’entre eux n’explosent pas. Certains présentent des défaillances, d’autres ne semblent pas assez sensibles pour se déclencher au contact des barbelés ; beaucoup ébranlent des positions sans les détruire, sans entamer un spectaculaire réseau de fortifications.
Lorsque l’assaut est donné, à 7h28, le 16 du même mois, à la suite de fantastiques explosions causées par des constructions de fourneaux de mines, les soldats, issus d’une vingtaine de nations, à qui a été donné l’ordre de marcher plutôt que de courir afin de ne pas se disperser sur le champ de bataille, sont accueillis par des tirs terribles de fusils, de mitrailleuses, d’artillerie, aucunement détériorés par les bombardements alliés.
Le commandement n’en avait rien su.
Le premier jour de la bataille, les pertes britanniques s’élèvent à plus de 60 000 contre 6 000 pour les Allemands.
L’automne sonne la fin d’une bataille de cinq mois, caractérisée par des pertes humaines sans précédent : 1 200 000 morts blessés ou disparu dont 500 000 Britanniques, 200 000 Français et 500 000 Allemands.
Pour un bilan territorial nul, aucun camp n’ayant pris l’avantage sur l’autre.
Des sites en pleine nature
C’est par un weekend ensoleillé de septembre de cette année que la Somme se dévoile, magnifiques paysages vallonnés de forêt, de champs, de villes et villages. Des tracteurs tirant de lourdes cargaisons sillonnent les départementales : c’est la saison du ramassage des pommes de terre. De-ci, de-là, des glaneuses et des glaneurs apparaissent au détour d’un chemin où s’amoncellent d’immenses monticules de ces tubercules terreux, laissés volontairement par les agriculteurs.
L’atmosphère est paisible.
Néanmoins, l’œil est inévitablement attiré, au loin, par une multitude d’espaces clos situés au cœur même des cultures. Des murets, de grands arbres, un monument commémoratif, quelques tombes. Des cimetières de la Grande Guerre. Pour des soldats tombés au combat et rapidement enterrés, la terre de Picardie est devenue leur terre d’accueil pour l’éternité.
La D50 longe l’imposant mémorial franco-britannique de Thiepval (Fig.3) construit en hommage aux soldats britanniques, sud-africains et français, privés de tombe faute de corps. 73 367 noms sont gravés sur ses arches. À ses pieds, s’étend un cimetière militaire, érigé sur le lieu même des lignes de front du 1er juillet 1916 : 300 soldats français dont 253 inconnus et 300 soldats du Commonwealth (285 britanniques, 10 australiens, 4 canadiens et 1 néo-zélandais dont 239 inconnus) y reposent.
En face, une tour de style gothique se dresse. C’est la Tour de Ulster (Fig. 4) consacrée à la 36e division irlandaise, réplique de celle du parc de Cladeboye à Belfast, lieu d’entrainement des soldats.
Distant de quelques kilomètres, à Beaumont-Hamel, s’ouvre un site de 30 hectares, protégé d’un haut grillage, boisé de plus de 5 000 essences d’arbres venus de l’autre côté de l’Atlantique. Les visiteurs pénètrent alors en terre canadienne, en terre Terre-neuvienne.
A l’entrée, un ranger en polo vert bouteille et pantalon kaki les accueille de son accent chantant, proposant ses services pour une visite guidée, montrant d’un geste vers la gauche le musée, vers la droite le chemin qui traverse l’ancien champ de bataille, aujourd’hui recouvert d’une épaisse couche d’herbe, parcouru par un troupeau de brebis chargé de l’entretenir.
Lorsque la guerre éclate en 1914, l’île de Terre-Neuve n’est pas encore canadienne. Elle fait encore partie du dominion de l’Empire britannique. Elle compte 242 000 habitants, dont l’activité principale est la pêche à la morue. Plus de 12 000 Terre-Neuviens s’engageront comme volontaires dans l’armée britannique, dans la 88e brigade de la 29e division. Son nom : le 1st Newfoundland Regiment (Fig. 6, 7) au triangle rouge sur l’épaule et à l’emblème du caribou en insigne de coiffure.
Aguerris au combat lors de la campagne de Gallopoli, en Turquie, ces soldats arrivèrent dans l’est de la France où, armés de pelles et de pioches, ils creusèrent des tranchées dont l’une fut baptisée du nom de la capitale de l’île : St John’s Road. De réserve, elle servit de zone de stockage pour les munitions, les provisions et de lieu de repos. C’est là que le régiment attendit, recroquevillé, l’ordre d’avancer en ce 1er juillet 1916. A 9h15, il attaqua, à la suite des britanniques, bloqués dans le « No Man’s land » sous le feu nourri des allemands. En moins d’une demi-heure, le 1st Newfoundland Regiment perdit 86% de son effectif, soit près de 700 combattants.
Un sentier pédestre mène à 11 stations.
Au numéro 4, le monument du Caribou, impressionnante sculpture conçue par l’artiste anglais Basil Gotto, surplombe une plaine clairsemée de trous d’obus, derniers témoins visibles de la violence des combats. Des tranchées au tracé sinueux se devinent sous la couche de végétation d’où émergent de vieux fis barbelés, des queues de cochon rouillés (Fig. 8).
Au-delà du monument consacré à la 51e division des Highlands, qui combattait en kilt et au son de la cornemuse, vainqueur, en novembre 1916, de la 26e division allemande de Wüttemberg, se découvre le Ravin Y, au numéro 9, dont la vue imprenable sur les lignes de feu alliées, explique le nombre de morts et la difficulté à progresser sur un terrain finalement restreint mais très exposé. En témoigne, l’arbre du danger, qui représente « une zone où le feu ennemi était particulièrement dense »1 et où beaucoup de Terre-Neuviens blessés, tentèrent de trouver refuge. Aujourd’hui, il en subsiste une réplique au pied de laquelle sont régulièrement déposés des bouquets de coquelicots, « fleur symbole du sacrifice et de la mémoire des soldats morts à la guerre »2 .
Avant de quitter le lieu, la visite du musée s’impose. Il retrace la vie à Terre-Neuve à travers la reconstitution d’un intérieur typique, avec le poêle qui chauffe, la radio qui diffuse de la musique, des objets de la vie quotidienne et des maquettes expliquant les activités halieutiques de l’île au début du XXe siècle. S’en suit un parcours de photographies et de films, quelques vitrines d’uniformes retraçant l’histoire du 1st Newfoundland Regiment.
Le témoignage du soldat Francis Thomas Lind3 , engagé dès septembre 1914 alors qu’il avait dépassé l’âge du recrutement, est particulièrement intéressant et émouvant. Il écrivit 32 lettres à sa famille. Quelques-unes sont exposées. Il y relate les aléas de son existence et de celles de ses camarades sur le continent européen, sur un ton souvent badin, enjoué.
L’ensemble de sa correspondance paraissait également dans le journal local, le Daily News de St John’s, pour la grande joie de tous les Terre-Neuviens, avides de nouvelles de leurs proches.
Sa dernière lettre date du 29 juin, la veille de l’assaut qui lui coûtera la vie.
« Aucun crayon ne peut arriver à décrire ce que nous vivons. Comment chacun se tient, calmement, et fait face à la mort, en faisant des blagues, et en riant. Tout semble juste faire partie du quotidien. Alors que tu es couvert de boue séchée et collée, tu regardes ton camarade à côté et rigole de l’état dans lequel il se trouve. Puis tu te penches pour observer l’état de tes propres vêtements et c’est l’autre camarade qui rit de toi. Puis il y a la détonation d’un obus qui passe par-dessus vous et vous manque et vous vous mettez à rire ensemble. »4
L’ensemble des sites visités rendent compte de la violence à laquelle les soldats de la Première Guerre Mondiale ont été confrontés, leur survie indescriptible au fond des tranchées boueuses, à suivre des ordres de bataille aux objectifs parfois obscurs. La guerre de position vit se développer, de part et d’autre, des armes de plus en plus sophistiquées dont l’unique but était de tuer le plus d’hommes possibles, dans un objectif commun : la victoire.
Elle le fut pour les alliés mais à quel prix.
Severine Loizon,
Master 1 Histoire et Sciences Sociales du Politique sous la direction de Paul Lenormand
Lieux :
émorial Terre-neuvien : rue de l’église, D73 80300 Auchonvillers France
Mémorial de Tiepval aux disparus de la Somme : rue de l’Ancre 80300 Thiepval
Tour de Ulster : route de Saint-Pierre Divion 80300 Thiepval
Sites internet :
https://www.chemindemémoire.gouv.fr
https:/www.museedelaguerre.ca
https://www.somme-tourisme.com/memorial-terre-neuvien-de-beaumont-hamel
https./www.tracesdhistoire.com/traces/le-cratere-de-mine-de-la-boisselle-somme-hauts-de-france/
https://www.biographi.ca/fr/bio/lind_francis_thomas_14F.html
- https://www.heritage.nf.ca/premiere-guerre-mondiale/articles/participation-terre-neuviens-labradoriens.php [↩]
- ibid [↩]
- https://www.biographi.ca/fr/bio/lind_francis_thomas_14F.html [↩]
- Extrait de la dernière lettre de Francis Thomas Lind. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
svenwelter (18 octobre 2024). Severine Loizon. BALADE EN TERRE DE SOMME, AU COEUR DE LA GRANDE GUERRE. Master Histoire de Nanterre. Consulté le 11 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12j1t